Contexte et objectifs
À la demande de la direction générale de la santé (DGS), la HAS et la STC ont coordonné l’élaboration d’une recommandation de bonne pratique à l’intention des professionnels de santé, pour le dépistage, la prise en charge et le suivi des populations résidant sur des sites et sols pollués ou à risque de pollution par l’arsenic inorganique (Asi).
Résultats et principales recommandations
Les principales sources d’exposition de la population générale à l’Asi sont alimentaires et constituées par l’eau et les céréales, en particulier le riz. Ce bruit de fond est assez important, avec des prises moyennes de 0,2 à 0,4 μg/kg pc/j et des 95es percentiles compris entre 0,5 et 0,8 μg/kg/j, selon les tranches d’âge ; les enfants âgés de 7 à 12 mois sont la fraction la plus exposée du fait de l’alimentation. Dans les sites dont le sol est pollué par l’Asi, le principal mode de contamination est l’ingestion de poussières et de terre ; les enfants de moins de 7 ans, en particulier, ceux âgés de 6 mois à 4 ans sont la fraction de la population la plus exposée ; des surexpositions sont également prévisibles chez les individus plus âgés mais géophages ou onychophages et à un moindre degré chez les consommateurs habituels de légumes produits localement (en particulier, les légumes-feuilles) ou d’eau locale (hors celle du réseau public). La bioaccessibilité (fraction dissoute dans le tube digestif et disponible pour y être absorbée) de l’Asi des sols et le risque de surexposition associé sont très variables. Les effets sur la santé de l’exposition chronique à l’Asi sont nombreux et divers. Les effets critiques (ceux qui surviennent pour les expositions les plus faibles) sont : pour les effets à seuil de dose des anomalies de la pigmentation et de la kératinisation de la peau ; pour les effets sans seuil de dose, des carcinomes cutanés baso-cellulaires et épidermoïdes en cas d’exposition par voie orale et des cancers broncho-pulmonaires pour la voie respiratoire. Les valeurs toxicologiques de référence (VTR) retenues par le groupe de travail sont : 0,3 μg/kg pc/j pour les effets à seuil de dose, toutes voies confondues et pour les effets sans seuil, des excès de risque unitaire (ERU) de respectivement, 1,5.10⁻³ par μg/kg pc/j par voie orale et 3,3.10⁻³ par μg/m³, par voie respiratoire. L’indicateur biologique d’exposition (IBE) de référence pour l’Asi est la somme des concentrations urinaires de l’Asi, de l’acide méthylarsonique (MMA) et de l’acide diméthylarsinique (DMA). Cette somme (ΣAs) est un bon indicateur de l’exposition récente (des derniers jours) à l’Asi. Les produits de la mer (animaux ou végétaux) contenant du DMA, ils ne doivent pas être consommés dans les 3 jours précédant le prélèvement urinaire qui doit être réalisé dans des conditions propres à prévenir toute contamination externe. Dans la population générale résidant en France et en l’absence d’exposition à une source spécifique d’Asi, ΣAs est généralement inférieure à 10 μg/g créatinine et 11 μg/L. Cependant, on manque de données chez les individus de moins de 18 ans, en particulier chez les moins de 6 ans. Le seuil de 25 mg/kg de poussière ou de terre constitue la limite supérieure de la concentration d’Asi dans les sols dits « ordinaires » dans le référentiel de l’INRA utilisé par la Méthodologie nationale de gestion des sites et sols pollués. Les évaluations réalisées par le groupe de travail ont montré que, à ce niveau, lorsque la bioaccessibilité de l’Asi était de 100 %, le risque de surexposition des enfants de 6 mois à 4 ans et des individus plus âgés géophages ou onychophages était élevé. Il est donc recommandé de rechercher une surexposition à l’Asi, lorsque la concentration de sa fraction bioaccessible dans le sol est > 25 mg/kg. Les populations cibles du dépistage des surexpositions sont alors : les enfants âgés de 6 mois à 4 ans ; les femmes enceintes ou envisageant de débuter une grossesse, si elles sont géophages ou onychophages ou si elles consomment des légumes produits localement, de l’eau extraite localement (hors l’eau du réseau public), si elles jardinent ou ont des activités de loisir exposant aux poussières de sol ; les individus de tous âges avec pica, géophagie ou onychophagie. L’outil du dépistage est ΣAs et les valeurs limites sont de 10 μg/g créatinine chez les personnes de plus de 12 ans, 10 μg/g créatinine + 11 μg/L chez les autres. Dans les sites pollués par l’Asi, il est recommandé de constituer une base de données rassemblant et conservant tous les résultats des évaluations biométrologiques des expositions : pour la traçabilité de ces dernières, à l’usage des intéressés, de leurs familles et des professionnels de santé concernés ; également, pour des analyses périodiques, guidant les actions de prévention et évaluant leur efficacité. Il n’est recommandé de rechercher des complications de l’exposition à l’Asi, sur un site pollué que lorsque le dépistage a montré des cas de surexposition (voir ci-dessus). La population-cible de cette recherche de complications n’est pas la même que celle visée par la recherche de surexpositions. Les complications sont surtout attendues chez les individus surexposés depuis longtemps. Il est recommandé de ne les rechercher que chez les personnes dont l’exposition (séjour sur un site dont l’Asi bioaccessible des sols est > 25 mg/kg) cumulée est d’au moins 5 ans et dont l’exposition a débuté avant l’âge de 4 ans et/ou qui ont une durée cumulée d’au moins un an de consommation habituelle de légumes produits localement ou d’eau locale (hors celle du réseau public) et/ou qui ont ou ont eu sur le site un pica, une géophagie ou une onychophagie. Les effets sur la santé à rechercher sont, en première intention, des troubles de la pigmentation et de la kératinisation cutanée, associés ou non à des carcinomes de la peau. Les autres effets possibles de l’exposition à l’Asi ne nécessitent d’être recherchés que si des signes cutanés sont présents. Les médecins locaux doivent recevoir une formation spécifique sur les complications possibles de l’exposition à l’Asi, les caractéristiques des personnes à risque et les modalités du diagnostic. La collaboration avec les spécialistes hospitalo-universitaires loco-régionaux est indispensable pour ces formations et la confirmation des diagnostics. En cas de dépassement du ou des seuils biométrologiques de référence, la personne concernée ou son entourage adulte doit être informée des causes probables de ce dépassement et des mesures à prendre pour prévenir d’autres contaminations. L’efficacité de ces mesures préventives est vérifiée par un nouveau dosage urinaire 1 à 3 mois plus tard (dans les 2 mois, s’il s’agit d’une femme enceinte). Même en l’absence de dépassement des valeurs seuils, une surveillance biométrologique est indiquée chez les individus à risque résidant sur un site ou l’Asi bioaccessible des sols est > 25 mg/kg : elle est semestrielle chez les enfants de 6 mois à 4 ans, annuelle chez ceux de 5 et 6 ans, au moins semestrielle chez les géophages, onychophages ou consommateurs habituels de légumes produits localement. De même une surveillance clinique (recherche de complications cutanées : voir ci-dessus) au moins annuelle est indiquée chez les personnes dont l’exposition cumulée est d’au moins 5 ans et dont l’exposition a débuté avant l’âge de 4 ans et/ou qui ont une durée cumulée d’au moins un an de consommation habituelle de légumes produits localement ou d’eau locale (hors celle du réseau public) et/ou qui ont ou ont eu sur le site un pica, une géophagie ou une onychophagie et/ou qui ont des antécédents personnels de dépassement des seuils biométrologiques.