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Victor Georgievitch Veselago (1929–2018)

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Abstract

Victor Veselago (1929–2018) est un physicien russe spécialiste des ondes électromagnétiques. Il a publié en 1968 un article fondateur de la théorie des métamatériaux dans lequel il décrit les propriétés électromagnétiques de matériaux ayant des permittivités et perméabilités négatives. Ses travaux seront popularisés plusieurs décennies plus tard par le développement des métamatériaux par John Pendry.
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BIOGRAPHIE
Victor Georgievitch Veselago
(1929–2018)
Victor Veselago naît le 13 juin 1929 dans la
région de Zaporjjia, près d’une ville in-
dustrielle d’Ukraine de taille similaire à
Marseille, autrefois appelée Aleksandrovsk durant
la République Soviétique Socialiste d'Ukraine.
Plus précisément, sur l’acte de naissance de Victor
est inscrit le nom du village Kichkas, submergé
lors de la construction d’un barrage, peu après
Par Sébastien Guenneau
s.guenneau@imperial.ac.uk
Victor Veselago (1929–2018) est un physicien
russe spécialiste des ondes électromagnétiques.
Il a publié en 1968 un article fondateur de la
théorie des métamatériaux dans lequel il décrit
les propriétés électromagnétiques de matériaux
ayant des permittivités et perméabilités négatives.
Ses travaux seront popularisés plusieurs
décennies plus tard par le développement
des métamatériaux par John Pendry.
https://doi.org/10.1051/photon/202010322
Article publié en accès libre sous les conditions définies par la licence Creative Commons Attribution
License CC-BY (http://creativecommons.org/licenses/by/4.0), qui autorise sans restrictions
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correcte de la publication originale.
sa naissance. À cette époque, son père travaille
à la centrale hydroélectrique adossée au barrage
du Dniepr (un fleuve se jetant dans la mer noire),
dont la construction commencée en 1927 et ache-
vée en 1932, mobilise 60000 travailleurs et sera
qualifiée de « projet de construction socialiste
du siècle ». La famille Veselago quitte la région de
Zaporjjia en 1932 et Victor garde peu de souvenirs
13 juin 1929
Naissance,
région de Zaporjjia,
Ukraine
BIOGRAPHIE
1952
Devient chercheur
à FTF MSU
(Université d'État
Lomonossov
de Moscou)
1968
Publication de son
article fondateur
sur la théorie de la
réfraction négative
et d'une lentille plate
convergente
2001
Première preuve
expérimentale
de la réfraction
négative avec des
métamatériaux (équipe
de D. Smith)
15 septembre 2018
Mort de Victor
Veselago
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BIOGRAPHIEVICTOR GEORGIEVITCH VESELAGO
de la centrale et du Dniepr, qu’il n’a jamais re-
vus. Son père est décoré de l’ordre de Lenin, l’une
des plus hautes récompenses dans l’Union des
Républiques Socialistes Soviétiques (URSS), pour
sa contribution apportée à la construction de la
centrale hydroélectrique, et la famille Veselago
se voit décerner un appartement trois pièces à
Moscou, qu’elle n’occupera que trois ans plus tard,
comme nous le verrons par la suite. En effet, le
père de Veselago est promu ingénieur en chef de
la centrale hydroélectrique Sredne-Volzhsky, dont
il va superviser la construction sur le fleuve Volga.
La famille Veselago s’installe à partir de 1932
dans la ville de Yaroslavl, proche de la centrale
hydroélectrique Sredne-Volzhsky, ainsi que du
célèbre monastère Tolga. Le monastère est déjà
fermé à l'époque, et ses locaux servent à l'héber-
gement des ingénieurs travaillant sur le chantier.
Victor y séjourne dans deux chambres de l’hô-
tel du monastère appelé la maison rouge avec
Georgiy Sergeyevich (son père), Elena Borisovna
(sa mère), et Andrey (son frère aîné). Les pre-
miers souvenirs d’enfance de Victor remontent
à l'époque de sa vie à Tolga, à regarder passer les
bateaux de croisière sur le fleuve Volga.
En août 1935, Georgiy an-
nonce que la construction de la
centrale est interrompue et les
Veselago déménagent à Moscou
en voiture. Ils emménagent
dans l'appartement accordé à
Georgiy après l'achèvement de
la centrale hydroélectrique du Dniepr trois ans
plus tôt. La carrière de Georgiy prend un nou-
vel essort à Moscou, où il est directeur adjoint et
ingénieur en chef de « Glavgidroenergoproekt »
(Главгидроэнергопроект), l’organisation en
charge de la conception et la construction des
centrales hydroélectriques à travers toute l’URSS.
Mais la vie heureuse de Victor à Moscou est brisée
en septembre 1937, lorsque Georgiy décède dans
un tragique accident de chemin de fer. Un an
après la mort de son père, Victor entre à l'école
directement en deuxième année car il peut lire
et écrire couramment. Il parle d’une excellente
école avec de bons professeurs et un directeur
bienveillant, Fyodr Fyodorovich Roschin.
Près de quatre ans s’écoulent avant que la vie
de Victor prenne une nouvelle tournure drama-
tique avec l’entrée en guerre de l’URSS contre
l’Allemagne nazie en 1941. Lorsque les armées
allemandes avancent sur Moscou, la ville est
évacuée avec des déplacements de population,
ainsi que des usines, vers l'Est. Victor, sa mère
Elena, sa tante Maria et son mari Vyacheslav, sont
transférés à Tachkent en Ouzbékistan. Andrey,
le frère de Victor, est quant à lui envoyé au front,
devient lieutenant de l'Armée rouge, et meurt de
ses blessures dans un hôpital de guerre en 1943.
Victor, Elena , Maria et Vyacheslav ne rentrent à
Moscou qu'au printemps 1944. L’ancienne école
de Victor avant la guerre a fermé ses portes, mais
par chance, sa mère retrouve F.F. Roschin, qui
est devenu le directeur d'une école d'élite pour
les enfants de l’administration située au centre
de Moscou. Ce dernier fait passer des examens
d’entrée à Victor qui est admis à intégrer cette
école. Mais Victor tombe malade et ne peut aller
en cours. En convalescence à la maison, il dé-
couvre la vaste bibliothèque que lui a laissée son
père en héritage.
Un livre intitulé « Qu'est-ce qu'une radio ? » éveille
un jour la curiosité de Victor. L'auteur, Semen
Emmanuilovich Khaikin (physicien-mathéma-
ticien né à Minsk en 1901 et mort à Leningrad
en 1968), décrit de manière détaillée et acces-
sible, comment monter soi-même un récepteur
de radio. Victor demande à sa mère d'acheter les
composants de la radio à la boutique du coin, et
il assemble sa première radio
en suivant les instructions dé-
taillées par S.E. Khaikin. Le
lendemain, le radioamateur en
herbe écoute un concert diffu-
sé par Radio Moscou.
Victor envisage d’embras-
ser une carrière d’ingénieur dans les pas de son
père, pour travailler dans une usine fabriquant
des radios. Il n’a pas en tête de devenir un scien-
tifique, car le métier de chercheur reste une
profession confidentielle à l’époque, réservée à
une élite académique et industrielle en URSS.
Cependant, il apprend l’existence d’une nouvelle
faculté spécialisée en physique et technologie
à l'Université d'État Lomonossov de Moscou (à
l’époque son acronyme est FTF MSU, remplacé
depuis par MIPT, le célèbre Institut de physique
et de technologie de Moscou), qui doit former des
spécialistes pour des instituts de recherche avec
diverses spécialisations, y compris la radio-phy-
sique. Parmi les enseignants se trouvent les futurs
prix Nobel de physique Lev Davidovich Landau et
Petr Leonidovich Kapitza.
La filiation scientifique est particulièrement
importante en URSS et S.E. Khaikin (auteur de «
Qu'est-ce qu'une radio ? »), va jouer un rôle majeur
dans la carrière scientique de Victor, qui eectue
son stage de recherche trois étés consécutifs
Un livre intitulé « Qu'est-ce
qu'une radio ? » éveille un
jour la curiosité de Victor.
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BIOGRAPHIE VICTOR GEORGIEVITCH VESELAGO
EN SAVOIR
sous la direction de Khaikin au Laboratoire de ra-
dioastronomie de Crimée de l’Institut Lebedev de
physique de l'Académie des sciences (FIAN). Victor
y travaille comme technicien radio, utilisant les
compétences et les connaissances acquises en tant
que radioamateur. À la n du premier été passé au
laboratoire FIAN de Crimée, Victor décide de conti
-
nuer à y travailler au cours de l'hiver 1949–1950. Il
demande à Sergey Michailovich Rytov, son men-
tor ociel à FTF MSU, l'opportunité de travailler
à FIAN pendant les vacances d'hiver. Rytov est un
théoricien, qui semble déçu de la décision de Victor
et il demande l’avis d’Alexander Mikhailovich
Prokhorov, qui enseigne ce que Victor appelle
avec aection « le stage de soudure » à FTF MSU.
Rytov explique la si-
tuation à Prokhorov,
qui donne son impri-
matur pour une fi-
lière plus appliquée.
Victor devient alors
étudiant stagiaire
au laboratoire d'os-
cillation de FIAN,
sous la cotutelle de
Prokhorov à FTF
MSU et Khaikin
à FIAN.
À l’issue de ses
études universitaires
en 1952, Victor dé-
croche un poste de
chercheur dans le
groupe de Prokhorov
à FTF MSU. Les sujets
de leurs recherches
changent environ
tous les 5 à 7 ans,
mais ils collaborent
jusqu'à la mort de
Prokhorov en 2002.
Néanmoins, depuis 1960, Victor s’intéresse tout
particulièrement à la génération et l'utilisation
de champs magnétiques forts à courant continu
(il sera directeur du laboratoire des matériaux
magnétiques au sein de l’Institut de physique de
Prokhorov à l’académie des sciences de Russie à
partir de 1983). Il étudie des semi-conducteurs dits
magnétiques qui sont des matériaux qui présentent
un certain nombre de propriétés inhabituelles,
dont une faculté de ralentir les ondes électroma-
gnétiques. En eet, la vitesse de propagation des
ondes électromagnétiques dans un milieu dépend
de l'indice de réfraction n, qui est lui-même lié à
la permittivité diélectrique ε et à la perméabilité
magnétique µ par la célèbre relation
n =
εµ
.(1)
L’idée de Victor est d’obtenir des valeurs signi-
ficativement plus élevées de n en augmentant à la
fois ε et µ dans les semi-conducteurs magnétiques.
Cela permettrait de diminuer la vitesse de phase v
de l'onde électromagnétique d’après la relation
v = c
n(2)
c est la vitesse de la lumière dans le vide.
Cependant, Victor se heurte à une difficulté ma-
jeure : les valeurs élevées de ε et µ ne peuvent
pas être réalisées simultanément pour toute
fréquence. De plus,
l'une de ces quanti-
tés, ε ou µ, s’avère
souvent être néga-
tive ce qui conduit
à une valeur imagi-
naire de l’indice de
réfraction n, entraî-
nant une atténua-
tion de l’onde.
Le coup de génie
de Victor est de se
poser une ques-
tion étrange: « Que
se passe-t-il si les
deux quantités ε et
µ d'un milieu sont
simultanément né-
gatives ? ». En effet,
conformément à
l'équation (1), l'ex-
pression de l’indice
de réfraction n ne
change pas ! Victor
se demande donc
si les équations de
l'électrodynamique sont invariantes par rapport
au changement simultané des signes de ε et µ ou
si les propriétés d’un milieu avec ε et µ simultané-
ment négatifs diffèrent qualitativement de celles
d’un milieu avec ε et µ simultanément positifs.
Une troisième possibilité est qu’un milieu avec ε
et µ simultanément négatifs viole les lois fonda-
mentales de la physique. Victor ne trouve pas de
réponse immédiate à ces questions, mais il réalise
qu’elles sont de nature fondamentale et méritent
d’être posées. Il consulte ses collègues du FIAN
qui lui recommandent la plus grande prudence
face à ces questions qui pourraient soulever une
Illustration d’une onde propagative (resp. évanescente)
dans un milieu d’indice positif n1 qui devient évanescente
(resp. propagative) dans un milieu d’indice négatif n2. Les
oscillations de l’onde schématisées en vert sont associées
à sa vitesse de phase qui pointe suivant la direction de la
flèche verte donnée par le vecteur d'onde, et l’enveloppe
des oscillations en rouge est associée à la vitesse de groupe
de l’onde, qui pointe suivant la flèche rouge donnée par le
vecteur de Poynting.
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BIOGRAPHIEVICTOR GEORGIEVITCH VESELAGO
controverse scientifique délétère pour sa carrière
scientifique. Victor demande alors à une secré-
taire de ne pas le déranger avec des appels télé-
phoniques et d’annoncer à ses collègues qu’il est
parti en congés vers une destination inconnue.
Durant sa période d’isolement, Victor se
consacre pleinement à l’écriture d’un article [1]
dans lequel il démontre que si les deux quanti-
tés ε et µ sont simultanément négatives, le signe
moins doit être attribué à la vitesse de phase
v = c/n (vue comme un champ de vecteur) ainsi
qu’au nombre d'onde
k =
ω
v (3)
ω
est la fréquence angulaire de l’onde considérée.
Une vitesse de phase négative v signifie que le
vecteur d'onde k pointe dans la direction opposée
à celle du vecteur de Poynting
S, défini comme le produit
vectoriel E×H entre le champ
électrique E et le magnétique
H. Or pour Victor et ses col-
lègues du FIAN, il va de soi
que la direction du vecteur S
pointe toujours de la source
de l’onde électromagnétique
vers le récepteur car elle est
associée à un transport d’énergie électromagné-
tique (intimement lié à la vitesse de groupe d’un
paquet d’onde). Victor se heurte donc à une dif-
ficulté théorique.
Victor découvre avec bonheur la possibilité
de vecteurs S et k pointant dans des directions
opposées dans le livre « An introduction to the
theory of optics » [2] du physicien-mathématicien
germano-britannique Sir Arthur Schuster, publié
en 1906 et traduit en russe en 1935 peu après la
mort de ce dernier. Néanmoins, ce livre ne tire
pas les conséquences importantes de cette possi-
bilité car la notion de la réfraction négative quand
l'indice n <0 n’y est pas introduite. Victor est donc
aujourd’hui considéré à juste titre comme le père
de la réfraction négative [3].
Victor décrit de nombreux eets insolites dans
son article fondateur de 1968 qui vont révolution-
ner l’optique au tournant du 21
ème
siècle quand le
physicien britannique Sir John Pendry introduit
avec ses collègues les premiers métamatériaux qui
possèdent un indice de réfraction négatif à cer-
taines fréquences de résonance de leurs compo-
sants. Pendry note qu’il découle de [1] que les ondes
évanescentes sont ampliées à mesure qu’elles se
propagent dans un matériau d’indice négatif (voir
gure), et donc peuvent être focalisées à travers
une lame d’indice de réfraction négatif, participant
ainsi à la reconstruction optique des objets. Un
autre paradigme de la réfraction négative est l’an-
nulation du chemin optique
entre la source et l’image pour
les rayons lumineux passant
à travers une lentille plate à
réfraction négative [4]. Ce
concept d’annulation de
l’espace électromagnétique
a été généralisé depuis au
contrôle de la lumière dans
des milieux hétérogènes ani-
sotropes décrits par des tenseurs de permittivité et
perméabilité ε et µ dont les coecients prennent
des valeurs extrêmes, tels ceux des métamatériaux
hyperboliques et les capes d’invisibilité. Victor a
suivi de près ces développements en formant toute
une génération de physiciens qui ont contribué au
développement des métamatériaux au cours des 20
dernières années [5].
Victor Veselago, lauréat du prix scientifique de
l’URSS en 1976, du prix Vladimir Aleksandrovitch
Fock en 2004 et membre de l’académie des
sciences de Russie, décède le 15 septembre 2018
à l’âge de 89 ans.
[1] V. G. Veselago, Sov. Phys. Usp. 10, 509 (1968)
[2] A. Schuster, An Introduction to the Theory of Optics (London: Edward Arnold and Co., 1904)
[3] A. Boardman, J. Opt. 13, 020401 (2011)
[4] J. B. Pendry , S.A. Ramakrishna, J. Phys.: Condens. Matter 15, 6345 (2003)
[5] S. V. Garnov, E.M. Dianov, V.I. Konov et al., Usp. Fiz. Nauk 189, 335 (2019)
EN SAVOIR
Victor décrit de nombreux
eets insolites dans son article
fondateur de 1968 qui vont
révolutionner l’optique
au tournant du 21
ème
siècle
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  • A Boardman
A. Boardman, J. Opt. 13, 020401 (2011)
  • J B Pendry
  • S A Ramakrishna
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