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Des chats et des hommes. Histoire du chat domestique (Felis catus) en Valais, racontée par l'archéozoologie

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Des chats et des hommes.
Histoire du chat domestique (Felis catus)
en Valais, racontée par l’archéozoologie
Nicole REYNAUD SAVIOZ
Préambule
Un jour d’octobre 2010, Alessandra, à la fois effrayée et dégoûtée, m’apprenait
qu’un chat momifié avait été découvert dans un appartement de la vieille ville de
Sion alors en cours d’analyse par le bureau TERA. Débarrassées de cette affreuse
momie par une archéozoologue quant à elle ravie, les archéologues avaient pu
reprendre sereinement leur travail. Au-delà de l’anecdote, ce malheureux chat a ins-
piré ma contribution d’hommage à Alessandra, parce qu’il sert de point de départ à
une discussion sur le statut et les rôles joués par le petit félidé dans le canton et aux
périodes de prédilection d’Alessandra.
Introduction
De nos jours, le chat domestique se rencontre très fréquemment à travers
le monde ; la Suisse en abriterait 1.6 million1. En tant qu’animal de compagnie, le
petit félidé forme aujourd’hui avec l’homme une association particulière, qui paraît
bénéficier aux deux partenaires: le chat reçoit nourriture et affection, l’homme
assouvit son inclination naturelle à prendre soin d’un animal gracieux, à la fourrure
douce et soyeuse2. De caractère indépendant et excellent chasseur, le petit carnivore
s’avère cependant généralement capable de survivre seul (comme en témoignent
parfaitement les chats harets).
Que savons-nous de l’apparition en Valais, et plus largement en Suisse, de cet
animal familier aujourd’hui si fréquent ? Quel a été son statut ? Cet article a pour
but, à l’aide des restes osseux du petit carnivore découverts dans les sites archéolo-
giques, de répondre à ces questions. Les vestiges fauniques représentent, en effet,
une source d’informations importante, voire unique pour les époques sans écriture,
pour la connaissance des liens qu’entretenait l’homme avec le monde animal. Cette
source souffre évidemment de plusieurs limitations, puisqu’elle dépend de l’état de
la recherche, de la conservation de la matière osseuse ou encore de la pratique du
tamisage. En raison d’un recouvrement des valeurs métriques, s’ajoute encore, pour
467
1[En ligne :] https://www.rts.ch/info/suisse/8619883-un-foyer-sur-trois-en-suisse-possede-au-moins-
un-animal-domestique.html (consulté le 30 avril 2019). En raison de l’importante population de chats
domestiques, qui plus est en expansion, des biologistes tirent la sonnette d’alarme quant à l’impact de ce
chasseur sur la faune sauvage (oiseaux, reptiles et chauves-souris). Voir, par exemple, Clémence DIRAC
RAMOHAVELO, « Impact des chats domestiques sur la faune sauvage », dans fauna.VS info, 23 (2013),
p. 17-18.
2Juliet CLUTTON-BROCK, A Natural History of Domesticated Mammals, Cambridge, 19992, p. 140.
Extrait de Alessandra Antonini. Hommage à une archéologue médiéviste, textes réunis par
Caroline BRUNETTI, Alain DUBOIS, Olivier PACCOLAT et Sophie PROVIDOLI, Sion, 2019
(Cahiers de Vallesia, 31), p. 467-480.
le chat, la difficulté, voire l’impossibilité pour les sujets juvéniles, d’attribuer avec
certitude les restes du genre Felis à la forme domestique (Felis catus) ou au chat sau-
vage européen (Felis silvestris silvestris)3.
Domestication et dispersion du chat
L’ancêtre du chat domestique n’est pas le chat sauvage européen Felis silvestris sil-
vestris, mais la forme africano-levantine du petit félidé sauvage, Felis silvestris lybica.
La domestication de ce dernier a débuté il y a plusieurs millénaires et aurait eu lieu
dans deux foyers distincts.
Deux foyers de domestication
Des ossements de chat, vieux de 9500 ans à 8000 ans, ont été découverts sur l’île
de Chypre, notamment à Khirokitia (7emillénaire)4et à Shillourokambos (phases
moyenne et récente, du milieu du 8emillénaire à la fin du 7emillénaire)5. Or, le
chat sauvage n’a jamais existé sur cette île de la Méditerranée. Ce sont des agropas-
teurs venus du Levant qui, lors de leur établissement sur l’île de Chypre durant le
Néolithique acéramique (PPNB), auraient volontairement introduit des chats
sauvages apprivoisés, en raison de l’aptitude du félidé à chasser les rongeurs ; la sou-
ris domestique (Mus musculus) est en effet présente à Chypre dès le 9emillénaire
av. J.-C., également amenée par l’homme, bien involontairement dans ce cas6. La
découverte d’un squelette de chat associé à une sépulture humaine à Shillourokam-
bos témoigne d’un degré de familiarité déjà élevé entre l’homme et le petit carnivore
à la fin du 9emillénaire avant notre ère7. Une domestication sans doute plus
récente, et probablement indépendante, a eu lieu en Egypte. Selon l’iconographie,
les chats y sont pleinement domestiques au XVIIIesiècle av. J.-C. (16edynastie)8.
Des cinq sous-espèces de chats sauvages présentes dans le monde, seule Felis sil-
vestris lybica paraît avoir été domestiquée, sans doute en raison de sa faible agressi-
vité. Attirés par les souris qui proliféraient dans les villages des premiers agriculteurs,
ces chats peu farouches se seraient laissé apprivoiser et seraient ainsi devenus, à leur
468
3Voir, par exemple, Claude GUINTARD, Sylvie ARNAUD, « Ostéologie comparée de la tête osseuse chez
trois espèces de félidés d’Europe de l’ouest : le lynx (Lynx lynx), le chat sauvage (Felis sylvestris) et le chat
domestique (Felis catus) », dans Bulletin de la Société des sciences naturelles de l’Ouest de la France, nou-
velle série, 25/2 (2003), p. 49-83.
4Simon J. M. DAVIS, « Some more Animal Remains from the Aceramic Neolithic of Cyprus », dans Alain
LEBRUN (éd.), Fouilles récentes à Khirokitia (Chypre) 1977-1981, Paris, 1989, p. 189-221.
5Jean-Denis VIGNE et al., « Early Taming of the Cat in Cyprus », dans Science, 304 (2004), p. 259 ; Jean-
Denis VIGNE, Jean GUILAINE, « Les premiers animaux de compagnie, 8500 ans avant notre ère ?... ou
comment j’ai mangé mon chat, mon chien et mon renard », dans Anthropozoologica, 39/1 (2004),
p. 249-273.
6Thomas CUCCHI et al., « Introduction involontaire de la souris domestique (Mus musculus domesticus
Chypre dès le Néolithique précéramique ancien (fin IXeet VIIIemillénaires av. J.-C.) », dans Comptes
Rendus Palevol, 1 (2002), p. 235-241.
7VIGNE et al., « Early Taming of the Cat in Cyprus ».
8CLUTTON-BROCK,A Natural History of Domesticated Mammals, p. 138.
Nicole REYNAUD SAVIOZ Cahiers de Vallesia, 31, Sion, 2019, p. 467-480
tour, commensaux de l’homme. Lié à l’agriculture naissante, l’apprivoisement du
petit félidé aurait reposé sur un accord tacite : les chats avaient accès aux déchets
carnés en contrepartie de l’élimination des ravageurs qui dévorent les céréales,
rendent impropres à la consommation les denrées souillées de leurs déjections et
rongent toutes sortes de matériaux.
L’introduction du chat domestique en Europe occidentale et en Suisse
Selon de très récentes analyses génétiques, les chats domestiques européens
seraient issus de la lignée égyptienne9. La localisation des sites qui ont livré des
vestiges de chat indique que la dispersion du félidé se serait principalement faite
par voie maritime. Soit les petits carnivores embarquaient à l’insu des hommes, soit
les marins, désireux de lutter contre les rongeurs (qui s’attaquent non seulement
aux réserves de nourriture, mais aussi aux cordages), les auraient fait monter à bord.
Felis catus apparaît au nord des Alpes à la fin de l’âge du Fer seulement (Ier siècle
av. J.-C.). Des restes de chats domestiques ont, par exemple, été découverts dans les
occupations laténiennes de trois sites du nord de la France : Hornaing10, Benne-
court11 et Variscourt12, ainsi que dans deux sites anglais : Danesbury13 et Gussage
All Saints14. Cependant, le chat domestique demeure extrêmement discret au sein
des corpus de faune jusqu’au Moyen Age15. A partir de l’époque médiévale, il
devient un peu plus fréquent, aussi bien dans les ensembles de faune que dans les
textes et l’iconographie.
Sur territoire helvétique, à l’heure actuelle, les plus anciennes attestations de chat
domestique datent du début du Ier siècle apr. J.-C. et proviennent de Suisse orien-
tale.
469
19Claudio OTTONI et al., « The palaeogenetics of cat dispersal in the ancient world », dans Nature Ecology
& Evolution, 1 (2017), p. 139, résumé dans Eva-Maria GEIGL, Thierry GRANGE, « How cats conquered
the Ancient world : a 9000-years DNA tale », dans The Science Breaker. Science meets Society, 20 septem-
bre 2017.
10 Patrice MÉNIEL, « Les restes animaux », dans José BARBIEUX (dir.), Le site d’Hornaing (Nord) : protohis-
toire, La Tène I, La Tène III, gallo-romain, mérovingien, Douai, 1992 (Archaeologia Duacensis, 5),
p. 117-126 et p. 136-146.
11 Patrice MÉNIEL, « Les restes animaux du sanctuaire celtique », dans Luc BOURGEOIS (éd.), Le sanctuaire
rural de Bennecourt (Yvelines), du temple celtique au temple gallo-romain, Paris, 1999 (Documents d’ar-
chéologie française, 77), p. 151-168.
12 Patrice Méniel est cité dans Sébastien LEPETZ, « L’animal dans la société gallo-romaine de la France du
Nord », dans Revue archéologique de Picardie, 12 (1996) (numéro spécial).
13 Annie GRANT, « Animal Husbandry in Wessex and the Thames Valley », dans Barry W. CUNLIFFE,
Aspects of the Iron Age in Central Southern Britain, Oxford, 1984, p. 102-119.
14 Ralph HARCOURT, « The animal bones », dans Geoffrey John WAINWRIGHT, Gussage All Saints : an Iron
Age Settlement in Dorset, London, 1979 (Archaeological reports, 10), p. 150-160.
15 Voir, par exemple, Laurence BOBIS, « Archéologie et histoire : données archéozoologiques sur l’implan-
tation du chat en Europe occidentale », dans Michel COLARDELLE (éd.), L’homme et la nature au Moyen
Age. Paléoenvironnement des sociétés occidentales. Actes du Vecongrès international d’archéologie médié-
vale, Grenoble, 1996, p. 46-52.
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Le petit félidé domestique est représenté à Augusta Raurica (Augst, Bâle) au
tournant de notre ère (insula 31)16. Deux restes sont mentionnés à Vitudurum
(Oberwinthertur, Zurich) ; ils dateraient de la fin du Ier siècle apr. J.-C., mais leur
aspect fait penser qu’ils pourraient être modernes17. Un sondage réalisé dans les
abords immédiats du mausolée de La Communance à Delémont (Jura) a livré un os
coxal qu’Olivier Putelat attribue à la forme domestique en raison de sa taille18.
AAventicum (Avenches, Vaud), d’après la robustesse des très rares restes du genre
Felis sept ossements sur les 28 273 restes déterminés de l’insula 23 (Ier siècle
apr. J.-C.) – seul le chat sauvage serait attesté19 ; les travaux de Cyril Ambros sur la
faune de la capitale des Helvètes mentionnent cependant le chat domestique20. Ces
470
16 Jörg SCHIBLER, Alex R. FURGER, Die Tierknochenfunde aus Augusta Raurica (Grabungen 1955-1974),
Augst, 1988 (Forschung in Augst, 9), p. 223 et p. 229.
17 Philippe MOREL, « Untersuchung des osteologischen Fundgutes aus dem Vicus Vitudurum - Ober-
winterthur », dans Hansueli F. ETTER et alii, Beitrage zum römischen Oberwinterthur – Vitudurum 5,
Zürich, 1991 (Monographien der Kantonarchäologie Zürich, 10), p. 79-176, spécialement p. 110.
18 Martin BOSSERT et al., Le mausolée gallo-romain de La Communance à Delémont. Etudes géologique,
archéologique et archéozoologique. La sculpture figurée, Porrentruy, 2011 (Cahiers d’archéologie juras-
sienne, 32), p. 80.
19 Caroline LACHICHE, L’alimentation carnée à Aventicum / Avenches, capitale des Helvètes (Ier-IVes. apr.
J.-C., Suisse, canton de Vaud). Thèse de doctorat, Université de Bourgogne, 2010, p. 88-90.
20 Cyril AMBROS, « Tierhaltung und Jagd im römischen Aventicum », dans Franz Eugen KOENIG, Serge
REBETEZ (éd.), Arculiana. Recueil d’hommages offerts à Hans Bögli, Avenches, 1995, p. 13-18.
Nicole REYNAUD SAVIOZ Cahiers de Vallesia, 31, Sion, 2019, p. 467-480
Site Contexte Datation NR Felis NR dét. Référence
Vitudurum /3
equart du 2 5279 Morel 1991
Oberwinterthur Ier s. apr. J.-C.
ZH (période II)
Augusta Raurica /insula 25 10 av. - 8 3800
Augst BL 60 apr. J.-C. Schibler &
Furger 1988
insula 31 II-IIIes. 11 20 003
La Communance, mausolée; 150-160 1 52 Bossert et al.
Delémont JU sondage 155 apr. J.-C. 2011
(faune par
Putelat)
Aventicum /insulae 3, 4, 719236 Ambros
Avenches VD 10 et 16 1955
(fouilles
FAG)
insula 23 1-100 728273 Lachiche
apr. J.-C. 2010
Fig. 1. Liste des sites suisses d’époque romaine ayant livré du chat, nombre de restes et data-
tions.
quelques restes seraient, à ma connaissance, les seules occurrences de chat domes-
tique en Suisse pour l’époque romaine. L’extrême rareté des effectifs de Felis catus
transparaît d’ailleurs nettement dans le volume V de la série « La Suisse du Paléo-
lithique à l’aube du Moyen-Age », consacré à l’époque romaine, qui n’évoque pas
du tout le chat domestique21. Si les sites à avoir livré du chat domestique sont rares,
les effectifs de Felis catus au sein des corpus de restes déterminés le sont également
(voir figure 1). Au Moyen Age, le nombre de restes de chat domestique demeure très
bas, à l’exemple du bourg d’Altenberg bei Füllingsdorf (Bâle, XIesiècle) où, des
72 961 restes déterminés, seuls sept se rapportent au chat22.
Les vestiges de chats domestiques en Valais
Dans la haute vallée du Rhône, les études archéozoologiques de sites pré-
médiévaux ne mentionnent pas le chat domestique. Seul le chat sauvage européen
Felis silvestris silvestris est attesté23. A l’heure actuelle, des ossements attribués au chat
domestique ont été mis au jour dans trois sites archéologiques de la fin du Moyen
Age et de l’époque moderne : à Fang, Tiébagette (commune d’Anniviers), à Pfyngut
(commune de Loèche) et à Maregraben (commune de Salquenen) ; à ces vestiges
osseux s’ajoute un chat momifié découvert dans un appartement médiéval, à Sion.
Fang, Tiébagette
Contexte de découverte
Le site archéologique de Fang, Tiébagette se situe dans le val d’Anniviers, à envi-
ron 900 mètres d’altitude, sur le versant est de la vallée traversée par la Navizence24.
S’étendant à 250 mètres en contrebas du hameau de Fang d’en-Bas, le site se pré-
sente actuellement sous la forme d’un ensemble de douze bâtiments, remarquable-
ment conservés, organisés autour d’un replat. Les datations au radiocarbone placent
l’occupation de cet habitat rural de moyenne montagne au XVesiècle, sans qu’il soit
possible, à l’heure actuelle, de préciser l’origine de l’installation. Le site est aban-
donné au cours du XVIesiècle, probablement en raison d’éboulements répétés.
471
21 Laurent FLUTSCH, Urs NIFFELER, Frédéric ROSSI (dir.), Epoque romaine / Età Romana, Bâle, 2002 (La
Suisse du Paléolithique à l’aube du Moyen-Age, V).
22 Elisabeth MARTI-GRÄDEL, « Tier- und Pflanzenreste », dans Reto MARTI, Werner MEYER, Jakob
OBRECHT, Der Altenberg bei Füllinsdorf. Eine Adelsburg des 11. Jahrhunderts, Basel, 2013 (Schriften der
Archäologie Baselland, 50), p. 316-361, spécialement p. 318-319.
23 Claude OLIVE, « L’élevage, la chasse : alimentation carnée des habitants de Gamsen Waldmatte (Brigue-
Glis, VS) entre le Ier siècle avant notre ère et l’époque moderne », dans Olivier PACCOLAT (dir.), Gamsen,
époque historique (chantier autoroute A9 : fouilles archéologiques 1987-1999). Volume 2 : sciences naturelles
et analyses spécialisées. Rapport non publié, TERA Sàrl, Sion, 2004 ; Nicole REYNAUD SAVIOZ, L’habitat
alpin de Gamsen (Valais, Suisse) 4. Etude de la faune, Lausanne, 2018 (Cahiers d’archéologie romande,
170; Archaeologia Vallesiana, 13).
24 Cédric CRAMATTE, Mattia GILLIOZ, Louise RUBELI, « Le hameau médiéval de Fang / Tiébagette (Val
d’Anniviers, Valais) », dans Zeitschrift des Schweizerischen Burgenvereins, 20/2 (2015), p. 43-52. IDEM,
Fang, Tiébagette (Val d’Anniviers, VS). Rapport scientifique des recherches archéologiques 2014 et
2015, Lausanne, mars 2017, p. 15.
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Deux restes de chat domestique ont été découverts dans le comblement d’une
fosse-dépotoir (Fo. 78) dont l’extension maximale n’est pas encore connue25. Com-
blée dans le courant du XVIesiècle, la fosse a déjà livré une grande quantité de
faune, soit environ 1120 restes selon une première estimation26. Les vestiges de chat
ont été repérés à l’occasion d’un rapide survol des restes osseux (qui proviennent
pour l’essentiel de ruminants domestiques)27. Il s’agit d’un humérus et d’un tibia,
issus respectivement de la dernière couche du remplissage de la fosse (UF 16) et du
fond de la structure creuse (UF 75).
Description du matériel osseux
Tous deux complets, l’humérus et le tibia sont diversement conservés. Le tibia
présente une altération marquée de sa surface, plus particulièrement au niveau
des extrémités de la diaphyse, soit à l’endroit l’os compact est le moins épais.
L’origine de cette dissolution de l’os est inconnue (gastéropode ?). L’humérus, au
contraire, s’avère mieux préservé ; il est composé de deux fragments, issus d’une cas-
sure ancienne de la diaphyse.
472
25 CRAMATTE, GILLIOZ, RUBELI, Fang, Tiébagette (Val d’Anniviers, VS), p. 15.
26 IDEM, « Le hameau médiéval de Fang / Tiébagette (Val d’Anniviers, Valais) », p. 47 ; IDEM, Fang, Tiéba-
gette (Val d’Anniviers, VS), p. 15.
27 Nicole REYNAUD SAVIOZ, « La faune : premières données », dans CRAMATTE, GILLIOZ, RUBELI, Fang,
Tiébagette (Val d’Anniviers, VS), p. 37-38.
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Fig. 2. De gauche à droite, humérus (vue caudale) et tibia (vue crâniale) de chat domestique
provenant de la fosse Fo. 78 de Fang, Tiébagette. (Photo : Hubert Smulders, ARIA S.A.).
0 5 cm
Aucune strie de découpe n’a été observée sur l’humérus (seul os suffisamment
conservé pour cette observation, faite à l’œil nu et à la binoculaire). Toutes les épi-
physes étant soudées, les chats étaient âgés de plus de 10 mois (tibia) et de plus de
11.5 mois (humérus)28. Les mesures effectuées confirment l’attribution de ces deux
éléments anatomiques au chat domestique. Comparés aux chats de Haithabu29, les
individus de Fang, Tiébagette apparaissent plutôt graciles et de taille réduite30. Par
conséquent, nous supposons qu’il s’agit de femelles.
Loèche, Pfyngut
La fouille du hameau médiéval de Pfyngut, localisé dans le bois de Finges (com-
mune de Loèche), a révélé des occupations datées entre le XIVeet le XVIIIesiècle31.
Les ossements de chat, au nombre de six, proviennent d’un remblai étalé lors de
l’aménagement d’une petite cour située au sud du bâtiment 4 (état IV)32. Ce rem-
blai a livré 2383 restes fauniques, dont 1394 ont été déterminés au rang de l’espèce
(55.1%)33. Les six restes de chat représentent donc le 0.4% des restes déterminés.
La publication de la faune ne contient malheureusement aucune précision quant
à la représentation anatomique ou au nombre d’individus impliqués34. Claude
Olive indique toutefois que « le chat ne semble pas participer à l’alimentation »35.
473
28 Karl-Heinz HABERMEHL, Die Altersbestimmung bei Haus- und Labortieren, Hamburg-Berlin, 1975,
p. 19.
29 Bien qu’il soit éloigné géographiquement et chronologiquement, le site viking de Haithabu (Hedeby),
au sud du Danemark, a livré un important corpus de restes de chat domestique et, par conséquent, de
nombreuses données ostéométriques.
30 Friederike JOHANSSON, Heidemarie HÜSTER, Untersuchungen an Skelettresten von Katzen aus Haithabu
(Ausgrabung 1966-1969), Neumünster, 1987 (Berichte über die Ausgrabungen in Haithabu, 24).
31 Olivier PACCOLAT (dir.), Pfyn / Finges, évolution d’un terroir de la plaine du Rhône. Le site archéologique
de « Pfyngut » (Valais, Suisse), Lausanne, 2011 (Cahiers d’archéologie romande, 121; Archaeologia Val-
lesiana, 4).
32 Ibidem, p. 228-229.
33 Claude OLIVE, « Les restes d’animaux – témoins de l’activité pastorale des habitants de Pfyngut durant
la période médiévale », dans PACCOLAT (dir.), Pfyn / Finges, évolution d’un terroir de la plaine du Rhône,
p. 241-256, spécialement p. 241.
34 Des recherches effectuées au dépôt de l’Archéologie cantonale n’ont malheureusement pas permis de
localiser ces ossements.
35 OLIVE, « Les restes d’animaux – témoins de l’activité pastorale des habitants de Pfyngut », p. 241.
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Bp GL SD
Humérus (13.2) 84.9 5.7
Tibia 17.1 (114.7) 6.9
Fig. 3. Données métriques de l’humérus et du tibia (selon Angela VON DEN DRIESCH,A
Guide to Measurement of Animal Bones from Archaeological Sites, Peabody Museum of
Archaeology and Ethnology, Harvard University, 1976 ; Bp : largeur maximale de l’articula-
tion proximale ; GL : longueur maximale ; SD : diamètre transverse minimum de la dia-
physe). Lorsque la mesure n’a pu être effectuée très précisément, elle est mise entre paren-
thèses.
Salquenen, Maregraben
Contexte de découverte
Le gisement archéologique de Maregraben (commune de Salquenen) se situe sur
la rive droite du Rhône, sur un léger replat s’étendant au pied de la colline de
Hubil36. Dans cette zone proche du fleuve, caractérisée par une forte humidité due
à la présence de marécages et de sources, ont été mis au jour des vestiges datés
de l’âge du Bronze final, des Premier et Second âges du Fer, des XVIIe-XIXesiècles
et du XXesiècle. Le chat est attesté par un unique reste rattaché à la phase 3 (XVIIe-
XIXesiècles). Ces occupations ont livré des vestiges de structures d’assainissement
des sols et de trois bâtiments en bois (BAT9 à 11), vraisemblablement à vocation
agricole. De taille extrêmement réduite, le corpus de faune de la phase 3 rassemble
52 restes, dont 15 ont été déterminés au rang de l’espèce (avec neuf restes, le bœuf
est prévalent ; il est suivi des caprinés, représentés par cinq restes)37.
Description du matériel osseux
Le chat est représenté par un fragment proximal de fémur droit. Epiphysé, l’os
provient d’un animal âgé d’au moins 8.5 mois38. Sa coloration brun foncé s’ex-
plique par son séjour dans des sédiments gorgés d’eau. L’aspect de la cassure de la
diaphyse indique que l’os a été fragmenté (longtemps) après rejet (fracture sur os
sec). Ce proximum de fémur ne porte pas de traces de découpe.
474
36 Manuel MOTTET, Gabriele GIOZZA, Salgesch-Maregraben. Rapport inédit, ARIA S.A., Sion, novembre
2005.
37 Nicole REYNAUD SAVIOZ, Salgesch-Maregraben (SA00-04), Les restes fauniques, Rapport non publié,
ARIA S.A., Sion, janvier 2019.
38 HABERMEHL, Die Altersbestimmung bei Haus- und Labortieren, p. 177.
Nicole REYNAUD SAVIOZ Cahiers de Vallesia, 31, Sion, 2019, p. 467-480
Fig. 4. Proximum de fémur de chat domestique provenant
de Salquenen, Maregraben (SA00-1314.1) (vue caudale).
(Photo : Hubert Smulders, ARIA S.A.).
Sion, maison d’habitation, Grand-Pont 8
Contexte de découverte
Lors de l’analyse avant rénovation d’un appartement privé sis au premier étage
d’un bâtiment de la zone « vieille ville » de Sion (au numéro 8 de la rue du Grand-
Pont), un chat momifié a été découvert dans le fourneau maçonné de la cuisine.
Cette dernière est décrite comme une « pièce de première importance vu le degré de
conservation hors du commun de sa substance moyenâgeuse », qui « n’a pas subi
de transformations structurelles depuis le XIXesiècle, à part la construction de la
conduite de cheminée en plots de ciment »39. D’après l’analyse du bâti et les sources
iconographiques (gravure de Ludolff, 1642), le bâtiment existait sans doute déjà au
XVIesiècle ; la dendrochronologie indique que la cuisine a été réaménagée en
166240. Le fourneau à cuisiner se présente sous la forme d’un caisson maçonné,
muni d’une porte sur le devant et recouvert d’une pierre monolithique comportant
trois ouvertures légèrement coniques (dans lesquelles s’inséraient des casseroles). Il
s’appuie contre le mur occidental de la cuisine. A l’aide des braises produites dans
475
39 Alessandra ANTONINI, Marie-Paule GUEX, Sion, Maison d’habitation rue du Grand-Pont 8. Documenta-
tion et analyse de l’appartement au 1er étage. Rapport d’activité, TERA Sàrl, Sion, décembre 2010, p. 2.
40 Ibidem, p. 5.
Nicole REYNAUD SAVIOZ Cahiers de Vallesia, 31, Sion, 2019, p. 467-480
Fig. 5. Vue du fourneau maçonné, appuyé contre le mur occidental de la cuisine.
(Photo : Marie-Paule Guex, TERA Sàrl).
l’âtre de la cheminée, ce type de fourneau servait à faire mijoter les potages, surtout,
et à maintenir les plats au chaud. Selon les ouvriers qui l’ont découvert, le chat
momifié se trouvait à l’intérieur du fourneau (communications d’Alessandra Anto-
nini et Marie-Paule Guex). Nous ne possédons malheureusement aucune précision
sur la position exacte de la momie, qui nous aurait permis, d’une part, de savoir si la
présence du chat est accidentelle (animal trop curieux piégé) ou intentionnelle
(main de l’homme) et, d’autre part, de dater le chat avec plus de précision (fin du
Moyen Age - époque moderne).
Description du chat momifié
La momification naturelle du chat est intervenue par dessiccation. Une atmo-
sphère sèche et chaude, en asséchant rapidement le cadavre par évaporation de l’eau
contenue dans les tissus, a empêché le développement des bactéries et des moisis-
sures responsables du pourrissement. Le cadavre du chat est conservé dans son inté-
gralité ; le squelette est complètement recouvert de la peau, trouée à maints endroits
(surtout au niveau des articulations). Le corps présente une forte torsion : l’arrière-
train est couché sur le côté gauche, les pattes postérieures posées l’une sur l’autre,
tandis que le ventre est exposé, tourné vers le haut, pattes antérieures largement
écartées. Recroquevillés, les doigts sont encore munis des griffes, qui sont rétractées.
La queue, très légèrement enroulée, passe entre les deux pattes postérieures. Faute
d’examens radiographiques, qui auraient permis de visualiser un éventuel baculum
(os pénien), le sexe de l’animal n’est pas connu. De même, son âge (stades d’épiphy-
sation des os) et son état de santé (fractures ?) nous sont également inconnus.
476
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Fig. 6. La momie du chat découverte dans la cuisine de l’appartement sis à la rue du Grand-
Pont 8, à Sion. (Photo : Nicole Reynaud Savioz, ARIA S.A.).
Discussion
Le chat, un animal très discret
Jusqu’à présent, le nombre d’ossements de chat domestique livrés par des sites
archéologiques valaisans s’élève à neuf, auxquels s’ajoute un individu momifié.
Représenté dans seulement quatre gisements et par un très faible nombre de restes,
le chat se caractérise donc par une très grande rareté. De plus, les plus anciens ves-
tiges de Felis catus, découverts à Fang, Tiébagette datent seulement du XVIesiècle.
Comment expliquer la faible représentation du chat et son apparition tardive ?
La discrétion du chat n’est pas propre au Valais. Si, au Moyen Age, le chat est
plus fréquent qu’à l’époque romaine, il demeure généralement discret au sein des
spectres fauniques. La génétique nous apprend d’ailleurs que le pelage tacheté (le
chat sauvage présente uniquement un manteau rayé) apparaît au XIIIesiècle seule-
ment41 ; cette mutation génétique tardive témoigne de l’absence de sélection avant
le Moyen Age (une reproduction libre a d’ailleurs toujours cours de nos jours).
Plusieurs auteurs se sont interrogés sur les raisons de la rareté du chat dans les
sites archéologiques42. Bien sûr, il faut citer en premier lieu la difficulté à distinguer
Felis silvestris silvestris de Felis catus, qui conduit à un manque d’attestations de la
forme domestique, les ossements étant attribués à Felis silvestris en cas de doute.
D’autres explications ou hypothèses sont à mentionner. A l’époque romaine, consi-
déré comme un animal exotique et luxueux, le chat n’aurait vécu que dans des foyers
au statut socio-économique élevé43, en tant que compagnon des femmes et des
enfants44. Dans l’Antiquité gréco-romaine, la chasse aux rongeurs était confiée aux
furets et aux belettes45. Ann Lentacker et Bea De Cupere suggèrent que le compor-
tement naturel du félidé expliquerait aussi sa rareté au sein des corpus fauniques :
animal solitaire et nocturne, le chat, contrairement au chien, aura tendance à
rechercher un endroit à l’écart pour y mourir46.
En Valais, la rareté des effectifs de chat et sa première attestation à la fin du
Moyen Age seulement résultent aussi de l’état de la recherche. En effet, une grande
partie de l’abondante faune mise au jour à Martigny (Forum Claudii Vallensium) n’a
pas encore fait l’objet d’étude. Par ailleurs, à l’heure actuelle, il n’existe en Valais que
très peu de sites médiévaux ayant livré d’importants ensembles de faune (étudiés et
en cours d’étude). Deux gisements font exception, du moins pour le Haut Moyen
477
41 GEIGL, GRANGE, « How cats conquered the Ancient world ».
42 Par exemple, Ann LENTACKER, Bea DECUPERE, « Domestication of the Cat and Reflections on the
Scarcity of Finds in Archaeological Contexts », dans Liliane BODSON (éd.), Des animaux introduits par
l’homme dans la faune d’Europe. Journée d’étude, Université de Liège, 20 mars 1993, Liège, 1994 (Col-
loque d’histoire des connaissances zoologiques, 5), p. 69-78.
43 Heidemarie HÜSTER PLOGMANN, André REHAZEK, « Les restes animaux », dans Renata WINDLER et al.,
Haut Moyen Age, Bâle, 2005 (La Suisse du Paléolithique à l’aube du Moyen-Age, VI), p. 226-228.
44 Liliane BODSON, « Les débuts en Europe du chat domestique », dans Ethnozootechnie, 40 (1987), p. 13-
38 ; Angela VON DEN DRIESCH,A Guide to Measurement of Animal Bones from Archaeological Sites, Har-
vard, 1976.
45 Voir par exemple Suzanne AMIGUES, « Les belettes de Tartessos », dans Anthropozoologica, 29 (1999),
p. 55-64.
46 LENTACKER, DECUPERE, « Domestication of the Cat », p. 75.
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Age, ceux de Gamsen (près de Brigue) et d’Oberstalden, Visperterminen (dans la
vallée de Viège, à 1000 mètres d’altitude). Leurs importants corpus osseux, tant
romains qu’altomédiévaux et modernes, ne contiennent cependant aucun reste de
chat domestique47. Il est à noter que dans les écrits médiévaux examinés par l’histo-
rien Pierre Dubuis, il n’est que très rarement fait mention du chat48. L’extrême
rareté du chat dans les sources archéologiques et textuelles du Moyen Age ne reflète
vraisemblablement pas son abondance réelle.
Statut et rôles du chat en Valais à la fin du Moyen Age et à l’époque moderne
Il va sans dire que la taille extrêmement réduite du corpus valaisan ne nous per-
met pas d’appréhender les rôles du chat de manière satisfaisante et encore moins
dans leur diversité. C’est pourquoi nous ferons appel à d’autres trouvailles
archéo(zoo)logiques, ainsi qu’aux sources textuelles pour mettre en évidence les
multiples usages du petit félidé au Moyen Age et à l’époque moderne. En effet, à
côté du rôle évident de chasseur de rongeurs confié au chat, il existait de nom-
breuses autres utilisations du chat, sans doute moins connues du public49.
Le chat consommé
Parmi les vestiges de chat mis au jour en Valais, ceux de Fang, Tiébagette pour-
raient provenir d’individus consommés. Dans ce hameau de moyenne montagne,
vraisemblablement occupé toute l’année, les ossements de chat sont issus d’une
fosse-dépotoir ayant livré des déchets de boucherie et de consommation. La pré-
sence de deux ossements isolés de chat parmi des restes d’animaux ayant participé à
l’alimentation des habitants du hameau suggère que les petits carnivores aient pu
être mangés également. Des documents écrits et l’archéozoologie, par l’observation
des stries de découpe, témoignent de la consommation de chats (ailurophagie). Les
chroniques médiévales réprouvent l’ingestion de viande féline (comme celle de tous
les animaux familiers), qu’elles associent à des épisodes de famine pour la justifier et
l’excuser50. C’est l’interprétation qui est faite d’un ensemble de restes de chat du
XIIIesiècle provenant d’un puits à Cambridge51. Un autre site témoigne, lui, d’une
consommation dans un contexte plus privilégié. A Besançon, des fosses-dépotoirs
d’une maison de vigneron, comblées du XIIIeau XVIesiècle, ont en effet livré des
restes de chat mêlés à des rejets d’assiette ; des traces de découpe prouvent que les
478
47 OLIVE, « L’élevage, la chasse » ; REYNAUD SAVIOZ, « La faune : premières données » ; IDEM, L’habitat alpin
de Gamsen (Valais, Suisse) 4. Etude de la faune.
48 Pierre DUBUIS, « Des hommes et leurs bêtes dans les Alpes occidentales (XIIIe-XVIesiècles) », dans
Annales valaisannes, 2002, p. 27-36, spécialement p. 30.
49 Voir par exemple Laurence BOBIS, Le chat. Histoire et légendes, Paris, 2000.
50 Ibidem.
51 Rosemary M. LUFF, Marta MORENO GARCÍA, « Killing Cats in the Medieval Period. An Unsual Episode
in the History of Cambridge, England », dans Archaeofauna, 4 (1995), p. 93-114.
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petits carnivores ont bel et bien été mangés52. Dans ce cas, la consommation n’est
en outre pas si anecdotique, puisque le chat est attesté, sous forme d’individus âgés
entre 6 et 12 mois (qui offrent donc une viande tendre), dans presque tous les dépo-
toirs et qu’il y est généralement bien représenté (il atteint par exemple 9.6% des
restes déterminés dans une citerne comblée au XVIesiècle)53.
Le chat dépouillé
Au Moyen Age, l’exploitation de la fourrure de chat (sauvage et domestique /
haret) s’avère largement répandue54. Mentionné dans les écrits médiévaux, le
dépouillement des chats est également documenté par l’archéozoologie : des stries
de découpe visibles sur le crâne et les bas de patte de chat témoignent, en effet, du
prélèvement de la peau55. La capture des chats, notamment des individus harets,
était relativement aisée et la livraison des cadavres aux pelletiers permettait de
gagner facilement quelque argent. Comme aucun os du corpus valaisan ne porte
de traces anthropiques, l’utilisation du chat domestique comme bête à fourrure ne
peut être prouvée dans nos régions.
Le chat sacrifié
Le chat occupe également une place de choix dans l’imaginaire. Des croyances,
connues par les textes, la culture orale ou encore l’iconographie sont parfois percep-
tibles par l’archéologie. Le chat momifié de Sion, par exemple, pourrait être l’ex-
pression d’un usage symbolique du petit carnivore (on ne peut cependant exclure
que sa présence résulte d’un malheureux accident). L’emmurement de chats vivants
se révèle, en effet, une pratique connue dans l’Europe médiévale et moderne. Ce
geste repose sur des croyances et des superstitions variées, notamment celles qui sont
liées au combat mené par l’homme contre les rongeurs ; la présence d’un chat
emmuré dans une cuisine ou un grenier était censée dissuader les souris et les rats de
pénétrer et de s’installer dans ces lieux de stockage et de préparation de nourriture.
De nombreux bâtiments du quartier londonien de Bloomsbury, édifiés au
XVIIIesiècle, ont livré des momies de chats, parfois associées à des momies de
souris56. Eloigner le mauvais œil et le Malin de sa (nouvelle) demeure motivait aussi
la mise à mort d’un chat (noir de préférence), dont le cadavre était généralement
déposé dans un mur en construction ou sous un plancher ; ces Bauopfer sont
régulièrement mis au jour lors de travaux de rénovation. C’est, par exemple, le cas
479
52 Claude OLIVE, « L’alimentation carnée au XIVesiècle », dans Musée des Beaux-Arts et d’Archéologie de
Besançon, Se nourrir à Besançon au Moyen Age. A la table d’un vigneron de Battant, Besançon, 1990,
p. 71-80, spécialement p. 75 et p. 80.
53 Ibidem, p. 80.
54 Voir par exemple BOBIS, Le chat. Histoire et légendes.
55 LUFF, MORENO GARCÍA, « Killing Cats in the Medieval Period » ; Giovanni DEVENUTO, « Il gatto nel
Medievo : recenti acquisizioni dal sito archeologico di Canne delle Battaglia (Barletta) », dans Antonio
TAGLIACOZZO et al. (éd.), Atti del 5° Convegno Nazionale di Archeozoologia, Roverto 10-12 novembre
2006, Rovereto, 2010, p. 311-315 ; Lluís LLOVERAS et al., « El gat a la Catalunya medieval i postmedie-
val. Registre I usos culturals », dans Alfred SANCHIS SERRA, Josep Lluís Pascual BENITO (éd.), Inter-
accions entre felins i humans, Valence, 2017, p. 269-287.
56 CLUTTON-BROCK, A Natural History of Domesticated Mammals, p. 140.
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en 1876, lorsque des ouvriers découvrent, derrière une poutre maîtresse, datant du
XVIesiècle, d’une des tours du château de Combourg (Bretagne), le chat dont le
fantôme hantait les nuits du jeune François-René de Chateaubriand57.
Conclusion
Le corpus valaisan de restes de chat domestique comprend seulement neuf
ossements, issus de trois sites archéologiques de la fin du Moyen Age aux XVIIe-
XIXesiècles, ainsi qu’un chat momifié daté avec imprécision (fin du Moyen Age ou
époque moderne). Même accidentelle, la présence de ce dernier nous indique tout
de même que les chats avaient accès aux appartements et, plus particulièrement, à la
cuisine. Cette observation témoigne soit d’un statut d’animal de compagnie, soit du
rôle de chasseur de souris et de rats confié à ces petits carnivores. A l’évidence, non
seulement le hasard de la découverte de la momie, mais aussi l’absence de traces de
découpe et la petitesse des effectifs de Felis catus ne permettent d’entrevoir qu’un
aperçu du statut du chat domestique et de son exploitation par l’homme dans la
haute vallée du Rhône, avant l’époque contemporaine. De plus, si elles sont soup-
çonnées, la consommation de viande de chat et la superstition ne peuvent être prou-
vées. Le contexte essentiellement rural des découvertes de restes de chat Fang,
Pfyngut et Maregraben – atteste le rôle important, si ce n’est vital, du chat comme
éliminateur de rongeurs qui dégradent les prés (campagnols), les stocks de vivres
(souris) et véhiculent la peste (rats). Il paraît vraisemblable que les chats devaient
subvenir eux-mêmes à leurs besoins alimentaires. Si de nos jours, les chats vivant à la
campagne remplissent toujours le rôle de chasseur de rongeurs, la plupart des chats
des villes, mais aussi des fermes sont essentiellement nourris par l’homme et ont
pleinement accédé au statut d’animal de compagnie (ce dont témoigne, par exem-
ple, l’existence de sépultures de chats dans des cimetières pour animaux). L’image
négative du chat, associé au diable et à la sorcellerie, et les traitements cruels qui en
découlaient, paraissent bien loin à l’heure du succès de Hello Kitty.
480
57 Voir, par exemple, le texte du magazine GEO, par Sébastien Desurmont (texte) et Gaël Turine (photos),
29 janvier 2018, d’après GEO, 460 (juin 2017), [en ligne :] https://www.geo.fr/photos/reportages-
geo/les-mysteres-de-bretagne-a-combourg-spectre-de-chat-et-memoires-d-outre-tombe-181649
(consulté le 30 avril 2019).
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Article
Full-text available
Le Gouffre de Giétroz dans le vallon de Susanfe (2178 m alt) contient les restes, très nombreux et remarquablement bien conservés, d’animaux qui y sont morts piégés entre la seconde moitié du 8e millénaire et la fin du Ier siècle av. J.-C. Lors d’une seconde phase d’étude (2021-2022), le prélèvement systématique des ossements visibles en surface et issus de petits sondages, ainsi que le lavage sur tamis, a permis la constitution d’un corpus de plus 2000 restes. Le spectre faunique rassemble une quinzaine de mammifères, parmi lesquels le bouquetin des Alpes et le mouton domestique sont les plus fréquents, ainsi que plusieurs espèces d’oiseaux. Grâce à une nouvelle série de datations, aux données taphonomiques et à la mise au jour d’un muret obturant une fissure, le fonctionnement de la grotte comme piège - surtout à ongulés et ursidés mais aussi à plusieurs espèces de carnivores, de rongeurs et de léporidé - a pu être précisé. Ce projet de recherche a permis d’éclairer près de 8000 ans d’histoire du vallon de Susanfe en tant qu’habitat de la faune holocène et lieu d’estivage millénaire. Die Giétroz Devant-Höhle im Susanfe-Tal (2178 m ü.M.) enthält zahlreiche bemerkenswert gut erhaltene Überreste von Tieren, die dort zwischen der zweiten Hälfte des 8. Jahrtausends und dem Ende des 1. Jahrhunderts vor Chr. verendet sind. In einer zweiten Untersuchungsphase (2021-2022), wurde durch die systematische Bergung von an der Oberfläche sichtbaren und aus kleinen Sondierungen stammenden Knochen sowie durch das Waschen und Sieben von Erdreich, ein Korpus von mehr als 2000 Tierresten zusammengestellt. Das Spektrum der Fauna umfasst etwa 15 Säugetiere, von denen der Alpensteinbock und das Hausschaf am häufigsten vorkommen, sowie mehrere Vogelarten. Dank neuer Datierungen, taphonomischer Daten und der Entdeckung von einer kleinen Mauer, die eine Spalte verschliesst, konnte die Funktion der Höhle als Falle, vor allem für Huftiere und Braunbären, aber auch für mehrere Arten von Fleischfressern, Nagetieren und Leporiden, präzisiert werden. Dieses Forschungsprojekt beleuchtete fast 8000 Jahre Geschichte des Susanfe-Tals als Lebensraum für die holozäne Fauna und als mehrtausendjähriger Sömmerungsort.
  • Bodson Liliane
  • Les
  • En
Liliane BODSON, « Les débuts en Europe du chat domestique », dans Ethnozootechnie, 40 (1987), p. 13-38 ;
  • Bobis Voir Par Exemple Laurence
  • Le Chat
Voir par exemple Laurence BOBIS, Le chat. Histoire et légendes, Paris, 2000.
Des animaux introduits par l'homme dans la faune d'Europe
  • Par Exemple
  • Lentacker Ann
  • D E Bea
  • Cupere
Par exemple, Ann LENTACKER, Bea DE CUPERE, « Domestication of the Cat and Reflections on the Scarcity of Finds in Archaeological Contexts », dans Liliane BODSON (éd.), Des animaux introduits par l'homme dans la faune d'Europe. Journée d'étude, Université de Liège, 20 mars 1993, Liège, 1994 (Colloque d'histoire des connaissances zoologiques, 5), p. 69-78.
« Domestication of the Cat
  • D E Lentacker
  • Cupere
LENTACKER, DE CUPERE, « Domestication of the Cat », p. 75.
Se nourrir à Besançon au Moyen Age. A la table d'un vigneron de Battant
  • Olive Claude
Claude OLIVE, « L'alimentation carnée au XIV e siècle », dans Musée des Beaux-Arts et d'Archéologie de Besançon, Se nourrir à Besançon au Moyen Age. A la table d'un vigneron de Battant, Besançon, 1990, p. 71-80, spécialement p. 75 et p. 80.
Histoire et légendes
  • Voir Par Exemple
  • Le Bobis
  • Chat
Voir par exemple BOBIS, Le chat. Histoire et légendes.