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Le lien faible coopératif: Une poursuite du programme de Granovetter

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Abstract

Malgré un voisinage conceptuel qui semble aller de soi, les recherches sur la coopération et sur les réseaux se sont développées à l’écart l’une de l’autre. Les auteurs proposent de les relier en considérant la mobilisation d’un lien social comme un processus d’engagement à la coopération. L’articulation du programme de Granovetter sur les notions de lien faible et lien fort avec l’approche coopérative duale de Dameron permet de distinguer le lien faible qui ne coopère pas de celui comportant un potentiel coopératif. C’est un enjeu pour un manager en quête de ressource quand il mobilise des liens sociaux dans et hors de son organisation.
1
Marc Lecoutre
Groupe ESC Clermont – CleRMa
4 boulevard Trudaine
63000 Clermont-Ferrand
marc.lecoutre@esc-clermont.fr
Pascal Lièvre
IAE Auvergne (Université Clermont Auvergne) – CleRMa
11 Boulevard Charles de Gaulle
63000 Clermont-Ferrand
pascallievre@orange.fr
Référence Lecoutre Marc, Lièvre Pascal, 2019, Le lien faible coopératif - Une poursuite du
programme de Granovetter, Revue française de gestion, vol. 45, n°279, pp. 11-26 (mars2019).
Le lien faible coopératif : une poursuite du programme de Granovetter
Résumé
Malgré un voisinage conceptuel qui semble aller de soi, les recherches sur la coopération et sur
les réseaux se sont développées à l'écart l'une de l'autre. Nous proposons de les relier en
considérant la mobilisation d’un lien social comme un processus d’engagement à la
coopération. L'articulation du programme de Granovetter sur les notions de lien faible et lien
fort avec l'approche coopérative duale de Dameron permet de distinguer le lien faible qui ne
coopère pas de celui comportant un potentiel coopératif. C'est un enjeu pour un manager en
quête de ressource quand il mobilise des liens sociaux dans et hors de son organisation.
Mots-clés : Réseau Social - Liens faibles – Granovetter- Coopération - Théorie des réseaux
The cooperative weak tie: a continuation of the Granovetter's program
Abstract
Despite a conceptual neighborhood that seems obvious, research on cooperation and networks
have grown apart from each other. We propose to link them, while considering the mobilization
of social ties as a process of engagement to cooperation. The articulation of Granovetter's
program about the notion of weak tie and strong tie with Dameron's dual approach of
cooperation, then allows distinguish the weak tie that does not cooperate, from the one that
includes a cooperative potential. This result presents a challenge for a manager seeking resource
in the phase of mobilization of social links, both within the organization and in other
organizations.
Keywords: Social Network – Weak Ties – Granovetter - Cooperation – Network Theory
2
Le lien faible coopératif : une poursuite du programme de Granovetter.
Dans la quête d’une vision transversale de l’entreprise ouverte sur son environnement, la
constitution d’un capital relationnel par les salariés devient un enjeu stratégique. Par ailleurs, il
s’agit aussi d’engager de nouveaux rapports entre les acteurs centrés sur la confiance et la
coopération, plutôt que sur le contrôle et les rapports contractuels de coordination. Dans cette
perspective, les concepts de coopération et de réseau semblent naturellement associés comme
le montre Chédotel et Viviani (2016). Cependant, la littérature sur la coopération et celle sur la
théorie des réseaux sociaux se sont largement tenues à l’écart l'une de l'autre comme nous allons
le montrer par la suite. Précisons d'emblée que nous ne procédons pas à une analyse comparative
systématique des deux corpus théoriques, ce qui serait hors de portée dans le cadre de cet article.
Nous caractérisons la logique de leurs développements en focalisant sur des travaux
emblématiques ayant déjà réalisé une synthèse de la littérature. L'objectif de cet article est donc
de proposer une notion nouvelle, celle de lien faible coopératif, permettant ainsi de lier
théoriquement ces champs. Plus précisément, dans le sillage de Granovetter, nous ouvrons un
programme de recherche combinant ces deux notions en prenant comme point de départ ses
travaux sur les notions de lien faible et lien fort (1973, 1974, 1982, 1995, 2005, 2017), et en les
articulant avec la synthèse de la coopération dans le champ des théories organisationnelles
opérée par Dameron (2002, 2004, 2005). Pour cela, nous considérons la mobilisation d’une
relation sociale comme un processus d’engagement à la coopération, c’est-à-dire que,
lorsqu'une personne sollicitée par ego, quelle que soit la nature de sa relation avec ego, répond
positivement à cette sollicitation, elle accepte de fait d'entrer dans un processus de coopération.
Cela nous permet de mettre en évidence un espace non couvert par la littérature sur les réseaux
sociaux au sens de Granovetter, l’existence de liens faibles qui ne répondent pas lorsqu’ils sont
sollicités, et que nous qualifierons de non coopératifs. La littérature sur les réseaux a admis sans
discussion que tous les types de liens acceptaient de répondre lorsqu'ils étaient sollicités, qu'ils
soient forts ou faibles selon Granovetter, alors que cette capacité à répondre est plutôt un attribut
significatif des liens forts. Le corpus théorique sur la coopération apparaît ainsi pertinent et
fécond pour permettre de distinguer ces deux types de lien faible, coopératif et non coopératif.
Enfin, ce travail s’inscrit dans une perspective de Grounded Theory (1967) qui met sur le même
plan la dimension théorique et empirique. Ainsi ce papier est délibérément tout autant théorique
que pratique. C’est bien sur la base d’un questionnement théorique autour de la notion de lien
faible et de lien fort comme engagement à la coopération qu’une investigation d’un cas
empirique permet de faire émerger cette notion de lien faible non coopératif. Dans un premier
temps, nous revenons sur le programme de Granovetter et les différents travaux ayant mobilisé
sa thèse de la distinction des liens selon leur force, pour montrer que ce corpus n'a jamais
réellement réinterrogé cette distinction et qu'il s’est construit à l’écart de celui sur la
coopération. Nous nous centrons ici spécifiquement sur la distinction entre lien fort et lien
faible, et non sur la question des effets différenciés des liens selon leur force. Dans un second
temps, nous faisons état des travaux relatifs à la coopération issus du champ de la sociologie
des organisations et de la gestion, permettant de constater leur développement indépendant de
la théorie des réseaux, à quelques exceptions (Lazega, 2009). Dans un troisième temps, nous
montrons comment la mobilisation des réseaux sociaux peut être appréhendée comme un
engagement à la coopération, faisant ainsi apparaitre l'existence des liens faibles non
coopératifs. En conclusion nous mettons en évidence les principaux résultats de ce travail et
leurs apports managériaux.
I. Le programme de recherche de Granovetter à l’écart du corpus sur la coopération
3
La thèse de Granovetter : la force des liens faibles
La thèse de Granovetter de la force paradoxale des liens faibles permettant d’accéder à des
ressources détenues par des contacts situés hors du cercle relationnel habituel est connue (1973,
1974, 1995) : tous les liens entre les individus ne sont pas équivalents, et se distinguent selon
leur force. Les liens forts caractérisent le réseau dense des proches, famille et amis, qui se
connaissent bien, interagissent souvent et dans lequel les informations sont communes à tout le
monde. Les liens faibles correspondent aux personnes que l’on ne voit qu’occasionnellement,
sont situés dans d’autres ensembles de relations avec lesquels ils assurent une connexion, et
donnent accès à des milieux ou à des informations auxquels on n’a pas accès habituellement ni
aisément. La distinction permet de préciser à un premier niveau la nature des ressources ou des
services qu’on peut attendre de son réseau relationnel : aux liens forts, le soutien moral et
affectif, le renforcement identitaire, les échanges intimes y compris stratégiques ; aux liens
faibles la possibilité de sortir de son milieu habituel et d’accéder à de nouvelles informations
qui ne vous parviennent pas spontanément dans votre sphère de vie habituelle. Dans l’étude de
1969, les liens faibles sont bien plus efficaces que les liens forts pour trouver un emploi, ces
derniers n'intervenant que dans 16,7% seulement des cas des personnes ayant obtenu leur
emploi par relation. Ce résultat suggère que la composition du réseau relationnel l’emporte sur
les motivations des proches : pour Granovetter, le problème des liens forts est de se sentir
obligés de fournir une information en réponse à une demande, même si celle-ci est peu
pertinente, voire inutilisable par rapport à la demande, ce qui fait a contrario toute la valeur de
celle obtenue par un lien faible. C’est donc bien la caractéristique du lien social entre les acteurs
qui construit la nature de leurs coopérations, mais ces travaux sont menés à l’écart du corpus
théorique sur la coopération.
La question de la distinction lien fort et lien faible
L'objectif de l'auteur en 1973 est de chercher à articuler les phénomènes microsociaux et
macrosociaux à partir de l'étude des processus qui se développent dans les réseaux
interpersonnels. Il propose de distinguer les liens selon leur force, et essaie de définir ce qu'il
entend par lien fort ou faible. Sa définition comporte deux dimensions, l'une correspondant au
degré de proximité entre deux personnes (p. 1361), devenue très célèbre car la plus souvent
citée, l'autre au degré de transitivité entre les relations de ces deux personnes (p. 1362). Pour
l'auteur, la définition complète est nécessaire afin de relier les niveaux microscopiques et
macroscopiques.
La dimension "proximité" est une approche microscopique dans laquelle la force d'un lien dans
une dyade est définie par quatre critères bien connus : le temps, l'intensité émotionnelle, le
niveau de confiance et la nature des échanges réciproques. Un cinquième basée sur le degré de
multiplexité de la relation est juste évoqué (note 3, p. 1361). Les liens absents regroupent les
liens qui n'existent pas et ceux qu'il qualifie de négligeables (note 4, p. 1361). Il ne prend en
compte que les liens positifs et symétriques entre personnes, et reporte l'étude des relations
asymétriques et négatives à plus tard (note 2, p. 1361). Finalement, il souligne un peu plus loin
(note 15, p. 1371) que la première dimension de sa définition, la variable temps, est suffisante
pour identifier en pratique la force d'un lien, comme il l'a fait pour son enquête de terrain à
Newton. La dimension "transitivité" est une approche macroscopique dans laquelle la force des
liens est considérée comme la structure des relations des deux membres d'une dyade avec un
tiers. Deux personnes proches ont forcément beaucoup de personnes en commun dans leur
réseau relationnel, ce qu'il définit par son idée opposée, celle de la "triade interdite", s'appuyant
4
ici sur des travaux ayant mis en évidence le nécessaire chevauchement du réseau relationnel
des personnes qui sont étroitement liées (note 6, p. 1363).
Dans cette définition des liens mobilisés pour accéder à des ressources, la question de la
coopération n’est pas posée au plan théorique en référence avec le corpus sur la coopération.
C’est une autre manière d’aborder la question : la nature du lien permet de documenter la mise
en œuvre de la mobilisation des ressources. Nous montrons dans la suite que l’ensemble de la
littérature ayant mobilisé ces différentes notions s’est développé à l’écart du corpus sur la
coopération.
L’usage de la distinction lien fort - lien faible
L'intuition séminale de Granovetter (1973) a donné lieu à de nombreux travaux. Les citations
ISI Web de l'article initial passent de quelques dizaines de citation dans les années 1980' à plus
de 500 par an sur 2009-2011 (Madrell, 2008 ; Marsden, Campbell, 2012). Aujourd'hui, un test
sur Google Scholar donne plus de 35 000 citations (27/04/2016). Cette littérature s'est en
pratique scindée en deux : certains travaux se réfèrent exclusivement à la notion de proximité,
chacun utilisant les critères de Granovetter à sa convenance, voire sans totalement les mobiliser,
tandis que d'autres empruntent uniquement la voie de la transitivité.
Du côté de la proximité, des travaux initiaux utilisent par exemple un indicateur synthétique
basé sur la durée du lien et le degré de proximité professionnelle perçue, et distinguent les liens
forts des liens faibles à partir du critère de réciprocité : les liens forts sont symétriques, les liens
faibles asymétriques (Friedkin, 1980, 1990). Pour d'autres, les membres de la famille, les amis
et les voisins constituent les liens forts ; les liens faibles permettant le mieux de trouver un
emploi sont alors une connaissance ou un lien indirect, c'est-à-dire l'ami d'un membre de la
famille ou un membre de la famille d'un ami (Lin et al., 1981). Plus récemment, la distinction
selon l'unique critère du temps (composé de deux indicateurs, fréquence de contact et durée de
la relation) est mobilisée pour montrer que les savoirs courant circulent aisément à travers les
liens faibles, à l'inverse des savoirs complexes exigeant plutôt des liens forts (Hansen, 1999).
Dans le registre entrepreneurial, d'autres travaux considèreront les membres de la famille, les
amis et les collègues de travail comme liens forts, et identifieront les partenaires d'affaire, les
clients, les fournisseurs, ou de simples connaissances comme des liens faibles (Rueff, 2002).
Enfin, sur un plan méthodologique, des travaux emblématiques ont cherché à évaluer la qualité
des indicateurs utilisés pour définir la force des liens à travers une analyse secondaire (Marsden,
Campbell, 1984). Ils constatent que le critère d'échange de service de Granovetter n'est
étrangement jamais utilisé, et suggèrent que le niveau d'intensité émotionnelle serait bien
meilleur, tandis que les critères temps et confidence seraient à éviter. Revisitant leur travail
trente ans plus tard (Marsden, Campbell, 2012), ils observent peu d'avancées sur ce terrain,
mais identifient un critère prometteur centré sur la persistance du lien, dimension non mesurable
cependant par un calcul de fréquence ex-post et exigeant une approche longitudinale. Ils
suggèrent alors de s'intéresser aux échanges de ressources potentiels plutôt que réalisés pour
identifier la force d'un lien, point que nous reprendrons plus loin. Ils concluent que les
approches actuelles en termes de réseau complet (macroscopique) ont certes permis d'obtenir
des descriptions topographiques fines en s'affranchissant de la question de la nature des liens,
mais restent insuffisantes pour expliquer de nombreux phénomènes dans lesquels la faiblesse
d'un lien doit être considérée comme la propriété d'une dyade.
L'approche par la transitivité, ou macroscopique, est justement celle qui a donné lieu au courant
dit "structuraliste", s'appuyant sur la méthode des réseaux complets. Les phénomènes étudiés
5
s'expliquent ici à partir de la description de la structure du réseau. Cela permet à Freeman (1992)
de rendre compte de la structure des petits groupes. Burt (1992, 2005) reprend à son compte
l'hypothèse de transitivité et propose une théorie fondamentale, celle des trous structuraux, dans
laquelle la référence à la force des liens n'est plus nécessaire. Le succès de l'action individuelle
ne repose plus sur la force des liens sollicités mais sur l'accès à des personnes en situation de
contrôler la connexion entre des groupes sociaux faiblement connectés. Ce principe de
transitivité permet par exemple de rendre compte de la solidité des communautés de pratique
dans les clusters de haute technologie (Dibiaggio, Ferrary, 2003). Plus récemment, certains
auteurs clairement situés du côté de l'approche par la transitivité (Borgatti, Halgin, 2011) tentent
d'intégrer théoriquement les deux approches à partir d'un modèle de flux qui leur serait sous-
jacent. Au-delà de la nature des liens, ou de la forme du réseau, ce modèle prend en compte ce
qui circule entre les membres du réseau, mais ce faisant néglige toujours l'enjeu de l'approche
par la proximité dans lequel la nature du lien peut s'avérer déterminante pour la circulation de
ces flux.
Enfin, nous avons identifié trois travaux, situés bien sûr dans le registre de la proximité, ayant
interrogé de façon contingente la conception de la distinction entre liens forts et faibles. Elfring
et Hulsink (2007) identifient auprès de créateurs de start-up deux types de transformation des
liens faibles au cours du temps, disparition ou transformation en lien fort, ce qui les amène à
questionner la distinction lien fort/lien faible. Jack (2005) met à jour chez des entrepreneurs
une pratique d'activation de liens faibles grâce à des liens forts, questionnant en retour la
distinction entre les deux, et propose alors de définir la force d'un lien par la confiance qui
s'établit entre deux personnes et l'utilité réelle du lien pour l'entrepreneur. Levin et Cross (2004)
tentent de croiser force des liens, niveau et type de confiance pour expliquer le transfert de
connaissance, et constatent in fine qu'il y aurait des liens faibles plus porteurs de confiance que
d’autres et plus efficaces pour réaliser le transfert, et les qualifient de "lien faible auquel on peut
faire confiance".
Ainsi, bien que Granovetter ait présenté en 1973 les deux dimensions de son approche
théorique, il s'était lui-même appuyé au plan méthodologique uniquement sur l'approche par la
proximité pour distinguer entre liens forts et liens faibles, et n'avait même utilisé que le seul
critère temps. Nous avons reconstitué intégralement sa méthodologie, et ceci nous a permis de
constater qu'il avait bien conscience que la distinction qu'il opérait méritait un travail de
définition plus approfondi. Aussi prévoit-il de réexaminer la question à une date ultérieure (p.
1361), mais il n'est jamais vraiment revenu dessus (1974, 1982, 1995, 2005, 2017). Les travaux
menés dans le sillage de Granovetter, comme on l'a vu, ont abordé la question de l’interaction
entre les acteurs à l’écart du corpus théorique de la coopération en considérant que
l’engagement à la coopération va de soi, que dès que deux personnes sont en contact, elles
coopèrent sans réserve. C’est l’absence de lien qui constituerait une rupture dans l’interaction
sociale, une rupture dans, ou plutôt, une absence de coopération.
2. La coopération en gestion et en sociologie des organisations, à l’écart de la théorie des
réseaux
L'étude de la coopération est récurrente tout au long de l'histoire des sciences sociales. Nous
reprenons à notre compte la synthèse d'ensemble réalisée par Dameron en sciences de gestion
(2002, 2004, 2005), appliquant à l'activité coopérative dans les organisations la dichotomie
classique des sciences sociales (Aristote, Platon) entre deux conceptions, holiste versus
individualiste, du fonctionnement social (Tönnies, Durkheim, Weber), enrichie par les apports
de théoriciens des organisations et de psychosociologues nord-américains sur la coopération
6
(par ex. Ring & Van de Ven, ou Tyler). Dans la lignée de ce travail (Dameron, 2002, p. 341),
nous définissons la coopération comme l'engagement délibéré dans une action partagée,
incluant donc toute réponse positive à une sollicitation comme prémices à une coopération qui
s'enclenche. De nombreux travaux significatifs en gestion ou en sociologie ont en commun
d'étudier la coopération sans réellement mobiliser le corpus des réseaux sociaux, à l'exception
de celui de Lazega dans le champ de l'analyse des réseaux sociaux (2006, 2009).
En sciences de gestion, l'existence de réseaux relationnels entre individus qui coopèrent apparait
en filigrane, et quand elle est citée, elle est au mieux un préalable, voire simplement le cadre
d'une coopération considérée comme un phénomène socialement encastré. C'est en référence à
la notion d'encastrement social (Granovetter, 1985) plutôt qu'à celle de la distinction entre liens
forts et liens faibles que les travaux de Granovetter sont cités. Chédotel (2004) étudie le
développement des pratiques de travail en groupes quelle que soit leur forme et la coopération
qui en est attendue, et montre que cette coopération résulte d'un processus psychosocial
d'identification du salarié à un groupe d'affiliation, pouvant cependant s'avérer distinct de
l'équipe dans laquelle il travaille, limitant alors les perspectives de coopération. De son côté,
Dameron (2004, 2005) analyse le développement de la coopération dans les équipes projet à
partir de deux grandes formes coopératives évoquées plus haut, l'une, complémentaire basée
sur la rationalité calculatoire, l'autre, communautaire basée sur la rationalité identitaire. Les
individus coopèrent parce qu'ils y ont un intérêt instrumental et parce qu'ils se sentent appartenir
au même groupe social. Ces deux formes s'articulent voire se génèrent l'une l'autre au cours du
temps pour permettre alors la combinaison des intérêts individuels et la recherche d'un but
commun. Cette distinction analytique entre les deux dimensions de la coopération nous
permettra plus loin d'articuler ce champ avec celui des réseaux sociaux. Bouty (2000) étudie de
façon fine et détaillée les étapes du processus d'interaction dans lequel des chercheurs R&D
appartenant à des entreprises distinctes et cherchant à échanger s'engagent pour aboutir à une
coopération effective. L'auteur montre que l'échange équitable véritablement coopératif ne se
produit que lorsqu'il est socialement encastré au sens de Granovetter, sans cependant entrer
dans la question de la nature du lien qu'ils nouent entre eux.
En sociologie des organisations, Alter (2010) propose un regard d'ensemble sur la coopération
dans les entreprises contemporaines. Celle-ci se traduit par les dons divers que les salariés font
à leur organisation, de temps, d'énergie, de services, de savoirs tacites, etc. et demande dans le
même temps de leur part des investissements relationnels de plus en plus exigeants. La
coopération est un échange social encadré par les mécanismes du don/contre-don se produisant
au sein de relations affinitaires et de grande proximité. Les échanges instrumentaux, sans durée,
de nature quasi économique, sont soigneusement distingués des pratiques d'échange social
basées sur la réciprocité, la valeur accordée au geste lui-même plus qu'au seul contenu de
l'échange et la durabilité, rapprochant cette conception de celles proposées par Chédotel, ou
Dameron pour le versant communautaire de la coopération. Quelques travaux en sociologie des
réseaux sont rapidement évoqués mais cantonnés à la mise en lumière de l'importance des liens
informels et horizontaux entre collègues et de leurs rapports de pouvoir, par opposition aux
liens hiérarchiques. La sociologie des réseaux offre par contre une conception de la coopération,
la théorie de la coopération entre concurrents (Lazega, 2006, 2009). Elle s'inscrit dans le champ
de l'analyse structurale des réseaux sociaux (Wellman, Berkowitz, 1988 ; Burt, 1992) à l'écart
de la sociologie classique. Lazega définit la coopération comme un mécanisme de coordination
économique au sein de marchés socialement encastrés, dans un univers marqué par la
compétition généralisée et les comportements opportunistes. Le principe dominant est celui
d'une rationalité calculatoire étendue à toutes les formes d'échange au-delà des seuls échanges
marchands (apparentant ainsi cette conception au versant complémentaire de la coopération
7
selon Dameron). La coopération consiste alors en la coordination des transactions par les
acteurs au moyen de relations effectives véhiculant pouvoir, contraintes, contrôle et échanges
instrumentaux. Les acteurs coopèrent par intérêt ou sous la contrainte. Face à cela, leur enjeu
est de stabiliser leurs échanges pour en éviter la renégociation perpétuelle des termes, à partir
d'investissements relationnels constituant des niches sociales regroupant des acteurs acceptant
temporairement de limiter leur concurrence et de préserver la possibilité de leurs échanges
futurs. Cette approche privilégie cependant les enjeux de forme et de configuration du réseau
(mécanismes de contrôle latéral, bridge, brokerage, gate keepers…) au détriment de la nature
et du contenu des liens dans l'explication des phénomènes réticulaires, et donc de la coopération
(Marsden, Campbell, 2012). Limiter l'inscription des relations coopératives à un jeu de
contrainte ou à un rapport strictement utilitaire évacue cependant une grande part de ce qui se
joue dans les situations de coopération, et sous-estime tout un pan constitutif des relations
sociales basé sur les mécanismes identitaires et affinitaires. Comment expliquer sinon l'énergie
dépensée pour s'engager dans des coopérations avec des personnes juste parce que l'on s'entend
bien avec elle, et que cette envie est partagée, comme le montrent par exemple Chédotel ou
Dameron ?
Enfin, le déficit d’articulation théorique entre les concepts de réseau et de coopération n’est pas
très surprenant si on prend en compte l’histoire des différents corpus théoriques. D’une part la
théorie des réseaux s’est construite en opposition à la sociologie classique, dans la mesure où
son objectif est de reconsidérer l’ensemble du champ de la sociologie du point de vue des
interactions sociales (Wellman, Berkowitz, 1988). D’autre part, la sociologie des organisations,
inscrite dans la sociologie classique, et les sciences de gestion ont abordé cette question de la
coopération sous l’angle de la coordination
1
, sans recourir à la théorie des réseaux comme l'avait
repéré Granovetter en 1985.
3. Mobilisation d’un réseau social et engagement à la coopération : expliquer la
coopération par les réseaux sociaux
L'amorce de la coopération n'est pas une question pour Granovetter, elle est considérée comme
acquise : mobiliser un lien fort ou un lien faible génère automatiquement une coopération. Ce
n'est pourtant pas toujours le cas, mais Granovetter ne pouvait pas l'appréhender, ce que nous a
montré la reconstitution de sa méthodologie. Il a tout d'abord réalisé une étude rétrospective
non concomitante au processus de sollicitation, ici de recherche d'emploi (1973, 1974).
L'enquête ne pouvait donc identifier que de façon ex-post les liens faibles ayant répondu
effectivement aux sollicitations. Une enquête observant en direct aurait pu révéler des liens
faibles sollicités qui n'auraient pas répondu. Ensuite, lors des entretiens, il a été demandé aux
répondants de se centrer uniquement sur ce qui leur avait permis de trouver un emploi. En
ignorant le travail de sollicitation plus large mené en amont par ces répondants, un bon nombre
de sollicitations de liens faibles qui n'avaient pas abouti ont ainsi échappé à l'observation.
Nous proposons dans la suite une investigation empirique qui fait apparaître différents exemples
de mobilisation de liens faibles qui ne répondent pas lorsqu'ils sont sollicités. En rendre compte
nécessitera alors d'articuler la définition de Granovetter avec une approche duale de la
coopération comme celle de Dameron évoquée plus haut. L'objectif est d'appréhender
l'engagement dans un processus de coopération à partir de la nature et des caractéristiques du
lien qui se dessine entre deux personnes, et du potentiel de coopération que cela représente.
1
Ainsi qu'en économie industrielle (pour une synthèse dans ce champ, voir les travaux de De Terssac dans De
Terssac, Lompré, 1994).
8
La coopération incertaine des liens faibles : une étude de cas empirique
Le cas suivant révèle comment des situations de mobilisation de liens faibles se différencient
quand on les observe in situ. Il est issu de travaux empiriques sur le management de situations
extrêmes, en particulier dans le champ des expéditions polaires (Lecoutre, Lièvre, 2010). Il
s'agit d'un projet d'expédition polaire lors de la préparation duquel nous observons que certains
liens faibles ne répondent pas, tandis que d'autres répondent. Trois exemples décrivent des
situations de sollicitation de liens faibles, donc d'essai de coopération, ayant chacun des issues
différentes.
Encadré 1
Éléments méthodologiques sur le cas empirique
Il s'agit d'une expédition polaire visant la traversée du Spitzberg, île de Norvège située dans
l'Arctique. L’un des auteurs a été mobilisé comme expert en phase amont de cette expédition,
permettant une observation concomitante. Faisant preuve d'un certain opportunisme
méthodique (Girin, 1990), nous avons pu observer de façon assez fine des situations très
différenciées de mobilisation du réseau social par les participants. Il s'agit d'une étude de cas
unique à caractère longitudinal (Yin, 2003). Le projet se déroule dans un environnement
extrême nécessitant l’accès à des ressources très à l’écart de l’équipe (Garel, Lièvre, 2010) et
conférant un fort enjeu à la sollicitation du réseau relationnel. L'observation a consisté en :
- une série d'entretiens formels et informels menés avec tous les équipiers tout au long du
déroulement des trois phases de ce type de projet (avant le départ, sur le terrain, lors du retour
en France) ; les situations dont nous rendons compte se sont produites majoritairement lors de
la première phase, cruciale, de préparation de l'expédition ;
- des échanges réguliers par email et par téléphone avec le chef d'expédition ;
- l'accès à tous les documents produits par l'équipe (journal de bord, photos, vidéos...).
L'approche longitudinale a été complétée par la multiplication des sources et leur triangulation
(Yin, 2003) de façon à limiter les problèmes de mémoire et les risques de trop forte mise en
cohérence ex-post dans l'expérience des acteurs.
Un groupe d'étudiants d'une école d'ingénieur parisienne peu familiers de ce type
d'environnement s'engage dans son projet annuel, une expédition. Parmi eux, Joël, fasciné par
les voyages, prend en charge le pilotage de l'expédition. Ils savent que la phase de préparation
est cruciale, et Joël cherche à mobiliser tous azimut des spécialistes du terrain polaire, des
appuis techniques, des sponsors, des soutiens financiers, etc. Ils ont déjà obtenu grâce au réseau
des équipiers le soutien d'un expéditeur reconnu en France et au plan international. Au
démarrage, Joël fait la chasse aux sponsors financiers et au plan du matériel technique. Il
présente le projet lors du festival annuel Nuits Polaires à Paris. Hervé vient juste de créer son
agence de voyages polaires, assiste à la présentation et parait très intéressé par le projet. Quand
Joël vient le voir, il découvre qu'il a déjà obtenu de participer à des émissions sur une radio
nationale et une chaîne de télévision, et négocié des interviews dans trois journaux nationaux
et locaux. Il comprend vite l'intérêt de sponsoriser l'expédition ayant une telle exposition
médiatique et des soutiens aussi visibles. Il répond alors positivement à la sollicitation en
proposant de prêter au nom de son agence matériel et équipements portant son logo. Joël accepte
aussitôt, c'était son objectif et la tentative de connexion a fonctionné ! En peu de temps, deux
personnes se connaissant peu établissent un lien faible autour d'un échange réciproque de
services. Ils engagent une coopération basée sur une motivation utilitaire, c'est-à-dire une
coopération complémentaire selon Dameron. Le lien qui s'ébauche entre ces deux personnes
était porteur d'une coopération potentielle qui s'est réalisée, chacun y trouvant son compte.
9
Dans leur recherche de soutien, Joël et son équipe ont conscience de la nécessité d'un
apprentissage minimum auprès de spécialistes du terrain polaire. Il apprend l'existence du
GMHM (Groupe Militaire de Haute Montagne) de Chamonix par son père militaire au ministère
de l'Intérieur. Ce peloton a récemment réalisé le défi des "trois pôles" (Everest, Pôle Nord, Pôle
Sud) et est considéré comme l'une des meilleures équipes en matière d'expédition polaire. Il
tente de prendre contact avec eux et finit par joindre le capitaine pour lui exposer sa demande.
Trois jours après, celui-ci reçoit un dossier complet sur leur projet d'expédition avec le détail
de leur candidature à l'apprentissage. Le capitaine apprécie la réactivité et la minutie de leur
préparation, et se retrouve vite dans les valeurs du projet, proches de celles qu'il défend au
GMHM : entreprendre pour apprendre, affronter des défis pour se dépasser et réussir
collectivement. Il confiera au Magazine "Armées d'aujourd'hui" que cette proximité de valeur
avec ces jeunes aventuriers l'a cidé de s'engager dans leur apprentissage. Il monte un
programme de cinq jours, comprenant conseils sur l'équipement et la nourriture, techniques de
progression sur glace, pratique de sortie d'une crevasse glaciaire, descente à ski de la Vallée
Blanche à Chamonix afin d'établir le fonctionnement du collectif, camping sur glacier par -
15°C… L'apprentissage est décisif dans le succès du projet. Pour Joël, la recherche de
connexion a fonctionné et s'est engagée sur une base différente de la précédente. Le lien faible
qui s'amorce avec le capitaine se construit sur le sentiment du partage de valeurs en commun et
de perception d'une proximité, et sa sollicitation génère rapidement une coopération sur une
base identitaire, communautaire selon Dameron.
Enfin, ce projet d'expédition en région arctique s'inscrit dans une tradition de l'école impliquant
ses entreprises partenaires. Joël contacte un partenaire ayant sponsorisé trois ans auparavant
une expédition similaire des étudiants dans les Andes. Le PDG de l'époque est parti, mais lors
du premier rendez-vous, Joël est confiant du fait des anciens contacts et de l'excellente
réputation de son école auprès de l'entreprise. Pourtant l'entretien est froid et le fossé entre lui
et le nouveau PDG Mr Paul est évident. Après avoir rappeler la bonne opinion qu’il a de l'école,
Mr Paul lui indique en termes clairs qu’il ne voit pas ce que de futurs ingénieurs peuvent tirer
d'un projet aussi farfelu qu’une expédition polaire, et que toute l'équipe devrait revenir à des
travaux plus sérieux et cesser de se croire en vacances. De plus, il se demande vraiment
pourquoi soutenir ce genre d'opération en totale contradiction avec l’image d'une entreprise
sérieuse. Le lien faible sollicité par Joël ne répond pas, c'est une impasse. Il n'y a pas de potentiel
de développement de la coopération. Mr. Paul et lui ne partagent clairement pas le même
système de valeur, donc la relation ne peut s'engager sur la base d'une proximité identitaire. Et
Mr. Paul ne voit aucun intérêt pratique et concret pour son entreprise à soutenir ce projet : il n'y
a pas non plus de motivation instrumentale pouvant l'initier. Aucune coopération, que ce soit
sous l'angle identitaire ou instrumental, ne peut s'amorcer. S'il est assez simple d'imaginer la
réponse et la coopération effective d'une personne proche, ce n'est pas automatique en ce qui
concerne les liens faibles.
Liens forts, liens faibles et coopération
Lorsque Granovetter opère sa partition entre liens forts et liens faibles, il considère que ceux-ci
répondent à des sollicitations, donc coopèrent, pour des raisons distinctes. Le lien fort répond
et coopère car il est très motivé du fait de sa proximité par définition avec le demandeur. Le
lien faible répond parce qu'il détient des informations pertinentes recherchées par le demandeur
situées hors de son milieu habituel, c'est l'argument structural (1973, p. 1371). L'argumentation
du lien faible nous parait cependant insuffisante : pourquoi répond-il vraiment ? Comme perçu
par Marsden et Campbell (2012, p. 20), qu'un lien faible détienne une information de grande
10
pertinence pour une personne n'indique pas qu'il soit disposé à la diffuser. Ce lien faible doit
avoir une motivation spécifique, liée à ce que nous avons appelé l'engagement à la coopération.
Interdépendance et recombinaison des critères
Il ne s'agit pas ici de remettre en cause l'intérêt de distinguer les liens selon leur force, mais
plutôt, dans la lignée du travail de Granovetter, de reprendre la question de leur distinction. Il
précise que les quatre critères utilisés pour opérer sa distinction ne sont pas vraiment
indépendants (1973, p. 1361), ce que nous reprenons pour étudier la façon dont ils interagissent
les uns avec les autres, et proposer de les recombiner.
Premier critère, le temps, c'est-à-dire l'histoire ou le cadre temporel du lien, peut être interprété
de trois façons différentes : la durée de la relation (depuis combien de temps nous connaissons-
nous ?) ; la quantité de temps passé ensemble (nous passons deux après-midi par semaine
ensemble dans la même équipe de foot depuis quatre ans) ; la fréquence des contacts (je le vois
trois fois par mois). Ces modalités sont bien sûr combinables, et elles offrent de nombreuses
possibilités pour distinguer les liens forts des liens faibles, sans ligne de démarcation claire. Ce
critère est le plus commodément mesurable, et a été fréquemment utilisé souvent à l'exclusion
des trois autres.
Nous clarifions ensuite le sens des trois autres critères de Granovetter à partir de l'approche
duale de la coopération selon Dameron, rejoignant une préoccupation plus récente de
Granovetter (Huault, 2002, p.9) lorsqu'il pointe la nécessité d'observer de façon soutenue les
interactions entre les aspects instrumentaux et affectifs des actions des individus. Ainsi, les
deux critères d'intensité émotionnelle et d'intimité qualifient le degré de proximité identitaire
perçue entre deux personnes. Nous proposons de les associer dans la mesure où il s'agit dans
les deux cas de la façon dont chacun évalue la nature de sa relation avec autrui, de l’expression
d’un mécanisme d’identification des acteurs à des valeurs communes. En assimilant lien fort et
identification interpersonnelle élevée, ces deux critères correspondent alors au versant
communautaire de la coopération, défini par la proximité identitaire et l'appartenance au groupe
social. Enfin, le dernier critère d'échange de services se distingue nettement des deux précédents
et peut classiquement être considéré comme un indicateur global des possibilités d'échanges
réciproques entre acteurs agissant au plan instrumental. Il correspond alors au versant
complémentaire de la coopération basé sur l'intérêt et la rationalité calculatoire.
Lien faible et potentiel coopératif
Nous disposons maintenant de trois critères : le critère temporel, le degré de proximité
identitaire (coopération communautaire) et le niveau d'échange de service ou d'information
(coopération complémentaire). Selon Granovetter, un lien fort devrait l'être sur tous les critères,
et réciproquement pour un lien faible. Mais est-ce nécessaire ? Prenons le cas d'un lien très
faible selon ces trois critères : le temps réduit de la relation n'est pas un obstacle au
développement de la coopération (Marsden, Campbell, 1984, p. 499). Par contre, un degré de
proximité identitaire très faible n'entraine pas d'amorce de coopération communautaire, tandis
que des potentialités d'échanges très réduites n'initient pas non plus d'amorce de coopération
complémentaire. En clair, si la proximité identitaire ou les possibilités d'échanges sont très
faibles, les perspectives de coopération pour ce type de lien sont quasi inexistantes. Qu'est-ce
alors qu'un lien faible qui répond ? La définition de Granovetter ne permet pas de trancher, nous
considérons alors que ce lien peut être faible sous l’angle temporel, mais qu'il est par contre
potentiellement fort sur au moins l’un des deux autres critères à même d’initier une coopération
effective. Son potentiel de coopération peut s'activer indifféremment à partir d'une proximité
identitaire ou d'une possibilité d'échange instrumental. Nous nommons ce type de lien le lien
11
faible coopératif. Seul celui-ci va répondre lors de sa mobilisation et peut générer une
coopération, dans la mesure où l’une des deux dimensions au moins est forte pour permettre
cette coopération. Et c'est le seul lien faible que Granovetter avait observé.
Conclusion
Nous avons montré comment paradoxalement deux corpus théoriques autour des concepts de
réseau social et de coopération se sont développés indépendamment l’un de l’autre, fruit de
l’histoire des disciplines de référence de ces travaux. Puis, nous avons mis en valeur comment
une investigation des pratiques de mobilisation des réseaux sociaux au plus près des situations
vécues par les acteurs amenait à les considérer comme des engagements à la coopération. Cela
nous a permis de mettre en évidence un "vide" théorique et méthodologique dans la thèse de
Granovetter (1973) : les liens faibles sont conçus uniquement comme des liens qui répondent,
en conséquence directe de sa méthode d’enquête identifiant ex-post les liens ayant permis
l’accès à l’emploi. Or ils ne répondent pas tous : à quelles conditions un lien faible répond-il,
s’engage-t-il dans une coopération ? Il faut alors poser la mobilisation d’un réseau social
comme un engagement à la coopération, en proposant une articulation effective entre les deux
corpus des réseaux sociaux et de la coopération. La synthèse de Dameron offre une issue : les
liens faibles qui répondent sont des liens coopératifs au sens de Dameron, ceux qui ne répondent
pas sont des liens non coopératifs.
Ce travail offre diverses implications en termes de perspectives de recherche. Tout d'abord,
nous avons vu que ces liens faibles ne sont coopératifs que s'ils sont forts sur l'une ou l'autre
des deux dimensions de la coopération. Or la relation coopérative ne devient effective que
lorsque celles-ci s'articulent et s'engendrent l'une l'autre au cours du temps (Dameron, 2005).
Les liens faibles coopératifs, comportant dès le départ certains attributs des liens forts, sont
donc aussi, par définition, des liens potentiellement forts, c’est-à-dire pouvant évoluer en liens
forts dans la mesure où les deux dimensions se retrouvent réunies dans la relation coopérative
une fois engagée. Cette question de la transformation des liens au cours du temps a été entamée
dans les travaux en entrepreneuriat (Jack, 2005 ; Elfring, Hulsink, 2007 ; Hallen, Eisenhardt,
2012). Elle ouvre aussi d'autres perspectives dans l'étude du fonctionnement des communautés
de pratique, en particulier à propos des formes possibles d'engagement à la coopération lors de
l'émergence de ces communautés de pratique (Dameron, Josserand, 2007 par exemple)
2
.
Second point
3
, notre approche pourrait compléter certains travaux récents cherchant à identifier,
sans utiliser de façon centrale la distinction lien fort-lien faible, la façon dont les acteurs forment
de nouveaux liens utiles à l'entreprise. Que ce soit à travers un comportement autonome
d'élargissement du réseau par la création de liens (faibles) avec de nouveaux partenaires
détenteurs de ressources (Vissa, 2012), ou à travers des pratiques de création délibérée
d'opportunités de rencontres avec ces partenaires potentiels (Hallen, Eisenhardt, 2012), ces
travaux identifient des stratégies de networking plus efficientes lorsque les acteurs entrent en
contact avec des personnes éloignées de leur milieu habituel, soit des liens faibles. Il serait ainsi
possible d'identifier en amont de ces pratiques le point de départ de l'apparition de la relation
recherchée en entrant dans la logique de distinction entre lien faible coopératif ou non.
Enfin, tout manager en quête de ressource est amené à identifier et mobiliser dans ou hors de
son organisation des personnes peu ou pas connues détentrices d'informations ou de
compétences pertinentes. Distinguer entre liens faibles coopératifs et non coopératifs constitue
2
Ce point nous a été suggéré par un évaluateur anonyme que nous remercions.
3
Ce second point nous a aussi été suggéré par un évaluateur anonyme que nous remercions.
12
alors une grille de lecture suggérant aux managers de s'intéresser de près aux phénomènes
relationnels concernant leurs équipes afin de s'assurer a priori du potentiel de coopération des
contacts sollicités. Un enjeu serait de porter une attention fine à la nature des liens possibles
entre eux et leurs équipes, et les contacts détenteurs de ressources susceptibles d'être sollicités,
en distinguant clairement la dimension instrumentale ou identitaire de la relation permettant de
générer une coopération.
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... Le texte de Granovetter (1973) pose les bases de la définition du réseau social avec un des résultats les plus importants : la force des liens faibles entre les individus (Kilduff & Brass, 2010). Ces liens faibles, dans les organisations, peuvent ainsi servir à transférer les connaissances d'un groupe à un autre, mais offrent aussi des voies de coopérations utiles à l'organisation (Lecoutre & Lièvre, 2019). En effet, deux formes coopératives peuvent être combinées aux éléments des réseaux : une basée sur la rationalité identitaire et l'autre sur une rationalité calculatoire (Lecoutre & Lièvre, 2019). ...
... Ces liens faibles, dans les organisations, peuvent ainsi servir à transférer les connaissances d'un groupe à un autre, mais offrent aussi des voies de coopérations utiles à l'organisation (Lecoutre & Lièvre, 2019). En effet, deux formes coopératives peuvent être combinées aux éléments des réseaux : une basée sur la rationalité identitaire et l'autre sur une rationalité calculatoire (Lecoutre & Lièvre, 2019). La première fait référence à la communauté et favorise l'identification autour de valeurs communes ; alors que la deuxième permet aux individus de repérer « les possibilités d'échanges réciproques » (Lecoutre & Lièvre, 2019). ...
... En effet, deux formes coopératives peuvent être combinées aux éléments des réseaux : une basée sur la rationalité identitaire et l'autre sur une rationalité calculatoire (Lecoutre & Lièvre, 2019). La première fait référence à la communauté et favorise l'identification autour de valeurs communes ; alors que la deuxième permet aux individus de repérer « les possibilités d'échanges réciproques » (Lecoutre & Lièvre, 2019). Ce dernier élément rappelle l'anticipation dans le modèle combinatoire de Nahapiet et Ghoshal (1998). ...
Thesis
Les technologies issues du Web 2.0 de type réseaux sociaux d'entreprise (RSE) modifient en profondeur la gestion des connaissances au sein des entreprises en l'orientant vers plus de simplicité, de fluidité et de dynamisme. Les systèmes d'information utilisés pour la gestion des connaissances (SI-KM) évoluent avec les technologies qui les soutiennent. Aujourd'hui, ce sont les outils du Web 2.0 qui dominent, caractérisés par une participation accrue des individus. Plus particulièrement, les outils de type RSE développent « virtuellement » le réseau social des utilisateurs au sein de l'organisation. Pour certains, les SI-KM 2.0 mobilisant ces technologies plus collaboratives, appellent un mode de gestion décentralisé fondé sur la « sagesse de la foule ». Toutefois, certaines études empiriques montrent que les SI-KM 2.0 nécessitent la mise en place d'une gouvernance, mais ne précisent pas sa forme. De plus, ces outils offrent de nombreuses fonctionnalités qui favorisent les interactions et donc les échanges. Ils faciliteraient ainsi le partage et la création de connaissance. Néanmoins, des ambiguïtés demeurent sur les modalités de leur mise en œuvre pour obtenir les résultats souhaités : sur le rôle et les limites de sagesse de la foule pour résoudre les problèmes de surcharge informationnelle, de validation et de récupération des connaissances ; sur leur influence sur la création effective de connaissances, celle-ci étant déduite aujourd'hui de leur capacité à générer du capital social.Ce travail vise donc à répondre à la question suivante : comment concevoir et mettre en œuvre un SI-KM 2.0 utilisant un Réseau Social d'Entreprise afin de gérer efficacement les connaissances au sein d'une organisation ?Cette recherche intervention réalisée au sein d'un groupe international montre qu'une gouvernance fédérative à trois niveaux permet un déploiement efficace d'un SI-KM 2.0 utilisant un RSE (JIVE) tout en conservant sa dimension participative et interactive. Les résultats obtenus enrichissent la littérature sur la gouvernance KM et la compréhension des processus de partage et de création de connaissances sur les RSE.
Article
Cet article traite de la manière dont les acteurs évoluant dans le secteur du bâtiment en Région Occitanie optimisent les coûts de transaction durant les phases d’organisation et de conduite des projets de construction. Cette étude conduite de janvier à septembre 2019 a été favorisée grâce à notre immersion au sein d’un Bureau d’Études Techniques (BET) situé à Montpellier. L’immersion a permis notre observation participante de 5 projets dans les départements du Gard, de la Haute-Garonne, de l’Hérault, et des Pyrénées-Orientales mais aussi des mises en relation pour constituer notre échantillon, et ainsi conduire 31 entretiens semi-directifs auprès de professionnels du secteur. Nos résultats permettent de montrer que pour saisir les comportements et les choix des acteurs dans leurs dispositifs d’optimisation des coûts, il est nécessaire de tenir compte à la fois des apports de la théorie néoinstitutionnelle de la firme et de ceux des théories socio-économiques. Cette étude contribue d’une part aux travaux sur la définition des coûts de transaction dans le secteur du bâtiment en mettant en évidence des formes de coûts liées à des pratiques corruptives et de racket. D’autre part, elle tend aussi à montrer comment se forme le capital social des acteurs et les limites de ses avantages, notamment dans ses influences dans leurs choix d’optimisation des coûts de transaction sur les projets de construction. La première partie de cet article est consacrée aux apports de la théorie néo-institutionnelle et revient sur les origines de la notion de coûts de transaction pour préciser ensuite la nature des comportements des acteurs pouvant avoir une influence dans leurs choix de les optimiser ; puis aux théories socio-économiques (encastrement et capital social) qui défendent l’idée que les acteurs sont influencés par leur contexte social, et non pas seulement par des calculs purement économiques. La deuxième partie précise le terrain et la méthodologie qualitative déployée dans le cadre de l’étude. La troisième expose les résultats discutés dans une quatrième partie.
Article
L’accès au financement constitue l’une des difficultés accrues à la survie et au développement des Très Petites Entreprises (TPE) (Manolova et al ., 2006, 2007 ; Weiler et Bernasek, 2001). La promotion de l’économie locale est un vecteur stratégique de viabilité et de croissance économique des collectivités locales. Face aux difficultés d’accès aux crédits des Très Petites Entreprises (TPE), l’objectif de cet article est d’étudier l’influence du profil du propriétaire-dirigeant sur la capacité d’accès au financement des très petites entreprises des collectivités locales ordinaires. Pour analyser cette influence, une enquête a été réalisée à l’aide d’un questionnaire auprès de cent trente-deux (132) propriétaires-dirigeants de TPE financées par quatre (4) institutions de microfinance situées dans les vingt-cinq (25) collectivités locales ordinaires béninoises appuyées par la coopération allemande. Trois outils statistiques ont permis d’analyser les données collectées : le tri à plat, le test d’inférence du khi-deux et la méthode de régression. Les résultats montrent que la formation professionnelle du propriétaire-dirigeant n’a pas une influence significative sur sa capacité d’accès au financement. L’âge du propriétaire-dirigeant associé à son âge managérial a une influence moyenne alors que son réseau personnel a une forte influence sur la capacité d’accès au financement des TPE des collectivités locales ordinaires.
Thesis
Full-text available
La pollution atmosphérique est responsable de 48 000 à 100 000 décès prématurés en France tous les ans. Récemment, l’État français a été doublement condamné par la justice du fait de dépassements récurrents concernant les émissions de dioxyde d’azote et de particules PM10 et encourt notamment une amende de 100 millions. S’ajoute à cela, le coût social annuel de la pollution atmosphérique estimé jusqu’à 100 milliards d’euros par an. Pourtant, depuis 1996, la Loi LAURE reconnaît le droit « à chacun de respirer un air qui ne nuise pas à sa santé ». Suite aux dernières réformes territoriales (lois MAPTAM et NOTRe), les différents échelons locaux doivent faire face à une injonction étatique, à savoir un travail collectif et cohérent sur un territoire très vaste. Cependant, la création des métropoles, la fusion de communes et d’intercommunalités, la modification des compétences sont autant d’éléments venant remettre en question l’équilibre territorial (Olive, 2015). De plus, les compétences attribuées aux différentes collectivités font parfois doublon, comme dans le cas des métropoles, en charge d’élaborer des politiques harmonisées sur un périmètre géographique plus vaste et des régions qui deviennent Chef de file dans le but de mettre en cohérence les différentes politiques Climat-Air-Énergie. Ainsi, une interrogation quant à la manière dont ces acteurs doivent organiser des stratégies collaboratives subsiste. En l’état actuel des choses, les collectivités territoriales, les services déconcentrés de l’État, des experts et des membres de la Société civile travaillent conjointement par le biais de plans règlementaires (Plan de protection de l’atmosphère, etc.) mais aussi à travers des actions basées sur le volontariat des collectivités et se situant dans le cadre d’appels à projets (Villes respirables en 5 ans, etc.). Nos travaux de recherche doctorale, qui font suite à une première recherche exploratoire menée en 2016 sur le territoire métropolitain du Grand Paris, s’interrogent sur le fonctionnement de ce travail transversal entre toutes ces parties prenantes. Dans ce cadre, nous mobilisons le concept de relations inter-organisationnelles (RIO) et faisons le choix d’inscrire nos travaux dans une approche pluraliste (Lumineau et Oliveira, 2018). De plus, nous nous intéressons au concept de management stratégique collaboratif (Clarke et Fuller, 2011) et chemin faisant (Avenier, 1999), ce qui nous amène à adopter les principes de la pensée complexe (Morin, 1977-2004). Enfin, nous mobilisons la théorie des paradoxes (2011 Perret et Josserand, 2003 ; Smith et Lewis, 2011) car qu’il s’agisse des RIO ou des pratiques de management territorial, toutes deux sont caractérisées par leur propension à générer des tensions paradoxales (Vangen, 2017). Ainsi, nous cherchons à comprendre dans quelle mesure les relations inter-organisationnelles peuvent-elles être utilisées en tant que levier stratégique dans le cadre de l’amélioration de la qualité de l’air. Positionnée dans le cadre épistémologique du pragmatisme de Dewey, cette thèse s’appuie sur une étude de cas multiples au design enchâssé regroupant les territoires métropolitains parisien, grenoblois et strasbourgeois. Les données collectées sont traitées à travers une analyse de contenu thématique faisant suite à un processus de codage dit a prio-steriori (Allard-Poesi, 2003). Cette étude contribue ainsi à enrichir le concept de RIO afin que les praticiens puissent être en mesure de les envisager sous leur dimension stratégique, notamment grâce à la mise en place d’un réseau de valeur territorial. De plus, l’adoption des lentilles paradoxale et complexe permet d’envisager les stratégies collaboratives et chemin faisant comme une solution pour permettre aux différentes parties prenantes de travailler communément à la résolution d’un problème complexe de manière plus efficace et cohérente, à la condition que celles-ci rassemblent les différents espaces institutionnels impliqués.
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Most writing on sociological method has been concerned with how accurate facts can be obtained and how theory can thereby be more rigorously tested. In The Discovery of Grounded Theory, Barney Glaser and Anselm Strauss address the equally Important enterprise of how the discovery of theory from data-systematically obtained and analyzed in social research-can be furthered. The discovery of theory from data-grounded theory-is a major task confronting sociology, for such a theory fits empirical situations, and is understandable to sociologists and laymen alike. Most important, it provides relevant predictions, explanations, interpretations, and applications. In Part I of the book, "Generation Theory by Comparative Analysis," the authors present a strategy whereby sociologists can facilitate the discovery of grounded theory, both substantive and formal. This strategy involves the systematic choice and study of several comparison groups. In Part II, The Flexible Use of Data," the generation of theory from qualitative, especially documentary, and quantitative data Is considered. In Part III, "Implications of Grounded Theory," Glaser and Strauss examine the credibility of grounded theory. The Discovery of Grounded Theory is directed toward improving social scientists' capacity for generating theory that will be relevant to their research. While aimed primarily at sociologists, it will be useful to anyone Interested In studying social phenomena-political, educational, economic, industrial- especially If their studies are based on qualitative data. © 1999 by Barney G. Glaser and Frances Strauss. All rights reserved.
Book
Social Capital, the advantage created by location in social structure, is a critical element in business strategy. Who has it, how it works, and how to develop it have become key questions as markets, organizations, and careers become more and more dependent on informal, discretionary relationships. The formal organization deals with accountability; Everything else flows through the informal: advice, coordination, cooperation friendship, gossip, knowledge, trust. Informal relations have always been with us, they have always mattered. What is new is the range of activities in which they now matter, and the emerging clarity we have about how they create advantage for certain people at the expense of others. This is done by brokerage and closure. Ronald S. Burt builds upon his celebrated work in this area to explore the nature of brokerage and closure. Brokerage is the activity of people who live at the intersection of social worlds, who have a vision advantage of seeing and developing good ideas, an advantage which can be seen in their compensation, recognition, and the responsibility they're entrusted with in comparison to their peers. Closure is the tightening of coordination in a closed network of people, and people who do this do well as a complement to brokers because of the trust and alignment they create. Brokerage and Closure explores how these elements work together to define social capital, showing how in the business world reputation has come to replace authority, pursued opportunity assignment, and reward has come to be associated with achieving competitive advantage in a social order of continuous disequilibrium.