ArticlePDF Available

Impact des facteurs de ségrégation et du financement sur l’équité des systèmes éducatifs européens

Authors:
  • Appel pour une école démocratique

Abstract and Figures

La corrélation statistique entre la ségrégation sociale ou académique des élèves d’une part, l’inégalité sociale de leurs performances d’autre part, est bien connue et bien documentée. Il subsiste cependant un doute quant aux relations causales sous-jacentes. Pour mettre réellement en évidence l’impact des politiques éducatives et identifier celles qui pourraient être porteuses d’une plus grande équité, nous avons tenté d’isoler des caractéristiques structurelles, potentiellement génératrices de ségrégation sociale : liberté de choix d’école pour les parents, liberté de recrutement d’élèves pour les chefs d’établissement, polarisation en réseaux concurrents, orientation précoce, importance de la filiarisation,… Nous avons pu montrer que ces « facteurs de ségrégation » expliquent au moins 50% (et probablement jusqu’à 65%) de la variance intra-européenne en matière d’équité sociale des performances. En y ajoutant le niveau de financement et le recours plus ou moins fréquent au redoublement, nous arrivons à un minium de 53% (potentiellement 67 %) de variance expliquée par des facteurs « internes », essentiellement structurels. En revanche, la prise en compte de l’inégalité des revenus et du taux d’immigration, ne fait pas ou presque pas grimper le pouvoir explicatif du modèle. Cela signifie que les caractéristiques structurelles des systèmes éducatifs — quasi-marché, filiarisation, financement — , sont les principaux vecteurs pour agir sur l’équité de l’enseignement. Et que des politiques visant, par exemple, à privilégier l’innovation pédagogique n’ont donc guère de chances de succès si elles ne sont pas combinées à d’importantes réformes structurelles
Content may be subject to copyright.
Impact des facteurs de ségrégation !
et du financement
sur l’équité des systèmes éducatifs
européens
Quelques leçons statistiques de l’enquête PISA 2015
L’école démocratique, n°70, juin 2017
Nico Hirtt
Appel pour une école démocratique
Résumé
La corrélation statistique entre la ségrégation sociale ou académique des élèves d’une part,
l’inégalité sociale de leurs performances d’autre part, est bien connue et bien documentée. Il
subsiste cependant un doute quant aux relations causales sous-jacentes.
Pour mettre réellement en évidence l’impact des politiques éducatives et identifier celles qui
pourraient être porteuses d’une plus grande équité, nous avons tenté d’isoler des caractéristiques
structurelles, potentiellement génératrices de ségrégation sociale : liberté de choix d’école pour les
parents, liberté de recrutement d’élèves pour les chefs d’établissement, polarisation en réseaux
concurrents, orientation précoce, importance de la filiarisation,…
A partir de données issues de PISA 2015, nous avons pu montrer que ces «"facteurs de
ségrégation"» expliquent au moins 50% (et probablement jusqu’à 65%) de la variance intra-
européenne en matière d’équité sociale des performances. En y ajoutant le niveau de financement
et le recours plus ou moins fréquent au redoublement, nous arrivons à un minium de 53%
(potentiellement 67"%) de variance expliquée par des facteurs «"internes"», essentiellement
structurels. En revanche, la prise en compte de l’inégalité des revenus et du taux d’immigration, ne
fait pas ou presque pas grimper le pouvoir explicatif du modèle.
Cela signifie que les caractéristiques structurelles des systèmes éducatifs — quasi-marché,
filiarisation, financement —", sont les principaux vecteurs pour agir sur l’équité de l’enseignement.
Et que des politiques visant, par exemple, à privilégier l’innovation pédagogique n’ont donc guère
de chances de succès si elles ne sont pas combinées à d’importantes réformes structurelles.#
Page sur 125
Présentation
De nombreuses recherches ont montré l’existence de liens entre inégalités de résultats et
ségrégation (Monseur et Crahay 2008, Baye et al. 2010, Allen 2010). En particulier, l’enseignement
français et l’enseignement belge, qu’il soit francophone ou néerlandophone, ont en commun de
figurer parmi les plus inéquitables d’Europe et parmi ceux où la ségrégation sociale des élèves est
la plus poussée.
En 2014, En nous appuyant sur les résultats PISA 2012, nous avions comparé le pourcentage
d’écoles socialement « ségréguées » (dont l’indice socio-économique moyen des élèves s’écarte
de plus d’un demi écart-type de l’indice socio-économique du pays) avec une mesure de l’iniquité
sociale des performances (Hirtt 2014). La comparaison portait sur les pays d’Europe occidentale.
1 2
Le résultat (voir figure 1), montrait une forte corrélation (R2"="0,52) entre la ségrégation sociale et
l’inégalité sociale des performances.
FIGURE 1 — SÉGRÉGATION SOCIALE ET INÉGALITÉS DE RÉSULTATS
Cependant, même si nous pouvons avoir l’intime conviction que la ségrégation sociale et
académique des élèves engendre de l’inégalité sociale au niveau de leurs performances scolaires,
l’existence d’une corrélation comme celle que nous venons de montrer ne suffit pas à établir une
telle relation causale. En revanche, si l’on parvient à monter une relation entre l’équité et certaines
caractéristiques structurelles, génératrices de ségrégation dans les systèmes éducatifs, alors une
Il s’agissait de la moyenne géométrique de quatre mesures d’iniquité": l'effet sur les points en
1
mathématiques d’une variation unitaire de l’indice socio-économique, la part de la variance des points
pouvant être attribuée à l’origine socio-économique, l'écart de résultat entre les 25"% d'élèves les plus
favorisés et les plus défavorisés, le gain en points si l'un des parents a un diplôme de l'enseignement
supérieur).
Dans l’ensemble de cette étude, les données et calculs relatifs à la Belgique ont été scindés en FWB
2
(Fédération Wallonie Bruxelles) et VLG (Vlaamse Gemeenschap). Le terme «"pays"» est donc en réalité
inapproprié, même si nous l’utiliserons par facilité.
Page sur 225
LUX
FWB
DEU
FRA
ESP
ITA
GRC
PRT
VLG
NLD
AUT
GBR
CHE
DNK
IRL
ISL
SWE
NOR
FIN
R2=0.52
7.5
10.0
12.5
15.0
17.5
0.1 0.2 0.3 0.4 0.5
Proportion d'écoles ségréguées
Moyenne géométrique de 4 mesures d'inégalité sociale
relation causale est difficilement contestable : les caractéristiques des systèmes d’enseignement
sont en effet chronologiquement premières.
C’est à un exercice de ce genre que nous nous étions déjà livré en 2007, en comparant le niveau
d’iniquité des systèmes éducatifs avec, d’une part, le degré de liberté de choix de parents et,
d’autre part, l’âge de la première sélection hiérarchisante. Nous avions pu montrer que ces deux
caractéristiques expliquaient près de deux tiers de la variance de la détermination sociale des
performances en mathématiques. (Hirtt, 2007)
L’imbroglio hollandais
Notre article de 2007 ne concernait que 15 pays d’Europe occidentale. Dans la présente étude
nous avons voulu étudier l’impact des facteurs générateurs de ségrégations en élargissant
l’analyse à l’ensemble des pays européens. Nous avons toutefois dû omettre deux pays. Malte,
tout d’abord, parce que certaines données étaient manquantes. Mais surtout les Pays Bas, qui
requièrent une explication.
Dès la première phase de la recherche, nous avions remarqué que le système d’enseignement
hollandais occupe une place à part dans les statistiques : il semble être le seul qui parvienne à
laisser une grande liberté au marché scolaire et à pratiquer une sélection précoce, sans que se
creusent démesurément les écarts dans les acquis en fonction de l’origine sociale. Les Pays-Bas
seraient-ils l’exception qui fait mentir la statistique ? Les Bataves auraient-ils trouvé la recette
miraculeuse d’un enseignement combinant liberté, méritocratie et équité ?
Cet espoir s’effondre malheureusement, lorsqu’on examine de plus près les conditions de
réalisation des enquêtes PISA. Les experts du Consortium PISA commencent par sélectionner, sur
une base aléatoire, un échantillon représentatif d’au moins 150 établissements scolaires
accueillant des élèves de 15 ans. Dans certains pays, ces écoles sont contraintes de participer,
ailleurs elles jouissent de plus de liberté et on doit alors recourir à des écoles de remplacement.
Cependant, les normes de qualité concernant les données de l’enquête PISA imposent un taux de
participation minimal, tant pour les établissements que pour les élèves, afin de minimiser les biais
potentiels liés à la participation. On pourrait par exemple supposer que les écoles qui travaillent
dans des conditions plus difficiles auraient davantage tendance à refuser leur participation à
l’enquête, ce qui fausserait les résultats.
Afin de garantir une bonne représentativité de l’échantillon, les experts de l’OCDE estiment qu’il
faudrait un taux de participation minimal de 85% pour les établissements sélectionnés initialement
(donc maximum 15% d’établissements de remplacement après un refus). Toutefois, face à la
difficulté de certains pays à atteindre cette norme, il a été décidé qu’un taux initial de participation
des établissements entre 65 % et 85 % (donc avec 15 à 25% de remplacements) était encore
«"acceptable ».
Parmi les pays européens, presque tous ont des taux largement supérieurs au seuil de 85% et
souvent proches de 100%. Deux pays sont juste sous le seuil : le Royaume Uni (84%) et la
Belgique (83%). l’Italie, avec 74%, est dans les conditions «"acceptables ». Seuls les Pays Bas —
sans doute précisément à cause du caractère très libéral de leur enseignement — sont en-
dessous du seuil de tolérance : sur les 201 établissements sélectionnés initialement, seuls 125 ont
acceptés de participer à l’enquête PISA, soit 63%. (OCDE, 2016)
En toute rigueur, les résultats hollandais ne devraient donc pas être considérés comme
«"acceptables"». Néanmoins, en retirant purement et simplement les Pays Bas de notre étude,
nous encourions le reproche d’avoir «"arrangé les données"» pour les faire coller à nos modèles.
Nous avons donc pris le parti de conserver l’ensemble des pays. Cependant, nous mentionnerons
régulièrement les résultats obtenus avec et sans les Pays Bas.
Page sur 325
Une mesure de l’équité des systèmes éducatifs
Nous commençons par construire un indice composite, permettant de mesurer l’équité sociale de
l’École, c’est-à-dire la capacité des systèmes éducatifs à rendre les acquis cognitifs des
élèves statistiquement indépendants de leur origine sociale. Sous cette définition, l’équité se
distingue de l’égalité des résultats, c’est-à-dire de la capacité des systèmes éducatifs à réduire
l’écart entre les acquis des élèves. L’iniquité sociale de l’École apparaît lorsque l’inégalité se trouve
corrélée à l’origine sociale des élèves, c’est-à-dire lorsqu’elle devient inégalité sociale devant les
acquis scolaires.
FIGURE 2 — INDICE DÉQUITÉ DES SYSTÈMES ÉDUCATIFS EUROPÉENS
Pour constituer notre indice, nous avons combiné trois mesures de l’iniquité basées sur les
enquêtes PISA 2015 :
l’écart entre les scores PISA moyens des élèves du premier et du dernier quartile socio-
économique";
le coefficient de détermination (R2) de la corrélation entre le score PISA et l’indice socio-
économique , c’est-à-dire la part de la variance du score «"expliquée"» par l’origine sociale";
3
l’effet d’une variation unitaire de l’indice socio-économique sur le score PISA, multiplié par
l’écart-type de cet indice pour le pays concerné.4
Chacune de ces trois valeurs est d’abord calculée pour les trois domaines disciplinaires de PISA
"mathématiques, sciences, lecture — avant d’en retenir la moyenne. Nous procédons ensuite à
une analyse factorielle en composantes principales pour construire un unique «"indice d’équité"».
Les valeurs de cet indice sont négatives. Un indice d’équité égal à zéro, équivaudrait à une
situation hypothétique où il n’y aurait aucune relation entre l’origine sociale et les scores PISA.
Pour les pays européens sous étude, les indices les plus élevés (donc les plus proches de zéro)
sont ceux de l’Islande (-0,54) et de la Norvège (-0,68). L’indice d’équité le plus faible est celui de la
Sauf mention contraire, l’indice socio-économique dans cette étude est l’indice ESCS, Economic, Social
3
and Cultural Scale, des enquêtes PISA.
En effet, dans un pays où cet effet serait important mais où l’écart-type des indices ESCS serait très faible,
4
il n’y aurait en réalité pas de grande inégalité sociale dans le système éducatif. Et inversement.
Page sur 425
Hongrie (-1,44). La France (-1,38), la Fédération Wallonie-Bruxelles (-1,33) et la Flandre (-1,19)
occupent respectivement les troisième, quatrième et septième plus mauvaises places de ce
classement.
L’équité ne nuit pas aux performances
On suspecte parfois les systèmes éducatifs les plus équitables d’être moins performants que les
autres. Nous avons vérifié cette hypothèse en comparant notre indice d’équité au score PISA
moyen de chaque pays (c’est-à-dire la moyenne des scores en mathématiques, en lecture et en
science.
FIGURE 3 — RELATION POSITIVE ENTRE ÉQUITÉ ET PERFORMANCES MOYENNES
Le résultat est sans appel": là où la thèse du «"nivellement par le bas"» prévoyait une corrélation
négative entre ces deux variables, on constate au contraire une légère mais nette corrélation
positive (r"="+0,26, R2=6,86 %). En d’autres mots, et sans vouloir préjuger de la relation causale
sous-jacente, on peut affirmer qu’équité et bonnes performances moyennes ne s’excluent pas,
mais vont plutôt de pair.
Si l’on ne considère que les performances PISA des 25% d’élèves les plus favorisés, on observe
certes une liaison négative avec l’indice d’équité, mais elle est pratiquement négligeable (r=-0,16,
R2=2,5%).
Page sur 525
Mesurer la ségrégation sociale
Il existe différentes façons de mesurer le degré de ségrégation sociale d’un système scolaire. La
plus simple consiste à calculer l’écart-type (la dispersion) des indices socio-économiques moyens
des écoles. Cet indice nous dit dans quelle mesure les écoles d’un pays sont semblables ou
dissemblables du point de vue de leur composition sociale moyenne. Les pays nordiques affichent
des écarts-types très faibles, c’est-à-dire des écoles très semblables. Le France et la Flandre se
situent vers le milieu du classement, alors que la FWB s’approche des systèmes les plus
ségrégués.
L’inconvénient de cette mesure, c’est qu’elle tend à négliger les effets de polarisation aux extrêmes
et, surtout, qu’elle est très sensible au fait que l’indice socio-économique ESCS utilisé dans les
études PISA n’a pas nécessairement la même signification dans tous les pays : il s’agit d’un indice
normalisé au niveau de l’OCDE et qui n’est donc forcément plus normalisé pour chacun des pays
individuels.
FIGURE 4 — TROIS MESURES DE LA SÉGRÉGATION SOCIALE
Une autre façon de procéder consiste à mesurer directement l’importance numérique des écoles à
forte ségrégation sociale. Pour ce faire, nous identifions les établissements dont l’indice socio-
économique s’éloigne de plus d’un demi écart-type de l’ISE moyen. Le pourcentage d’élèves
fréquentant de telles «"écoles ghettos"» constitue une bonne mesure de la ségrégation sociale.
Le nouveau classement reste toujours aussi avantageux pour les pays nordiques. En revanche, la
position des deux communautés belges et de la France se dégrade sensiblement.
Enfin, on peut également calculer l’indice de ségrégation de Gorard (GS), c’est-à-dire le
pourcentage d’élèves d’une catégorie particulière (favorisée ou défavorisée) qu’il faudrait changer
d’établissement pour obtenir leur répartition uniforme dans toutes les écoles. Nous l’avons calculé
pour les élèves appartenant aux deux quartiles socio-économiques extrêmes.
Les deux derniers indices reflètent donc à la fois la ségrégation des élèves les moins favorisés
dans des «"ghettos de pauvres"» que la ségrégation inverse en «"ghettos de riches"».
Page sur 625
Mixité sociale et équité vont de pair
Quelle que soit la façon de mesurer la ségrégation sociale entre écoles, on observe
systématiquement une forte corrélation négative avec l’indice d’équité défini plus haut. Par
exemple, entre le pourcentage d’élèves qui fréquentent des écoles socialement ségréguées et
l’indice d’équité on observe un coefficient de détermination statistique R2"="44,9%.
FIGURE 5 — RELATION NÉGATIVE ENTRE SÉGRÉGATION SOCIALE ET ÉQUITÉ
Si l’on mesure la ségrégation au moyen de l’écart-type des ISE scolaires, la corrélation est un peu
moins forte (R2=35,7 %), alors que l’indice de ségrégation SG produit une corrélation légèrement
plus importante (R2=47,2).
On pourrait être tenté d’en déduire que la variance des pays européens en matière d’équité
s’explique pour 40% à 48% par les différences en matière de ségrégation sociale. Ou, pour le dire
autrement, qu’une forte mixité sociale serait généralement garante d’une plus grande égalité des
résultats. Mais ce serait aller un peut vite en besogne. Car on pourrait aussi bien imaginer une
causalité inverse : dans les systèmes éducatifs où les performances des élèves sont moins liées à
leur origine sociale, les parents des classes privilégiées pourraient par exemple avoir moins
tendance à rechercher une école de «"l’entre-soi"» et les établissements scolaires «"huppés"» y
seraient peut-être moins enclins à pratiquer une forme de sélection sociale à l’entrée. On pourrait
également supposer que des caractéristiques externes — par exemple sociales ou culturelles
"expliqueraient les deux phénomènes : l’iniquité des résultats et la ségrégation sociale.
Cette difficulté à interpréter la corrélation ségrégation-iniquité en termes de causalité pose un réel
problème pour la prise de décisions en politique éducative : des mesures qui cherchent à diminuer
la ségrégation —"comme l’introduction d’un «"tronc commun"» de plus longue durée, dans le cadre
du Pacte pour un enseignement d’excellence, en Belgique francophone — offrent-elles réellement
la garantie de favoriser l’équité sociale de l’enseignement ? C’est ce que nous allons tenter
d’établir plus loin.
Page sur 725
La ségrégation n’améliore les performances de personne
Une fois de plus, il est légitime de se demander si une plus grande mixité ne s’accompagnerait pas
d’une baisse des performances.
Non seulement il n’en est rien, mais on observe exactement le contraire. Quelle que soit la mesure
retenue pour la ségrégation sociale, elle est systématiquement corrélée négativement avec les
performances PISA. Si l’on compare par exemple l’indice de ségrégation de Gorard avec la
moyenne des trois scores PISA (mathématiques, sciences, lecture), on observe une corrélation
linéaire négative r"="-0,46 (R2"="20,9%).
Les autres mesures de ségrégation donnent des résultats qui vont dans le même sens": r"="-0,28
pour le pourcentage d’écoles ghettos"; r"="-0,52 pour l’écart-type des ISE scolaires. La ségrégation
sociale n’est donc certainement pas garante d’un haut niveau de performances moyennes.
FIGURE 5 — RELATION NÉGATIVE ENTRE SÉGRÉGATION SOCIALE ET PERFORMANCES MOYENNES
Peut-on au moins supposer qu’une plus grande ségrégation sociale serait profitable aux élèves
des familles les plus favorisées ? Eh bien cela ne semble pas être le cas. Même si l’on considère
le score PISA moyen des seuls élèves appartenant au quartile socio-économique supérieur, on
observe systématiquement une corrélation négative (r"="-0,3 pour l’écart-type des ISE scolaires,
r"="-0,19 pour l’indice de ségrégation) ou quasiment nulle (r"="-0,03 pour les écoles «"ghettos"»).
En d’autres mots, si la pratique de la ségrégation sociale semble bien donner aux enfants des
classes supérieures un avantage relatif par rapport aux enfants des classes populaires, elle ne leur
procure en revanche aucun avantage absolu et même plutôt un léger désavantage en termes de
niveaux d’apprentissage.
Page sur 825
Identification de quelques facteurs de ségrégation
Pour sortir du débat sur la relation causale sous-jacente à la corrélation entre ségrégation et
iniquité, nous allons adopter une démarche plus pragmatique. Elle consiste à identifier un certain
nombre de caractéristiques organisationnelles des systèmes éducatifs, résultant directement de
choix politiques et potentiellement génératrices de ségrégation. Nous examinerons ensuite si ces
caractéristiques sont ou non corrélées avec le degré d’équité. Dans l’affirmative, nous n’aurons
certes toujours pas de certitude sur la fait que la mixité sociale produit de l’équité, mais nous
aurons au moins démontré que les politiques qui favorisent cette mixité favorisent également
l’équité. Nous souhaitons en particulier examiner l’effet de deux grandes catégories de
caractéristiques"structurelles : celles liées à l’existence d’un libre marché scolaire (liberté de choix
des parents, concurrence entre réseaux, liberté de recrutement des écoles) et celles qui génèrent
une orientation hiérarchisante (précocité et ampleur du «"tracking"»).
Nous détaillons ci-dessous les variables retenues ainsi que leur définition.
Liberté de choix des parents (variable LIBCH)
Cet indice mesure le degré de liberté qu’ont les parents pour choisir une école (au niveau de
l’enseignement primaire). Il a été construit en testant les questions ci-dessous sur base des
informations fournies par le service Eurydice à propos de l’organisation de l’enseignement primaire
public. Le tableau indique les points associés à chaque réponse et dont la somme constitue
l’indice de liberté de choix dans l’enseignement primaire public (compris entre 0 et 1). La liberté de
choix dans l’enseignement privé est posée égale à 1. Notre indice de liberté de choix LIBCH est
une moyenne de ces deux valeurs, pondérées par la part relative d’enseignement public et
d’enseignement privé.
FIGURE 6 — INDICE DE LIBERTÉ DE CHOIX DES PARENTS
Tes t
Question du test
NON
T1
Une école proche est systématiquement proposée aux parents
1
T2
T1=NON mais on applique des règles de priorité sur base de la proximité
0
T3
T1=OUI mais les parents peuvent opter pour une autre école où il reste de la place
0
T4
T1=OUI et T3=NON mais changement possible sur base d’une demande motivée
0
T5
D’autres priorités que proximité et place peuvent limiter le choix de parents
0
Page sur 925
Polarisation en réseaux privé et public (variable POLR)
Cet indice évalue dans quelle mesure les systèmes éducatifs sont divisés en deux réseaux, privé
et public, concurrents. La formule de calcul, expliquée en annexe, consiste à associer un indice de
polarisation élevé aux pays où le pourcentage d’élèves de chaque réseau est proche de 50%. Au
contraire un pays où presque tous les élèves fréquentent le même réseau (qu’il soit libre ou privé)
aura un indice de polarisation en réseaux proche de zéro.
FIGURE 7 — INDICE DE POLARISATION DES RÉSEAUX
Sélection par les écoles : performances ou proximité (variable SELEC)
Dans le volet «"écoles"» de l’enquête PISA, il est demandé aux chefs d’établissement s’il leur
arrive («"toujours"», «"parfois"» ou «"jamais"») de sélectionner les élèves sur base de leurs
résultats antérieurs. On leur demande également s’il leur arrive de tenir compte du lieu de
résidence des élèves pour les admettre ou les refuser. Nous considérons qu’un taux important de
réponses «"toujours"» à la première de ces questions témoigne d’une grande liberté de
recrutement de la part des écoles. Au contraire, nous supposons que les réponses «"toujours"» à
la deuxième question indiquent l’existence d’une obligation légale d’admettre d’abord les élèves
d’une zone de recrutement. Notre variable SELEC est calculée en retenant la différence entre ces
deux pourcentages.
FIGURE 8 — SÉLECTION DES ÉLÈVES (+) OU PRIORITÉ À LA PROXIMITÉ (-)
Page sur 10 25
Taux de filiarisation (variable TFIL)
Il s’agit du pourcentage d’élèves qui, à 15 ans, ne fréquentent plus la filière la plus nombreuse. Par
exemple, en Flandre, 45% des élèves fréquentent l’ASO (l’enseignement secondaire général) à
l’âge de 15 ans. 55% des élèves sont donc dans l’une des autres filières (technique, professionnel,
artistique…). Le taux de filiarisation est donc de 55.
FIGURE 10 — TAUX DE FILIARISATION DE LENSEIGNEMENT À 15 ANS
Nombre d’années de filiarisation (variable AFIL)
Cet indice est égal au nombre d’années durant lesquelles les élèves ont été séparés en filières,
avant l’âge de 15 ans quand ont lieu les enquêtes PISA. Il vaut donc 15 moins l’âge du premier
«"tracking"» (ou zéro si cet âge est supérieur à 15). Cette mesure est établie sur base des données
fournies par Eurydice.
FIGURE 11 — ANNÉES DE FILIARISATION DE LENSEIGNEMENT ÀVANT 15 ANS
Page sur 11 25
Le marché scolaire nuit gravement à l’équité
Nous disposons maintenant des outils qui vont permettre d’étudier l’impact des facteurs de
ségrégation —"quasi-marché d’une part, filiarisation d’autre part — sur l’équité des systèmes
éducatifs. Nous commençons par les trois variables caractéristiques de l’organisation en quasi-
marché.
Le tableau 1 indique d’abord les résultats d’une régression linéaire simple entre l’équité et chacune
de ces trois variables prises séparément. Les trois coefficients directeurs sont négatifs, ce qui
signifie que chacune des trois caractéristiques — liberté de choix, réseaux concurrents, sélection
par les écoles — a un impact négatif sur l’équité. Les coefficients de détermination varient de 10%
à 22%.
Nous procédons ensuite à une régression linéaire multiple, avec ces mêmes trois variables. Nous
obtenons un coefficient de détermination R2 assez élevé : 40,7%. Cependant, puisque notre
modèle est basé sur un effectif de 30 pays seulement, il est plus prudent de se contenter ici du R2
ajusté, qui vaut 33,9% . On peut en conclure qu’au moins un tiers de la variance entre systèmes
5
éducatifs européens en matière d’équité sociale s’explique par ces trois variables caractéristiques
d’un quasi-marché scolaire. Qui plus est, si l’on exclut les Pays Bas, dont on se souviendra que
l’échantillon PISA n’offre pas réellement une garantie suffisante de représentativité, ces valeurs
grimpent à R2 = 50,9"% et R2 ajusté = 45,1"%.
A droite, dans la partie supérieure du tableau, nous indiquons l’effet marginal de chacune des
variables sur le R2 final (non ajusté) : il s’agit donc de la différence entre le R2 de la régression à 3
variables et celui d’une régression à deux variables, c’est-à-dire sans la variable de la ligne
correspondante du tableau. On notera que la somme des trois effets marginaux (36%) est
inférieure aux 40,7% de la régression multivariée. Une partie de l’explication provient donc de
l’interaction entre les variables. Signalons encore que l’effet marginal réduit (0,4%) de la variable
«"liberté de choix des parents"» ne signifie pas que celle-ci n’agirait pas, mais plutôt qu’une
polarisation en réseaux et une sélection des élèves par les écoles sont généralement
accompagnés d’une grande liberté de choix. Dès lors, la prise en compte de cette troisième
variable, n’augmente plus considérablement le pouvoir explicatif du modèle.
Les coefficients de pente fournis par cette régression permettent de construire un indice unique
(que nous avons ensuite normalisé de sorte que sa moyenne soit égale à 1) : nous l’appelons
indice de quasi-marché (IQM).
Modèle 1 : quasi-marché!
Variable dépendante : indice d’équité
Variables explicatives :
Régression linéaire simple
(une seule variable)
Effet marginal!
sur le R2 de la
régression
multiple
Coefficient
directeur
R2
LIBCH
Liberté de choix des parents
-0,260
10,2"%
0,4"%
POLR
Polarisation en réseaux
-0,379
19,0"%
14,7"%
SELEC
Sélection des élèves par l’école
-0,002
22,0"%
20,9"%
R2
R2 ajusté
Régression linéaire multiple (3 variables) pour tous les pays :
40,7"%
33,9!%
Sans les Pays-Bas :
50,9"%
45,1!%
Dans une régression linéaire portant sur des effectifs limités, le coefficient de détermination augmente
5
mécaniquement avec le nombre de variables. Le R2 ajusté corrige cela.
Page sur 12 25
Sans surprise, la Flandre et la Fédération Wallonie-Bruxelles figurent parmi les pays dont l’indice
de quasi-marché est le plus élevé. La position de la France peut sembler étonnante si l’on ne
garde en tête que l’existence d’une carte scolaire relativement contraignante dans ce pays.
Cependant, la polarisation en réseaux y est élevée, de même que, semble-t-il, la liberté des chefs
d’établissements privés de sélectionner les élèves à l’entrée.
FIGURE 12 — RELATION NÉGATIVE ENTRE QUASI-MARCHÉ ET ÉQUITÉ
Page sur 13 25
Un «"tronc commun"» de longue durée favorise l’équité
Nous recommençons le même exercice que ci-dessus, cette fois avec les variables
caractéristiques du «"tracking"» : la division plus ou moins précoce et plus ou moins forte des
élèves en filières hiérarchisées.
Prises individuellement, les deux variables AFIL et TFIL présentent une forte corrélation négative
avec l’équité. Leur combinaison permet d’expliquer au moins 41"% de la variance intra-européenne
de l’équité des systèmes éducatifs. Sans les Pays-Bas, le R2 grimpe à 46"%
Un tronc commun de longue durée est donc bien, statistiquement, associé à une plus grande
égalité des performances par origine sociale.
FIGURE 13 — RELATION NÉGATIVE ENTRE FILIARISATION ET ÉQUITÉ
Modèle 2 : filiarisation!
Variable dépendante : indice d’équité
Variables explicatives :
Régression linéaire simple
(une seule variable)
Effet marginal!
sur le R2 de la
régression
multiple
Coefficient
directeur
R2
AFIL
Nombre d’années de filiarisation
-0,004
41,5"%
13,2"%
TFIL
Taux ou ampleur de la filiarisation
-0,031
31,9"%
3,6"%
R2
R2 ajusté
Régression linéaire multiple (2 variables) pour tous les pays :
45,1"%
41,1!%
Sans les Pays-Bas :
49,8"%
45,9!%
Page sur 14 25
Effet combiné des structures ségrégatives
Lorsque nous combinons l’effet des cinq variables liées à l’existence de structures potentiellement
ségrégatives, nous obtenons un résultat où le doute n’est plus permis : au moins 44"% de la
variance intra-européenne en matière d’équité scolaire s’explique par la combinaison des
structures ségrégatives. Sans les Pays Bas, cette variance expliquée grimpe à 55,3"%.
FIGURE 14 — RELATION NÉGATIVE ENTRE LES FACTEURS DE SÉGRÉGATION ET LÉQUITÉ
Modèle 3 : toutes structures ségrégatives!
Variable dépendante : indice d’équité
Variables explicatives :
Régression linéaire simple
(une seule variable)
Effet marginal!
sur le R2 de la
régression
multiple
Coefficient
directeur
R2
LIBCH
Liberté de choix des parents
-0,260
10,2"%
0,1"%
POLR
Polarisation en réseaux
-0,379
19,0"%
6,1"%
SELEC
Sélection des élèves par l’école
-0,002
22,0"%
0,3"%
AFIL
Nombre d’années de filiarisation
-0,004
41,5"%
3,9"%
TFIL
Taux ou ampleur de la filiarisation
-0,031
31,9"%
2,8"%
R2
R2 ajusté
Régression linéaire multiple (5 variables) pour tous les pays :
53,4"%
43,7!%
Sans les Pays-Bas :
63,3"%
55,3!%
Page sur 15 25
Insistons sur ce point : nous n’avons plus, ici, une corrélation entre la ségrégation et l’inégalité de
résultats, qui peut être interprétée de multiples façons en termes de causalités, mais une
corrélation mettant en jeu des structures potentiellement ségrégatives, c’est-à-dire des
caractéristiques propres à l’organisation des systèmes éducatifs. Celles-ci résultent
essentiellement de choix en matière de politique éducative. Une certaine causalité inverse n’est
évidemment pas totalement exclue : l’existence d’une plus ou moins grande inégalité de
performances en fonction de l’origine sociale joue peut-être sur la faisabilité politique de telle ou
telle mesure visant le marché scolaire ou l’orientation des élèves. Mais on peut raisonnablement
supposer que la détermination causale principale va bien des politiques éducatives vers l’équité et
non l’inverse.
Page sur 16 25
Financement de l’enseignement
D’autres caractéristiques des systèmes éducatifs, qui ne sont pas forcément génératrices de
ségrégation sociale, pourraient influencer leur niveau d’équité. On pense notamment au
financement de l’enseignement (qui influence par exemple les taux d’encadrement).
Notre indice de financement est construit en divisant le niveau relatif (par rapport à la moyenne
européenne) du financement de l’enseignement primaire et du premier cycle secondaire , par le
6
niveau relatif du PIB par habitant du pays concerné (ou de la Communauté pour la Flandre et la
FWB). Cet indice (FINREL) est donc proportionnel aux dépenses d’éducation par élève (primaire
et début secondaire) rapportées au PIB/habitant.
FIGURE 15 —INDICE RELATIF DE FINANCEMENT DE LENSEIGNEMENT
Cet indice de financement seul explique près de 7% de la variance de l’équité (R2 = 6,77"%). Il
s’agit, comme l’indique le signe positif du coefficient directeur, d’une corrélation positive : plus de
financement produit plus d’équité. Lorsqu’on ajoute cette variable au modèle précédent, il fait
gagner 6,5 points au R2 (59,9%) et 5,8 points au R2 ajusté (49,5 %). Mais en excluant les Pays
Bas, le gain est presque de 10 points sur le R2 ajusté, qui passe à 65,1"%.
Modèle 4 : "
structures ségrégatives & financement
Variable dépendante : indice d’équité
Variables explicatives :
Régression linéaire simple
(une seule variable)
Effet marginal!
sur le R2 de la
régression
multiple
Coefficient
directeur
R2
LIBCH
Liberté de choix des parents
-0,260
10,2"%
1,7"%
POLR
Polarisation en réseaux
-0,379
19,0"%
10,9"%
SELEC
Sélection des élèves par l’école
-0,002
22,0"%
0,9"%
AFIL
Nombre d’années de filiarisation
-0,004
41,5"%
1,1"%
TFIL
Taux ou ampleur de la filiarisation
-0,031
31,9"%
2,9"%
FINREL
Financement relatif au PIB/hab
0,161
6,77"%
6,5"%
R2
R2 ajusté
Régression linéaire multiple (6 variables) pour tous les pays :
59,9"%
49,5!%
Sans les Pays-Bas :
72,6"%
65,1!%
http://ec.europa.eu/eurostat/statistics-explained/index.php/Educational_expenditure_statistics/fr
6
Page sur 17 25
FIGURE 16 — LE FINANCEMENT DE LENSEIGNEMENT PRIMAIRE": UN FACTEUR IMPORTANT
Page sur 18 25
Redoublement
Pour le redoublement, nous avons simplement retenu le pourcentage d’élèves de 15 ans ayant
redoublé au moins une fois.
FIGURE 17 — POURCENTAGE DÉLÈVES AYANT REDOUBLÉ AU MOINS UNE ANNÉE À 15 ANS
On note une forte corrélation négative (R2 = 28,9%) avec l’équité des systèmes éducatifs. Ce
coefficient de détermination ne doit cependant pas être interprété comme une relation causale
unidirectionnelle. Assurément, la pratique du redoublement est probablement un facteur de
ségrégation et donc d’iniquité. Mais inversement, l’échec des apprentissages dans les classes
sociales défavorisées pourrait être de nature à favoriser des taux élevés de redoublement. Enfin,
les pays (par exemple scandinaves) où le «"tracking"» est tardif, ont généralement peu recours au
redoublement et la variable «"redoublement"» peut donc en cacher une autre.
Modèle 5 : structures ségrégatives &
financement & redoublement
Variable dépendante : indice d’équité
Variables explicatives :
Régression linéaire simple
(une seule variable)
Effet marginal!
sur le R2 de la
régression
multiple
Coefficient
directeur
R2
LIBCH
Liberté de choix des parents
-0,260
10,2"%
1,6"%
POLR
Polarisation en réseaux
-0,379
19,0"%
5,1"%
SELEC
Sélection des élèves par l’école
-0,002
22,0"%
1,7"%
AFIL
Nombre d’années de filiarisation
-0,004
41,5"%
1,1"%
TFIL
Taux ou ampleur de la filiarisation
-0,031
31,9"%
0,9"%
FINREL
Financement relatif au PIB/hab
0,161
6,77"%
5,4"%
DOUB
Redoublement
-0,005
28,9"%
4,2"%
R2
R2 ajusté
Régression linéaire multiple (7 variables) pour tous les pays :
64,2"%
52,8!%
Sans les Pays-Bas :
75,0"%
66,7!%
Page sur 19 25
En ajoutant le redoublement au modèle précédent, nous observons que l’action conjointe des
structures ségrégatives et du redoublement explique au moins 52,8 % de la variance de l’équité,
soit 4,2 % de plus. Il est donc possible —"mais pas certain — que l’effet net d’une interdiction du
redoublement sur l’équité des systèmes éducatifs soit assez faible.
Une combinaison linaire des facteurs de ségrégation et des variables «"financement"» et «
redoublement"» permet de construire un indice «"système éducatif"» qui figure en abscisse du
graphique 17. Les pays ou systèmes éducatifs qui figurent à droite du graphique associent les
caractéristiques d’un marché scolaire très libéral avec un faible financement et un recours régulier
au redoublement des élèves. Les pays à gauche du graphique ont peu de marché scolaire,
pratiquent peu le redoublement et consacrent davantage de moyens financiers à l’enseignement.
Seuls les Pays-Bas semblent échapper à la règle générale mais, comme nous le savons, les
données pour ce pays-là sont sujettes à caution.
FIGURE 18 — RELATION ENTRE LÉQUITÉ ET LES CARACTÉRISTIQUES PROPRES AUX SYSTÈMES ÉDUCATIFS
Page sur 20 25
Deux facteurs externes : inégalités sociales et immigration
Il se pourrait évidemment que des facteurs externes influencent également le degré d’équité de
l’enseignement. Il semble par exemple légitime de supposer que les pays qui connaissent de plus
grandes inégalités de revenus ou de fortune présentent également de plus grandes disparités
sociales dans les résultats scolaires. De même pourrait-on émettre l’hypothèse qu’une présence
plus ou moins importante d’élèves issus de l’immigration influencerait l’équité en raison, par
exemple, du «"handicap"» scolaire lié à la langue maternelle.
Comme variable d’inégalité de revenus (INEG), nous utilisons le rapport interquintile des revenus.
7
Pour l’immigration (variable IMMIG), nous avons retenu le pourcentage total d’élèves issus de
l’immigration (1ère et deuxième génération confondues).
Contre toute attente, lorsque nous comparons l’indice d’équité avec le rapport interquintile des
revenus nous ne trouvons nous pas la corrélation négative attendue, selon laquelle des revenus
plus inégaux coïncideraient avec un enseignement moins équitable, mais une très faible
corrélation positive.
Le pourcentage d’élèves issus de l’immigration semble, à première vue, présenter une corrélation
plus nette avec l’équité, expliquant 7,9 % de la variance. Toutefois, ce résultat est fortement
influencé par la situation d’un unique pays où le taux d’immigration est particulièrement élevé et où
les scores PISA sont très inégaux : le Luxembourg. Si l’on excepte le Grand Duché de la
statistique, le coefficient de détermination chute à 0,8"%.
Mais surtout, l’adjonction des variables «"inégalité"» et «"immigration"» fait passer le R2 du modèle
que de 64,2"% à 66,4"%, et le pouvoir explicatif (R2 ajusté) passe de 52,8% à… 51,3 %. En n’a
guère plus qu’une augmentation «"automatique"» du coefficient de détermination par l’ajout de
deux variables supplémentaires.
Modèle 6 : variables structurelles &
inégalités des revenus & immigration
Variable dépendante : indice d’équité
Variables explicatives :
Régression linéaire simple
(une seule variable)
Effet marginal!
sur le R2 de la
régression
multiple
Coefficient
directeur
R2
LIBCH
Liberté de choix des parents
-0,260
10,2"%
1,6"%
POLR
Polarisation en réseaux
-0,379
19,0"%
5,1"%
SELEC
Sélection des élèves par l’école
-0,002
22,0"%
1,7"%
AFIL
Nombre d’années de filiarisation
-0,004
41,5"%
1,1"%
TFIL
Taux ou ampleur de la filiarisation
-0,031
31,9"%
0,9"%
FINREL
Financement relatif au PIB/hab
0,161
6,77"%
5,4"%
DOUB
Redoublement
-0,005
28,9"%
4,2"%
INEG
Rapport interquintile des revenus
0,023
1,3"%
1,1"%
IMMIG
% d’élèves issus de l’immigration
-0,004
7,9"%
1,5"%
R2
R2 ajusté
Régression linéaire multiple (7 variables) pour tous les pays :
66,4"%
51,3!%
Sans les Pays-Bas :
79,6"%
69,9!%
Rapport entre le revenu qui sépare le 4e du 5e quintile et le revenu qui sépare le 1er du 2ème quintile. Ou
7
pour faire simple : rapport entre le revenu des «"riches"» et celui des «"pauvres"».
Page sur 21 25
Toutefois, en excluant les Pays Bas, on note une légère augmentation (3,2 points) du pouvoir
explicatif du modèle, qui grimpe alors à 70%. Le graphique ci-dessous illustre la relation étroite
entre l’équité et la combinaison linéaire des neuf variables pour l’ensemble des pays européens,
sans les Pays Bas.
FIGURE 19 — ILLUSTRATION DU DERNIER MODÈLE (N°6) SANS LES PAYS-BAS
Page sur 22 25
Conclusions
Nous avons pu montrer qu’au sein des systèmes éducatifs européens, les différences en matière
d’équité s’expliquent pour 53"% à 67"% (selon que l’on intègre ou non les résultats discutables des
Pays-Bas) par des caractéristiques internes, structurelles, des systèmes éducatifs": libre choix des
parents, réseaux concurrents, possibilité pour les écoles de sélectionner leurs élèves, filiarisation
plus ou moins précoce et plus ou moins importante, niveau de financement et pratique du
redoublement. Parmi ces facteurs, les structures génératrices de ségrégation (quasi-marché et
filiarisation) ont ont un impact nettement prépondérant (49% à 65%).
Seule une faible partie de l’équité (0% à 3%) peut s’expliquer par les différences en matière
d’inégalités de revenus ou par l’importance numérique de l’immigration. Mais sans doute d’autres
variables externes (tels des facteurs géographiques : ségrégation urbaine, inégalités ville-
campagne…) pourraient-elles encore faire grimper le niveau de corrélation du modèle.
Ces résultats confirment l’une des thèses centrales de l’Appel pour une école démocratique : il est
vain de vouloir améliorer sensiblement l’équité des systèmes éducatifs belges ou français, sans
s’attaquer simultanément aux deux grands mécanismes structurels qui produisent la ségrégation
et l’iniquité : les quasi-marché scolaires (libre choix, réseaux, etc.) et la sélection hiérarchisante.#
Page sur 23 25
Annexe : calcul de l’indice de polarisation des réseaux
L’hypothèse implicite, derrière cet indice, est que la division d’un système éducatif en deux
puissants réseaux concurrents est un facteur de ségrégation sociale, donc potentiellement
d’iniquité sociale des performances. Les pays où l’enseignement public et privé se partagent les
élèves à environ 50% chacun, auront donc un l’indice le plus élevé.
Soit p le pourcentage d’élèves fréquentant l’enseignement privé, alors l’indice de polarisation est
donnée par la formule :
Le graphique ci-dessous illustre la relation entre p et POLR.#
POL R =(0,5 p)2)
0,25
Page sur 24 25
Bibliographie
Allen, R. (2010), ‘School autonomy and social segregation’.
Baye, A., Demonty, I., Lafontaine, D., Matoul, A. & Monseur, C. (2010), ‘Lecture à 15 ans. Premiers
résultats de PISA 2009’, Les Cahiers des Sciences de l’Éducation (31).
Gorard, S., Taylor, C. & Fitz, J. (2000), ‘A re-examination of segregation indices in terms of
compositional invariance’, Social Research Update (30).
Hirtt, N. (2007), Impact de la liberté de choix sur l’équité des systèmes éducatifs ouest-européens,
Appel pour une école démocratique.
Hirtt, N. (2014), PISA 2012 sans fard et sans voile. Pourquoi les systèmes éducatifs de Belgique et
de France sont-ils les champions de l’inégalité sociale ?, Appel pour une école démocratique.
Monseur, C. & Crahay, M. (2008), ‘Composition académique et sociale des établisse- ments, e
cacité et inégalités scolaires : une comparaison internationale’, Revue française de pédagogie.
Recherches en éducation (164), 55–66.
OCDE (2016). Résultats du PISA 2015 (Volume I).
Page sur 25 25
... El Índice de Segregación de Gorard ha sido usado recientemente tanto en los trabajos del propio autor (p.ej., Gorard, 2016;Gorard y Siddiqui, 2018;Martínez-Garrido et al., 2020) como en estudios en todo el mundo (p. ej., Bartholo y da Costa, 2018;Hirtt, 2017;Murillo, Duk y Martínez-Garrido, 2018;Zhou, Cai y Wang, 2016). ...
Article
Full-text available
Recientes estudios han mostrado que la segregación escolar por nivel socioeconómico en la Comunidad de Madrid es muy alta, la más alta de España, y una de las más elevadas de Europa. Esta investigación profundiza en el conocimiento de la segregación escolar por nivel socioeconómico en educación secundaria con datos recientes mediante la consecución de tres objetivos: a) estimando su magnitud con diversas estrategias, calculando su perfil para 19 grupos minoritarios y comparándola con otras Comunidades; b) estudiando el papel de los centros públicos, privados concertados y no concertados; y c) determinando la aportación del programa de bilingüismo a la segregación. Se realiza una explotación de los datos de España PISA-2018 y se utilizan cinco índices diferentes y complementarios para estimar la segregación social y su descomposición –el Índice de Disimilitud, el Índice de Segregación de Gorard, el Índice de Raíz Cuadrada de Hutchens, el Índice de Aislamiento y el Índice de Inclusión Socioeconómica–. Los resultados indican que la Comunidad de Madrid continúa teniendo niveles muy altos de segregación escolar que la sitúan a la cabeza de España. Además, verifican el fuerte papel que la privatización de la educación y el programa de bilingüismo tienen en la segregación por nivel socioeconómico de los estudiantes de educación secundaria. Así, se denuncia la situación de inequidad educativa de la región y la influencia que la privatización y el programa de bilingüismo y se insta a que el Gobierno regional elabore con toda urgencia un Plan de lucha contra la segregación escolar.
Article
Full-text available
The article tackles the issue of socially and academically joining students based on efficiency, and how fair the school systems are. Various secondary analyses of data from PISA 2000, 2003 2006 lead us to several findings that should highly concern some school policy makers. More precisely, this paper shows that the more a country turns to homogenous groups in terms of social or/and academic criteria:-the more underprivileged students benefit from privileged schools;-the more the gap from underprivileged students attending underprivileged schools widens;-the more the difference in achievement results between good and bad students is important;-the more the difference in achievement results between privileged and underprivileged students is important;-the more the link between social background and achievement results is strong;-the more the average results in reading are low and to a lesser extent.
Article
Full-text available
In this paper we look for a correlation between the level of equity in the Western European education systems — measured by the social determination of PISA-results — with the degree of freedom of choice given to parents. The latter is computed by an index based on three factors : demog- raphical parameters, the mode of regulation of school choice and the numerical importance of private education. The study shows a very strong relationship between social inequality in education systems and their quasi-market organisation. It shows also that the conjunction of great freedom of choice with a process of selection/orientation at a low age is highly harmful for equity in education. Cette étude compare le niveau d’équité des systèmes éducatifs ouest-européens — mesuré par la détermination sociale des performances PISA — avec le degré de liberté de choix des parents. Ce dernier est calculé au moyen d’un indice basé sur trois facteurs : des paramètres démographiques, les modes de régulation de l’attribution des élèves aux écoles et l’importance relative de l’enseigne- ment privé. L’étude met en évidence une très forte corrélation positive entre le degré de reproduction sociale des systèmes d’enseignement et leur organisation sur base d’un « quasi-marché ». Elle montre également combien la combinaison du libre choix et de procédures de sélection/orientation précoces nuit à l’équité.
School autonomy and social segregation
  • R Bibliographie Allen
Bibliographie Allen, R. (2010), 'School autonomy and social segregation'.
Lecture à 15 ans. Premiers résultats de PISA
  • A Baye
  • I Demonty
  • D Lafontaine
  • A Matoul
  • C Monseur
Baye, A., Demonty, I., Lafontaine, D., Matoul, A. & Monseur, C. (2010), 'Lecture à 15 ans. Premiers résultats de PISA 2009', Les Cahiers des Sciences de l'Éducation (31).
PISA 2012 sans fard et sans voile. Pourquoi les systèmes éducatifs de Belgique et de France sont-ils les champions de l'inégalité sociale ?
  • N Hirtt
Hirtt, N. (2014), PISA 2012 sans fard et sans voile. Pourquoi les systèmes éducatifs de Belgique et de France sont-ils les champions de l'inégalité sociale ?, Appel pour une école démocratique.
Résultats du PISA 2015 (Volume I)
OCDE (2016). Résultats du PISA 2015 (Volume I).