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Cours de DEA Economie de l'environnement et des ressources naturelles

Authors:
Cerna, Centre d’économie industrielle
Ecole Nationale Supérieure des Mines de Paris
60, boulevard Saint Michel
75272 Paris Cedex 06 – France
Tél. : 33 (1) 40 51 92 29 – Fax : 33 (1) 44 07 10 46
Matthieu.Glachant@ensmp.fr – http://www.cerna.ensmp.fr
LES INSTRUMENTS DE LA POLITIQUE ENVIRONNEMENTALE
Matthieu GLACHANT
Polycopié du cours de Microéconomie de l'environnement II, DEA Economie de l'Environnement et
des Ressources Naturelles
Janvier 2004
Les Instruments de Politique Environnementale 2
Polycopié DEERN, M. Glachant
Préface
Ce polycopié est le support d’un cours sur les instruments de politique
environnementale de vingt d’heures délivré au sein du DEA Economie de
l’Environnement et des Ressources Naturelles (Université de Paris X Nanterre, EHESS,
ENGREF et INA-PG). La question générale traitée est celle l’efficacité, au sens large,
des différents instruments dont dispose le réglementeur pour influencer le
comportement des pollueurs dans le but d’assurer une meilleure protection de
l’environnement. Le cours cherche à combiner théorie et faits empiriques. Les résultats
de l’économie de l’environnement sont d’abord des résultats normatifs, c'est-à-dire qu’ils
ont le statut de préconisations sur ce que doit faire un réglementeur recherchant
l’efficacité. De ce fait, ils prennent souvent une forme très théorique. Mais
parallèlement, la politique environnementale est une réalité concrète avec ses pratiques,
ses débats, ses questions. Au-delà de la présentation de résultats théoriques, l’ambition
du cours est de suggérer ce que les outils de l’analyse économique peuvent dire de cette
réalité et des voies pour l’améliorer. Il s’appuie donc sur de nombreuses illustrations : la
tarification du service des déchets ménagers, les Agences de l’Eau, les systèmes de
permis à émettre du CO2 européen etc. Ces illustrations sont développées oralement et
donc absentes de ce polycopié.
Le second choix du cours est de privilégier la présentation de l’intuition sous jacente
aux résultats plutôt que la démonstration formelle de leur validité. Une conséquence est
la préférence accordée dans certains cas aux présentations graphiques plutôt qu’à la
présentation mathématique de l’argument. Enfin, il mobilise quasi exclusivement les
résultats de l’économie de l’environnement dite standard, néoclassique. Il néglige
d’autres approches, par exemple celle de l’économie écologique. Les justifications de ces
restrictions sont pratiques (le manque de temps, la volonté de ne pas multiplier les
cadres d’analyse pour permettre une assimilation plus rapide des concepts) mais aussi
de fonds : ces approches alternatives n’ont pas beaucoup été appliqué à la question de
l’efficacité des instruments.
Enfin, ce polycopié évolue (presque) chaque année. Toutes les remarques sont donc les
bienvenues !
Matthieu Glachant, CERNA, Ecole des Mines de Paris.
Les Instruments de Politique Environnementale 3
Polycopié DEERN, M. Glachant
TABLE DES MATIERES
Préface.........................................................................................................................................2
TABLE DES MATIERES...............................................................................................................3
1. Définition et classification des instruments de politique environnementale.........................5
1.1. Les instruments réglementaires....................................................................................5
1.2. Les instruments économiques .......................................................................................6
1.3. Des instruments plus difficilement classables...............................................................7
2. La taxe Pigouvienne..........................................................................................................9
2.1 Rappel de microéconomie : l'équilibre concurrentiel de court terme............................ 9
2.2 Introduction de la pollution.........................................................................................11
2.3 La taxe à la Pigou........................................................................................................14
2.4 Taxe et minimisation du coût agrégé de dépollution...................................................16
2.5 L'efficacité de la norme différenciée, de la subvention à la dépollution.....................17
2.6 Rappel de microéconomie : l'équilibre concurrentiel de long terme...........................18
2.7 Sur le long terme, la taxe pigouvienne est supérieure à la norme différenciée ou à la
subvention............................................................................................................................... 22
2.8 Les conditions de validité des résultats.......................................................................23
3 L'incertitude du réglementeur sur les coûts et les dommages.............................................25
3.1 Le second rang à la Baumol (1972).............................................................................25
3.2 Prices versus quantities (Weitzman, 1974) .................................................................26
4 La différenciation spatiale des dommages..........................................................................30
4.1 Les notions de source, de récepteur et de coefficient de transfert...............................30
4.2 Quels sont les niveaux optimaux d'émission des différentes sources ?.......................31
4.3 Quelle est alors la taxe pigouvienne ?.........................................................................31
5 Que faire de la recette de la taxe ? .....................................................................................33
5.1 Le modèle de la taxe affectée......................................................................................33
5.2 Le modèle du double dividende.................................................................................. 33
5.3 Comparaison des deux modèles.................................................................................. 34
6 Les permis d’émission négociables (PEN)..........................................................................36
6.1 Principe de fonctionnement......................................................................................... 36
6.2 Analyse économique en information parfaite..............................................................37
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6.3 Différences entre les PEN et les taxes sur les émissions.............................................39
7 Instruments et incitation à l'innovation............................................................................... 41
8 Le problème de la pollution diffuse..................................................................................... 45
8.1 Le problème.................................................................................................................45
8.2 La taxe ambiante (Segerson, 1988).............................................................................45
8.3 La pratique ..................................................................................................................47
8.4 Une comparaison d'une taxe sur les engrais azotés (dite "au premier kilo") avec une
taxe sur les excédents azotés...................................................................................................48
8.5 Un cas particulier - les taxes sur le carbone................................................................ 51
9 Le problème de la pollution accidentelle............................................................................ 52
9.1 L'utilisation de règle de responsabilité civile.............................................................. 52
9.2 Règle de responsabilité stricte ou fondée sur la négligence........................................53
10 Que peut-on dire de l'efficacité des accords négociés ? .................................................55
10.1 De nouveaux instruments promus par les industriels..................................................55
10.2 L'objectif collectif de dépollution ...............................................................................56
10.3 La traduction de l'objectif collectif de dépollution en objectifs individuels (le "burden
sharing")..................................................................................................................................58
10.4 Que retenir ?................................................................................................................58
11 Conclusions.....................................................................................................................59
11.1 Les performances relatives des différents instruments de politique
environnementale.................................................................................................................... 59
11.2 Instruments et Principe Pollueur Payeur................................................................. 60
12 Bibliographie...................................................................................................................62
13 Exercices .........................................................................................................................63
Les Instruments de Politique Environnementale 5
Polycopié DEERN, M. Glachant
1. Définition et classification des instruments de politique
environnementale
Les instruments de politique environnementale sont des mesures institutionnelles dont
le rôle est de susciter chez les pollueurs un comportement moins polluant. On distingue
classiquement deux catégories d'instrument : les instruments réglementaires et les
instruments économiques. Nous allons les présenter dans les deux sections qui suivent.
Certains instruments entrant difficilement dans ce système binaire de classification sont
présentés dans une troisième et dernière section.
1.1. Les instruments réglementaires
Définition : Ce sont mesures institutionnelles visant à contraindre le comportement des
pollueurs sous peine de sanctions administratives ou judiciaires. La terminologie
américaine reflète clairement la nature de cette approche : "command and control
approach". Ce sont :
Des normes d'émissions qui définissent pour certaines catégories de sites industriels
ou d'objets techniques utilisés dans des processus de production industrielle (ex :
chaudières) et pour certains polluants (ex : SO2, chlore...) des intensités maximales
d'émissions dans le milieu.
Des normes techniques qui obligent les sites industriels à utiliser une technologie
particulière de réduction de la pollution (ex : la mise en place d'un type de filtre
particulier dans les cheminées d'usine).
Des normes de produits (ex : une quantité maximale de phosphates dans les
lessives, l'obligation de pourvoir les véhicules automobiles avec un pot catalytique).
Des procédures d'autorisation administrative de mise sur le marché (ex :
homologation des pesticides).
Les autorisations administratives d’exploitation. La réglementation de la pollution
industrielle s’organise généralement dans un cadre institutionnel fondé sur des
autorisations administratives d’exploitation délivrées à chaque site industriel. Le
principe est de soumettre a priori les sites industriels ayant des activités
potentiellement polluantes à des autorisations délivrées par les autorités
administratives. En France, ce régime est défini par la Loi de 1975 sur les Installations
Classées pour la Protection de l’Environnement (ICPE) et géré par les Directions
Régionales de l’Industrie, de la recherche et de l’Environnement (DRIRE).
Concrètement lors de la construction d’une nouvelle installation industrielle ou lors de
la modification importante d’une installation existante, l’industriel doit soumettre à la
DRIRE un dossier détaillant la manière dont l’installation respectera l’environnement
et sera en conformité avec les réglementations environnementales en vigueur.
L’autorisation est ensuite délivrée sous la forme d'un Arrêté préfectoral d'exploitation
après examen du dossier avec la possibilité pour la DRIRE d’imposer des prescriptions
réglementaires spécifiques. Ces prescriptions ne peuvent toutefois aller que dans le sens
Les Instruments de Politique Environnementale 6
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d’une sévérisation des exigences réglementaires générales. Cette procédure site par site
permet une meilleure prise en compte des caractéristiques spécifiques des sites
industriels et des milieux dans lesquels ils sont implantés. Elle permet ainsi de corriger
partiellement les effets néfastes liés au caractère uniforme de la réglementation générale.
1.2. Les instruments économiques
Définition : Ce sont des mesures institutionnelles visant à modifier l'environnement
économique du pollueur (i.e. les bénéfices et les coûts) via des signaux "prix" pour
l'inciter à l'adoption volontaire de comportements moins polluants.
Les éco-taxes. L’idée générale est de rendre la pollution coûteuse pour le pollueur en
lui faisant payer une taxe dont le montant a une relation avec la pollution qu’il
émet. L’assiette, c’est à dire la base sur laquelle est perçue la taxe, peut varier. La
taxe peut directement porter sur la pollution émise (= une taxe sur les émissions) -
ex : les redevances sur les eaux polluées payées par les industriels aux Agences de
l'Eau en France. Dans le cas où la mesure de l’émission du polluant est difficile, elle
peut porter sur un intrant de production du pollueur qui a un lien avec la pollution
aval (ex : une taxe sur les produits phytosanitaires agricoles, le différentiel de taxe
en faveur des carburants sans plomb).
• Les subventions. Leur assiette peut être directement la dépollution, c’est à dire
qu’un pollueur reçoit une subvention unitaire par unité de pollution en deçà d’un
niveau de pollution de référence (ex : les primes d’épuration distribuées par les
Agences de l’Eau aux municipalités au prorata de l’épuration effectuée par les
centrales d’épurations des eaux usées urbaines). Cette subvention à la dépollution a
une logique d’incitation identique à celle d’une taxe sur les émissions. Dans un cas,
le pollueur paye une taxe sur chaque unité de polluante émise ; dans l’autre il reçoit
une subvention unitaire sur chaque unité de polluant éliminé. Mais les subventions
de ce type sont rares. L’assiette est beaucoup plus fréquemment le coût de la
dépollution (ex : subvention à l'investissement des Agences de l’Eau aux stations
d’épuration urbaines ou industrielles, subventions de l’Ademe pour la construction
de nouvelles installations de traitements des déchets). Concrètement, le coût d’un
équipement de dépollution est subventionné selon un ratio prédéfini (ex : en France,
environ 40 % des coûts d’investissements des stations d’épuration urbaines)
Les systèmes de consigne consistent à imposer une taxe sur un produit
potentiellement polluant. La taxe est remboursée quand la pollution est évitée par
le retour du produit après son utilisation (ex : les systèmes de consigne des
bouteilles en verre).
• Les marchés de droits à polluer ou les systèmes de permis négociables (ex : le
marché des droits à émettre du SO2 par les grandes centrales thermiques aux Etats
Unis dans le cadre du Clean Air Act). Le principe est extrêmement simple : un
pollueur ne peut émettre que la quantité de pollution qui correspond à celle des
permis d’émissions dont il dispose. C’est un instrument économique car ces permis
sont cessibles sur un marché. De ce fait, le pollueur a le choix entre dépolluer ou
acheter des permis supplémentaires.
Les règles juridiques de responsabilité. Leur principe est d’obliger le responsable
d’un dommage environnemental à compenser financièrement les victimes à hauteur
du dommage subi. En théorie, cela signifie que quand vous entreprenez une activité
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risquée (par exemple faire du transport pétrolier), vous prendrez en compte tous les
dommages potentiels de cette activité quand il s’agira de définir la manière dont
vous allez l’exercer. Cela crée une incitation à être précautionneux a priori pour
éviter des coûts financiers a posteriori liés à la mise en cause de votre
responsabilité.
Attention : Les instruments économiques ne sont pas nécessairement volontaires ; la
plupart d'entre eux comportent un élément de contrainte. Une taxe oblige les pollueurs
à payer. Un système de PEN repose sur une obligation de détention d'une quantité de
permis correspondant à la quantité d'émission. En fait, la différence avec les
instruments réglementaires est que cette contrainte ne porte pas sur le niveau de
performance environnementale.
1.3. Des instruments plus difficilement classables
Ces instruments peuvent être rassemblés en deux sous-catégories : les instruments
informationnels et les accords ou approches volontaires
Les instruments informationnels
À leur sujet, on peut reprendre la définition des instruments économiques en
remplaçant "signal-prix" par "signal informationnel" :
Définition : mesures institutionnelles visant à modifier l'environnement informationnel
du pollueur (i.e. les bénéfices et les coûts) via des signaux informationnels pour l'inciter
à l'adoption volontaire de comportements moins polluants.
Le principe est soit que la puissance publique crée et diffuse de l'information ou qu’elle
subventionne sa création et sa diffusion. Cette information va, de manière plus ou
moins directe, conduire à l'adoption de comportements moins polluants par le pollueur.
Cette information peut porter sur les solutions techniques de dépollution et leurs coûts
ou sur les dommages environnementaux. Selon qu'elle porte sur l'une ou l'autre de ces
dimensions les mécanismes d'incitation des pollueurs sont sensiblement différents :
L'information porte sur les solutions de dépollution
Dans ce contexte, le pollueur peut être directement incité à la dépollution car l'arrivée
de nouvelles informations lui fait (éventuellement) découvrir l'existence d'actions de
dépollution rentables parce qu’économisant en même temps des matières premières ou
réduisant la facture énergétique (les actions dites "sans regret"). En fait dans la
pratique, cette approche est le plus souvent utilisée en combinaison avec un instrument
économique ou réglementaire. L’information ainsi fournie permet aux ‘réglementés’ de
respecter à moindre coût et plus efficacement les exigences réglementaires ou de
s’ajuster plus efficacement au signal-prix de l’instrument économique.
Ex: Assistance technique en matière de techniques de dépollution par des agences
techniques (comme l’ADEME en France), financement public de projets pilote de
dépollution.
L'information porte sur les dommages environnementaux ou la qualité environnementale d'un
site industriel ou d'un produit
Dans ce contexte, l'incitation du pollueur est beaucoup plus indirecte. Elle naît du fait
que l'information est convoyée à des agents (consommateurs, ONG, associations locales
représentant les populations vivant à proximité d'un site industriel polluant...) qui vont
exercer une pression sur le pollueur via leur comportement d'achat (achat de produits
Les Instruments de Politique Environnementale 8
Polycopié DEERN, M. Glachant
éco-labellisés) ou via des canaux politiques (pressions sur les élus, boycott)
Ex : les écolabels (dispositif de signalement de la qualité environnementale des
produits), les éco-audits (réalisation d'un diagnostic de la qualité environnementale d'un
site industriel)
Les accords volontaires ou accords négociés
Ce sont des dispositifs contractuels qui lient une autorité publique avec l'industrie (en
général, un secteur industriel représentée par une association professionnelle). Dans ces
contrats (qui n’en sont d’ailleurs pas au sens légal du terme), l'industrie s'engage à
respecter des objectifs d'amélioration de l'environnement. Les objectifs sont en général
quantitatifs et collectifs, c’est à dire qu’ils s’appliquent au secteur dans son ensemble, et
pas aux firmes individuelles. L’industrie est ensuite chargée d’organiser les modalités
d’atteinte de l’objectif, et au premier chef de répartir l’effort de dépollution entre les
firmes du secteur. Le caractère volontaire de l’engagement des industriels est en fait
artificiel : ils sont obtenus sous la menace par l’autorité publique de mettre en œuvre
une politique alternative en cas d’échec de la négociation.
Ex : les accords volontaires sur la réduction des émissions de CO2 et l’augmentation de
l’efficacité énergétique signés avec un certain nombre de secteurs fortement
consommateurs d'énergie depuis 1996 (verre emballages, aluminium, cimentiers,
sidérurgie etc.)
Les Instruments de Politique Environnementale 9
Polycopié DEERN, M. Glachant
2. La taxe Pigouvienne
Dans un contexte dit concurrentiel - dont la définition précise sera précisée plus loin –
nous allons montrer dans cette partie que la politique environnementale optimale se
résume à une taxe sur les émissions dite Pigouvienne en référence à Arthur B. Cecil
Pigou, un économiste anglais qui a proposé cette idée en 1920 dans son livre The
Economics of Welfare. Au préalable, nous rappelons quelques notions simples de
microéconomie sur l'équilibre concurrentiel de court terme qui seront utiles dans la
suite. L'étudiant familier avec ces notions générales peut continuer directement par la
section 2.2.
2.1 Rappel de microéconomie : l'équilibre concurrentiel de court terme
Nous allons considérer une économie très simple dans laquelle existent des producteurs
et des consommateurs. Les premiers produisent un bien homogène que les seconds
consomment. Nous supposons que les producteurs sont tous identiques. En particulier,
ils ont la même fonction de coût de production Γ(y) avec y la quantité de bien produit.
Par hypothèse, nous supposons que le coût marginal de production est positif 0
y
Γ>
et croissant ( 0
yy
Γ>) ce qui signifie simplement que la production est l'objet de
rendements d'échelle décroissants. Par ailleurs, les consommateurs sont également
identiques et dérivent une utilité U(y) de la consommation d'une quantité y de bien.
Nous faisons les hypothèses suivantes : 0
y
U> et 0
yy
U. L'hypothèse d'utilité
marginale décroissante reflète un mécanisme de satiété : l'utilité tirée de la
consommation d'une unité de bien diminue avec la quantité de bien déjà consommée.
Enfin, nous supposons que le nombre de producteurs est égal au nombre de
consommateur et que ces producteurs et ces consommateurs opèrent sur un marché
concurrentiel.
Définition : Un marché est concurrentiel quand les producteurs et les consommateurs
considèrent que le prix de marché est donné, c'est-à-dire qu'ils considèrent que l'effet
sur le prix de leur décision individuelle de consommation ou de production est
négligeable. On dit qu'ils sont "preneurs de prix" (price taker).
Nous allons maintenant caractériser l'équilibre concurrentiel et montrer qu'il correspond
à une situation économiquement efficace.
Le comportement des producteurs et des consommateurs
Pour caractériser l'équilibre, il faut d'abord décrire le comportement de ceux qui y
interviennent. Un producteur représentatif va produire la quantité de bien qui
maximise son profit :
max ( )
ypy y⋅−Γ
L'hypothèse de marché concurrentiel apparaît dans le fait que, dans ce programme
d'optimisation, le prix p ne dépend pas de y la variable de décision du producteur. La
Condition de Premier Ordre (CPO) de ce programme donne l'équation qui définit la
Les Instruments de Politique Environnementale 10
Polycopié DEERN, M. Glachant
quantité de bien qui sera produite et offerte sur le marché par le producteur s'écrit :
()
y
py.
C'est un résultat fondamental de microéconomie : sur un marché concurrentiel, un
producteur fixe son niveau de production en égalisant prix et coût marginal de
production.
Selon une logique similaire, le consommateur fixe son niveau de consommation en
maximisation son surplus :
max ( )
yUy p y−⋅,
ce qui conduit à :
()
y
pUy=
Sur un marché concurrentiel, le consommateur fixe sa consommation en égalisant le
prix et avec son utilité marginale.
L'équilibre concurrentiel de court terme
C'est la situation d'équilibre spontanée de l'économie que nous venons de décrire. Elle
est donc définie par trois conditions :
Les producteurs maximisent leur profit
Les consommateurs maximisent leur utilité
Les quantités offertes par les producteurs sont supérieures ou égales aux
quantités demandées par les consommateurs. C'est une contrainte technique qui
combinée à la première contrainte se transforme en une simple égalisation des
quantités offertes et demandées. Il serait en effet contradictoire avec l'objectif de
maximisation du profit de produire des quantités qui ne seraient pas vendues.
L'équilibre est qualifié de court terme car nous supposons que les producteurs
produiront quoi qu'ils arrivent, c'est à dire que nous supposons qu'ils ont déjà pris la
décision d'entrer sur le marché. Nous verrons plus loin dans la section 2.6 la notion
d'équilibre de long terme dans laquelle les décisions d'entrée-sortie des producteurs sont
endogènes à l'analyse.
Comme nous avons supposé que les producteurs et les consommateurs sont tous
identiques et qu'ils sont en même nombre. Les trois conditions se réécrivent alors :
Le producteur représentatif maximise son profit
Le consommateur représentatif maximise son utilité
La quantité produite par l'un = la quantité consommée par l'autre, quantité que
nous notons y
Ces trois conditions s'écrivent mathématiquement :
() ()
yy
pUy y==Γ
, (1)
A l'équilibre concurrentiel, l'utilité marginale du consommateur est donc égale au coût
Les Instruments de Politique Environnementale 11
Polycopié DEERN, M. Glachant
marginal du producteur. Dans la suite nous noterons p* et y* les valeurs de p et de y
qui respectent les équations (1) définissant l'équilibre concurrentiel.
L'optimalité de l'équilibre concurrentiel
Nous allons montrer que l'équilibre est économiquement efficace, ce qui signifie qu'à
l'équilibre, le bien-être social est maximisé. Nous définissons cette fonction décrivant
l'intérêt général comme la somme des surplus de tous les agents de l'économie. Là
encore, comme nos agents sont identiques et en nombre égal, on peut simplifier cette
fonction en ne considérant que le consommateur et le producteur représentatif.
L'optimum social correspond donc à :
[][]
max () () max () ()
yy
py y Uy py Uy y⋅−Γ + −⋅ Γ
On observe que le terme py disparaît de la fonction de bien-être puisqu'il s'agit d'un
transfert entre agents. On obtient alors directement la CPO qui coïncide bien avec
l'équilibre concurrentiel définie par (1).
() ()
yy
yUyΓ=
Ainsi, le marché concurrentiel conduit, sous les hypothèses posées, à une situation
économiquement efficace. Aucune intervention publique n'est nécessaire et la
concurrence suffit à coordonner les activités de chacun dans l'intérêt de tous. Nous
avons fait des hypothèses très simplificatrices en considérant des producteurs et des
consommateurs homogènes en nombres identiques, en assimilant optimum social avec la
somme des surplus (au lieu de considérer le concept plus général d'Optimum de
Pareto), et en considérant une économie avec un seul marché. Dans le cadre le plus
général, ce résultat reste valable et il s'exprime sous la forme de deux théorèmes : le
Premier Théorème Fondamental du Bien-être et le Second Théorème Fondamental du
Bien-être. En revanche, il n'est plus valable quand sont introduits des coûts externes et
de la pollution.
2.2 Introduction de la pollution
Nous allons maintenant faire l'hypothèse que la production de y s'accompagne d'une
quantité de pollution q. Cette pollution crée un dommage qui traduit en termes
monétaires est décrit par une fonction D(q). Nous supposons que 0
q
D> et 0
qq
D.
Avec la seconde hypothèse, nous interdisons simplement que le dommage
environnemental de la dernière unité de pollution diminue quand la pollution augmente,
ce qui paraît respecter une loi générale de fonctionnement des écosystèmes. Ce
dommage est supporté par des pollués que nous supposons distincts des producteurs et
des consommateurs. Relâcher cette hypothèse complexifierait légèrement le propos sans
affecter les résultats.
Par ailleurs, nous supposons que le producteur représentatif a maintenant un coût de
production qui dépend de la production et de la pollution : (, )yqΓ=Γ . Comme dans
la partie précédente, nous allons continuer à supposer que 0
y
Γ> et 0
yy
Γ>.
Les Instruments de Politique Environnementale 12
Polycopié DEERN, M. Glachant
Concernant la pollution, nous ferons l'hypothèse que 0
q
Γ< - plus la pollution
diminue, plus le coût de production augmente. Par définition - q
Γest le coût marginal
de dépollution (ou d'abattement). Nous supposerons ensuite que 0
qq
Γ< ce qui
revient à faire l'hypothèse de rendements décroissants dans la dépollution. Enfin nous
supposerons que 0
yq qy
Γ=Γ≤
. Commentons plus longuement cette dernière
hypothèse:
Si 0
yq qy
Γ=Γ=
, cela signifie que le coût marginal de production n'est pas
affecté par la pollution, et partant que le niveau de production n'est jamais
affecté par le niveau de pollution. Ainsi la production et la dépollution sont des
activités séparables pour le producteur. Pour réduire sa pollution, il utilise
toujours des technologies "bout de chaine" (qui ont un coût décrit par q
Γ et
qq
Γ) et n'a jamais recours à une réduction de sa production. Implicitement cela
signifie que, pour réduire sa pollution, le coût des solutions "bout de chaine" est
toujours inférieur au profit perdu par une réduction de la production conduisant
à une réduction de la pollution équivalente.
Si 0
yq qy
Γ=Γ<
, le coût marginal de production diminue avec le niveau de
pollution. Contrairement au cas précédent, production et pollution sont liés.
Pour réduire sa pollution, le producteur va combiner les solutions "bout de
chaîne" et une réduction de la production.
L'optimum social
Avant de caractériser l'équilibre concurrentiel, nous allons identifier la situation
optimale. Elle est la solution de la maximisation d'une fonction de bien être qui inclut
maintenant le dommage environnemental :
(,) () (,) ()Wyq Uy yq Dq=−Γ
,
dont les CPO s'écrivent :
(,) (, )
(,) (, )
yy
qq
Uyq yq
yq D yq
⎧=Γ
−Γ =
(2)
On retrouve l'égalisation du coût marginal de production et de l'utilité marginale de
l'économie sans pollution. La nouveauté est la seconde condition qui prescrit
l'égalisation du coût marginal de dépollution avec le dommage marginal de la pollution.
Cette seconde condition reflète l'arbitrage entre les dommages générés par la pollution
et les coûts occasionnés par sa réduction. Nous allons voir que, sans intervention
publique, le marché concurrentiel ne permet plus d'atteindre cet optimum.
L'équilibre concurrentiel sans intervention publique
Il satisfait les deux conditions de maximisation de profit et de surplus consommateur et
la condition d'égalité de la quantité produite et consommée, soit :
Les Instruments de Politique Environnementale 13
Polycopié DEERN, M. Glachant
,
max ( , )
yq py yq⋅−Γ ,
et max ( )
yUy p y−⋅
On remarque que le producteur a maintenant deux variables de choix y et q alors que le
consommateur ne choisit que son niveau de consommation y. Par ailleurs, on ne
considère pas le comportement des pollués puisqu'ils n'ont pas de décisions à prendre
(les variables de choix se limitent à y et q). Les CPO de ces deux programmes
d'optimisation privée définissent alors l'équilibre concurrentiel :
(, ) (, )
(,) 0
yy
q
pyqUyq
yq
⎧=Γ =
−Γ =
La comparaison de ces équations avec les équations (2) définissant l'optimum montre
immédiatement que la seconde condition fait diverger équilibre concurrentiel et
optimum social. A l'équilibre concurrentiel, on a :
trop de pollution
trop de production si 0
yq qy
Γ=Γ<
puisque l'excès de pollution va diminuer
le coût marginal de production et donc inciter le producteur à produire plus
Ces résultats sont présentés graphiquement dans la Figure 1. L'axe horizontal décrit le
niveau de pollution alors que l'axe vertical décrit les coûts et dommages marginaux liés
à la pollution. L'optimum social de dépollution q* correspond à l'intersection des deux
courbes. Ce niveau de pollution est inférieur au niveau de pollution spontanée du
producteur qui est en (définie implicitement par 0
q
−Γ = )
Figure 1 : Optimum social de pollution
Pollution,
q
q
−Γ
q
D
q* q
°
Les Instruments de Politique Environnementale 14
Polycopié DEERN, M. Glachant
L'analyse économique préconise alors une intervention publique pour amener le
producteur de en q*. Cette nécessité de l'intervention publique est fondamentalement
déterminée par le fait que le dommage est un coût externe.
Définition : un coût externe est un coût qui n'est pas supporté par celui qui en est à
l'origine et qui n'est pas prise en compte par le marché.
Pour le montrer, supposons que le producteur supporte le dommage dont il est à
l'origine. Il maximise alors ,
max ( , ) ( )
yq py yq Dq⋅−Γ − ce qui implique que
(,) (, )
qq
yq D yq−Γ = . L'équilibre concurrentiel coïncide cette fois avec l'optimum social.
Le coût externe est un cas particulier dans lequel le marché concurrentiel ne permet pas
d'atteindre l'optimum. Pour désigner ces situations, on utilise également le vocable plus
général d'imperfections de marché ("market failures").
2.3 La taxe à la Pigou
Des hypothèses modifiées
Nous allons maintenant identifier la politique qui permet de restaurer l'efficacité du
processus concurrentiel. Avant cela, nous allons modifier les hypothèses en
complexifiant l'aspect environnemental de notre économie et en évacuant sa dimension
productive. Plus précisément nous allons supposer que :
0
yq qy
Γ=Γ=
. Cela signifie que le coût de production et le coût de
dépollution sont additivement séparables : (,) () ()yq Vy CqΓ= +. Nous
supposerons toujours des rendements décroissants dans la dépollution et dans la
production. Cette hypothèse permet d'évacuer de l'analyse la question de la
production. Explicitons ce point en considérant par exemple le comportement
du producteur sur le marché concurrentiel. Il résout le programme
,
max ( ) ( )
yq py Vy Cq⋅− − . Mais parce que pollution et production sont
additivement séparés dans le programme, on peut parfaitement considérer qu'il
optimise séparément sa production et sa pollution, ce qui s'écrit :
max ( ) ()
min ( ) ( ) 0
y
y
q
q
py Vy pVy
Cq C q
⎧⋅
⎧=
⎪⎪
⎨⎨
⎪⎪
−=
⎪⎪
Comme nous sommes intéressés par la pollution, nous pouvons nous concentrer
sur le second programme d'optimisation et ignorer l'aspect productif dont
l'hypothèse de séparabilité implique qu'il est sans influence sur le comportement
environnemental du pollueur et plus globalement sur la politique
environnementale.
Les Instruments de Politique Environnementale 15
Polycopié DEERN, M. Glachant
Nous allons ensuite supposer que les producteurs ont des coûts de dépollution
différents. Pour cela, nous considèrerons que nous avons n producteurs et que le
coût de dépollution du pollueur i s'écrit ()
ii
Cq avec i
q le niveau de pollution
du producteur-pollueur i. Nous supposerons toujours que 0
i
q
C< et 0
i
qq
C<.
Nous supposerons qu'il existe un réglementeur en charge de l'intérêt général. Il
peut utiliser une taxe sur les émissions dont le taux est t, c'est à dire une taxe
qui fait payer au pollueur t sur chaque unité de pollution émise.
Avec ces nouvelles hypothèses, nous allons effectuer l'analyse en identifiant la réponse
d'un pollueur quelconque à la taxe, puis en caractérisant l'optimum social et enfin en
identifiant la taxe optimale qui permet de faire coïncider optimum social et réponses
environnementales des pollueurs.
Le programme du producteur i confronté à une taxe sur les émissions
Nous restreignons à la dimension environnementale de son comportement. Il cherche à
minimiser un coût qui est la somme de deux termes, le coût de dépollution et le
paiement de la taxe sur la pollution émise :
min ( )
i
ii i
qCq q t+⋅
,
ce qui conduit à la condition de premier ordre
()
q
ii
Cq t−=
, (3)
Cette équation décrit la fonction de réaction du pollueur i, c'est-à-dire le niveau de
pollution qu'il choisira d'émettre en réponse à une taxe au taux t. En l'occurrence, il
égalisera son coût marginal de dépollution avec le taux de la taxe. On peut remarquer
la proximité formelle avec le comportement concurrentiel du producteur qui fixe sa
production en égalisant son coût marginal de production avec le prix.
L'optimum de pollution
Comme nous nous restreignons à la dimension environnementale du problème, l'intérêt
général se résume à la somme des coûts de dépollution et du dommage environnemental
provoqué par la somme des émissions des producteurs. Parce que cette fonction ne
comporte que des coûts, on a coutume de l'appeler le coût social. Mathématiquement on
a :
1,.. ,.. 11
max ( )
ii
n
i
nn
i
qq q Cq D q
⎤⎛ ⎞
⎢⎥
⎢⎥
⎝⎠
∑∑
L'optimum est alors définie par les n CPO de ce programme qui s'écrivent :
11
( ) ... ( ) ... ( ) ( )
ii
in
qqqnq
Cq Cq C q D q−==−==− =
(4)
Nous noterons q1*, ... qi*,... qn* le n-uplet qui satisfait ces équations. On a comme
dans les cas analysés précédemment une égalisation des coûts marginaux de dépollution
avec le dommage marginal.
Les Instruments de Politique Environnementale 16
Polycopié DEERN, M. Glachant
La taxe Pigouvienne
Existe-t-il une taxe sur les émissions permettant d'atteindre l'optimum définie par (4) ?
La comparaison de (3)et (4) montre qu'il suffit de fixer une taxe d'un taux t* égal aux n
coûts marginaux des pollueurs et au dommage marginal :
11
* ( ) ... ( ) ... ( ) ( )
ii
in
qqqnq
tCq Cq CqDq=− = =− = =− =
L'efficacité de cette taxe pigouvienne repose sur deux propriétés :
La taxe pigouvienne est d'abord efficace car elle conduit à l'égalisation des coûts
marginaux de dépollution des n pollueurs. Or, cette égalisation permet de
minimiser la somme des coûts de dépollution pour atteindre une pollution totale
donnée comme nous allons le montrer dans la section suivante. C'est le principe
d'équimarginalité.
La taxe pigouvienne est efficace car elle permet d'obtenir un niveau de pollution
qui égalise les coûts marginaux de dépollution avec le dommage marginal. Elle
permet donc d'obtenir la quantité totale de pollution socialement efficace Q* =
Σ qi*.
L'optimalité de la taxe pigouvienne est valide dans un contexte particulier dont on doit
préciser une caractéristique essentielle. Le réglementeur est parfaitement informé. En
effet, pour déterminer la taxe optimale, il doit nécessairement connaître toutes les
fonctions de l'équation (4) définissant l'optimalité. En d'autres termes, il doit connaître
tous les coûts privés de dépollution et la fonction de dommage. Nous relâcherons plus
loin cette hypothèse.
2.4 Taxe et minimisation du coût agrégé de dépollution
Pour désigner cet aspect de l'efficacité, on parle souvent d'efficacité coût (traduction un
peu maladroite de cost efficiency), ou de ratio coût efficacité, voire d'efficacité
économique (ce qui est source de confusion puisque l'efficacité économique désigne pour
nous la maximisation du bien-être). Dans cette section, nous allons d'abord démontrer
deux résultats : (i) l'équivalence entre équimarginalité et minimisation du coût agrégé et
(ii) le fait que toute taxe sur les émissions permet de minimiser le coût d'atteindre d'un
objectif de dépollution.
Le premier résultat se démontre en écrivant le programme de minimisation du coût
agrégé pour atteindre un niveau quelconque de pollution totale Q > 0 :
1,.. ,.. 1
max ( )
i
n
i
n
i
qq q Cq
sous la contrainte
1i
n
Qq=
Pour résoudre ce programme de minimisation sous contrainte, le plus simple est décrire
le Lagrangien :
1,.. ,.. 11
min ( )
ii
n
i
nn
i
qq q Cq Q qλ⎛⎞
−−
⎝⎠
∑∑
,
Les Instruments de Politique Environnementale 17
Polycopié DEERN, M. Glachant
dont les n CPO correspondent bien à l'égalisation des coûts marginaux :
11
( ) ... ( ) ... ( )
i
in
qqqn
Cq Cq C q λ−==−==− =
Pour montrer que toute taxe sur les émissions, dont la taxe pigouvienne, il suffit
d'examiner l'équation (3). A partir du moment où tous les pollueurs sont confrontés à
un même taux de taxe, leur réponse à la taxe conduira spontanément à l'égalisation de
tous les coûts marginaux.
L'intuition générale de ce résultat est la suivante. La taxe différencie les efforts de
dépollution reflétés par le qi selon l'efficacité des firmes en matière de dépollution. En
effet sous l'effet d'une taxe, les firmes ayant un coût de dépollution plus faible, iront
plus loin dans la dépollution que les firmes les moins efficaces. En d'autres termes, la
taxe répartit efficacement l'effort de dépollution entre les firmes en incitant les pollueurs
les plus efficaces à faire plus de dépollution. La Figure 2 illustre cette idée en
représentant deux pollueurs 1 et 2 qui ont le même niveau initial de dépollution mais
dont le coût marginal diffère. En l'occurrence, le pollueur 1 est plus efficace dans la
dépollution et présente donc un coût plus faible. Chaque pollueur fixe son niveau de
pollution en égalisant son coût marginal avec le taux de la taxe représenté par la droite
horizontale t. On observe bien que le pollueur 1 dépollue plus que 2 ( 12
qq<).
Figure 2 : La différenciation du niveau de pollution par la taxe
2.5 L'efficacité de la norme différenciée, de la subvention à la dépollution
L'analyse menée jusque là ne constitue pas en soi une démonstration de la supériorité
de la taxe pigouvienne sur d'autres instruments, en particulier, la norme d'émission. Il
est vrai que la taxe pigouvienne est supérieure à une norme d'émission qui serait
uniforme au sens où elle imposerait à chaque pollueur le respect d'un même niveau
Pollution,
q
1
q
C
q1 q
°
2
q
C
t
q2
Les Instruments de Politique Environnementale 18
Polycopié DEERN, M. Glachant
maximal d'émission qm. En effet, une condition nécessaire pour qu'une telle norme soit
efficace est que :
1( ) ... ( ) ... ( ) ( )
m
in
qm q q m qm
Cq Cq C q Dq−====− = (5)
Or cette condition ne peut être vérifiée que si les coûts marginaux des pollueurs sont
identiques, ce que nous avons exclu par hypothèse. En pratique, les normes ont
généralement le caractère uniforme que nous venons de leur prêter. Mais, en théorie, on
peut également considérer des normes d'émission plus efficaces qui différencieraient les
niveaux de pollution prescrits à chaque firme. Ainsi, une norme différenciée qui
prescrirait q1* au pollueur 1, ... qi* au pollueur i,... et qn* au pollueur n permettrait,
comme la taxe pigouvienne, d'atteindre un optimum social.
A la place d'une taxe sur chaque unité de pollution, on peut également utiliser une
subvention assise sur chaque unité de dépollution. Pour le pollueur, les deux
instruments ont le même coût d'opportunité et aboutissent au même niveau de
dépollution. Pour le montrer, écrivons le programme d'optimisation privée du pollueur i
sujet à une subvention de taux s :
min ( ) ( )
iii
i
i
qCq s q q+⋅ ° ,
avec i
q° le niveau initial du pollueur. ( i
q°- i
q) est donc le niveau de dépollution. On
obtient alors une CPO quasi identique à celle de la taxe pigouvienne si ce n'est que le
taux de la taxe est remplacé par le taux de la subvention :
()
qi
i
Cq s−=
. (6)
Comme les conditions marginales de cette subvention et de la taxe pigouvienne sont
identiques, la réponse du pollueur sera le même que celle induit par une taxe
pigouvienne si le taux de subvention s* est égale à t*. Pourquoi alors ne pas utiliser une
subvention à la dépollution efficace ? C'est une question cruciale puisque les
subventions sont beaucoup plus populaires que les taxes auprès des pollueurs et donc
bien plus faciles à faire passer ‘politiquement’. Plus généralement, derrière cette
question, c'est le fondement économique du Principe Pollueur Payeur qui est en
discussion.
En fait, nous allons voir que cette équivalence entre taxe pigouvienne, subvention
"pigouvienne" et norme différenciée ne tient plus à partir du moment où l'on intègre
dans le raisonnement les décisions des producteurs d'entrer ou de sortir du marché des
biens. Pour le montrer, un rappel de microéconomie sur la notion d'équilibre
concurrentiel de long terme est nécessaire.
2.6 Rappel de microéconomie : l'équilibre concurrentiel de long terme
Pour expliquer cette notion, nous allons reprendre le cas très simple de la section 2.1
dans laquelle l'économie se résumait à des producteurs et des consommateurs identiques
sans pollution. En particulier, nous continuerons à considérer que le producteur va
produire la quantité de bien qui maximise son profit :
max ( )
ypy y⋅−Γ (7)
Les Instruments de Politique Environnementale 19
Polycopié DEERN, M. Glachant
A ce stade du raisonnement, nous avions déduit dans la section 2.1 qu'il égaliserait son
coût marginal de production avec le prix. Ceci n'est vrai que si l'on suppose que sa
décision d'entrer sur le marché est déjà prise. Si on raisonne "à long terme", le
producteur ne produira que si son profit est positif au prix offert. La véritable
implication de (7) est donc :
() si () 0
0 sinon.
y
py pyy
y
⎧=Γ ⋅−Γ >
=
(8)
Le prix tel que le profit est nul est qualifié de prix limite. Ce prix est strictement positif
car il existe des coûts initiaux d'entrée sur un marché pour les producteurs
(construction d'une usine par exemple). Il faut alors que le prix soit au-dessus d'un
certain seuil pour justifier économiquement l'entrée.
Comme ce prix annule le profit, on peut écrire:
lim lim
() 0 ()/py y p yy⋅−Γ = => =Γ
Il est donc égal au coût moyen. (8) définit ce qu'on appelle la courbe d'offre inverse de
long terme du producteur dont la Figure 3 fournit une représentation graphique. Cette
courbe, en vert sur le schéma, décrit la quantité qui sera offerte par le producteur en
fonction du prix. ylim représente le niveau minimal de production en deçà duquel il
n'est pas rentable de produire. Par analogie, la courbe du coût marginal est la courbe
d'offre inverse de court terme.
Figure 3 : Courbe d'offre inverse de long terme et du court terme du producteur
courbe d'offre inverse de long terme
ylim
A partir de cette représentation de la courbe inverse individuelle, nous allons dériver la
courbe d'offre inverse de l'ensemble de l'industrie (= de l'ensemble des producteurs). Les
producteurs candidats sont tous identiques et ont donc la courbe d'offre individuelle de
la Figure 3. Pour construire la courbe de long terme, il est nécessaire au préalable de
Production,
y
cout marginal = offre inverse de court terme
y
Γ=
plim
Les Instruments de Politique Environnementale 20
Polycopié DEERN, M. Glachant
considérer les différentes configurations de court terme de l'industrie avec 1, 2, …n, etc.
producteurs. Dans un second temps, nous identifierons la configuration qui émergera à
l'équilibre de long terme. Comme les producteurs sont identiques, les courbes de court
terme de l'industrie sont simplement : y
Γ, 2 y
Γ, …n y
Γ, etc. Nous les avons
représentées sur la Figure 4. Nous y avons également ajouté le prix limite qui est
commun à tous les producteurs puisqu'ils sont identiques. Nous allons maintenant
montrer graphiquement que la courbe d'offre de long terme correspond à l'ensemble des
segments verts.
Figure 4 : Courbe d'offre inverse de long terme de l'industrie
ylim 2ylim 3ylim 4ylim
Pour cela, nous allons parcourir l'axe horizontal de la production. Considérons d'abord
les niveaux de production strictement inférieurs à ylim. A ces niveaux, toutes les
courbes d'offre de court terme avec 1, 2, 3, etc. producteurs fournissent un niveau de
prix inférieur à plim y compris la configuration la plus favorable avec un seul
producteur. Aucune configuration n'est donc possible et personne n'entre sur le marché.
Le niveau de production reste donc nul.
Quand le niveau de production atteint ylim, une configuration de marché avec un
producteur devient possible puisque, à ce niveau de production, un producteur peut
produire de manière rentable, c'est-à-dire à un prix supérieur ou égal à plim. En
revanche, s'ils sont deux ou plus, le prix tombe sous plim. A ce niveau de production,
seule une configuration avec un seul producteur est donc possible. Le niveau de
production augmentant, ce producteur va rester seul sur le marché tant que la
production restera inférieure à 2ylim. En effet, jusqu'à ce niveau de production, une
configuration à deux producteurs (représentée par la courbe d'offre de court terme 2 y
Γ)
n'est pas soutenable puisqu'elle conduirait à un prix p < p
lim. La situation change
quand la production atteint 2ylim. La configuration avec deux producteurs devient
soutenable (p = p
lim). Le second producteur entre donc sur le marché. Puis, ils
Production,
y
plim
y
Γ
3y
Γ
2y
Γ
4y
Γ
Les Instruments de Politique Environnementale 21
Polycopié DEERN, M. Glachant
augmentent leur production jusqu'à atteindre 3ylim ce qui déclenche l'entrée d'un
troisième producteur. Ce schéma se reproduit avec une entrée à chaque fois qu'est
atteint un niveau de production égal à un multiple de ylim. Au final, la courbe de long
terme est représentée par l'ensemble des segments verts. En approximation, on peut
représenter cette courbe par une droite horizontale égale au prix limite (et donc au coût
moyen) comme dans la Figure 5.
Sur cette figure, nous avons également représenté la courbe de demande inverse qui
décrit la quantité qui sera demandé par les consommateurs aux différents niveaux de
prix.1 L'équilibre concurrentiel de long terme correspond à l'intersection de la courbe
d'offre et de demande. Dans ce cas particulier, on observe que le nombre de producteurs
à l'équilibre est de 4 (puisque 3ylim > y* > 4ylim)
Figure 5 : L'équilibre concurrentiel de long terme
Offre inverse de long terme
ylim 2ylim 3ylim 4ylim
y*
Cet équilibre de long terme est efficace pour deux raisons :
Selon une logique de court terme, il y égalisation des coûts marginaux des
producteurs entrés dans l'industrie et de l'utilité marginale du consommateur
représentatif
Selon la logique de long terme, la configuration de l'industrie avec 4 producteurs
est celle qui minimise le coût agrégé de production. Le raisonnement permettant
d'établir cette proposition est le suivant. Comme les coûts marginaux de
1 Si cette demande se résume au consommateur représentatif de la section 2.1, sa consommation sera
implicitement définie par l'égalisation du prix et de son utilité marginale. Il demandera donc une quantité
1()
y
yU p
=.
Production,
y
plim
Demande inverse
Les Instruments de Politique Environnementale 22
Polycopié DEERN, M. Glachant
production sont croissants, la minimisation du coût agrégé exige qu'il y ait le
plus de producteurs possibles. En effet, plus ils seront nombreux, plus l'échelle
de production sera faible et plus les coûts moyens seront faibles. Or la
configuration avec 4 producteurs est celle qui comporte le plus de producteurs.
Au delà, les configurations avec 5, 6 voire plus de producteurs ne sont plus
soutenables puisqu'elles conduisent à un prix d'équilibre inférieur au prix limite
(cf. la Figure 4).
2.7 Sur le long terme, la taxe pigouvienne est supérieure à la norme
différenciée ou à la subvention
Ce rappel de microéconomie permet de démontrer rapidement ce résultat. L'intuition
générale est que ces instruments ont un effet différencié sur la rentabilité des
entreprises. En l'occurrence, la taxe diminue la rentabilité et donc l'incitation pour les
producteurs à entre sur le marché (ou augmente l'incitation à sortir du marché). Pour
effectuer la démonstration, il suffit de calculer les prix limite sous les différentes
politiques environnementales en considérant un producteur représentatif dont la
fonction de coût de production-dépollution est Γ(y, q) :
Avec une taxe pigouvienne t*, le prix limite est tel que :
lim lim
(, ) * *
(, ) * *
taxe taxe yq t q
py yqtq p y
Γ+
⋅−Γ − ⋅ => =
Avec une norme différenciée qui prescrit q*, il est tel que
lim lim (, )
(, )
norme norme yq
pyyq p y
Γ
⋅−Γ => =
Enfin avec une subvention s*, il est tel que:
lim lim (, ) *( )
(, ) *( )
subv subv yq s q q
pyyqsqq p y
Γ− °
⋅−Γ + ° => =
On observe immédiatement que : lim lim lim
subv norme tax
pp p<<
. Dans la Figure 6, nous
considérons l'effet de ces différents prix limite sur l'équilibre de long terme. Avec la
taxe, l'équilibre comporte moins de producteurs (2 sur l'exemple de la Figure 6, contre 3
avec la norme et 4 avec la subvention). A l'équilibre, la production totale et donc la
pollution totale sous un régime de taxe est donc plus faible qu'avec la norme et a
fortiori la subvention.
Les Instruments de Politique Environnementale 23
Polycopié DEERN, M. Glachant
Figure 6 : L'équilibre concurrentiel de long terme sous différents instruments
ylim 2ylim 3ylim 4ylim
Il reste à démontrer que cette restriction de l'entrée, et donc de la production totale et
de la pollution, est socialement optimale. Pour cela, il suffit de mobiliser le Principe
d'Internalisation des Coûts Externes. La grande différence entre la taxe et les deux
autres options est qu'elle fait supporter au pollueur tous les coûts liés à l'impact
environnemental de son activité. En effet, il paye les coûts de dépollution et les coûts
externes via la taxe dont le taux est égal au dommage marginal. Dans le cas de la
norme, il ne paye que les coûts de dépollution. Dans le cas de la subvention, il ne paye
même pas les coûts de dépollution puisqu'il jouit en fait de la différence, positive, entre
le coût de dépollution et la subvention perçue.
Seule la taxe fait donc supporter au pollueur la totalité des conséquences de son activité
productive sur l'économie. Cela assure, que quand il prendra sa décision d'entrée sur le
marché, cette décision coïncidera avec l'intérêt général : il n'entrera que si les bénéfices
de cette entrée sont supérieurs au coût social de son activité. Pour résumer, la
supériorité de la taxe réside dans sa capacité à envoyer aux agents économiques un
signal de long terme reflétant le coût social de leur activité.
Remarquons que, en théorie, on pourrait restaurer l'efficacité de la subvention ou de la
norme différenciée en la combinant avec une intervention publique qui imposerait par la
réglementation le nombre optimal de producteurs dans les secteurs concernés. Mais c'est
une solution qui démultiplierait le nombre nécessaire d'instruments et provoquerait un
saut dans la complexité des politiques environnementales.
2.8 Les conditions de validité des résultats
La supériorité de la taxe pigouvienne sur les autres instruments (normes, subventions)
n'est valable que dans un contexte concurrentiel dans lequel les entrées sorties sont
libres. On dit aussi qu'il n'existe pas de barrières à l'entrée. C'est une condition qui peut
être très restrictive. Par exemple, dans la pratique, la subvention environnementale est
Production,
y
lim
norme
p
Demande inverse
lim
subv
p
lim
tax
p
Les Instruments de Politique Environnementale 24
Polycopié DEERN, M. Glachant
fréquemment utilisée dans le domaine agricole. Or dans certains secteurs agricoles,
l'entrée et la sortie sont strictement réglementés. Ainsi, la production laitière est régulée
par des quotas laitiers. Dans ce secteur, l'effet de long terme négatif de la subvention
(et de la norme dans une moindre mesure) n'existe donc pas. Dans le domaine de
l'élevage industriel de porcs qui est très subventionné à des fins environnementales via
le Protocole de Maîtrise des Pollutions Agricoles (PMPOA), l'analyse est sans doute
plus complexe. L'entrée est strictement réglementée dans les zones d'excédents
structurels. Mais dans cette activité économique, la compétition est tellement intense
que l'enjeu économique majeur concerne la sortie plus que l'entrée. Et le PMPOA
distord clairement les choix de long terme des producteurs bretons en diminuant leurs
incitations à sortir de cette activité. La subvention y est donc une solution a priori
inefficace.
La libre entrée-sortie est une première condition de validité. Mais la condition la plus
exigeante est qu'ils ne sont valables qu'en information parfaite. Plus précisément, nous
avons implicitement fait l'hypothèse que :
Les consommateurs connaissaient leur fonction d'utilité pour prendre leur
décision de consommation
Chaque producteur i connaissait sa fonction de coût pour prendre ses décisions
de production et de pollution
L'autorité publique connaissait les coûts privés de chaque producteur et le
dommage environnemental. Ces informations lui sont en effet nécessaires pour
paramétrer la taxe pigouvienne en conformité avec le système d'équations (4).
Les hypothèses informationnelles sur les producteurs et les consommateurs ne posent
pas de problème en première approche même si certaines analyses plus pointues tentent
de les relâcher pour étudier certains phénomènes (les inefficacités organisationnelles des
entreprises par exemple). La dernière hypothèse est beaucoup plus difficilement tenable.
En particulier, concernant les coûts de dépollution, l'hypothèse selon laquelle une entité
centralisée comme le réglementeur est capable de connaître parfaitement les ingrédients
des décisions de chaque producteur est irréaliste. Il est beaucoup plus raisonnable de
raisonner sur une hypothèse d'asymétrie informationnelle selon laquelle le réglementeur
est moins informé que les agents sur les coûts privés. La section suivante discute les
conséquences du relâchement de cette hypothèse.
Les Instruments de Politique Environnementale 25
Polycopié DEERN, M. Glachant
3 L'incertitude du réglementeur sur les coûts et les dommages
Dans cette partie, nous allons considérer un réglementeur imparfaitement informé et
analyser l'effet relatif sur les différents instruments de cette imperfection
informationnelle. Ce relâchement des hypothèses informationnelles a essentiellement été
opéré dans deux articles de Baumol (1972) et de Weitzman (1974) qui se concentraient
à l'époque sur une comparaison de la taxe et de la norme d'émission.
3.1 Le second rang à la Baumol (1972)
Le raisonnement
Il est très simple. Baumol postule que le réglementeur connaît mal les coûts et les
dommages. En particulier, pour lui, la connaissance du dommage de la pollution est
particulièrement difficile. Cette information est très atomisée car détenue par des
individus-pollués et est difficilement évaluable sous une forme monétaire. Cela le
conduit à prendre pour donnée l'ignorance du réglementeur en la matière. Sa solution
est alors d'être analytiquement modeste en oubliant la taxe optimale et en développant
une approche de second rang. Il propose de scinder le problème général en deux
questions :
Le choix de l'objectif global de pollution que la politique environnementale se
propose d'atteindre (Q = Σqi).
Le choix des instruments pour atteindre cet objectif, avec un critère de
minimisation du coût agrégé
Il propose de limiter l'analyse économique à la seule seconde question, et de laisser au
processus politique le soin de fixer l'objectif. On abandonne ainsi la maximisation du
bien-être comme critère normatif pour le remplacer par un critère plus modeste : la
minimisation des coûts de dépollution, ce qui conduit ainsi à un optimum de second
rang). Or, nous avons vu que n'importe quelle taxe sur les émissions permettait
d'égaliser les coûts marginaux de dépollution et donc de minimiser la somme des coûts
de dépollution supportés par les pollueurs pour atteindre un objectif environnemental
donné. La taxe sur les émissions paraît donc l'instrument idéal.
Il reste un problème. L'instrument choisi doit permettre d'atteindre l'objectif Q de
pollution que l'on s'est donné politiquement. Or de ce point de vue, la réponse
environnementale agrégée des pollueurs à la taxe est entachée d'incertitude. En effet,
elle résulte des arbitrages réalisés par chaque pollueur entre son coût privé de
dépollution et le niveau de taxe. Comme le réglementeur est imparfaitement informé
sur les coûts privés, il ne peut prédire avec certitude le niveau de pollution qu'il
obtiendra avec une taxe t.
Pour contourner cette difficulté, Baumol propose une procédure de tâtonnement : le
réglementeur impose arbitrairement un niveau de taxe puis observe le résultat
environnemental obtenu. Il ajuste ainsi par tâtonnements successifs le niveau de taxe
jusqu'à obtenir l'objectif de dépollution fixé.
Les Instruments de Politique Environnementale 26
Polycopié DEERN, M. Glachant
En résumé, pour Baumol, dans une approche de second rang à objectif fixé, la taxe est
supérieure à la norme car elle permet spontanément de minimiser le coût agrégé de
dépollution.
Discussion
L'analyse de Baumol peut faire l'objet des commentaires suivants :
Une norme différenciée pourrait également minimiser les coûts. Mais, c'est
pratiquement impossible car le réglementeur ne peut parfaitement différencier
les normes individualisées de chaque pollueur car il connaît mal les coûts privés.
Au fonds, la supériorité de la taxe sur la norme tient à la logique de
décentralisation qu'elle met en œuvre. C'est le pollueur parfaitement informé sur
son coût qui prend la décision de dépollution dans un régime de taxe ; avec une
norme, cette décision est prise par un réglementeur central mal informé.
La solution du tâtonnement proposée par Baumol n'est pas totalement
convaincante. Elle suscite des obstacles pratiques. En particulier, dépolluer
implique souvent des investissements difficilement réversibles (on parle alors de
coûts échoués, "sunk costs"). Face à ce type de coût, le tâtonnement peut être
très coûteux pour les pollueurs. A tout le moins, l'analyse devrait intégrer cet
aspect.
Plus généralement, cette discussion sur le tâtonnement pointe une faiblesse de la
taxe par rapport à la norme : avec une norme, le réglementeur prescrit
directement le résultat environnemental. Cette différence de comportement de la
taxe et de la norme tient à la variable de contrôle aux mains du réglementeur.
Dans un cas, c'est un prix ; dans l'autre, c'est une quantité de pollution. Cette
distinction est au cœur de l'analyse de Weitzman que nous allons présenter dans
la section suivante.
Au final, taxe et norme présentent des avantages différents : la taxe permet la
minimisation des coûts de dépollution alors que la norme permet d'atteindre
l'objectif fixé en toute certitude
3.2 Prices versus quantities (Weitzman, 1974)
C'est le titre très célèbre de l'article de Weitzman (1974). Dans le même esprit que
Baumol, il va plus loin et permet d'identifier les conditions dans lesquelles l'un des
instruments l'emportera sur l'autre. Comme Baumol, son point de départ est de
considérer que, dans tous les cas, le réglementeur prend une décision en situation
d'incertitude à la fois sur les coûts de dépollution et sur les dommages. Cette
incertitude va alors générer des "erreurs" de la part du réglementeur dans la définition
de sa politique. Pour comparer les instruments, la démarche théorique de Weitzman est
alors de mesurer les coûts de ces erreurs selon l'instrument utilisé. Les résultats de
Les Instruments de Politique Environnementale 27
Polycopié DEERN, M. Glachant
Weitzman sont au final déterminés par une différence de comportement de la taxe et de
la norme que représente la Figure 7.
Nous considérons un pollueur représentatif dont le coût marginal de dépollution est
q
C. Confrontée à l'incertitude, le réglementeur réalise lui une estimation du coût que
nous représentons par la courbe estimé
q
C et qui a toutes les chances d'être différente
de la vraie courbe. Sur la base de cette estimation, il prédira une réponse qprédit du
pollueur alors que la réponse sera au final qobservé. L'ampleur de l'erreur sur le niveau de
pollution est représentée par la flèche rouge. Les résultats de Weitzman sont
fondamentalement déterminés par le fait que cet écart dépend de la pente du coût
marginal. Plus la pente est importante, moins l'écart est important.
Figure 7 : La différenciation du niveau de pollution par la taxe
A l'aide de la Figure 8, nous allons maintenant expliquer graphiquement le résultat de
Weitzman selon lequel l'efficacité relative de la taxe sur la norme dépend du ratio
"pente du coût marginal -pente du dommage marginal". Le schéma compare deux
situations dans lesquelles le ratio "pente du coût marginal / pente du dommage
marginal" est inférieur ou supérieur à l'unité. Pour simplifier la présentation, nous
supposons que l'incertitude pour le réglementeur ne porte que le coût de dépollution. Le
raisonnement n'est pas modifié sur le fonds à partir du moment où l'on intègre
également l'incertitude sur le dommage environnemental.
Prenant pour base son estimation du coût, le réglementeur fixe une taxe t qui égalise
coût marginal estimé et dommage marginal. Alternativement, il peut choisir la norme N
qui permet d'atteindre le niveau optimal estimé de pollution.
Une fois mis en place l'une ou l'autre de ces politiques, le pollueur s'ajuste (en prenant
en compte le coût véritable) et dépollue à un niveau q(t) dans le cas de la taxe ou N
dans le cas de la norme. Les surfaces colorées correspondent alors à la perte de bien être
occasionnée par cette erreur par rapport à l'optimum réel de pollution q*. On vérifie
Pollution,
q
q
C
qobservé
estimé
q
C
t
qprédit
Erreur
Les Instruments de Politique Environnementale 28
Polycopié DEERN, M. Glachant
alors que la norme est préférable quand le ratio R est inférieur à 1 alors que la taxe
domine dans le cas contraire.
Concrètement, ce résultat permet de justifier la préférence de la norme par rapport à la
taxe dans le cas des émissions nucléaires, par exemple, qui se caractérisent par une
pente très élevée des dommages et plus globalement la préférence de la norme pour
réglementer les problèmes de sécurité et de pollutions accidentelles.
Figure 8 : Taxe et norme en situation d'incertitude sur les coûts de dépollution
Perte de bien-être avec la taxe
Perte de bien-être avec la norme
Instruments "quantité" versus instruments "prix"
Comme nous l'avons déjà évoqué, la différence de comportement de la taxe et de la
norme en situation d'incertitude sur les coûts et les dommages est liée à la nature de la
variable de contrôle, i.e. de la variable d'action du réglementeur. Dans le cas de la taxe,
il s'agit du taux de taxe qui est homogène à un prix. Dans le cas de la norme, il s'agit
d'un niveau d'émission homogène à une "quantité". En situation d'incertitude, une
variable de contrôle "prix" introduit une incertitude supplémentaire par rapport à une
approche "quantité": le réglementeur ne saura pas de façon certaine l'effet d'un
changement du niveau de taxe sur le résultat environnemental.
Cette dichotomie instrument "prix" versus instrument "quantités" ne recoupe pas la
dichotomie entre instrument réglementaire et instrument économique. Comme nous le
D
q
-C
q
-Cq
estimé
t
q
(
t
)
N
q
*
q
*
N
t
R
=
-C
qq /
D
qq
<
1
R
=
-C
qq /
D
qq
>
1
D
q
-Cq
estimé
-C
q
q
(
t
)
Les Instruments de Politique Environnementale 29
Polycopié DEERN, M. Glachant
verrons plus loin, les systèmes de permis négociables sont des instruments "quantités"
dans la mesure où la variable de contrôle, i.e. le nombre de permis est homogène à une
quantité. Les permis négociables présentent donc des propriétés comparables à celles de
la norme en la matière. Par ailleurs, la subvention sur la dépollution est également un
instrument "prix" qui se comporte en la matière comme la taxe.
Les Instruments de Politique Environnementale 30
Polycopié DEERN, M. Glachant
4 La différenciation spatiale des dommages
Jusque là, nous avons fait l'hypothèse que les dommages liés aux émissions étaient
identiques quel que soit le pollueur émetteur. Ceci nous a permis d'écrire une fonction
de dommage sous la forme D = D (
Σqi). Or dans de nombreux cas, l'identité du
pollueur, ou plus précisément sa localisation géographique, n'est pas neutre pour le
dommage provoqué. On a donc D = Σ Di(qi). Par exemple, en matière de pollution de
l'eau, les pollutions émises en amont des bassins versant ont des effets plus importants
que celles qui sont rejetées en aval, près de l'embouchure des fleuves et donc près de la
mer qui va les disperser. De la même manière, le fait que les pollués soit en amont ou
en aval n'est pas neutre non plus. S'ils sont localisés en amont, ils ne supportent que les
pollutions d'origine amont. En aval, ils supportent l'ensemble des pollutions aval et
amont. Intuitivement, on devine que cela nécessite de différencier spatialement les
objectifs de dépollution. En l'occurrence, la politique de l'eau dans le bassin versant doit
être plus rigoureuse avec les pollueurs situés en amont. La dimension spatiale n'est pas
seulement importante pour la pollution de l'eau. De nombreuses pollutions
atmosphériques locales ou régionales sont également concernées (SO2, ozone
atmosphérique, dioxines). Qu'advient-il à la taxe pigouvienne dans ces contextes ?
4.1 Les notions de source, de récepteur et de coefficient de transfert
Pour traiter cette question plus rigoureusement, nous allons introduire deux notions :
celle de source et celle de récepteur. Une source est un point d'émission de la pollution
(une usine, une station d'épuration). Un récepteur est un point où l'on s'intéresse au
niveau de pollution ambiante, c'est à dire au niveau de pollution dans l'environnement à
proximité du récepteur. Par exemple, dans le cas d'une rivière, un récepteur peut être le
captage d'eau pour produire de l'eau potable. Si des problèmes de santé ou
d'environnement se posent ailleurs, il peut y avoir d'autres récepteurs : sur le lieu d'une
baignade, au niveau d'un marais adjacent où vivent des espèces d'oiseau menacées, etc.
Typiquement, ces récepteurs sont judicieusement dispersés dans l'espace pour permettre
une bonne vision générale de la pollution.
De manière générale, il existe une relation entre les quantités émises par les n
différentes sources que l'on note comme précédemment 1,.., ,....
in
qqq
et le niveau de
pollution ambiante j
xj mesurés au niveau d'un récepteur quelconque j :
1
( ,.., ,.. )
i
jnj
xFqqq B=+
avec Bj, le niveau de la pollution de fonds. Souvent, on peut approximer cette relation
par une forme linéaire ce qui conduit à :
1i
n
jij j
i
xaqB
=
=⋅+
Les coefficients ij
asont appelés coefficients de transfert. Ils définissent la fraction de
Les Instruments de Politique Environnementale 31
Polycopié DEERN, M. Glachant
pollution émise au niveau de la source i qui sera transportée jusqu'au récepteur j, c'est à
dire le taux de conversion des émissions en pollution ambiante. Formellement, ils sont
définis par /
ij j i
axq=∂ .
4.2 Quels sont les niveaux optimaux d'émission des différentes sources ?
Pour éviter les calculs matriciels, nous allons considérer un cas simple avec un seul
récepteur et n sources. La fonction de transfert se résume donc à :
1i
n
i
i
xaqB
=
=⋅+
(9)
Le dommage dépend de la pollution ambiante ; nous aurons donc D = D(x) et nous
continuons à faire les hypothèses que 0 et 0
xxx
DD>≥. Avec ces hypothèses le
programme d'optimisation sociale s'écrit :
1,.., , 1
min ( ) ( )
i
n
n
i
qqx
i
Cq Dx
=
+
, (10)
sous la contrainte (9). On substitue (9) dans (10) et on obtient :
1,.., 11
min ( )
ii
n
nn
ii
qq ii
Cq D a q B
==
⎛⎞
+⋅+
⎝⎠
∑∑
Les n CPO définissent alors l'optimum :
111
() ()
() ()
() ()
i
qx
i
qix
n
qn n x
Cq a Dx
Cq a Dx
Cq a Dx
−=
−=
−=
#
#
(11)
On remarque alors que le niveau optimal de pollution de chaque source est influencé
par son coefficient de transfert. Plus le coefficient est élevé, plus le niveau est faible : la
politique optimale est plus exigeante avec les sources à plus grand pouvoir polluant. La
seconde remarque est que les coûts marginaux ne sont plus égaux à l'optimum puisque
les coefficients de transfert sont différents.
4.3 Quelle est alors la taxe pigouvienne ?
Chaque pollueur continue d'égaliser la taxe avec son coût marginal. Etant donnée cette
fonction de réaction, le taux de la taxe optimale doit donc être individualisé. En
l'occurrence le pollueur i doit être soumis à une taxe *(*)
iix
taDx= avec x* la pollution
ambiante optimale définie implicitement par le système d’équations (11).
Nous avons raisonné avec un récepteur unique. S'il y a k récepteurs, le réglementeur
doit définir un taux de taxe pour le pollueur i pour chaque récepteur, le taxe totale
Les Instruments de Politique Environnementale 32
Polycopié DEERN, M. Glachant
étant égale à la somme de ces taxes élémentaires.
Cela a des conséquences sur le résultat de Baumol et la capacité des taxes à minimiser
le coût agrégé. Quand il y a différenciation des dommages, une taxe uniforme ne
minimise plus le coût agrégé pour atteindre un niveau de pollution ambiante donné. On
peut le montrer rapidement en résolvant le programme de minimisation du coût pour
une pollution ambiante x quelconque :
1,.., 1
min ( )
i
n
n
i
qq i
Cq
=
sous la contrainte
1i
n
i
i
xaqB
=
=⋅+
,
dont le Lagrangien s'écrit :
1,.., 11
min ( )
ii
n
nn
ii
qq ii
Cq x a q Bλ
==
⎛⎞
−− ⋅
⎝⎠
∑∑
Les n CPO s'écrivent alors :
111
()
()
()
i
q
i
qi
n
qn n
Cq a
Cq a
Cq a
λ
λ
λ
−=
−=
−=
#
#
On observe bien que la minimisation des coûts est maintenant en contradiction avec
l'égalisation des coûts marginaux que permet spontanément la taxe à taux uniforme.
Ainsi la spatialisation des dommages induit une forte complexification de l'usage des
taxes puisqu'il devient nécessaire de différencier les taux de taxe auxquelles sont soumis
les différents pollueurs. Il en va de même avec les autres instruments, notamment les
normes. Mais, quand les émissions entraient de manière additive dans la fonction de
dommage, la norme optimale exigeait déjà être différenciée pour être efficace. Avec la
différenciation spatiale des dommages, cette exigence touche maintenant la taxe. La
taxe perd ainsi une partie de son avantage sur la norme.
Parce qu’il serait administrativement très coûteux de différencier au niveau de chaque
source l’instrument, une solution est de différencier la politique environnementale selon
un zonage différenciant spatialement la rigueur des obligations réglementaires,
différenciant les taux de taxe, de subvention etc. C'est ce que font les Agences de l'Eau
avec les zones de redevance pollution par exemple.
En résumé, la différenciation spatiale des dommages rend la taxe d'un maniement
délicat puisqu'il faut en différencier les taux selon les pollueurs. Elle perd une partie des
ses avantages relatifs sur la norme dans ces contextes. En particulier, on ne peut plus
obtenir aussi facilement une minimisation du coût agrégé de dépollution.
Les Instruments de Politique Environnementale 33
Polycopié DEERN, M. Glachant
5 Que faire de la recette de la taxe ?
La taxe est implicitement une tarification de la pollution qui affecte les droits de
propriété à la puissance publique. Elle concède des droits d'usage sur l'environnement
moyennant paiement financier ce qui assure des revenus utilisables par les autorités
publiques (Etat, Agences de l'Eau, collectivités locales). Que faire de ces flux financiers
en provenance des pollueurs ? En simplifiant, deux utilisations sont possibles : (i)
financer des subventions environnementales ou (ii) réduire d'autres taxes en respectant
une contrainte de neutralité budgétaire.
5.1 Le modèle de la taxe affectée
Les recettes sont affectées au financement de subventions de la dépollution dans le
même domaine. En France, les redevances perçues par les Agences de l'Eau relèvent de
cette logique. Dans le cas général, pour des raisons de praticabilité, les subventions ne
sont pas assises sur la quantité de pollution évitée ou supprimée comme les subventions
à la dépollution que nous avons analysées dans la section 2. Leur assiette est le coût
d'investissement dans le dispositif de dépollution. Par exemple, les Agences de l'Eau
financent environ 30-40 % du coût d'investissement d’une nouvelle station d'épuration.
Jusque la fin des années 1990, cette modalité d'utilisation de la recette concernait
également les taxes parafiscales gérées par l'ADEME (sur les déchets mis en décharge,
sur les émissions de SO2 et de NOx etc.). Mais la réforme de la TGAP sur lequel nous
reviendrons plus bas a modifié cette situation.
5.2 Le modèle du double dividende2
L'autre solution consiste à affecter les recettes au budget de l'Etat au même titre que les
autres impôts. Si l'on s'impose une contrainte de neutralité budgétaire, cette affection
permet alors de réduire d'autres taxes dites distorsives. Pour comprendre ce modèle,
nous allons nous arrêter sur cette notion de fiscalité distorsive qui est centrale dans
l'analyse économique de la fiscalité.
Un Etat doit lever des fonds pour financer ses activités et utilise pour cela l'outil fiscal.
Le problème est que la plupart des taxes introduisent des distorsions et des inefficacités
dans l'économie. Par exemple, une taxe sur le travail (les charges salariales) rend le
travail plus cher et incite les employeurs à acheter moins de travail ce qui diminue le
niveau d'emploi. L'impôt sur le revenu est désincitatif pour les hauts revenus : plus on
gagne, moins il est intéressant de faire des efforts supplémentaires pour gagner plus du
fait de la progressivité des taux. Les taxes sur le capital et sur l'épargne peuvent
susciter une fuite des capitaux vars des pays moins taxés etc. Dans tous ces exemples,
les inefficacités ont la même source : les taxes incitent des agents économiques
(employeurs, ménages à hauts revenus, etc.) à modifier leur comportement dans un sens
contradictoire avec l'intérêt général.
2 Pour aller plus loin sur le double dividende, voir par exemple le traitement très pédagogique de Parry et
Oates (1998)
Les Instruments de Politique Environnementale 34
Polycopié DEERN, M. Glachant
Le contraste est frappant avec les taxes environnementales puisqu'elles modifient
également les comportements des taxés (les pollueurs) mais dans un sens conforme à
l'intérêt général. D'où l'idée dite du double dividende conforme à la logique du "Faire
d'une pierre deux coups" d'utiliser les revenus de la fiscalité environnementale pour
diminuer les taxes distorsives. Dans un sens plus restreint, on considère le plus souvent
l'option de réduire la fiscalité sur le travail. D'où la notion d'un double dividende
environnement et emploi. Ce raisonnement paraît imparable. Il montre que la taxe
conduit à deux effets positifs :
Un effet direct sur le bien-être via l'internalisation des coûts externes
Un effet recyclage du revenu via la diminution de la fiscalité distorsive
Mais ce raisonnement omet un effet négatif sur le bien-être que Parry et Oates appelle
l'effet interaction des taxes. Appliquons le raisonnement en se limitant à un double
dividende emploi environnement et en considérant donc seulement la fiscalité sur le
travail. Cette fiscalité distord le marché du travail. En particulier, il existe un écart
significatif entre le salaire payé par l'employeur et le salaire net perçu par l'employé.
Cela implique que, en marginal, la valeur de la production supplémentaire générée par
la dernière unité de travail sera plus élevée que le coût réel du travail pour l'employé
(en termes de temps de loisir perdu, etc.).
Dans ce contexte, une taxe environnementale renchérit le coût de production. Dans la
mesure où une partie de ce surcoût est intégrée dans le prix des produits achetés par les
consommateurs, cela réduit leur revenu disponible et donc leur consommation. Par
ailleurs, l'augmentation des coûts de production va réduire les profits des producteurs
ce qui va également diminuer leur niveau de production et leur demande de travail. Au
final, on a une diminution de la production et donc du travail. Lequel de ces trois
effets va l'emporter ? Les modèles traitant cette question montre que cela dépend de la
structure de l'économie et qu'il n'y a pas de réponse générale. C'est un champ de
recherche encore très actif
5.3 Comparaison des deux modèles
Quels sont les mérites et inconvénients respectifs des deux approches ? Tout d'abord,
nous venons de montrer que l'efficacité macroéconomique du modèle double dividende
restait largement discutée entre les économistes. Mais le modèle de la taxe affectée
présente de nombreux défauts :
Le principe d’affectation contraint le choix de l'affectation de la dépense
publique puisque ex-ante, on définit une règle qui limite l'allocation des recettes
à un domaine précis. Dans un contexte qui évolue sans cesse, les contraintes a
priori sont inefficaces puisqu'elles interdisent des révisions des choix initiaux
qu'exigerait la nouvelle situation. C'est un argument très classique de la théorie
des finances publiques
Adopter le modèle de la taxe affectée consiste par définition à offrir des
subventions aux pollueurs ce qui a des effets pervers sur les décisions de long
terme d'entrée-sortie comme nous l'avons montré plus haut.
En outre, dans la pratique, l'assiette des subventions n'est pas la quantité
Les Instruments de Politique Environnementale 35
Polycopié DEERN, M. Glachant
dépolluée mais le coût d'investissement dans les équipements de dépollution.
Cette assiette particulière génère plusieurs distorsions supplémentaires. Primo,
ces subventions favorisent le contenu en capital de la dépollution par rapport au
contenu en travail et ne favorisent donc pas l'emploi. Secundo, on distingue
parfois deux grandes catégories de stratégies de protection de l'environnement :
(i) les stratégies de prévention, i.e. d'évitement de production de la pollution par
l'utilisation de technologies dites propres et (ii) les stratégies de réparation ou
curatives, i.e. de traitement et d'épuration de la pollution émise par des
technologies "bout de chaîne" ("end of the pipe"). A priori, les subventions sur
les investissements ont un effet incitatif asymétrique sur ces deux types de
stratégies. En l'occurrence, elles favorisent les stratégies curatives qui sont
généralement plus ‘investissements intensives’ que la prévention. Le modèle de
la taxe affectée tend donc à limiter la prévention.
Il est parfois avancé qu'un avantage de la taxe affectée est qu'elle démultiplie l'effet
incitatif et donc environnementale du dispositif : à l'effet de la taxe s'ajoute l'incitation
à la dépollution de la subvention. Ce n'est pas réellement un avantage. Cela signifie
simplement que si l'on veut conserver un même résultat environnemental avec une taxe
non affectée, il faut augmenter son taux. En revanche, il est clair présente des
avantages au niveau de l'acceptabilité par les taxés. Les agents taxés sont plus
favorables à ce schéma qu'au modèle double dividende puisque ils peuvent récupérer
sous la forme de subvention tout ou partie des taxes versées. Ce n'est pas strictement
un argument d'efficacité.
Le dernier volet de la comparaison est institutionnel. Le modèle de la taxe affectée
correspond à un modèle institutionnel dans lequel ceux qui décident des modalités de
redistribution sont des agences publiques spécialisées (l'ADEME, les Agences de l'Eau).
En général, elles associent à cette décision les taxés (cf. les Comités de Bassin pour les
Agences de l'Eau au sein desquels les usagers de l'eau et donc ceux qui payent les
redevances sont fortement présents). En revanche, une taxe non affectée est reversée au
Budget Général de l'Etat. Son utilisation fait donc l'objet d'une décision annuelle lors
du vote du budget par le Parlement. Qui est le mieux à même de défendre l'intérêt
général ? Des députés élus au suffrage universel ou des agences associant dans un souci
de démocratie les premiers concernés (version rose) ? Des députés ignorants des
questions d'environnement et soumis à toutes les pressions car obsédés par leurs
réélections ou des fonctionnaires sans vision politique et soucieux d'augmenter leur
pouvoir (version noire) ? Les économistes ont peu de réponses à ces questions.
Les Instruments de Politique Environnementale 36
Polycopié DEERN, M. Glachant
6 Les permis d’émission négociables (PEN)
Les permis négociables sont une invention théorique d'un économiste canadien, Dales,
développée dans un livre publié en 1969. Cette innovation n'a pour l'instant été
expérimentée en pratique qu'aux Etats-Unis pour gérer les émissions de dioxyde de
soufre par les centrales thermiques notamment et au Royaume Uni pour les émissions
de CO2. Ce développement encore limité des permis négociables dans les politiques
environnementales n'est pas si modeste si l'on considère le délai finalement court écoulé
depuis leur création théorique (30 ans). Faire le point sur l'efficacité de ces systèmes est
pourtant indispensable car ils constituent l'un des instruments clé dans le cadre du
Protocole de Kyoto sur l'effet de serre. En outre, une Directive européenne sur les
permis a été publiée en Octobre 2003. Elle prévoit la création d'un marché européen à
émettre du CO2 en janvier 2005.
6.1 Principe de fonctionnement
Deux systèmes sont possibles : le système "Cap and Trade" et le système "Baseline and
Credit".
Le système "Cap and Trade"
Sur une aire géographique donnée, le réglementeur définit d'abord un plafond d'émission
(un "cap" en anglais). Par exemple, il impose une limitation des émissions de SO2 à 150
000 tonnes par an. Ensuite, il distribue aux émetteurs une quantité de droit à pollueur
correspondant au plafond. Par exemple, il émet 150 000 droits à polluer qui autorise
leur possesseur à émettre une tonne de SO2 par an dans l'atmosphère. A ce stade, le
système a une logique de norme d'émission : chaque pollueur se voit imposer une
contrainte quantitative sur ces émissions. Mais le système diffère de la réglementation
du fait du caractère échangeable des droits sur un marché.
Les permis peuvent être distribués selon deux modalités principales :
par une distribution gratuite des droits aux pollueurs. Dans ce cas, la règle de
répartition la plus fréquente repose sur une allocation au prorata de leurs
émissions passées. On parle alors de "grandfathering".
Sur le marché, un prix va émerger de la confrontation d'une offre et d'une demande.
L'offre sera constituée des firmes dont le coût marginal de dépollution est faible. Cela
leur permet de dépolluer à bas coût et de libérer ainsi des permis qu'elles peuvent
vendre. Symétriquement, les firmes ayant des coûts marginaux plus élevés ont intérêt à
éviter de dépolluer en achetant des permis supplémentaires. Ces firmes constitueront la
demande sur le marché. Ainsi, l'échange naît de l'hétérogénéité des coûts de dépollution.
Si toutes les firmes avaient des coûts identiques, aucun échange ne serait profitable.
Les Instruments de Politique Environnementale 37
Polycopié DEERN, M. Glachant
par une vente aux enchères
Dans cette configuration, les permis sont vendus aux plus offrants par l'autorité
publique. De facto, les échanges de permis interviennent essentiellement entre les
pollueurs individuels et l'autorité publique. Dans ce système, les échanges entre
pollueurs sur le marché dit secondaire - par opposition au marché "primaire" constitué
par les enchères – sont a priori extrêmement limités puisque chacun a déjà réalisé les
arbitrages pollution-achat de permis lors des enchères initiales. On a donc un système
formellement très similaire à une taxe si ce n'est que le prix n'est pas fixé
administrativement mais par le mécanisme d'enchères.
Le système "Baseline and Credit"
Dans ce système, le réglementeur fixe un taux de réduction par rapport à une année de
référence (par exemple, - 30% de SO2 par rapport à 1995). Il distribue alors des crédits
d'émission qui exige de chaque pollueur par exemple de réduire leur émission de 30%
de SO2. Il peut parfaitement différencier l'objectif de chaque pollueur. Si à la fin de
l'année, le pollueur à fait plus, il peut revendre les crédits non utilisés à un pollueur qui
a fait moins. Par exemple, si le pollueur réalise - 35%, cela dégage une quantité de
permis correspondant à 5% de ses émissions qu'il vend sur le marché.
D'un point de vue économique, un système Baseline and Credit est identique à un
système Cap and Trade si ce n'est que les permis sont exprimés d'une façon différente.
6.2 Analyse économique en information parfaite
Nous allons montrer que : (i) un système de PEN peut être aussi efficace qu'une taxe
Pigouvienne et (ii) ce résultat ne dépend pas des modalités de l'allocation initiale de
permis. Nous allons considérer un système de Cap and Trade dans lequel le
réglementeur a distribué gratuitement les quantités 1, ..., ,...
in
AAA à n pollueurs. Nous
considérerons plus loin les autres modes d'allocation initiale.
En conservant les notations utilisées jusque là, le programme d'optimisation du pollueur
i s'écrit :
min ( ) ( )
ii
i
ii
qCq p q A+⋅ − . (12)
Le premier terme correspond au coût de dépollution, le second correspond au coût
d'achat de la quantité de permis. Cette quantité ()
ii
qA peut être positive si la
pollution est supérieure à l'allocation initiale ou négative. Dans ce dernier cas, le second
terme est la recette tirée de la vente des permis excédentaires. On fait l'hypothèse que
le marché des permis est concurrentiel, c'est à dire que le prix ne dépend pas de qi. La
CPO de ce programme s'écrit alors :
()
i
i
q
Cq p−=. (13)
On retrouve le résultat familier de l'égalisation du coût marginal et du prix.
Remarquons que la réponse environnementale du pollueur ne dépend pas de la quantité
de permis qui lui a été initialement allouée par le réglementeur.
Les Instruments de Politique Environnementale 38
Polycopié DEERN, M. Glachant
Quel sera l'équilibre du marché concurrentiel des permis ? Il est défini par deux
conditions : (i) les pollueurs maximisent leur profit ce que décrit l'équation (13) et (ii)
les quantités de permis achetées sont égales aux quantités vendues. Comme par ailleurs,
les pollueurs doivent détenir la quantité de permis correspondant à leur niveau
d'émission, cette seconde condition peut s'écrire Σ Ai = Σ qi. L'équilibre est donc décrit
par :
11
( ) ... ( ) ... ( )
i
in
qqqn
Cq Cq C q p−==−==− =
(14)
ii
ii
Aq=
∑∑
On remarque que, comme la taxe, un système de PEN permet spontanément la
minimisation du coût agrégé. La comparaison de (14) avec (2) montre qu'on peut
atteindre l'optimum social si :
i
q
i
pD q
⎛⎞
=
⎝⎠
(15)
Nous noterons p* le prix de ce système de PEN optimal. A la différence d'une taxe, le
réglementeur ne fixe pas le prix mais un plafond global. Pour satisfaire (15), il lui suffit
de fixer un cap Σ qi – et donc de distribuer une quantité globale de permis – qui
satisfasse :
11
( ) ... ( ) ... ( ) ( )
ii
in
qqqnq
Cq Cq C q D q−==−==− =
(16)
Les conditions marginales des PEN sont donc très similaires à celles d'une taxe
pigouvienne si ce n'est que la taxe t* est remplacée par le prix de marché p*. Les
propriétés en termes d'efficacité de court terme et de minimisation des coûts de
dépollution sont donc les mêmes.
A long terme, les propriétés sont également les mêmes à partir du moment où on ne
distribue pas au nouvel entrant des permis gratuits. En effet, pour entrer, il devra payer
ses émissions à des pollueurs déjà en place au prix du marché p* qui coïncide avec le
taux d'une taxe pigouvienne. De la même façon, les incitations à sortir du marché sont
les mêmes que pour une taxe pigouvienne : la seule différence est qu'au lieu
d'économiser une taxe t* par unité de pollution, il revend chaque unité de pollution au
prix p*.
Ces résultats ne sont pas modifiés si on considère d'autres modes d'allocation initiale des
permis. Par exemple, si les permis sont vendus aux enchères, cela se traduit
formellement très simplement en supposant que les 1,..., ,...
in
AAA sont nuls. Cela ne
change rien au résultat puisqu'ils n'interviennent pas dans les équations d'équilibre.
Pour résumer, en information parfaite, un système de PEN correctement calibré a la
même efficacité économique qu'une taxe Pigouvienne, et ce quel que soit le mode
d'allocation initiale choisi.
Les Instruments de Politique Environnementale 39
Polycopié DEERN, M. Glachant
6.3 Différences entre les PEN et les taxes sur les émissions
Nous venons de voir que les PEN avaient le même comportement que les taxes dans un
contexte d'information parfaite. Dès qu'on relâche cette hypothèse, les deux instruments
présentent des propriétés très différentes
Une variable de contrôle "quantité" comme la norme
Avec les permis négociables, la variable de contrôle du réglementeur est une variable
quantité : le plafond global d'émission ou un taux d'émission. Dans le cas d'une taxe, la
variable de contrôle est le niveau de taxe, i.e. une variable prix. De ce point de vue, le
système des permis est donc plus proche de la norme d'émission que de la taxe.
Comment s'appliquent alors les analyses de Baumol et de Weitzman dont nous avons
présenté les principes dans la section 3 ?
Dans le cadre d'une approche de second rang à la Baumol dans laquelle l'objectif
à atteindre est donné, un système de PEN combine les avantages de la taxe et
de la norme. En effet, comme c'est un instrument quantité, le réglementeur peut
paramétrer sans tâtonnement le système pour qu'il atteigne l'objectif. Il le fait
simplement en fixant le "Cap". Ensuite le marché conduit à une égalisation des
coûts marginaux et donc à la minimisation du coût.
Conformément à l'analyse de Weitzman, un système de PEN partage le même
comportement qu'une norme par rapport au ratio ratio "pente du coût marginal
de dépollution / pente du dommage marginal ". En l'occurrence, si ce ratio est
inférieur à 1, un système de PEN est plus efficace qu'une taxe
Dans le cas de systèmes avec allocation gratuite, un instrument ne générant
pas de revenu pour le budget public
Dans la pratique, les systèmes avec distribution initiale gratuite des droits sont
beaucoup plus fréquents que les dispositifs avec enchères. Cette caractéristique améliore
évidemment l'acceptabilité de l'instrument par les réglementés. C'est un avantage qui
n'est pas mince quand on constate la réticence des entreprises vis-à-vis des taxes. Dans
certains pays, par exemple les USA, les permis d'émission négociables sont ainsi les
seuls instruments économiques acceptables politiquement. Cela signifie également que
tout ce que nous avons dit sur le recyclage des revenus des taxes ne s'applique pas à ce
type de système de permis.
Un instrument flexible par rapport aux changements exogènes
Dans un système de permis négociables, le prix s'établit sur un marché. Dans le cas
d'une taxe, le "prix" - le taux de taxe - est déterminé par une autorité publique. La taxe
est donc un prix administré. Cette différence confère une bien plus grande flexibilité
Les Instruments de Politique Environnementale 40
Polycopié DEERN, M. Glachant
aux PEN en cas de choc exogène. En cas d'inflation par exemple, le prix sur le marché
des permis s'ajuste spontanément en suivant la hausse globale des prix. Avec une taxe,
les autorités publiques doivent réviser les taux de la taxe pour ne pas affaiblir le niveau
du signal délivré aux pollueurs. Ceci est source de coût administratif et de délai
d'ajustement que permet d'éviter les PEN.
Les Instruments de Politique Environnementale 41
Polycopié DEERN, M. Glachant
7 Instruments et incitation à l'innovation
Nous allons maintenant traiter une nouvelle dimension de l'efficacité : l'aptitude de
différents instruments à inciter les pollueurs à innover dans les technologies de
dépollution. Innover procure des gains d'efficacité sur le moyen et le long terme. C'est
une dimension essentielle de l'efficacité. Trente ans après la naissance des politiques
d'environnement modernes, la plupart des progrès accomplis l'ont été par un recours à
des solutions "bout de chaîne" ("end of the pipe"). Il existe un consensus entre les
observateurs pour considérer que les marges de progrès sur ce type de technologie ont
été exploitées. Dans ce contexte historique, il deviendrait nécessaire de changer de
paradigme technologique en basculant vers une logique de technologies propres et de
prévention. Cela nécessite une accélération de l'innovation dans les technologies de
dépollution. Cette importance de l'innovation est également très présente dans les
débats sur la politique de changement climatique. Dans ce domaine, la solution du
problème réside dans des évolutions technologiques de long terme.
Sur la question de l'innovation, les travaux sont essentiellement théoriques. Ils font
l'objet d'une très bonne recension dans Jaffe et al. (2000). La contribution de référence
demeure celle de Milliman et Prince (1989) malgré ses limites (information parfaite, une
activité de R&D non modélisée). Nous allons en présenter ici l'argument.
Pour mesurer l'incitation à l'innovation, l'approche de Milliman et Prince consiste à
quantifier l'importance des gains pour l'innovateur selon les différents instruments. Ils
analysent 4 types d'instruments : la norme d'émission, la taxe sur les émissions, les
permis d'émission négociables (PEN) mis aux enchères, les permis d'émission
négociables alloués gratuitement. En outre, ils posent des hypothèses, très
simplificatrices quand il s'agit de R&D, de marché parfait et d'information parfaite.
Leur hypothèse de départ est de considérer que le changement technique dans le
domaine des politiques environnementales comporte trois étapes représentées sur la
Figure 9 :
Étape 1 : L'innovation. Lors de cette étape, une firme i innovatrice innove ce
qui fait basculer sa courbe de coût marginal de Ci'(I) à Ci'(II).
Étape 2 : La diffusion. Progressivement, les firmes non innovatrices, indicées j
sur la Figure 9, adoptent l'innovation réalisée par la firme i ce qui fait basculer
leur propre courbe de coût marginal.
Étape 3 : L'ajustement optimal de la politique par le réglementeur. À ce stade,
l'innovation a totalement diffusé dans l'industrie, ce qui a conduit à un
basculement de la courbe du coût agrégé de dépollution de C'(I) à C'(II). Dans
ce nouveau contexte, la politique doit être révisée. En particulier, son objectif
environnemental doit être revue à la hausse (passage à Q*(II)) pour retrouver
une égalisation entre le coût marginal et le dommage marginal D'.
Les Instruments de Politique Environnementale 42
Polycopié DEERN, M. Glachant
Figure 9 Les trois étapes du cycle d'innovation
Chaque étape génère des gains ou des pertes pour l'innovateur dont la somme permet
de mesure son incitation à innover. Nous allons considérer successivement les différentes
étapes.
Lors de l'étape 1, tous les instruments économiques fournissent des gains équivalents et
supérieurs à ceux de la norme car innover permet de réduire sa pollution ce qui dégage
des bénéfices financiers (diminution du poids de la taxe, revente de permis etc.) quand
un instrument économique est utilisé. Nous allons le démontrer à l'aide de la Figure 10
qui présente l'argument dans le cadre de la comparaison d'une taxe et d'une norme sur
les émissions.
Figure 10 Les bénéfices pour l'innovateur sous des régimes de taxe et de norme
d'émission
Innovateu
Non innovateur
Innovateur
Industrie
Q
*
(
I
)
Q
*
(
II
)
Etape 1:
Innovation
-C
i
'(I)
-Ci '
(
II
)
-C
'
(
I
)
-C
'
(
II
)
D
'
-Cj
'
(
I
)
-Cj '
(
II
)
Etape 2:
Diffusion
Etape 3:
Ajustement optimal
de la politique
Pollution
T
-C
i
'(I)
-C
i
'(II)
N
qf
Les Instruments de Politique Environnementale 43
Polycopié DEERN, M. Glachant
Dans un régime de norme qui prescrit un niveau de pollution N, le gain pour
l'innovateur induit par la transformation de la courbe -Ci'(I) en courbe -Ci'(II) est
représenté par la surface hachurée qui correspond à une diminution du coût de
dépollution associée à l'innovation. Dans le cas d'une taxe, les conséquences de
l'innovation sont plus complexes. Considérons une taxe T permettant d'obtenir le
niveau de pollution N dans la situation initiale. L'innovation conduit l'innovateur à
réajuster son niveau de pollution qui devient qf. C'est un premier résultat de l'analyse.
Contrairement à une norme, une taxe induit sur le long terme une diminution
spontanée de la pollution sous l'effet de l'innovation.
Sous un régime de taxe, les gains pour l'innovateur sont alors : la surface hachurée liée
à l'économie de coût de dépollution sur la gamme de dépollution qui va de à N, mais
également la surface grise qui correspond au bénéfice pour l'innovateur de l'ajustement
de son niveau de pollution de N à qf. La taxe fournit donc plus d'incitation à
l'innovation au niveau de cette première étape. Ce raisonnement se généralise à tous les
instruments économiques qui partagent avec la taxe cette propriété de délivrer un signa
prix à l'innovateur.
Lors de l'étape 2, la diffusion ne concerne pas l'innovateur. Quand il est sous un régime
de taxe ou de norme, cette diffusion n'a aucun effet sur lui. En revanche, la diffusion va
l'affecter indirectement si nous sommes dans un régime de PEN. La conséquence
générale de la diffusion de l'innovation est de rendre plus facile la dépollution et donc
de diminuer la demande de permis. Cela conduit va induire une baisse des prix des
permis. Cette baisse est-elle favorable ou défavorable à l'innovateur ? Cela dépend du
système de PEN. S’il s'agit d'un système de PEN avec mise aux enchères, la baisse des
prix profite à l'innovateur (comme aux autres firmes d'ailleurs) puisqu'il paiera moins
cher les PEN qu'il doit acheter au réglementeur. Dans le cas d'un PEN à allocation
gratuite, les échanges interviennent cette fois entre les firmes de l'industrie. Or, dans
cette configuration, la firme innovatrice qui voit ces coûts de dépollution baisser est
vendeur sur le marché. La diminution du prix lui est donc défavorable.
L'étape 3 génère des pertes pour l'innovateur quel que soit le régime. La raison en est
que cette étape voit un renchérissement de l'ambition environnementale de la politique
sans différenciation selon les instruments
Sur la base de ce raisonnement, Milliman et Prince propose une hiérarchie des
instruments résumée dans le Tableau 1.
Pour résumer, seuls les taxes et PEN avec mise aux enchères fournissent
systématiquement des incitations positives à l'innovation. Pour les autres le bilan est
incertain : cela dépendra pour l'essentiel des courbes de coût de dépollution et de
dommage. Du point de la hiérarchisation des instruments, la norme se retrouve en
queue de peloton.
Les Instruments de Politique Environnementale 44
Polycopié DEERN, M. Glachant
Tableau 1 Hiérarchisation des différents instruments selon la hauteur des gains
pour l'innovateur (hypothèse : pas de brevet)
Norme
d'émission
PEN gratuit PEN enchères
Taxe
1. Innovation
Gain pour l'innovateur
4
1
1
1
2. Diffusion
Gain pour l'innovateur
2
4
1
2
3. Ajustement politique
Gain pour l'innovateur
1-4
1-4
1-4
1-4
Bilan = réduction des coûts
pour l'innovateur Incertain Incertain Oui Oui
Les Instruments de Politique Environnementale 45
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8 Le problème de la pollution diffuse
8.1 Le problème
Définition : une pollution est dite diffuse quand le réglementeur ne peut observer à un
coût raisonnable les émissions individuelles des pollueurs.
L'exemple canonique est celui de la pollution agricole azotée des nappes d'eau
souterraine. Dans l'état actuel des techniques, il est extrêmement difficile de mesurer les
contributions individuelles des agriculteurs à la pollution d'une nappe phréatique. Par
exemple, les quantités d'engrais azotés épandus ne reflètent pas fidèlement la pollution
individuelle. La pollution est le résidu de l’épandage qui n’est ni absorbé par la plante
ni immobilisé dans la couche superficielle du sol. Seul le niveau de la pollution ambiante
– ici le taux de nitrates dans la nappe – est facilement observable et on ne peut inférer
le niveau des émissions individuelles à partir de la pollution ambiante pour deux
raisons :
Pour un niveau donné d'émission, l'effet sur la pollution ambiante est incertain à
cause de variables aléatoires (les conditions pédoclimatiques dans le cas de la
pollution diffuse agricole par exemple)
Les effets de plusieurs pollueurs contribuent à la pollution ambiante et seul
l'effet combiné est observable. Il y a production jointe de la pollution
Le problème économique à traiter est un problème d'aléa moral au sens de la théorie
des incitations: le réglementeur ne connaît pas une variable que l'agent peut manipuler
(dont il peut choisir la valeur) : son niveau d'émission. Dans ce contexte, les
instruments traditionnels - norme d'émission, taxe sur les émissions - sont pris en défaut
puisqu'ils exigent tous la connaissance des émissions individuelles. Ce problème n'est
pas seulement celui de la pollution agricole. On peut citer par exemple la pollution
atmosphérique urbaine par les automobiles, les petits producteurs de déchets (PME,
particuliers etc.).
Que peut faire le réglementeur ? Un premier type de solution consiste à exploiter
l'information dont dispose le réglementeur sur le niveau de pollution ambiant. C'est le
principe sous-jacent à la taxe ambiante dont nous allons maintenant présenter le
principe.
8.2 La taxe ambiante (Segerson, 1988)
Considérons un cas simple avec deux fermes polluant une nappe d'eau dans laquelle on
observe un niveau de pollution x. Cette pollution résulte de l'épandage des quantités qC
et qJ par les deux fermiers Chirac et Jospin (Figure 11). Le réglementeur ne connaît que
x et sait que les deux responsables sont les deux fermiers. En revanche, nous
connaissons la fonction de transfert qui associe les quantités épandues à la pollution
ambiante cc JJ
xaq aq B=⋅+⋅+ avec B un terme aléatoire décrivant par exemple
les conditions pédoclimatiques.
Avec ce formalisme, CC
aq et JJ
aq représentent les émissions individuelles non
Les Instruments de Politique Environnementale 46
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observables des pollueurs. Par ailleurs, nous décrivons les coûts pour les fermiers de
réduction de la quantité d'engrais épandue par les fonctions ()
CC
Cq et ()
JJ
Cq . Ces
coûts représentent la diminution de récolte correspondante. Par ailleurs, cette pollution
génère un dommage ()Dx .
Figure 11 Deux fermiers sur une nappe d'eau
Cette formalisation du problème est identique à celle que nous avions proposé dans le
cas d'une différenciation spatiale des dommages. L'optimum social s'écrit donc :
() '()
() '()
C
qC C
J
qJ J
Cq a Dx
Cq a Dx
−=
−=
(17)
Segerson a proposé une formule de taxe du type :
t (xx°)
Cette taxe est assise sur la différence entre le niveau de pollution ambiante observée et
un niveau de référence x° choisi arbitrairement (par exemple le niveau de pollution
initial). C'est une taxe dite ambiante. Chaque fermier payer une taxe en relation avec le
dépassement du niveau de référence de pollution ambiante. Que vont faire les deux
agriculteurs ? Considérons par exemple le programme d'optimisation de Chirac :
min ( ) ( )
C
CC
qCq tx x+−°
Comme cc JJ
xaq aq B=⋅+⋅+, ce programme peut s'écrire :
min ( ) ( )
C
CCccJJ
qCq taq taq B x++ +°
(18)
qC
Ferme
Chirac
Ferme
J
os
p
in
NAPPE D'EAU
Pollution observée cc J J
xaq aq B=⋅+⋅+
qJ
Les Instruments de Politique Environnementale 47
Polycopié DEERN, M. Glachant
Le pollueur supporte donc un coût fait de trois termes : son coût de dépollution, le coût
lié au paiement de la taxe sur sa pollution individuelle cc
ta q et un dernier terme
forfaitaire pour lui puisque ne dépendant pas de C
q : ()
JJ
ta q B x⋅+°
. La CPO
s'écrit :
()
C
qC C
Cq a t−= (19)
La comparaison de (19) avec (17) montre alors qu'il suffit de choisir un taux de taxe :
*'()tDx= (20)
Ce résultat peut paraître contre-intuitif. Comment une taxe payée par un automobiliste
à Paris sur le niveau de qualité de l'air peut l'inciter à réduire l'usage de son
automobile ? La réponse est dans l'équation (18). Le second terme cc
ta q introduit un
lien direct entre la taxe et son comportement. En revanche, le dernier terme
()
JJ
ta q B x⋅+°
n'est pour lui qu'un montant forfaitaire sans impact sur son
comportement car il ne peut en réduire le montant en modifiant son comportement.
C'est là que réside un premier défaut de cette approche. Dans le cas où les pollueurs
sont nombreux (comme des automobilistes à Paris), ce dernier terme devient
rapidement très grand et le pollueur est amené à payer (ou à recevoir selon la valeur de
x°) des sommes gigantesques. La solution devient donc vite politiquement impraticable.
Elle ne peut donc être considérée sérieusement que dans des cas de pollution localisée
impliquant un très faible nombre de pollueurs.
En fait, la solution de Segerson résout un problème de dilemme du prisonnier lié au
caractère joint de la pollution dans le cas de n pollueurs. Puisque la taxe est assise sur
un résultat collectif (la pollution ambiante), chaque pollueur individuel peut avoir
intérêt à adopter un comportement de cavalier seul. Ce type de comportement se
justifie ainsi : pour un pollueur, polluer implique un bénéfice dont il profite
entièrement, i.e. le coût de dépollution évité, et un coût qu'il partage avec tous les
autres pollueurs, i.e. le coût de la taxe lié à l'augmentation du niveau ambiant de
dépollution. Ce problème stratégique est supprimé par un niveau de taxe très important
qui dissuade l'adoption de ce comportement : chacun paye la totalité du bénéfice
marginal lié à la dépollution et pas une fraction D'/n lié à la hauteur de sa
contribution. En quelque sorte, c'est une logique de punition collective.
Remarquons enfin que le dispositif est très gourmand en information. Le réglementeur
doit connaître x mais aussi les fonctions de coût et les coefficients de transferts. Cette
taxe ambiante pose en fait le même type de problème que la taxe Pigouvienne : en
théorie, elle permet d'atteindre un optimum mais sa mise en œuvre pratique soulève des
problèmes (besoins en information, montant des transferts financiers associés) qui
l'empêchent d'être une solution opérationnelle sous cette forme.
8.3 La pratique
Faute de pouvoir utiliser une taxe ambiante pour lutter contre la pollution diffuse,
quels instruments peut-on utiliser ?
Des réglementations contraignant les comportements (et non les émissions
individuelles). Ex: interdiction de labour à certaines périodes (la terre labourée
conduit à beaucoup plus de migration de nitrates et de pesticides vers les eaux
Les Instruments de Politique Environnementale 48
Polycopié DEERN, M. Glachant
de surface). Ces solutions ont forcément un caractère uniforme avec les défauts
que cela implique en particulier au niveau de la minimisation des coûts.
Des mesures volontaires consistant en fait à laisser l'agriculteur libre d'adopter
des règles de comportement ou de nouvelles pratiques culturales diminuant les
émissions polluantes. Ce sont en quelque sorte des réglementations optionnelles.
Pour inciter les agriculteurs, ces programmes s'accompagnent très souvent de
subventions financières (ex: en France, le PMPOA = Protocole de Maîtrise des
Pollution d'Origine Agricole, les CTE = contrats territoriaux d'exploitation).
Par rapport à une réglementation, le caractère volontaire de ces dispositifs a un
impact positif sur les coûts : en supposant les agriculteurs rationnels, ne
s'engagent dans ces programmes volontaires que les exploitations agricoles ayant
les coûts les plus faibles. En revanche, le résultat environnemental n'est souvent
pas au rendez-vous. Enfin, dans le cas de l'utilisation des subventions, leurs
inconvénients développés plus haut restent valables.
Des taxes dont l'assiette n'est pas le niveau ambiant de pollution. L'idée est que
même si l'on ne peut mesurer directement les émissions individuelles dans les
nappes, on peut trouver une base de taxe ayant une relation plus ou moins
directe avec ces émissions. Par exemple, on peut taxer sur la base d'un niveau
de nitrates dans les couches superficielles du sol de l'exploitation (ex: la taxe sur
les nitrates du Bade Wurtemberg), sur la base d'une estimation des émissions
calculés en utilisant une comptabilité nitrates de l'exploitation (ex: la taxe
danoise, un projet français de taxe sur les excédents azotés abandonné en 2001).
Enfin, on peut taxer les intrants à l'origine des pollutions (ex: une taxe sur les
engrais azotés). Ces approches permettent d'exploiter les avantages des taxes.
Bien sûr, le fait que l'assiette n'est qu'un lien indirect avec le niveau de pollution
introduit des distorsions qui diffèrent selon l'assiette choisie.
Dans la plupart des cas, ces approches nécessitent des contrôles plus coûteux et plus
difficiles que dans le cas des pollutions ponctuelles : les pollueurs sont en général plus
nombreux, plus mobiles ou les prescriptions réglementaires et les assiettes sont plus
difficilement observables par le réglementeur. Pour le succès de ces politiques, un
contrôle strict est absolument nécessaire.
8.4 Une comparaison d'une taxe sur les engrais azotés (dite "au premier
kilo") avec une taxe sur les excédents azotés
La pollution azotée des eaux souterraines et de surface est devenue un problème majeur
en France. Il s'avère ainsi impossible de respecter la norme européenne de 50 mg/l
d'azote dans les eaux de surface dans des zones étendues du territoire, en particulier
dans le grand ouest. Le problème prend notamment sa source dans l'existence d'un
excédent structurel d'épandage agricole azoté. Dans ce contexte, on oppose souvent
deux solutions fiscales : une taxe sur les excédents azotés et une taxe sur les engrais.
La taxe sur les engrais azotés porte sur une assiette plus indirectement liée à la
pollution azotée. Elle est parfois qualifiée de taxe "au premier kilo" car elle est payée
Les Instruments de Politique Environnementale 49
Polycopié DEERN, M. Glachant
dès le premier kilo d'azote acheté par l'agriculteur alors qu'une taxe sur les excédents ne
porte que sur l'azote n'ayant pas été assimilé par la plante. Nous allons comparer
l'efficacité économique de ces deux approches.
Les analyses que nous avons mené jusque là se sont concentrées sur des instruments qui
visaient l'aval du processus productif du pollueur (typiquement ses émissions
polluantes). Nous n'avons donc pas eu besoin de modéliser ce processus productif nous
limitant à une description du pollueur à travers son coût de production et son coût de
dépollution. Ici, nous étudions deux approches dont l'une vise l'amont et l'autre l'aval
du processus productif. Pour mener à bien la comparaison de leurs performances, il
nous faut donc une caractérisation de la relation liant les intrants et la production. La
microéconomie propose dans ce but le concept de fonction de production.
Hypothèses :
Soit n agriculteurs hétérogènes
L'agriculteur i utilise des engrais en quantité qi pour produire une quantité yi de
blé qu'il vend sur un marché concurrentiel à un prix y
p. Le prix de l'engrais est
pE.
Son processus de production est résumé par une fonction de production yi = Fi
(qi) qui est croissante et concave (Fqq <0).3
Son activité conduit également à un excédent azoté migrant vers les nappes
d'eau. On suppose toujours que le niveau de pollution ambiante est
ii
xaqB +
L'optimum social
Le réglementeur maximise :
11
max ( . . )
nn
yi Ei ii
ii
py p q D aq B
==
⎡⎤
⎢⎥
−− +
⎢⎥
⎣⎦
∑∑
Les taxes n'apparaissent pas dans la fonction de bien-être puisqu'il s'agit uniquement de
transferts entre agents. En substituant yi = Fi (qi), on obtient :
11
max ( ( ) )
nn
yii Ei ii
ii
pFq p q D aq B
==
⎡⎤
⎢⎥
⋅−− +
⎢⎥
⎣⎦
∑∑
,
ce qui donne n conditions de premier ordre :
'( ) '( ) 1, 2,....,
yii E i
pFq p aDxi n⋅−=⋅ = (21)
A l'optimum social, on a l'égalisation du profit marginal de l'agriculteur avec le
dommage marginal qu'il génère. Dans la suite, il sera plus facile d'utiliser (21) sous la
forme suivante :
'( )
'( ) 1,2,....,
iE
ii
y
aDx p
Fq i n
p
⋅+
== (22)
3 La concavité de la fonction de production conduit à ce que les rendements d'échelle soient décroissants.
Les Instruments de Politique Environnementale 50
Polycopié DEERN, M. Glachant
Nous allons maintenant voir si une taxe sur les engrais ou sur les excédents azotés
permet aux n agriculteurs d'atteindre leur niveau optimal de production.
La taxe sur les engrais
Identifions la fonction de réaction du pollueur i à une taxe sur les engrais ayant un
taux t. Le pollueur i maximise un profit qui intègre cette fois le paiement de la taxe sur
ses achats d'engrais:
max ( ) ( )
i
yii E i
qpFq p tq⋅−+
On obtient alors la condition qui identifie la fonction de réaction du pollueur:
'( ) E
ii
y
pt
Fq p
+
= (23)
C'est un résultat classique de la théorie microéconomique du producteur : l'agriculteur
consomme la quantité d'engrais qui égalise le rapport des prix avec le rendement
marginal de l'engrais. Au niveau de la population, les n pollueurs égalisent donc leurs
rendements marginaux puisque le second terme de gauche de l'égalité (23) est le même
pour tous les pollueurs. Cette égalisation est en contradiction avec (22) sauf si ij
aa=
i, j, ce que nous avons exclu par hypothèse. Une taxe sur les engrais ne peut donc
être optimale. Intuitivement, la raison en est que en taxant l'engrais acheté, la taxe ne
peut différencié efficacement les pollueurs selon leur pouvoir polluant reflété par le
coefficient i
a.
La taxe sur les excédents azotés
On suppose maintenant que le pollueur i paye une taxe
τ
sur l'excédent, c'est à dire sur
l'azote non absorbé par la plante, c'est à dire sur l'assiette aiqi. Il maximise son profit, ce
qui s'écrit :
max ( )
i
yii Ei ii
qpFq p q aqτ⋅−
On obtient alors la condition :
'( ) Ei
ii
y
pa
Fq p
τ+⋅
= (24)
En combinant (24) et (22), on obtient le taux optimal de taxe sur les excédents azotés :
*'()Dxτ= (25)
Une taxe sur les excédents azotés dont le taux est égal au dommage marginal permet
donc en théorie d'obtenir une situation optimale. La cause semble donc entendue. La
taxe sur les excédents azotés est donc en première approche plus efficace qu'une taxe
sur les engrais. Ce résultat n'a rien de surprenant. La taxe sur les excédents n'est en
effet rien d'autre qu'une taxe sur les émissions individuelles. (25) définit donc la taxe
Pigouvienne. Or le problème de la pollution diffuse est justement que la mesure de
Les Instruments de Politique Environnementale 51
Polycopié DEERN, M. Glachant
l'émission individuelle. Pour analyser le problème économique posé, il nous faut donc
relâcher l'hypothèse d'information parfaite.
Relâchement de l'hypothèse d'information parfaite
En information imparfaite, il est difficile de conclure sur la supériorité de l'une ou
l'autre des solutions :
La taxe sur les excédents azotés permet d'atteindre l'optimum. Mais elle requiert
une mesure des émissions individuelles coûteuses et sources d'erreur. Dans la
pratique, deux solutions ont été proposé : (i) un système de comptabilité
matière permettant d'inférer des achats d'intrants et des types de culture
l'excédent azoté ou (ii) des systèmes de mesure de l'azote dans les couches
superficielles du sol des parcelles via un système de trappe (mise en place dans
le Bade Württemberg)
La taxe sur les engrais est sous optimal mais facile à gérer
Il apparaît difficile de trancher au nom de l'efficacité économique. Dans la pratique, les
agriculteurs préfèrent la taxe sur les excédents azotés pour des raisons distributives.
Parce qu'elle est payée dès le premier kilogramme acheté, la taxe sur les engrais est
beaucoup plus coûteuse pour eux.
8.5 Un cas particulier - les taxes sur le carbone
L'analyse que nous venons de mener permet de traiter un cas particulier : les taxes sur
le carbone. Les taxes ayant pour objectif la lutte contre l'effet de serre n'ont pas pour
assiette les émissions individuelles. Celles-ci sont très difficilement mesurables. Les taxes
sont donc perçues sur les carburants c'est-à-dire sur l'intrant dont l'utilisation conduit à
l'émission de CO2. Ses taxes ont ainsi le même type d'assiette que les taxes sur les
engrais. Mais à la différence de ces dernières, la quantité de CO2 présente dans le
carburant acheté, les qi de la section précédente, est égale à la quantité émise dans
l'atmosphère, c'est à dire que l'on est dans le cas particulier où les coefficients des
différentes sources sont tous égaux à 1 :
11,..,
i
ain=∀= (26)
On peut alors parfaitement paramétrer une taxe optimale sur les intrants comme le
montre la comparaison de l'équation (23) avec l'équation définissant l'optimum social
(22).
Pour résumer, les processus de pollution qui respectent (26) constituent le cas extrême
dans lequel une taxe sur les émissions et une taxe sur les intrants ont la même
efficacité. Plus généralement, plus les ai sont différents, c'est-à-dire plus les pollueurs
ont un pouvoir polluant hétérogène, plus utiliser une taxe sur les intrants induit une
perte d'efficacité par rapport à une taxe sur les émissions.
Les Instruments de Politique Environnementale 52
Polycopié DEERN, M. Glachant
9 Le problème de la pollution accidentelle
9.1 L'utilisation de règle de responsabilité civile
Dans certains cas, la pollution est accidentelle en ce sens qu'elle n'est émise qu'avec une
probabilité
π
< 1. Relèvent par exemple de cette catégorie les risques technologiques
(ex: l'explosion de l'usine AZF de Toulouse) ou les marées noires. D'un point de vue
économique, ces problèmes ne sont a priori pas d'une nature très différente de ceux que
nous avons traité jusque là. Au lieu de raisonner sur une fonction de coût de
dépollution C(q) il suffit de raisonner sur une fonction de coût de précaution C(a) qui
dépend de a le niveau de précaution prise par le pollueur avec les hypothèses C' > 0 –
le coût augmente avec le niveau de précaution – et C'' > 0 – l'activité de précaution est
l'objet de rendements décroissants.
Quant au dommage environnemental, son occurrence étant aléatoire, on raisonne sur
l'espérance statistique de dommage que nous noterons ED(a) avec ED' < 0 et ED">0.
Cette formulation permet alors la caractérisation d'un niveau optimal de précaution a*
égalisant le dommage marginal et le coût marginal (Figure 12).
Figure 12 Le niveau optimal de précaution.
Comment conduire le pollueur potentiel à fixer son niveau de précaution en a* ? Une
première solution possible est réglementaire. Elle va consister à prescrire des règles de
conduite correspondant niveau de précaution a*. Par exemple, le Directive européenne
dite Seveso qui traite des risques technologiques oblige un certain nombre de sites dits
"à risque" à mettre en place des procédures visant à améliorer la sécurité des
installations (audits de sécurité, information des populations avoisinantes, exercices
réguliers de simulation d'accident etc.). La seconde stratégie (non exclusive de la
première) repose sur des règles de responsabilité. Ces règles définissent par la loi que le
pollueur potentiel devra dédommager les parties lésées à hauteur des dommages subis
C'
a
* Précaution (
a
)
-
E
D
'
Les Instruments de Politique Environnementale 53
Polycopié DEERN, M. Glachant
en cas d'accident. Cela conduira ex ante alors le pollueur potentiel à intégrer dans son
calcul économique les conséquences ex post déterminées par son activité de précaution
a. Ayant internalisé le dommage via l'obligation juridique de compenser financièrement
les victimes, il fixera alors spontanément son niveau de précaution en a*.
A priori les règles de responsabilité sont préférables à la réglementation pour des
raisons informationnelles. La grande différence entre les deux approches est que la
réglementation nécessite de collecter de l'information sur les dommages potentiels (la
fonction ED) et les coûts de précaution (la fonction C) avant que l'accident ne se
produise pour définir la règle de comportement prescrivant le niveau de précaution
efficace. L'approche fondée sur la responsabilité reporte cette évaluation après
l'accident. L'évaluation n'est donc réalisée que dans le cas où l'accident se produit. C'est
un avantage clé pour des dommages ayant des probabilités faibles d'occurrence.
9.2 Règle de responsabilité stricte ou fondée sur la négligence
Le système que nous venons de décrire est un système de responsabilité stricte en ce
sens que la responsabilité du pollueur est intégralement engagée dès qu'un accident se
produit. Dans la pratique, la responsabilité est dans la plupart des pays (y compris la
France) fondée sur un principe de responsabilité pour faute selon lequel la
responsabilité n'est engagée que si le pollueur n'a pas été suffisamment précautionneux.
Comment cela fonctionne-t-il ? Reprenons pour cela la Figure 12. Quand un accident
intervient, le pollueur est assigné en justice par la ou les victimes pour dommages et
intérêts. Le juge enquête et construit donc les courbes ED' et C' de la figure. Il identifie
le niveau socialement efficace de précaution qu'il définit donc comme le niveau minimal
de précaution en deçà duquel il y a négligence. Si le pollueur est en deçà, il doit
dédommager à hauteur des dommages subis. Dans le cas contraire, il ne dédommage
pas les victimes. Comment ce résultat ex post va-t-il influencer ex ante le pollueur dans
son choix du niveau de précaution ? Considérons pour cela la figure 13. Elle est très
similaire à la précédente sauf que nous avons ajouté une courbe EΔ' qui correspond à la
compensation marginale que devra payer le pollueur en cas d'accidents. C'est donc une
version tronquée en a* de la courbe de dommage marginal puisque au delà du niveau
a* il n'y a plus de dédommagements des victimes. Cette configuration conduira le
pollueur à fixer ex ante son niveau de précaution en a*. Les deux systèmes de
responsabilité stricte paraissent donc également efficaces en première analyse.
Mais si l'on considère que l'évaluation des dommages ex post est coûteuse ou plus
généralement que le recours juridique est coûteux, la responsabilité fondée sur la
négligence présente un avantage: seules les accidents avec négligence (ou avec soupçon
de négligence) donne lieu à un processus judiciaire.
En revanche, la dimension distributive est plutôt à l'avantage de la responsabilité
stricte: elle ne laisse pas non dédommagées des victimes dont le seul tort est d'avoir
subi des dommages de la part d'un pollueur non négligent.
Les Instruments de Politique Environnementale 54
Polycopié DEERN, M. Glachant
Figure 13 : Le niveau de pollution dans un régime de responsabilité pour négligence.
E
Δ
', le dédommagement espéré en noir.
C'(x)
a
*
Précaution (
a
)
EΔ'
Les Instruments de Politique Environnementale 55
Polycopié DEERN, M. Glachant
10 Que peut-on dire de l'efficacité des accords négociés ?
10.1 De nouveaux instruments promus par les industriels
Depuis une dizaine d'années, on assiste en Europe à la diffusion d'un nouvel instrument
de politique publique, les accords négociés. En France, ces instruments sont peut être
moins nouveaux qu'ailleurs puisqu'une dizaine d'accords avaient déjà été signés par le
Ministère de l'Environnement dans les années 70.
Leur principe est extrêmement simple. Ce sont des dispositifs négociés entre une
autorité publique - en général le Ministère de l'Environnement - et un secteur industriel
représenté par une association professionnelle dans lesquels l'industrie s'engage à réaliser
un objectif quantitatif de dépollution. Cet objectif est le plus souvent collectif en ce
sens qu'il s'applique à l'ensemble de l'industrie. Dans le cas général, les accords
n'incluent pas de traduction de cet objectif collectif en objectifs individuels pour les
entreprises concernés par l'accord.
Les accords ainsi négociés ne sont pas des contrats au sens juridique du terme. En
d'autres termes, ils ne sont pas opposables devant un tribunal en cas de défaillance
d'une des parties. En cas de non respect, les industriels n'encourent donc pas de
sanctions par ce canal. On verra que d'autres sanctions, plus informelles, peuvent
néanmoins exister.
Des accords de ce type ont notamment été signés dans les années 1996-1997 avec
quelques secteurs industriels fortement consommateurs d'énergie (aluminium, verre
emballage, ciment, sidérurgie, chaux etc.) pour lutter contre l'effet de serre en
promouvant l'efficacité énergétique. En juillet 2003, l'Association des Entreprises pour
la Réduction de l'Effet de Serre (AERES) a relancé des accords de ce type. Ils incluent
des objectifs quantifiés de réduction des émissions de carbone exprimés généralement en
pourcentage. L'industrie française des détergents a également signé un accord visant à
diminuer les quantités dans phosphates dans les lessives. Autre exemple, l'industrie
automobile s'est engagée en 1994 à atteindre un taux de recyclage de 85% des véhicules
hors d'usage.
Ces accords sont fortement promus par l'industrie qui y voit une modalité plus flexible
d'atteindre des objectifs d'amélioration de l'environnement. A l'opposé, il suscite une
grande méfiance de la part des associations environnementales, voire des
administrations environnementales. Cette méfiance repose sur un raisonnement du type
"si l'industrie est volontaire, cela signifie que les objectifs qui y sont négociés sont très
peu ambitieux, voire cosmétiques". Que peut dire l'analyse économique sur ces
dispositifs ? C'est un champ de recherche en pleine évolution et nous nous contenterons
de fournir quelques arguments généraux posant les fondements économiques du
problème.
Il est commode de structurer l'analyse en considérant deux aspects:
L'objectif collectif de dépollution contenu dans l'accord : peut-il être ambitieux ?
Peut-il être atteint alors qu'il n'existe aucun mécanisme formel de sanction ?
La traduction de l'objectif collectif en objectifs individuels (ce que les anglo-
Les Instruments de Politique Environnementale 56
Polycopié DEERN, M. Glachant
saxons appellent le burden sharing) : permet-elle de minimiser le coût agrégé de
dépollution ? Les objectifs individuels sont-ils différenciés pour prendre en
compte les différences dans les coûts marginaux de dépollution?
10.2 L'objectif collectif de dépollution
La méfiance vis-à-vis des accords négociés porte d'abord sur l'objectif collectif de
dépollution. Il existe deux problèmes potentiels :
L'objectif est-il réellement ambitieux ? Va-t-il au delà des améliorations
environnementales qui seraient advenues en l'absence d'accord (ce que l'on
appelle le "business as usual" ou le scénario tendanciel) ? Ces questions
surgissent parce que l'objectif est agréé par l'industrie. Or dans le cas d'un
objectif contraignant, si l'on voit bien les coûts qui supportera l'industrie pour
l'atteindre, on distingue a priori mal les bénéfices qui pourraient compenser ces
coûts et ainsi justifier l'accord de l'industrie.
En supposant que l'objectif soit contraignant, comment pourra-t-il être atteint
alors qu'il n'existe aucun mécanisme de sanction formel en cas de non respect de
l'engagement par l'industrie ?
Comme nous allons le voir ces deux problèmes sont en fait liés. Ils suggèrent de
s'interroger sur les gains pour l'industrie liés à la signature d'un accord. De ce point de
vue, trois types de motivation sont possibles :
Dans la grande majorité des cas, ces accords sont obtenus sous la menace de la
puissance publique de mettre en place une mesure coercitive en cas d'échec de
la négociation. Le bénéfice peut donc correspondre au coût évité d'une mesure
publique plus coûteuse. Cette menace peut également jouer un rôle de sanction
puisqu'on peut raisonnablement supposer qu'elle sera mise en œuvre en cas de
non respect des engagements par les industriels.
Il existe en fait des actions de réduction de la pollution rentables pour l'industrie
(souvent qualifiés d'actions "sans regret"). Il n'y a donc pas de gain pour
l'industrie mais des coûts de dépollution nuls voire négatifs
En signant un accord, l'industrie signale aux marchés sur lesquels elle intervient
qu'elle est "verte" ce qui peut permettre d'y exploiter les consentements à payer
des clients "verts".
Considérons successivement ces arguments.
La menace de réglementation alternative
Cet argument suscite immédiatement une inquiétude pour les économistes car ce type
de bénéfice peut être à l'origine de comportement de passager clandestin ("free riding").
Le point clé est que le coût évité lié à la menace est un coût collectif car non
excludablen : toute l'industrie bénéficie du coût évité sans qu'il soit possible d'en exclure
une firme. Or, par ailleurs, les coûts de réalisation de l'objectif sont des coûts supportés
Les Instruments de Politique Environnementale 57
Polycopié DEERN, M. Glachant
individuellement par les membres de l'industrie. Il y a alors une incitation pour chaque
firme individuelle à ne pas participer à l'accord ce qui évite les coûts individuels en
pariant sur le fait que les autres (ou une majorité d'autres) sécuriseront l'existence du
bénéfice collectif en continuant à participer.
Ainsi, le caractère collectif de ce type de gain en incitant au comportement de passager
clandestin peut conduire à ce que tout ou partie de l'industrie ne s'engage pas dans l'accord
initial, ou à ce que ex post tout ou partie de l'industrie ne respecte pas les engagements pris. La
coopération entre les firmes est donc très fragile dans ce contexte. La théorie de l'action
collective développée par Olson (1965) et les résultats plus récents de la théorie des jeux
suggère que ce risque sera plus faible dans les secteurs les plus concentrés (peu de joueurs) et
dans les situations où les joueurs sont d'une taille similaire. Ainsi l'incitation à tricher est très
forte pour une PME impliquée dans un accord mené par quelques grosses firmes. En effet, du
fait de sa petite taille, sa non-coopération aura un effet faible sur le niveau global de pollution et
donc ne conduira pas à la remise en cause générale de l'accord par la puissance publique. Le
bénéfice collectif ne sera donc pas menacée par sa défection .
Les actions "sans regret"
L'existence d'actions de réduction de la pollution rentables mais non mises en œuvre est
reconnu par de nombreuses études technico-économiques. Elles peuvent donc
potentiellement justifier l'engagement volontaire de firmes dans la dépollution.
Toutefois, il convient d'être prudent avec les résultats de ces études. Elles ont tendance
à négliger des coûts non techniques de mise en œuvre (par exemple les coûts des
changements organisationnels que peut nécessiter l'adoption de telle ou telle technique).
En outre, si ces actions ne sont pas mises en œuvre, le problème est alors
informationnel : leur existence est ignorée par les firmes. La question est alors de savoir
si la mise en place d'un accord volontaire va participer à leur découverte.
On peut penser que c'est possible dans certains cas. En particulier les accords négociés
reposent sur une coopération entre firmes et donc sur un dialogue intense entre firmes.
Cette caractéristique peut favoriser un apprentissage collectif favorisant la découverte
d'actions sans regret.
Enfin, les bénéfices liés à ces actions "sans regret" sont privés et donc non soumis au
risque de comportement de passager clandestin.
L'exploitation d'une demande "verte"
L'idée qu'un accord négocié puisse être le moyen de signaler au consommateur la
"qualité environnementale" d'une industrie aux consommateurs avec tous les bénéfices
potentiels associés ne peut être rejeter a priori. Dans le contexte français, l'argument
paraît toutefois très fragile:
La demande "verte", telle qu'elle se concrétise dans les comportements d'achat est
semble-t-il modeste, témoin le succès plus que mitigé des éco-labels.
Ce type de bénéfice est, comme la menace de réglementation, collectif et donc
soumis au risque de comportement de passager clandestin.
En France, les firmes n'ont jamais fortement communiqué à destination des
consommateurs sur les accords dans lesquels elles étaient engagées. L'existence de
Les Instruments de Politique Environnementale 58
Polycopié DEERN, M. Glachant
ces accords est même totalement ignorés du public.
10.3 La traduction de l'objectif collectif de dépollution en objectifs
individuels (le "burden sharing")
Dans la pratique, il ne semble pas que les accords français aient donné lieu à une
intense négociation inter-firmes. Tout semble s'être passé comme si des décisions
unilatérales et non coordonnées des entreprises aient suffi à atteindre les objectifs
collectifs. Cela suggère qu'il n'y avait en fait pas de coût à se partager et renvoie donc à
la question précédente sur l'ambition environnementale véritable des objectifs.
En théorie, on voit mal comment des firmes pourraient se mettre d'accord sur une règle
de partage différenciée sans possibilité de compenser ceux qui font plus (car ils ont des
coûts marginaux de dépollution plus faible). Il y a tout lieu de croire que les firmes
convergeraient vers une clé de répartition égalitaire proche de la logique d'une norme
d'émission uniforme. Cela suggère que l'efficacité "coût" a peu de chance d'approcher
celles des instruments économiques. En revanche, ces accords comportent des
prescriptions moins précises que la réglementation et laissent aux firmes une flexibilité
temporelle plus grande pour atteindre les objectifs. Ils dominent donc a priori
l'instrument réglementaire du point de l'efficacité "coût"
10.4 Que retenir ?
Porter un regard économique sur les accords négociés conduit d'abord à s'interroger sur
les bénéfices que peuvent retirer les entreprises qui les signent. Ces bénéfices existent
potentiellement mais sont souvent collectifs. Ces approches sont donc structurellement
soumis à un risque de comportement clandestin.
Notre analyse très exploratoire de ces bénéfices suggère alors que les accords négociés
peuvent être utilisés utilement dans deux contextes particuliers :
Dans des secteurs oligopolistiques (i.e., avec peu de firmes), à partir du moment où
il est possible pour l'autorité publique de formuler une menace de réglementation
crédible.
Dans des domaines où il y a beaucoup à attendre d'un apprentissage collectif inter-
firmes qui conduiraient à l'adoption d'actions "sans regret". On pense à des secteurs
de PME (structurellement moins bien informés que les plus grandes entreprises) ou
à des domaines nouveaux pour l'action publique et donc moins connus par les
acteurs (comme le recyclage des déchets ménagers au début des années 1990).
En tout état de cause, ces dispositifs ne sauraient atteindre des objectifs de dépollution
très contraignants. Enfin, leur efficacité "coût" ne saurait approcher celles des
instruments économiques. A ce niveau, le problème est qu'il repose sur un consensus
inter-firmes qui rend difficile une différenciation efficace des efforts individuels de
dépollution.
Les Instruments de Politique Environnementale 59
Polycopié DEERN, M. Glachant
11 Conclusions
11.1 Les performances relatives des différents instruments de politique
environnementale
Nous avons considéré différents aspects de l'efficacité d'un instrument : minimisation
des coûts, conséquences des erreurs de planification en situation d'incertitude
(Weitzman, 1974), incitation à l'innovation, effets dynamiques de long terme (entrée-
sortie dans les industries), flexibilité par rapport à des chocs exogènes. Le tableau 2
résume l'ensemble de l'analyse. Nous avons ajouté un critère qui n'est pas un indicateur
de performance - l'acceptabilité par les pollueurs – mais qui, dans la pratique a une
importance déterminante puisque de nombreuses solutions économiquement efficaces –
comme la taxe non affectée – sont souvent peu acceptables et donc difficiles à mettre en
œuvre. Selon ce critère la taxe non affectée et le PEN avec mise aux enchères car le
pollueur paye sur la pollution résiduelle.
Selon ces critères, le système de PEN avec mise aux enchères apparaît comme
l'instrument le plus efficace. Il partage de nombreux avantages de la taxe non affectée
(minimisation du coût, signal efficace de long terme, forte pouvoir d'incitation à
l'innovation) mais le fait qu'il soit un instrument "quantité" lui confère un avantage
supplémentaire : la certitude du résultat environnemental. Il est cependant peu
acceptable par les pollueurs car il leur impose un coût financier important pour l'achat
des permis. Si la contrainte d'acceptabilité est forte, les PEN avec allocation gratuite
constituent une bonne solution de second rang. En tout état de cause, la norme qui est
l'instrument le plus fréquent dans la pratique est aussi le plus inefficace
économiquement.
Tableau 2 Une synthèse pragmatique performance des instruments
Norme
d'émission
Taxe sur les
émissions
PEN
(gratuit)
PEN
(enchères)
Minimisation du coût - +* +* +*
Certitude du résultat
environnemental
+ - +
+
Signal efficace de long terme pour
orienter les entrées sorties
- +
(si non affectée)
- +
Incitation innovation - - + - +
Acceptabilité par les pollueurs + -
(si non affectée)
++ -
* Résultat non valable avec différenciation spatiale des dommages
Les Instruments de Politique Environnementale 60
Polycopié DEERN, M. Glachant
Ces appréciations sont valables si les dommages environnementaux ne sont pas
différenciés spatialement. Dans le cas contraire, les instruments économiques perdent
une de leur qualité essentielle : celle de permettre spontanément la minimisation du
coût agrégé. Dans ce contexte, la comparaison entre les instruments devient plus
équilibrée.
Une autre façon de résumer cette enquête sur les performances des instruments est
d'associer les performances des différents instruments à différentes variables
contextuelles. C'est l'objet du tableau 3. Les problèmes d'environnement impliquent
typiquement de nombreux réglementés, par opposition à la réglementation du monopole
naturel par exemple. En outre, si ces pollueurs ont en commun d'émettre un type de
pollution, cela n'implique pas nécessairement des processus de production similaires. En
conséquence, hétérogénéité des coûts de dépollution et asymétrie informationnelle entre
le réglementeur et les pollueurs sur les coûts sont plus la règle que l'exception. Il en
résulte que les instruments économiques ont tendance à être plus efficaces. C'est une
conclusion circonstanciée c'est à dire prenant en compte ce que l'on peut supposer des
contextes dans lesquels les politiques environnementales opèrent.
Tableau 3 : Efficacité des instruments dans différents contextes
Norme
d'émission
Taxe sur les
émissions
PEN
(gratuit)
PEN
(enchères)
Forte asymétrie informationnelle
réglementeur-réglementé sur les
coûts de dépollution
- +
+ +
Forte hétérogénéité des coûts
privés de dépollution
- + + +
Anticipation de forte marge de
progression par l'innovation
technologique
- - ++
- ++
Forte pente du coût marginal de
dépollution
- + - -
Forte pente du dommage
marginal : effet de seuil
+ - + +
+ signale une adéquation entre le contexte et l'instrument. 0 signale une neutralité
entre les deux aspects.
11.2 Instruments et Principe Pollueur Payeur
A la lumière de ce qui précède, nous allons conclure ce polycopié en discutant les
justifications économiques du Principe Pollueur Payeur. Ce principe est définie dans la
loi Barnier de la manière suivante :
Les Instruments de Politique Environnementale 61
Polycopié DEERN, M. Glachant
Article 200-1 de la Loi Barnier : "Principe selon lequel les frais résultant des mesures de
prévention, de réduction de la pollution et de lutte contre celle-ci doivent être supportés
par le pollueur"
C'est la seule définition ayant une réalité juridique pour l'instant en France. C'est
également l'acception promue depuis 1972 par l'OCDE (l'institution créatrice du
concept). Enfin c’est aussi la notion présente depuis 1973 dans le cadre législatif de
l'Union Européenne. D'après la définition, c'est donc un principe d'interdiction de la
subvention. Ainsi la taxe sur les émissions mais aussi l'outil réglementaire est
compatible avec ce Principe. Ayant ainsi clarifié son contenu, on peut dériver
immédiatement ce qui justifie sa validité d'après la théorie économique. Ces
justifications s'identifient à ce que nous avons identifié plus haut comme étant les
inconvénients de la subvention :
Des effets dynamiques pervers qui via l'augmentation de la profitabilité des secteurs
subventionnés conduisent à trop de production et trop de pollution sur le long
terme.
Comme les subventions portent dans la pratique largement sur les coûts
d'investissements, des effets négatifs sur le contenu en emploi de la dépollution et
des biais d'incitation en faveur des stratégies curatives plutôt qu'en faveur de la
prévention.
On peut y ajouter une considération supplémentaire : la nécessité d'assurer des
conditions loyales au commerce international. L'idée est que les subventions à la
dépollution peuvent être utilisées stratégiquement par les Etats pour favoriser les firmes
domestiques sur le marché international. C'est une justification très importante dans la
pratique. Le fait que l'OCDE et l'Union Européenne, deux institutions supranationales
très concernées par les règles du commerce international, soient les premiers promoteurs
du Principe l'illustre clairement.
Enfin l'une des justifications essentielles, et qui n'a rien à voir avec la théorie
économique, est éthique. C'est un principe d'équité organisant une allocation des coûts
considérée comme moralement justifiée. Il n'y a qu'à imaginer ce que pourrait être les
fondements moraux d'un Principe Victime Payeur.
Les Instruments de Politique Environnementale 62
Polycopié DEERN, M. Glachant
12 Bibliographie
Les manuels
L'ouvrage théorique de référence : Baumol W.J., Oates W.E. (1988) The theory of
environmental policy, Cambridge, Cambridge University Press, 2° édition. Une bible un
peu aride et pas toujours d'une clarté limpide.
Ma nette préférence va au récent manuel de Charles D. Kolstad (2000) Environmental
Economics, chez Oxford University Press. Clair, complet, au fait des avancées plus
récentes. Les thèmes de ce cours sont traités dans les chapitres 7 à 11.
Articles
Baumol W.J. (1972) "On taxation and the control of externalities", American Economic
Review, 62(3), pp 307-22.
Ellerman A.D., Schmalensee R., Joskow P.L., Montero J.P., Bailey E.M. (1997)
Emission trading under the US ACID RAIN PROGRAM,CEEPR/MIT
Godard O. (1998) sur le Principe Pollueur Payeur
Jaffe A.B., R.G. Newell et R.N. Stavins (2000) "Technology change and the
environment", Document de travail NBER n° 7970, téléchargeable :
http://www.nber.org/papers/w7970.
Milliman S.R., Prince R. (1989) "Firm incentives to promote technological change in
pollution control, Journal of Environmental Economics and Management, 17, pp 247-
265
OCDE (1999) Les Approches Volontaires dans les Politiques de l'Environnement:
Analyse et Evaluation, OCDE, Paris
Olson M. (1965) The Logic of Collective Action, Cambridge, Harvard University Press
Parry Ian W., Wallace E. Oates (1998) "Policy analysis in a second best world",
Discussion paper 98-48, Resources for the Future, téléchargeable : http://www.rff.org.
Pezzey J. (1990) "The symmetry between controlling pollution by price and controlling
it by quantity", Canadian Journal of Economics, 225(4), pp 981-91
Roberts M.J., Spence M. (1976) "effuent charges and licenses under uncertainty",
Journal of Public Economics, 5(3-4), pp 193-208
Segerson K. (1988) Uncertainty and incentives for nonpoint pollution control, Journal
of Environmental Economics and Management, 15, pp 87-98
Weitzman M.L. (1974) "Prices versus Quantities", Review of Economic Studies, 41(4),
pp 477-91.
Les Instruments de Politique Environnementale 63
Polycopié DEERN, M. Glachant
13 Exercices
Exercice 1 - La tarification du service de collecte et de traitement des ordures
ménagères
En France, les collectivités doivent pourvoir à la collecte et au traitement des déchets
générés par les ménages. Pour financer ce service, elles utilisent un impôt local : la Taxe
d'Enlèvement des Ordures Ménagères (TEOM). Cette taxe payée par tout ménage est
perçue sur une assiette particulière : la valeur locative du logement occupée. Depuis
quelques années, l'Etat autorise les communes à adopter un autre système : la REOM
(la Redevance d'Enlèvement des Ordures Ménagères). La différence essentielle est que la
REOM peut porter sur une assiette individuelle ayant un lien avec la quantité de
déchet produit par le ménage. Techniquement, la quantité générée par un ménage
donné est mesurée par un système informatique de pesée embarquée sur les camions
poubelles ou plus simplement par la vente de sacs poubelles qu'il est obligatoire
d'utiliser pour conditionner ses déchets.
On considère une commune peuplée de n ménages identiques. Chaque ménage produit
initialement une quantité de déchet q°. Il peut la réduire en faisant du compostage dans
son jardin ou en achetant des produits peu emballés. Mais cela exige un effort de sa
part qui correspond à un coût 2
12()qq°− pour produire une quantité q.
Par ailleurs la collecte et le traitement d'une quantité Q de déchet donnent lieu à un
coût technique +
θ
Q qui correspond aux opérations de traitement et de collecte. En
outre, ces opérations génèrent des nuisances et donc un coût environnemental
δ
Q.
Enfin, la municipalité utilise une redevance qui dépend de la quantité de déchet générée
par chaque ménage. Plus précisément, chaque ménage paie une redevance
ρ
par unité
de déchet collectée.
1) Calculez le taux de la redevance maximisant le bien être municipal.
2) Est-ce que la redevance optimale permet de couvrir le coût du service municipal des
déchets ? Sinon, proposez une version modifiée qui assure l'équilibre budgétaire.
3) Un inconvénient des redevances liées à la quantité de déchet est qu'elles fournissent
également des incitations à l'élimination illégale des déchets via des dépôts sauvages, le
dépôt dans la poubelle du voisin ou l'incinération domestique non contrôlée. On suppose
maintenant que l'élimination illégale exige un effort
ε
par unité de déchet éliminée ainsi,
de la part du ménage. Par ailleurs, cette élimination génère un coût pour la société γ.
On fait l'hypothèse que γ +
ε
>
θ
+
δ
. Que signifie cette hypothèse ? Quelle est la
répartition optimale des déchets entre les 3 modes de traitement (réduction à la source,
élimination légale et élimination illégale) ? (les calculs ne sont pas nécessaires). Calculez
le taux de la redevance efficace dans ce nouveau contexte (on suppose que
ε
<
θ
+
δ
). .
Exercice 2 – La taxe optimale sur la pollution d'un monopole
On considère un producteur en monopole produisant un bien en quantité y. Le
monopole sert une demande décrit par la fonction de demande inverse p = A – y avec p
le prix du marché. Il émet une quantité de pollution q. Sa fonction de coût est égal à
c(q).y avec c'<0 et c">0. Enfin la pollution génère un dommage D(q) avec Dq, Dqq > 0.
1) En situation de laissez-faire, quel est le niveau de production du monopole ? Quel est
Les Instruments de Politique Environnementale 64
Polycopié DEERN, M. Glachant
son niveau de pollution ?
2) Calculez les niveaux de production et de pollution socialement optimaux. Montrez
qu'il n'est pas possible de les atteindre avec une taxe sur les émissions.
3) Est-il possible d'atteindre l'optimum avec une combinaison d'une taxe sur les
émissions et d'une taxe sur le bien ?
Exercice 3 – Effet de l'incertitude sur les coûts de dépollution et sur les dommages
Une agence réglementaire réfléchit à une politique adéquate pour réglementer une firme
pollueuse. La fonction de dommage marginal est connue et est décrite par D'(E) = 5 +
0.1 E, où D' est mesuré en milliers de francs et E est le niveau d'émissions polluantes
(en tonnes). Le réglementeur subit une incertitude sur le coût marginal de dépollution
de la firme polluante de la manière suivante : le coût marginal de dépollution est décrit
soit par C'(E) = 60 - E soit par C'(E) = 38 - E, et le réglementeur sait qu'il y a une
probabilité identique que l'une ou l'autre des deux courbes soit la fonction véritable.
Dans cet exemple, quel est l'instrument (taxe sur les émissions ou norme d'émission) le
plus efficace, et pourquoi ? Déterminez à quel niveau l'instrument qui est préféré doit
être fixé pour minimiser le coût social attendu ?
Exercice 4 – Taxe, subvention ou norme ?
Fireyear et Goodstone sont deux entreprises produisant des pneus vendus dans un
marché mondial très concurrentiel à un prix fixe de 60 euros la tonne. Le processus de
production d'un pneu génère une pollution atmosphérique. La relation entre le niveau
de production et de pollution est 1:1. Elle est fixe, non modifiable par les deux
entreprises. On suppose que les coûts de production des quantités QF et QG des deux
entreprises sont :
Fireyear : 300 + 2QF2
Goodstone : 500 + QG2
L'émission totale est EF + EG = QF + QG. Le dommage marginal par tonne de pollution
est constant et égal à 12 euros.
1) En l'absence d'intervention publique, combien de tonnes de pneus sont produits par
les deux entreprises ? Quel est le profit de chaque entreprise ?
2) Le gouvernement décide d'instaurer une taxe pigouvienne sur les émissions ? Quel est
le taux de la taxe efficace ? Quels sont les niveaux de production et profit après la mise
en œuvre de la taxe ?
3) Mêmes questions si le gouvernement décide de mettre en place une subvention sur la
quantité de pollution évitée
4) Comparer les résultats des 3 questions et commenter les différences.
Exercice 5 – Une politique optimale de l'eau
Considérons un bassin versant dans lequel la pollution provient de deux pollueurs 1 et
2. Ces pollueurs sont identiques du point de vue des coûts de dépollution. Leur coût de
dépollution est donné par une fonction C(q) avec q la quantité de polluant rejeté dans
le milieu est exprimé en quantité par litre d'effluent.
Leurs émissions polluent un point de captage de l'eau brute qui alimente une usine de
production d'eau potable. Les pollueurs sont hétérogènes du point de vue de leur
Les Instruments de Politique Environnementale 65
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pouvoir polluant :
30% des émissions du pollueur 1 arrive au point de captage
60% des émissions du pollueur 2 arrive au point de captage
La législation requiert que l'eau potable distribuée ait une quantité de polluant par litre
inférieur ou égale à x. L'usine d'eau potable peut réduire la teneur en polluant jusqu'au
niveau requis par la législation à un coût F(y-x) avec y la teneur initiale en polluant de
l'eau brute. On a F' et F">0.
1) Quel est l'optimum économique caractérisé par le couple (q1*, q2*) décrivant les
niveaux d'émission des pollueurs 1 et 2 ?
2) Est-ce un optimum de premier rang ? Justifiez votre réponse.
Exercice 6 - PEN avec des objectifs relatifs ou absolus ?
Une discussion, source de controverse, fréquente lors de la définition d'un système de
PEN est de savoir si la contrainte exprimée dans le permis doit être formulée sous la
forme d'un objectif absolu – 1 tonne de SO2 par an – ou relatif, c'est à dire en émissions
spécifiques par tonne de produit – 1 kg de CO2 par tonne de ciment.
1) A votre avis, quelle sont les positions des producteurs dans ce débat ? Sont-ils tous
d'accord ?
2) Vous allez montrer que seul un système absolu permet d'atteindre l'optimum de
premier rang. Pour cela, vous considérerez une économie très simple avec un
consommateur et un producteur qui échangent sur un marché concurrentiel. Le
consommateur retire une utilité ()Uy de la consommation de la quantité y du bien,
avec '0U> et '' 0U< . Le producteur a un coût de production ()cyμ avec y son
niveau de production et μ son niveau d'émission spécifique, c'est à dire sa quantité
d'émission par unité produite. Son niveau d'émission est donc égal à qy
μ=⋅. On fait
l'hypothèse que '( ) 0cμ< et ''( ) 0cμ> ce qui signifie que la réduction de la pollution
fait l'objet de rendements décroissants. Enfin, le dommage provoqué est égal à
δ
q.
a) Calculez les niveaux d'émission et de production sans politique environnementale
puis les niveaux socialement optimaux d'émission et de production
b) Montrez qu'un système de PEN absolu permet d'atteindre l'optimum social
c) Montrez qu'un système de PEN relatif est sous optimal. Expliquez l'intuition sous –
tendant le résultat.
d) Question optionnelle plus difficile. Identifiez le système de PEN relatif maximisant le
bien être.
Exercice 7 – Le Protocole de Kyoto
Dans le cas du Protocole de Kyoto, les pays ont pris des engagements de réduction de
leurs émissions de gaz à effet de serre. Pour donner de la souplesse à la réalisation de
ces engagements, ils ont également prévu un système de marché des droits à polluer
dont nous allons étudier quelques propriétés sur un cas simple avec deux pays.
Deux pays A et B se sont mis d'accord pour réduire chacun de moitié leurs émissions de
gaz à effet de serre qui sont actuellement de 2000 par pays. Ils se sont donc promis
réciproquement de n'émettre que 1000. Ils ont également convenu qu'un pays pouvait
payer l'autre pour qu'il fasse plus que l'objectif en passant à 1000 - x, lui même pouvant
alors se contenter de ne réduire ses émissions qu'au niveau 1000 + x. Ils ont donc créé
Les Instruments de Politique Environnementale 66
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un marché que nous supposerons concurrentiel sur lequel ils peuvent s'échanger x une
quantité d'émission. Les coûts d'une diminution de y des quantités émises, à partir de la
situation initiale sont égaux respectivement pour les pays A et B à y2 et 1000y.
1) A quel prix s'échangeront les droits à émettre ? Aboutissant à quel niveau d'échange
x ?
2) En quoi ce système est-il plus judicieux qu'un engagement sans possibilité d'échange
de droits ?
Exercice 8 - Le mécanisme d'allocation initiale du système de permis à émettre du CO2
anglais
La spécificité du système anglais de PEN en œuvre depuis avril 2002 est d'être
volontaire en ce sens que tous les détenteurs de permis ont librement choisi d'être
contraints via une allocation initiale de permis. Pour inciter les entreprises à participer,
une partie de l'industrie a été soumis à un dispositif d'allocation initiale des permis
cumulant une logique de mise aux enchères et de subvention des participants.
On considère n pollueurs ayant des fonctions de coûts différentes :
()
2
() 2
ii
ii
Cq q q
n
avec i = 1,…n.
Ces pollueurs peuvent participer volontairement à un système de PEN de la manière
suivante :
L'Etat a annoncé qu'il distribuerait une somme globale de F Livres à l'ensemble
des pollueurs qui accepterait des permis.
L'Etat a ensuite organisé une mise aux enchères pour distribuer cette somme en
octroyant les permis aux pollueurs qui proposaient les réductions les plus fortes
par Livre perçue. Concrètement, l'Etat annonce des niveaux de subvention par
unité de CO2 évitée ; les pollueurs répondent en proposant des quantités de
réduction. L'enchère s'arrête quand la somme des quantités de réduction
proposées multipliée par la subvention unitaire est égale à F.
L'originalité du système par rapport à des enchères classiques est que les participants ne
proposent pas des prix mais des quantités de réduction d'émissions.
1) Combien de permis ont été distribués pour une somme globale F ? Combien de
firmes ont-elles accepté de participer ? A quel niveau de subvention par unité
d'émission évitée ? On fera l'hypothèse que chaque permis donne le droit d'émettre une
unité de pollution. Par ailleurs, on modélisera le système d'enchère comme un marché
concurrentiel (les firmes sont donc "preneuses" du prix de la subvention unitaire)
2) A quoi sera égal le prix de marché qui se mettra en place une fois les permis
distribués ? Quelles seront les quantités échangées sur ce marché ?
3) Reprenez la question 1 en supposant cette fois que la fonction de coût inclut un coût
fixe identique pour toutes les firmes :
()
2
() 2
ii
ii
Cq q q C
n
+° avec i = 1,…n.
... La réaffectation de ce second dividende au secteur d'utilisation de la ressource, soit pour indemniser les préjudices liés aux impacts, soit pour remettre en état, soit pour satisfaire les utilisateurs qui n'ont pas de solutions alternatives (« juste-retour ») est une possibilité mais pas une condition d'efficacité économique de l'écotaxe (voir Glachant 2002). Une écotaxe optimale devrait couvrir le dommage marginal social, ce qui est appelé plus haut « coût social environnemental ». ...
Book
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La directive cadre européenne sur l'eau de 2000 modifie profondément la gestion française de l'eau car elle place au-dessus de l'Etat français un arbitre chargé de mesurer la performance et la cohérence de cette gestion. Auparavant les lois sur l'eau françaises imposaient des obligations de résultats à beaucoup d'acteurs mais relativement peu à l'Etat lui-même. Or les aménagements hydrauliques ayant le plus modifié l'état des cours d'eau n'ont pu se réaliser que grâce à l'intervention financière de l'Etat. Cet ouvrage a deux objectifs. Le premier est de réinterpréter quelques grandes lois sur l'eau en France à la lumière de cette nouvelle obligation de résultats imposée à l'Etat français. Il s'agit de montrer que les revendications environnementales ne sont pas nouvelles, qu'elles ont été portées par des acteurs différents au cours du vingtième siècle et qu'elles ont obtenu progressivement des moyens pour limiter les usages abusifs de l'eau. En revanche, le droit à un cours d'eau préservé n'avait jamais été garanti. Cet aperçu historique permet de comprendre la logique de l'héritage législatif en France aujourd'hui. Le second objectif de l'ouvrage est de présenter brièvement aux étudiants et praticiens la réglementation actuelle en matière de gestion de l'eau en France par type de problèmes rencontrés. En effet, c'est souvent par activité et par compartiment (eau, sédiment, rive) que les questions se posent. L'ensemble de l'ouvrage donne donc à la fois des clés pour comprendre l'histoire de la gestion de l'eau en France et l'état de la réglementation aujourd'hui avec laquelle les différents acteurs dont l'Etat vont composer pour mettre en oeuvre la directive cadre.
... La réaffectation de ce second dividende au secteur d'utilisation de la ressource, soit pour indemniser les préjudices liés aux impacts, soit pour remettre en état, soit pour satisfaire les utilisateurs qui n'ont pas de solutions alternatives (« juste-retour ») est une possibilité mais pas une condition d'efficacité économique de l'écotaxe (voir Glachant 2002). Une écotaxe optimale devrait couvrir le dommage marginal social, ce qui est appelé plus haut « coût social environnemental ». ...
Article
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Our paper (Firm incentives to promote technological change in pollution control, J. Environ. Econom. Management17, 247–265 (1989)) concluded that firms will most actively search for new abatement technology under taxes and auctioned permits. However, Marin (Firm incentives to promote technological change in pollution control: Comment, J. Environ. Econom. Management, 21, 297–300 (1991)) argues that we overstated the efficacy of auctioned permits: that we used an unrealistic assumption which might affect our findings; that auctions may misallocate permits and are administratively burdensome; and that innovation detection is difficult under this regime. Here we show that our results are largely unchanged when the assumption questioned by Marin is relaxed. We also argue that he overstates the other concerns.
Article
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Under ideally competitive conditions, both controlling pollution by price (using a combined charge-subsidy scheme) and controlling it by quantity (using a marketable permit scheme) can achieve short- and long-run efficiency and also political acceptability, provided that both schemes embody the same degree of environmental ownership. The resulting full symmetry between control by price and control by quantity, a symmetry overlooked in the literature because of the entry-exit assumptions automatically made for most subsidy schemes, allows a useful practical choice to be made between the two control systems.
Article
We present the results of a framed field experiment with Ethiopian farmers that use the mountain rain forest as a common pool resource. Harvesting honey causes damage to the forest, and open access leads to over-harvesting. We test different mechanisms for mitigating excessive harvesting: a collective tax with low and high tax rates, and a tax/subsidy system. We find that the high-tax scheme works best in inducing the desired level of harvesting, while the tax-subsidy scheme may trigger tacit collusion. Via a panel data analysis we further investigate which variables influence the subjects' decisions during the treatments.
Article
We consider, in this paper, the allocation of pollution quotas as a mechanism design problem. The first objective of pollution quotas is to reduce pollution, but raising revenue is an additional goal when taxation is distortionary. As there is a conflict between allocative efficiency and distributional concerns, rent extraction matters. We show that the level of pollution achieved under incomplete information is lower than under complete information. Each firm can receive more or less permits than under complete information. When the cost parameters are drawn from different probability distributions, the high abatement cost firms may be discriminated against. Classification JEL : Q2, D8, H2.
The Logic of Collective ActionPolicy analysis in a second best world
  • M W Olson
  • E Wallace
  • Oates
Olson M. (1965) The Logic of Collective Action, Cambridge, Harvard University Press Parry Ian W., Wallace E. Oates (1998) "Policy analysis in a second best world", Discussion paper 98-48, Resources for the Future, téléchargeable : http://www.rff.org.
Environmental Economics
  • D Ma Nette Préférence Va Au Récent Manuel De Charles
  • Kolstad
Ma nette préférence va au récent manuel de Charles D. Kolstad (2000) Environmental Economics, chez Oxford University Press. Clair, complet, au fait des avancées plus récentes. Les thèmes de ce cours sont traités dans les chapitres 7 à 11.