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L’investissement habitant des lieux et milieux de vie : une condition du renouvellement urbain ? Étude prospective France, Etats-Unis, Russie, Pays-Bas, Allemagne Inhabitant engagement in their lived environment: a condition of urban renewal ? Prospective study France, United States, Russia, Netherlands, Germany

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Abstract

L’objet de la recherche est de caractériser les nouvelles formes d’investissement habitant des milieux de vie, dans des contextes de renouvellement urbain, en s’attachant à leur donner un cadre théorique (partie 1), puis à en décrypter les conditions de possibilité ou de facilitation institutionnelles (partie 2) avant d’analyser leurs manifestations pratiques, dans leur diversité (partie 3). Par investissement habitant des milieux de vie, nous entendons une action directe et spontanée sur le milieu, qui vise à le transformer, à l’améliorer, qui l’instaure de ce fait en ressource et institue conjointement des communautés environnementales locales, qui peuvent être labiles mais construisent des attachements durables aux lieux. Une première hypothèse est que cette forme de réappropriation des milieux urbains commence à trouver un terreau d’expression favorable dans les villes européennes, sous l’influence des pratiques anglo-saxonnes et suite à l’évolution des démocraties occidentales, marquées par l’essoufflement de la légitimité représentative et la vigueur des processus de décentralisation, pluralisation, individuation du politique, conduisant à des renouvellements des formes de mobilisation et de régulation politiques. La dimension écologique d’un certain nombre de problèmes politiques et les aspirations à des environnements renaturés ou requalifiés joueraient un rôle moteur dans l’essor des pratiques d’investissement et de transformation directe des milieux de vie. Une seconde hypothèse est que cette forme d’investissement constitue un processus - puissant car endogène- de réappropriation et revalorisation des lieux, conditionnant, lorsqu’elle se joue en ville, le renouvellement urbain, aussi bien dans sa forme localisée (déstigmatisation d’un quartier en déclin) que plus globale (réhabilitation de la vie en ville). La requalification des milieux par les habitants eux-mêmes engage des processus de construction/reconstruction d’identités collectives et individuelles, tandis que les formes exogènes de revalorisation (aménagement requalifiant, branding visant à transformer l’image du quartier, accompagnement social, ...) ne travaillent pas, le plus souvent, au cœur des sentiments et des représentations. La revalorisation d’un lieu implique en effet à notre sens celle de l’identité de l’habitant, qui suppose à son tour en premier lieu une reconnaissance de son impact sur le milieu (sous ses formes minimales : fleurissement des balcons, propreté et soin de l’espace public, commun ou exposé au regard, ou au contraire dégradations), puis une latitude d’action quant au réaménagement de ce milieu. Nous verrons dans la partie 2 que les requalifications «exogènes» et «endogènes» ne s’opposent pas mais peuvent s’articuler. Une troisième hypothèse porte sur les formes de renouvellement politique induites, tant du côté de la citoyenneté environnementale que des politiques publiques amenées à composer avec ces agents de l’environnement, à la fois immémoriaux et inédits dans les politiques urbaines contemporaines, que sont les habitants aménageant et transformant les milieux. Nous pensons que la question écologique entraîne des modalités de prise en charge spécifiques des problèmes politiques : l’engagement politique se déplace vers la transformation de la matérialité des milieux et des modes de vie. A ce titre, la problématique environnementale est un lieu privilégié d’analyse de la crise du politique, mais aussi de son renouvellement. Afin de tester ce corps d’hypothèses, un premier travail a consisté à rassembler les fondements théoriques pouvant permettre de construire une compréhension des évolutions en jeu. Les apports de la philosophie pragmatique, qui s’est imposée 3 comme courant majeur de la réflexion sur la place de l'action et de l'expérience en politique, et le potentiel de l’individualisme, dans la mesure où il traite d’un individu vivant, doté d’un milieu, bref d’un individu « habitant », ont été mobilisés. Ces deux courants de pensée ont permis de replacer l’action directe et l’investissement habitant des milieux de vie dans une grille théorique qui fait de l’individu et de l’action au sens large deux termes clés du renouvellement de la conception du politique. Accordant une place centrale à l’expérience et à l’expérimentation, qui conduisent certaines idées au statut de réalités, le pragmatisme aide à comprendre l’action directe comme forme d’engagement politique, ainsi que les effets de restructuration politique de l'action habitante. Les expériences d’habitat groupé écologique présentées en partie 3 sont particulièrement révélatrices d’un infléchissement de l’engagement politique vers l’action directe, revendiquant à la fois une expérience de vie et l’idée de faire advenir par la pratique de nouvelles réalités ayant un potentiel de transformation politique et sociale. Le pragmatisme offre une grille d’interprétation au plus près des motivations exprimées par les acteurs. On peut voir là l’imprégnation du contexte sociétal par les thèses du pragmatisme, qui est devenu, au-delà d’une théorie scientifique, un mode interprétatif largement répandu, incorporé dans la société. L’individualisme, quant à lui, permet de repenser les capacités de résistance politique à partir de sujets en quête d’émancipation, dans la veine des conceptions démocratiques d’Emerson ou de Thoreau. Il éclaire à son tour l’interprétation de l’action directe comme action politique. Une première forme de reconnaissance du rôle de l’individu en politique est à l’œuvre dans les politiques d’empowerment ou d’activation de la participation en Allemagne, qui cherchent à mobiliser les énergies et ressources locales en particulier dans le contexte des quartiers en déclin. Après ce rappel des fondements théoriques et de la posture de recherche adoptée pour appréhender la question de l’investissement habitant des milieux de vie, la deuxième partie du rapport dresse un tableau, pays par pays, des formes d’organisation de la démocratie locale, des conceptions qui la sous-tendent et des modalités d’action conjointe existant entre habitants et pouvoirs publics. Les contrastes entre monde anglo-saxon, pays nord-européens et France mis en évidence par ce panorama portent sur une reconnaissance inégale du rôle de l’individu en politique, qui dépend de l’importance accordée au self-help (vigoureuse aux Etats-Unis), à la responsabilisation civique de l’individu et de la prégnance des modes de revendication conflictuels (dominants en France). Le cas de la Russie est spécifique, les processus démocratiques étant encore peu structurés, ce qui laisse des espaces vacants pour les mobilisations habitantes, qui s’articulent souvent en creux avec l’action des pouvoirs publics. Une autre dimension que l’on retrouve dans chaque contexte est le rôle supplétif de la mobilisation habitante, non seulement lorsque l’intervention publique est faible (Etats-Unis), mais aussi pour venir en appui à des finances publiques rétrécies. Cependant, les expériences d’investissement habitant ne peuvent être réduites à des réponses supplétives, dans la mesure où leur occurrence reste faible et n’est pas corrélée à la gravité des problèmes. La troisième partie de la recherche fait place à une approche empirique. Les études de cas analysent les formes spontanées d’investissement habitant dans les différents contextes d’étude. Elles ont été sélectionnées à partir du travail de recensement d’expériences réalisé par les équipes partenaires du projet –l’institut de sociologie de l’Académie des sciences de Moscou, ICLEI, les gouvernements locaux pour la durabilité, à Freiburg-en-Brisgau, et l’Institut International sur l’Environnement Urbain à Delft-. 4 Les formes d’investissement habitant ont été regroupées selon deux grands axes. Le premier présente des expériences de gestion en bien commun de pieds et cours d’immeuble dans des grands ensembles (Russie) et d’espaces verts d’un quartier péricentral déshérité (Pays-Bas). Le renouvellement urbain induit par la transformation habitante du cadre de vie se développe alors de fil en aiguille. Le deuxième axe rassemble des expériences plus alternatives, se voulant en rupture, mettant en œuvre de nouveaux modes d’habiter, soit à l’occasion de la réhabilitation de friches (Allemagne), soit lors de projets d’éco-construction (Pays-Bas, France). L’essor de l’habitat groupé écologique en France a particulièrement retenu notre attention, dans la mesure où il s’inscrit dans une démarche de réhabilitation de la vie en ville et d’urbanisme durable, interrogeant à la fois le sens et les pratiques de l’habiter. Encore émergent, ce mouvement diffus révèle et cristallise des aspirations profondes à une vie écologique en ville, dont les habitants pourraient devenir des acteurs. En conclusion, et bien qu’une analyse comparative reste encore à construire, nous espérons avoir montré à la fois les germes d’une nouvelle citoyenneté écologique en ville et son potentiel pour un renouvellement urbain durable. Les expériences analysées mettent en scène des communautés environnementales, qui se consolident et deviennent actrices du renouvellement urbain. Ce renouvellement engage aussi un renouvellement de l'engagement politique, qui passe par le faire, le mode d'habiter et les modes de vie. De nombreuses questions restent non résolues. Quelles sont les voies de diffusion de l'appropriation habitante qui puissent rendre possible sa généralisation ? Quelles règles faut-il transformer, quelles libertés faut-il offrir ? Comment partager la fabrique de l’environnement urbain ?
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L’investissement habitant des lieux et milieux de
vie : une condition du renouvellement urbain ?
Étude prospective
France, Etats-Unis, Russie, Pays-Bas,
Allemagne
Inhabitant engagement in their lived environment:
a condition of urban renewal ?
Prospective study
France, United States, Russia, Netherlands, Germany
Auteurs :
Nathalie Blanc (CNRS) et Cyria Emelianoff (Université du Maine)
(coord.), Estienne Rodary (IRD), Etienne Ballan (consultant), Olga
Aksonova (Académie des sciences de Moscou), Irina Khalyi (Académie
des sciences de Moscou), Stefan Kuhn (ICLEI), Andrea Philipp (ICLEI),
Bianca Peeters (IIUE), Martijn Kramer (IIUE), Laure Héland (Université
de Tours).
Rapport final, 2008
Programme exploratoire de recherche prospective
européenne PUCA, 2004
2
Remerciements
Nous remercions très chaleureusement pour leur contribution les membres des
équipes française, Estienne Rodary (IRD), Etienne Ballan (consultant), Laure Héland
(Université de Tours), russe, Olga Aksonova (Académie des sciences de Moscou),
Irina Khalyi (Académie des sciences de Moscou), allemande, Stefan Kuhn (ICLEI),
Andrea Philipp (ICLEI), néerlandaise, Bianca Peeters (IIUE), Martijn Kramer (IIUE),
pour nous avoir accompagnées tout au long de cette recherche tant sur le plan de la
réflexion collective que du pilotage sur le terrain. Un grand merci également pour
tous les acteurs qui se sont prêtés au jeu des interviews et nous ont fait bénéficié de
leurs compétences et de leurs savoirs. Enfin, il faut souligner la grande disponibilité
de Françoise Goudet et d'Evelyne Lemercier au PUCA qui nous ont permis de réaliser
ce rapport de recherche dans les meilleures conditions.
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Résumé
L’objet de la recherche est de caractériser les nouvelles formes d’investissement
habitant des milieux de vie, dans des contextes de renouvellement urbain, en
s’attachant à leur donner un cadre théorique (partie 1), puis à en décrypter les
conditions de possibilité ou de facilitation institutionnelles (partie 2) avant d’analyser
leurs manifestations pratiques, dans leur diversité (partie 3). Par investissement
habitant des milieux de vie, nous entendons une action directe et spontanée sur le
milieu, qui vise à le transformer, à l’améliorer, qui l’instaure de ce fait en ressource et
institue conjointement des communautés environnementales locales, qui peuvent être
labiles mais construisent des attachements durables aux lieux.
Une première hypothèse est que cette forme de réappropriation des milieux urbains
commence à trouver un terreau d’expression favorable dans les villes européennes,
sous l’influence des pratiques anglo-saxonnes et suite à l’évolution des démocraties
occidentales, marquées par l’essoufflement de la légitimité représentative et la
vigueur des processus de décentralisation, pluralisation, individuation du politique,
conduisant à des renouvellements des formes de mobilisation et de régulation
politiques. La dimension écologique d’un certain nombre de problèmes politiques et
les aspirations à des environnements renaturés ou requalifiés joueraient un rôle
moteur dans l’essor des pratiques d’investissement et de transformation directe des
milieux de vie.
Une seconde hypothèse est que cette forme d’investissement constitue un processus -
puissant car endogène- de réappropriation et revalorisation des lieux, conditionnant,
lorsqu’elle se joue en ville, le renouvellement urbain, aussi bien dans sa forme
localisée (déstigmatisation d’un quartier en déclin) que plus globale (réhabilitation de
la vie en ville). La requalification des milieux par les habitants eux-mêmes engage
des processus de construction/reconstruction d’identités collectives et individuelles,
tandis que les formes exogènes de revalorisation (aménagement requalifiant,
branding visant à transformer l’image du quartier, accompagnement social, …) ne
travaillent pas, le plus souvent, au cœur des sentiments et des représentations. La
revalorisation d’un lieu implique en effet à notre sens celle de l’identité de l’habitant,
qui suppose à son tour en premier lieu une reconnaissance de son impact sur le milieu
(sous ses formes minimales : fleurissement des balcons, propreté et soin de l’espace
public, commun ou exposé au regard, ou au contraire dégradations), puis une latitude
d’action quant au réaménagement de ce milieu. Nous verrons dans la partie 2 que les
requalifications « exogènes » et « endogènes » ne s’opposent pas mais peuvent
s’articuler.
Une troisième hypothèse porte sur les formes de renouvellement politique induites,
tant du côté de la citoyenneté environnementale que des politiques publiques amenées
à composer avec ces agents de l’environnement, à la fois immémoriaux et inédits
dans les politiques urbaines contemporaines, que sont les habitants aménageant et
transformant les milieux. Nous pensons que la question écologique entraîne des
modalités de prise en charge spécifiques des problèmes politiques : l’engagement
politique se déplace vers la transformation de la matérialité des milieux et des modes
de vie. A ce titre, la problématique environnementale est un lieu privilégié d’analyse
de la crise du politique, mais aussi de son renouvellement.
Afin de tester ce corps d’hypothèses, un premier travail a consisté à rassembler les
fondements théoriques pouvant permettre de construire une compréhension des
évolutions en jeu. Les apports de la philosophie pragmatique, qui s’est imposée
4
comme courant majeur de la réflexion sur la place de l'action et de l'expérience en
politique, et le potentiel de l’individualisme, dans la mesure où il traite d’un individu
vivant, doté d’un milieu, bref d’un individu « habitant », ont été mobilisés. Ces deux
courants de pensée ont permis de replacer l’action directe et l’investissement habitant
des milieux de vie dans une grille théorique qui fait de l’individu et de l’action au
sens large deux termes clés du renouvellement de la conception du politique.
Accordant une place centrale à l’expérience et à l’expérimentation, qui conduisent
certaines idées au statut de réalités, le pragmatisme aide à comprendre l’action directe
comme forme d’engagement politique, ainsi que les effets de restructuration politique
de l'action habitante. Les expériences d’habitat groupé écologique présentées en
partie 3 sont particulièrement révélatrices d’un infléchissement de l’engagement
politique vers l’action directe, revendiquant à la fois une expérience de vie et l’idée
de faire advenir par la pratique de nouvelles réalités ayant un potentiel de
transformation politique et sociale. Le pragmatisme offre une grille d’interprétation
au plus près des motivations exprimées par les acteurs. On peut voir là l’imprégnation
du contexte sociétal par les thèses du pragmatisme, qui est devenu, au-delà d’une
théorie scientifique, un mode interprétatif largement répandu, incorporé dans la
société.
L’individualisme, quant à lui, permet de repenser les capacités de résistance politique
à partir de sujets en quête d’émancipation, dans la veine des conceptions
démocratiques d’Emerson ou de Thoreau. Il éclaire à son tour l’interprétation de
l’action directe comme action politique. Une première forme de reconnaissance du
rôle de l’individu en politique est à l’œuvre dans les politiques d’empowerment ou
d’activation de la participation en Allemagne, qui cherchent à mobiliser les énergies
et ressources locales en particulier dans le contexte des quartiers en déclin.
Après ce rappel des fondements théoriques et de la posture de recherche adoptée pour
appréhender la question de l’investissement habitant des milieux de vie, la deuxième
partie du rapport dresse un tableau, pays par pays, des formes d’organisation de la
démocratie locale, des conceptions qui la sous-tendent et des modalités d’action
conjointe existant entre habitants et pouvoirs publics. Les contrastes entre monde
anglo-saxon, pays nord-européens et France mis en évidence par ce panorama portent
sur une reconnaissance inégale du rôle de l’individu en politique, qui dépend de
l’importance accordée au self-help (vigoureuse aux Etats-Unis), à la
responsabilisation civique de l’individu et de la prégnance des modes de
revendication conflictuels (dominants en France). Le cas de la Russie est spécifique,
les processus démocratiques étant encore peu structurés, ce qui laisse des espaces
vacants pour les mobilisations habitantes, qui s’articulent souvent en creux avec
l’action des pouvoirs publics. Une autre dimension que l’on retrouve dans chaque
contexte est le rôle supplétif de la mobilisation habitante, non seulement lorsque
l’intervention publique est faible (Etats-Unis), mais aussi pour venir en appui à des
finances publiques rétrécies. Cependant, les expériences d’investissement habitant ne
peuvent être réduites à des réponses supplétives, dans la mesure leur occurrence
reste faible et n’est pas corrélée à la gravité des problèmes.
La troisième partie de la recherche fait place à une approche empirique. Les études de
cas analysent les formes spontanées d’investissement habitant dans les différents
contextes d’étude. Elles ont été sélectionnées à partir du travail de recensement
d’expériences réalisé par les équipes partenaires du projet –l’institut de sociologie de
l’Académie des sciences de Moscou, ICLEI, les gouvernements locaux pour la
durabilité, à Freiburg-en-Brisgau, et l’Institut International sur l’Environnement
Urbain à Delft-.
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Les formes d’investissement habitant ont été regroupées selon deux grands axes. Le
premier présente des expériences de gestion en bien commun de pieds et cours
d’immeuble dans des grands ensembles (Russie) et d’espaces verts d’un quartier
péricentral déshérité (Pays-Bas). Le renouvellement urbain induit par la
transformation habitante du cadre de vie se développe alors de fil en aiguille. Le
deuxième axe rassemble des expériences plus alternatives, se voulant en rupture,
mettant en œuvre de nouveaux modes d’habiter, soit à l’occasion de la réhabilitation
de friches (Allemagne), soit lors de projets d’éco-construction (Pays-Bas, France).
L’essor de l’habitat groupé écologique en France a particulièrement retenu notre
attention, dans la mesure où il s’inscrit dans une démarche de réhabilitation de la vie
en ville et d’urbanisme durable, interrogeant à la fois le sens et les pratiques de
l’habiter. Encore émergent, ce mouvement diffus révèle et cristallise des aspirations
profondes à une vie écologique en ville, dont les habitants pourraient devenir des
acteurs.
En conclusion, et bien qu’une analyse comparative reste encore à construire, nous
espérons avoir montré à la fois les germes d’une nouvelle citoyenneté écologique en
ville et son potentiel pour un renouvellement urbain durable. Les expériences
analysées mettent en scène des communautés environnementales, qui se consolident
et deviennent actrices du renouvellement urbain. Ce renouvellement engage aussi un
renouvellement de l'engagement politique, qui passe par le faire, le mode d'habiter et
les modes de vie.
De nombreuses questions restent non résolues. Quelles sont les voies de diffusion de
l'appropriation habitante qui puissent rendre possible sa généralisation ? Quelles
règles faut-il transformer, quelles libertés faut-il offrir ? Comment partager la
fabrique de l’environnement urbain ?
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SOMMAIRE
INTRODUCTION. DE LA PASSIVITE A L’ACTION : LA PLACE DU CITOYEN AU
REGARD DE L’ACTION PUBLIQUE 8
1. VERS UNE CITOYENNETE ENVIRONNEMENTALE 11
2. LE RENOUVELLEMENT ANTHROPOLOGIQUE 12
PARTIE 1. REPERES THEORIQUES ET CONTEXTUELS 13
1. LE TOURNANT PRAGMATIQUE 13
A. DU PRAGMATISME EN FRANCE 13
B. UNE POSTURE DE RECHERCHE 14
2. L’INDIVIDU EN POLITIQUE 16
A. L'ENGAGEMENT INDIVIDUEL, ENTRE ETRE SOI-MEME ET RESISTANCE POLITIQUE 17
B. L’ACTION DIRECTE, OU LA SOIF DE FAIRE 17
C. LES PREMISSES DUNE RECONNAISSANCE DU ROLE DE LINDIVIDU EN POLITIQUE : EMPOWERMENT
ET ACTIVATION 18
3. DES MOMENTS CRITIQUES DE L'INDIVIDUALISATION DU POLITIQUE 20
A. SE VOIR CONFIER DES RESPONSABILITES : LA GOUVERNEMENTALITE ET LES PROCESSUS DE
NORMALISATION 21
B. ACQUERIR UNE PUISSANCE D'ACTION : L'EMPOWERMENT, OU LE RETRAIT DES POUVOIRS PUBLICS 22
C. L'INDIVIDU EN VIE, OU LES MANIERES DE DEPASSER LASSIMILATION CAPITALISME
/INDIVIDUALISME 24
PARTIE 2. VERS UN MODELE D'ACTION CONJOINTE 27
1. AUX ETATS-UNIS 27
A. DE LA DEMOCRATIE EN AMERIQUE 27
B. LA DEMOCRATIE LOCALE : PLUS DE QUARANTE ANS DAPPRENTISSAGE 29
C. A LECOLE D’ALINSKY 31
D. LES ORGANISATIONS DE DEVELOPPEMENT COMMUNAUTAIRE (CDC) 32
E. LES RESEAUX DAPPUI AUX INITIATIVES LOCALES, UN NOUVEAU MODELE DACTION POLITIQUE 32
F. LE MOUVEMENT DES ASSOCIATIONS DE QUARTIER 33
G. L’ENVIRONNEMENTALISME CIVIQUE 34
H. LE MOUVEMENT DES BASSINS VERSANTS 37
I. LES CLES DE LINVESTISSEMENT CIVIQUE 38
2. EN ALLEMAGNE 41
A. LE DOUBLE PILIER DE L'ENGAGEMENT CIVIQUE EN ALLEMAGNE 42
B. ENGAGEMENT CIVIQUE DANS LE RENOUVELLEMENT URBAIN 44
C. PROGRAMMES FEDERAUX ET INITIATIVES DE SOUTIEN A LENGAGEMENT CIVIQUE 47
D. EXEMPLES DENGAGEMENT CIVIQUE DANS LE RENOUVELLEMENT URBAIN 48
3. AUX PAYS-BAS 50
A. LES POUVOIRS LOCAUX ET LE « MODELE DU POLDER » 50
B. LES VOIES DE LA PARTICIPATION 51
C. PARTICIPATION ET RENOUVELLEMENT URBAIN 52
7
D. PROGRAMMES NATIONAUX DE REGENERATION URBAINE ET PARTICIPATION CITOYENNE 54
4. EN RUSSIE 55
A. GOUVERNEMENT ET TRANSFORMATIONS POLITIQUES 55
B. LOCAL, REGIONS ET VILLES : QUEL ROLE DANS LES POLITIQUES DENVIRONNEMENT ? 58
C. PRIVATISATION DU FONCIER 62
D. COLLABORATION ET SOCIETE CIVILE 65
E. INITIATIVES LOCALES ET REVALORISATION DE L'ENVIRONNEMENT 67
4. EN FRANCE 68
A. L’EVITEMENT HISTORIQUE 68
B. L’HABITANT TERRITOIRE 70
C. LA RESPONSABILITE DE L'HABITANT 71
D. REINSERTION ET REGIE DE QUARTIERS 72
E. REGULATION ET DEFAILLANCE SOCIALES 74
F. AUTOGESTION, DESOBEISSANCE CIVILE, SQUATS 75
G. LA REAPPROPRIATION SYMBOLIQUE DE LESPACE PUBLIC 76
H. L’HABITANT VU COMME SUPPLETIF 78
PARTIE 3. FORMES DE RENOUVELLEMENT URBAIN : DU "FIL EN AIGUILLE" AU
PROCESSUS ALTERNATIF 81
1. REVENDICATIONS D'UNE GESTION EN BIEN COMMUN 82
A. PRENDRE EN CHARGE. TVER 82
B. SAUVEGARDER LA QUALITE DE VIE DANS UN ENVIRONNEMENT DEGRADE. NIJNI NOVGOROD 86
C. LE VEGETAL, LEVIER DU RENOUVELLEMENT URBAIN. ARNHEM 91
2. ACTIONS ALTERNATIVES/ L'HABITAT GROUPE ECOLOGIQUE 98
A. RETOUR AUX SOURCES : LE MOUVEMENT POUR LHABITAT GROUPE AUTOGERE (MHGA) 99
B. UNE SECONDE SOURCE DINSPIRATION : LES ECOQUARTIERS 103
C. UNE EXPERIENCE DE REHABILITATION ECOLOGIQUE DUNE FRICHE PAR LES HABITANTS : MIKA,
KARLSRUHE 110
D. LE RENOUVEAU DE LHABITAT GROUPE 112
CONCLUSION 129
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES 131
8
Introduction. De la passivité à l’action : la place du citoyen
au regard de l’action publique
Notre point de départ, en 2004, est d’instruire une enquête sur la notion
d’investissement des milieux de vie par les citadins. L’hypothèse est qu’il ne peut y
avoir de renouvellement urbain au sens large sans participation des habitants ; par
participation, on ne veut pas dire émettre une opinion, mais plutôt agir directement
sur le milieu. Le tournant pragmatiste à l’œuvre dans les sociétés occidentales
travaille aussi bien les formes de conscience et d’engagement politiques (Ion et al.,
2005), que les relations sociales, les pratiques de la vie quotidienne ou d’éducation.
On observe d'autre part une orientation de l’engagement politique vers l’action
« directe », non médiatisée par des institutions ou des partis, qui exprime d’abord une
crise de confiance dans le pouvoir des mots et des idées à transformer la réalité. Les
effets de rhétorique et l’immobilisme sociétal, en particulier dans le champ de
l’écologie ou du développement durable, nourrissent de nouvelles modalités
d’engagement : l'environnement comme problématique sociale et politique et comme
cadre de vie constitue désormais un axe de reconfiguration de l'engagement solidaire
(Thévenot, 2007). Ne plus parler mais faire, telle est la devise, l’urgence, des
nouveaux militants, qui se constituent selon Jacques Ion « par et dans l’action, et non
plus par une adhésion idéologique, syndicale ou politique » (Ion, 2005, p 4). Nous
entendons l’action directe dans un sens bien plus large que celui indiqué par Jacques
Ion, qui la définit « comme un des moyens de promotion publique d’une cause et
comme ultimatum à la négociation avec les pouvoirs publics » (2005, p 23).
A l’époque de la rédaction du projet, en 2004, les politiques de renouvellement
urbain achoppent sur la désaffection des grands ensembles et la vacance urbaine au
profit d’un mitage progressif de l’espace urbain, d’une périurbanisation croissante, en
particulier dans les anciens pays de l'Est. L’une des hypothèses auxquelles ce projet
répond est que cette fuite vers le périurbain correspond en partie, à côté de contraintes
idéologiques et financières, premièrement, à une demande de reconnection concrète à
la nature, deuxièmement, au besoin vécu de se réapproprier son milieu de vie par la
possibilité de fabriquer ce dernier. Une autre hypothèse est qu'il était possible de
réinventer la légitimité de la ville dense, y compris des "grands ensembles", à travers
sa valeur pour un développement écologique des sociétés, à condition que l'action et
les singularités habitantes puissent s'y exprimer. Nous voulions donc explorer dans
différents pays européens les liens existant entre l’action directe sur le milieu,
l’amélioration des conditions de vie en résultant et la contribution aux politiques
publiques de renouvellement urbain.
Tant les états de l’art (rapport intermédiaire) que les études de cas réalisées dans les
différents pays (Russie, France, Allemagne, Pays-Bas) ont conduit à porter l’attention
sur deux aspects particuliers de la problématique. Tout d’abord, on a priorisé
l’analyse des motivations des citadins qui leur permettent d’agir sur le milieu, en
gardant à l’esprit la notion de « capabilité » d’Amartya Sen, entre possibilités offertes
par les institutions et l’environnement, et capacités propres aux individus. Nous avons
ensuite essayé de comprendre de quelle manière ces milieux produits par les habitants
engagent de nouvelles modalités de l’action publique, forçant en quelque sorte un
processus de reconnaissance de l’initiative habitante et de co-construction d’une
politique urbaine. Il est apparu au fil de l’avancée de la recherche des agents de
9
l’environnement inédits, s’imposant dans la fabrique des politiques d’environnement
urbain. Ces agents existent en formant ce que nous proposons de nommer des
« communautés environnementales », qui se constituent à travers une action en
commun sur un environnement matériel, pensée dans le cadre de solidarités de
voisinage, mais aussi avec le vivant et un environnement plus vaste.
Nous nous sommes donc déplacées par rapport à l’objectif de recherche initial qui
était de mesurer la force et l’impact de ces initiatives habitantes sur le milieu, les
processus de valorisation économique et symbolique, et donc de renouvellement
urbain en résultant. Il nous a paru incontournable de nous arrêter d’abord sur le
processus constitutif de ces mobilisations, avant même d’évaluer leurs résultats, ce
qui aurait demandé une deuxième phase de recherche mobilisant des ressources
interdisciplinaires. La valorisation économique et écologique des milieux par les
habitants a été appréhendée du point de vue des acteurs, sans que des protocoles de
mesure aient pu être mis en place.
L’hypothèse selon laquelle l’investissement habitant constitue un processus -puissant
car endogène- de réappropriation et revalorisation des lieux, conditionnant, lorsqu’il
se joue en ville, le renouvellement urbain, aussi bien dans sa forme localisée
(déstigmatisation de quartiers en déclin) que plus globale (réhabilitation de la vie en
ville) sous-tend notre approche. La requalification des milieux par les habitants eux-
mêmes engage en effet des processus de construction/reconstruction d’identités
collectives et individuelles, tandis que les formes exogènes de revalorisation
(aménagement requalifiant, branding visant à transformer l’image du quartier,
accompagnement social, …) ne travaillent pas, le plus souvent, au cœur des
sentiments et des représentations. D’où des difficultés à enclencher un processus de
reconnaissance sociale des habitants, à travers la reconnaissance de la valeur qu’ils
sont susceptibles de conférer au lieu qu’ils habitent, et à instaurer un sentiment de
fierté collective ou du moins de satisfaction résidentielle. La revalorisation d’un lieu
implique à notre sens celle de l’identité de l’habitant, qui suppose à son tour d’abord
une reconnaissance de son impact sur le milieu (sous ses formes minimales,
fleurissement des balcons, propreté et soin de l’espace public, ou au contraire
dégradations) puis une latitude d’action quant au réaménagement de ce milieu. Nous
verrons dans la partie 2 que les requalifications « exogènes » et « endogènes » ne
s’opposent pas mais peuvent s’articuler.
Les nouveaux agents politiques que nous avons appréhendés (agents plutôt qu’acteurs
dans la mesure où ils ne sont pas reconnus comme tels) dessinent des alternatives en
façonnant des environnements matériels qui ouvrent des perspectives d’action elles
aussi inédites, en enclenchant des processus d’apprentissage et de reconnaissance
sociale. C’est sans doute la force de l’action portant sur un environnement matériel
que de transformer de manière incrémentale et avec une montée en puissance aussi
bien le cadre de vie que la légitimité des acteurs qui le fabriquent. L’environnement
comme œuvre collective devient alors un encouragement à l’action, auto-entretenu.
La réflexivité de l’action collective peut s’appuyer sur une réalité matérielle qui
renvoie une image de la communauté. Ce jeu de miroir engage des formes de
reconnaissance qui passent non seulement par le façonnement du paysage, mais par
l’amélioration écologique des milieux.
Les interprétations qui consistent à assimiler l’action citadine à des actes reposant sur
la défense d’intérêts particuliers sont donc assez éloignées de notre grille d’analyse. Il
nous semble qu’au-delà du phénomène NIMBY dont sont souvent qualifiées les
initiatives habitantes, celles-ci répondent à un souci plus englobant et qui peut nous
concerner tous, dans la mesure où il correspond à une proposition de vie plus
10
écologique. La prise en charge d’un milieu de vie par des habitants serait la
manifestation du fait que certains d’entre eux s’inventent gardiens et garants d’une
nature qu’ils sentent menacée, dépendante de leur action au niveau local, et
étroitement reliée à l’idée qu’ils se font d’une vie heureuse en cet endroit, et de
manière plus générale sur la planète. Cette prise en charge permettrait aussi une
réduction du potentiel anxiogène de la question environnementale, qui s’inscrit au
premier rang des inquiétudes d’une partie croissante de la population (Michel, 2007).
Notre projet s’inscrit par ailleurs dans un contexte où les politiques publiques
s’adressent de manière crescendo, mais variable selon les secteurs géographiques, aux
individus, par le déploiement de mesures portant sur l'adaptation aux besoins des
personnes dans leur diversité (dessertes en porte à porte par exemple), la
compréhension des perceptions et vécus des individus avec l’appui de psychologues,
sociologues ou anthropologues (gestion de crise par exemple), ou encore, le travail
sur les modes de vie et de consommation durables. Ces évolutions interrogent les
sciences politiques à travers la notion de « gouvernementalité », misant sur la
responsabilisation des individus.
Au-delà de l’individu cible ou acteur des politiques urbaines, notre questionnement
s’est ouvert dans un second temps à de nouvelles interrogations : comment se créent
des milieux de vie qui ne répondent pas au souci de quelques individus mais soient le
fait d’une pluralité d’individus, tout en étant produits en vue de l’amélioration des
conditions de vie d’une collectivité ? En d’autres termes, comment se créent des
communautés environnementales ? Comment, ensuite, du côté des politiques urbaines
construit-on un milieu urbain « habitable », sur un plan à la fois local et terrestre, en
relation ou conjointement à l’action habitante ? Comment s’articulent les échelles de
l’action, de l’individu à la communauté environnementale et à l’intérêt collectif ?
Comment faire en sorte que la ville devienne le lieu de gestions en bien commun,
c'est-à-dire autorise des projets collectifs qui n’en fassent pas le produit mécanique de
l’action de certains, mais qui soient au croisement d’initiatives habitantes et de
nouvelles possibilités institutionnelles ? Comment, d’autre part, faire reconnaître une
action en commun qui participe à l’amélioration de l’environnement urbain pris
comme une globalité ?
Un des enjeux de la ville durable est de permettre que la réappropriation de la
« fabrique environnementale » qui met en jeu une fabrique de soi, soit possible en
ville. Or, les actions de transformation habitante des milieux urbains sont souvent
cantonnées à des actions supplétives, à des actions subreptices ou artistiques (Blanc et
al., 2007), ou à des espaces expérimentaux tels que les écoquartiers. Elles sont en tous
les cas peu visibles, peu publicisées, en marge de la pensée sur la fabrique urbaine.
Laisser déployer les initiatives agissant sur la matérialité et donc l’idéalité de la ville
(Lefebvre, 1968) est un enjeu qui se situe encore devant nous. On peut pourtant
penser que la capacité des villes à garder leurs habitants, à se renouveler, dépend, au-
delà de la condition structurante du foncier et de ses prix, de leur capacité à se prêter à
une transformation individuelle et collective, à offrir des espaces que les habitants
peuvent modeler, à l’image des environnements moins normés, fabriqués par le menu
des actions humaines. Refaire la ville sur la ville suppose de laisser place à l’action
civile, à des environnements qui expriment des sensibilités et des différences.
Il suffit de se pencher sur le rapport « La citoyenneté urbaine : formes d’engagement
et enjeux de solidarité » (2007 : en réponse à la consultation internationale de
recherche du PUCA Sociétés urbaines et habitats) pour prendre conscience qu’au
diagnostic de la citoyenneté répond en France le constat d’un déficit en la matière : le
citoyen est considéré le plus souvent comme un ressortissant de l’action publique ou
11
comme un consommateur de services voire un usager. De nombreuses études en
sciences politiques occultent la conception des gouvernés comme sujets politiques,
les envisageant comme assujettis aux décisions gouvernementales et à l’acception des
relations de pouvoir dans lesquelles ils sont pris ; dès lors leur apparition dans
l'espace public comme sujets politiques se fait dans le cadre de l'analyse de conflits et
d'une opposition aux pouvoirs publics, particulièrement en France. Ceci, d’après
Mabileau (2000), correspond notamment au fait que le local, échelle d’indexation du
citoyen, s’inscrit comme un horizon en creux du national. La France est globalement
marquée par un déficit de reconnaissance de la démocratie et de la citoyenneté
locales, dont la place n’égale pas celle prise dans d’autres pays. Et ce malgré la
décentralisation enclenchée dans les années 1980. L’analyse des pratiques
participatives aux Etats-Unis, en Allemagne ou aux Pays-Bas, pour ne citer que les
contextes concernés par l’étude, le met clairement en lumière.
1. Vers une citoyenneté environnementale
La participation s’inscrit traditionnellement dans un contexte de renouveau de
procédures démocratiques. Par l’éducation, la sensibilisation, l’information, les
procédures participatives cherchent à améliorer les capacités des individus à agir en
tant que citoyens ; elles cherchent à activer la citoyenneté au cœur des individus, en
particulier celle des citoyens à problèmes, qui se voient dès lors qualifiés comme une
catégorie ressortissant de l’action publique ; il s’agit d’éduquer à la citoyenneté les
jeunes de banlieue, par exemple.
Cependant, ce constat négatif ne doit pas occulter l’évolution d’une conception de la
citoyenneté dont rend compte notre projet dans le domaine de l’action directe. Ainsi,
on observe, très généralement, une évolution des cadres analytiques et scientifiques
des mouvements sociaux ; l’analyse en termes de luttes urbaines1, la citoyenneté étant
alors le produit et la manifestation de revendications toujours nouvelles, fait place à
une analyse pragmatique des mobilisations environnementales et urbaines (Sirianni et
al., 2001). Certes, cette évolution correspond à l’effacement des grandes idéologies, à
leur dépérissement, mais elle répond aussi à un ensemble d’idées : 1) les luttes et
mobilisations ne sont pas faites simplement de mots mais de faits, 2) la citoyenneté ne
ressort pas d’un simple vote, mais demande à être éprouvée activement, 3)
l’environnement n’est pas détaché des gestes et des initiatives habitantes. Cette
citoyenneté active l’est parce qu’elle prend part à la transformation de la réalité
matérielle, et non parce que les revendications seraient « activées ».
En ce sens, la prise de conscience écologique, en mouvement depuis plusieurs
dizaines d’années à l’échelon global et local, fait de l’habiter une catégorie
compréhensive plus large qu’elle n’est habituellement entendue, en ce qui concerne le
maillage de l’individu au collectif et l’environnement pris comme la somme des
vivants dans leurs mondes. Lorsque les enjeux politiques se déplacent vers la question
du vivre ensemble sur Terre, de la cohabitation avec le vivant et de la justice
environnementale, l’engagement politique passe par la transformation de la
matérialité à la fois des milieux et des modes de vie.
L’évolution des modes de citoyenneté et de la place de l’individu en politique, non
simplement comme acteur social mais aussi comme acteur environnemental, fait écho
1 Encore présentes aux Etats-Unis comme en témoignent les grandes manifestations latinos de 2007
dans la ville de Los Angeles, mais également en France avec les évènements des banlieues en 2005
12
à ce que l’on a appelé ailleurs (Blanc, Estèbe, 2003) « l’atterrissement » du politique
dans sa triple dimension -la prise en compte du local et des jeux d’échelles, la prise en
compte des interdépendances bio-physico-chimiques, la prise en compte des limites
de la Terre et du monde habité-, ou encore la terrestrialisation des politiques
publiques (Emelianoff, 2008). Il s’agit là d’une analyse portant sur l’inscription de la
Terre et de la matérialité terrestre sous différentes formes dans l’action politique. Les
problématiques de l’environnement sont ainsi un lieu privilégié d’analyse de la crise
du politique mais aussi de son renouvellement, dans l’optique de la transformation
des ressorts de l’action publique à l’échelon local et global.
2. Le renouvellement anthropologique
Les anthropologues de l’urbain qui se sont intéressés aux relations des citadins à
l’espace public ne considèrent plus ce dernier de manière globalisante, mais en font le
résultat de processus qui s’inscrivent entre l’individu et la collectivité. La collectivité
est dès lors le produit des usages, des pratiques locales, ces dernières étant décrites
comme un système relationnel toujours particulier, contextualisé, résultat de
coutumes nouvelles ; on peut comparer ces pratiques avec les systèmes africains de
discussion, ou d’autres pratiques qui n’avaient jamais fait l’objet d’une analyse les
décrivant comme des pratiques de citoyenneté (Neveu, 2008). Les travaux de Putman
(2000) sont alors critiqués pour leur tendance à opérer un lien immédiat entre
l’appartenance à des réseaux sociaux et la confiance sociale, et parce qu’ils ne rendent
pas compte de la dimension proprement relationnelle de la citoyenneté. La notion de
« capital social », très usitée notamment à l’échelle européenne, demande à être
décomposée, au point de perdre le sens qu’elle avait à l’origine de simple engagement
dans des réseaux sociaux.
Une anthropologie du politique se développe aux confluents des recherches sur les
spécificités des modalités de discussion collective dans différents mondes culturels, et
sur l’organisation politique de ces mondes. La citoyenneté n’est plus appréhendée
dans sa seule dimension juridique ou institutionnelle, mais dans sa dimension
quotidienne, qui l’inscrit comme une activité de tous les jours ; elle est devenue une
activité pratique qui ne se réduit pas au vote. En ce sens, les recherches pointent la
dimension de proximité des engagements politiques ; déménageant dans un quartier,
je m’inscris dans les réseaux qui en font partie (parents d’élève, amélioration et
défense du cadre de vie, etc.). Cette activité pratique d’engagement, différente de
l’engagement en faveur de partis ou de causes bien identifiées, a été analysée par des
chercheurs comme Jacques Ion en France ou Carmen Sirianni aux Etats-Unis, dont
les travaux ont été mobilisés dans nos états de l’art.
Dès lors, il est vrai que ce n’est plus forcément l’association ou le corps constitué qui
tend à mobiliser l’attention mais plutôt la figure de l’habitant, ce qui n’est pas sans
ambiguïtés. En effet, la figure de l’habitant est aussi celle qui est mobilisée pour
répondre à la demande d’une figure intégrée sachant représenter l’interdépendance au
milieu nécessaire aujourd’hui à l’action publique. Cependant, si l’on ne s’attache pas
à l’étude des modes d’habiter eux-mêmes, on ne parviendra pas à comprendre ce qui
se joue dans l’attachement au milieu. Car l’habitant reste un individu s’exprimant
« par la parole » dans l’espace public : il n’est pas toujours capable de formuler les
différentes dimensions de son attachement au milieu, au sens large. En outre,
l’habitant est une figure qui ne saurait rendre compte de l’ensemble des modalités de
l’habiter comme pratique d’attachement au sol.
13
Partie 1. Repères théoriques et contextuels
Le travail que nous nous proposons de mener, relatif à l'étude de la place de
l'investissement habitant dans le renouvellement des milieux de vie urbains, suppose
d’abord un effort de clarification théorique. Il concerne essentiellement deux termes,
action et individu, qui sont au cœur du renouvellement de la conception du politique
dans différentes disciplines, donnant une lisibilité à des évolutions sociétales diffuses.
La philosophie pragmatiste est devenue un courant majeur de la réflexion sur la place
de l'action et de l'expérience en politique, dont la fécondité en sociologie et sciences
politiques est récemment reconnue. L'individualisme, quant à lui, après avoir été
l'objet de toutes les critiques, est revisité par des interprétations moins réductrices. Le
potentiel de cette question quand il concerne l'individu incarné, l'habitant, est encore
largement ignoré.
1. Le tournant pragmatique
A. Du pragmatisme en France
Notre démarche emprunte à deux grands courants de pensée : le pragmatisme,
d’inspiration anglo-saxonne et l’individualisme, qui, bien qu’il ait des liens avec le
premier, ne peut lui être totalement rattaché, dans la mesure il s’inscrit dans le
contexte d’une sociologie, et non d’une philosophie. Certes, l’influence du
pragmatisme sur les « nouvelles sociologies » (Corcuff, 1995) -comme la sociologie
de la justification devenue sociologie des régimes d’action (Boltanski, Thévenot,
Nodier…), l’anthropologie des sciences et des techniques (Callon, Latour…) et la
microsociologie de l’action (Quéré, Barthélémy, Céfaï.…)- est conséquente. Ces
sociologies sont inspirées par les philosophes pragmatistes, ou plutôt par « les
rejetons » du premier pragmatisme, comme l’école de Chicago, l’interactionnisme ou
l’ethnométhodologie. Plutôt qu’une influence directe du pragmatisme, il vaudrait
mieux parler d’une perspective « pragmatiste » axée sur l’agir politique. Ce point de
vue implique la revalorisation de l’acteur politique qui récupère progressivement 1)
une capacité d’initiative pour conduire une action transformatrice 2) une réflexivité
pour comprendre le sens de son action 3) une capacité éthique pour justifier son
action, lui conférer du sens. Le pragmatisme, si important aux Etats-Unis, berceau
fondateur, ne semble que peu influencer la réflexion et les pratiques aménagistes en
France. Une des raisons de cette réticence concerne le poids de la rationalité
technique qui sous-tend la compétence professionnelle des aménageurs ou même des
éco-urbanistes.
Les auteurs du pragmatisme nous intéressent car ils font un lien entre trois
dimensions importantes pour notre recherche :
1) l’abduction : la théorie de la connaissance du pragmatisme est basée sur
l’abduction, un type d’inférence qui permet de construire une hypothèse par
ajustements dans une expérimentation créatrice et risquée, comme le sont les
expériences d'habitat groupé écologique (partie 3) ;
14
2) l’anticipation : le pragmatisme envisage l’expérience sous l’angle des
conséquences sur le futur ; or, le retrait de l'État dans un contexte de récession qui
risque de durer éclaire les pratiques d'investissement habitant des milieux de vie en
termes prospectifs : il leur donne de l'avenir, consolidant ces modèles d'action
conjointe émergents ;
3) l’interprétation : le primat de l’expérience et sa saisie sous l’angle des
conséquences sur le futur amène le pragmatisme à une nouvelle compréhension de
l’être humain qui s’emploie à donner un sens à ses expériences, mettant l’accent sur
les cadres cognitifs et signifiants de l’action ; or, l'observation des mobilisations
habitantes montre, c’est une constante, qu’elles se réapproprient le sens d'un habiter
écologique à partir d'expériences qui le construisent collectivement.
William James (1909/1991) synthétise les traits les plus typiques de ce tournant
majeur de la pensée philosophique américaine. Il développe une théorie de la vérité
demeurée célèbre, qui lie celle-ci à la mise en œuvre du processus même de sa
« vérification » : « La vérité arrive à une idée. Elle devient vraie, elle est rendue vraie
par les événements ». On le voit, ces réflexions philosophiques n’ont rien à voir avec
l’image populaire du pragmatisme qui, par un contresens total, assimile cette
philosophie exigeante et novatrice à l’apologie du capitalisme (« est vrai ce qui me
permet de gagner des dollars ») et de l’opportunisme le plus grossier pour juger
d’une action, seuls comptent les sultats »). Les auteurs du pragmatisme nous ont
permis de définir précisément la posture que nous avons adoptée depuis le début de
cette recherche.
B. Une posture de recherche
Trois enjeux importants justifient l’adoption du pragmatisme comme posture de
recherche, une posture suggérée aussi par l’objet d’étude : un objet fait
d'expérimentations habitantes non circonscrites, ni dans le champ de la recherche, ni
dans le champ de l'action publique. Le premier enjeu est la réappropriation du champ
de la pratique en géographie et dans le champ de l'aménagement, comme le souligne
Olivier Soubeyran (1988). Le terme pratique ne renvoie pas nécessairement au
domaine de l’action, par opposition au champ de la réflexion théorique. Il désigne
avant tout un point de vue : pratique signifie que l’on considère la réalité, la pensée, la
connaissance (et aussi l’action) en tant qu’elles se font (James, 1991). Ce
positionnement traduit une méfiance vis-à-vis du rationalisme et du cartésianisme,
prend en considération la place accordée à la subjectivité, à la croyance et à l’action
(William James), et à l’expérience (John Dewey), indépendamment de toute approche
a priori et de réalité en soi. Dans cette perspective, ce qui existe réellement ce ne sont
pas les choses, mais les choses en train de se faire. Le chercheur, lorsqu’il étudie une
réalité au moment elle se crée, comme la planification environnementale, ne peut
adopter un point de vue théorique classique : il ne peut attendre que la signification
du phénomène se soit stabilisée pour la penser après coup. Cette posture rétrospective
lui est interdite par son objet d’étude, puisque la connaissance vient en même temps
que l’action transformatrice. Cet usage de la prospective requiert l’implication du
chercheur dans l’évolution en cours, implication conditionnelle que nous allons
préciser.
Le second enjeu est la dimension expérimentale de la vérité. Certaines notions,
certains concepts ne sont pas seulement des représentations, mais ils nous font agir
dans un sens déterminé : les idéaux sont selon Dewey « comme des hypothèses de
travail, non comme des programmes auxquels il faudrait adhérer et qu’il faudrait
15
exécuter de façon rigide » (Dewey, 1927/2003, p. 194). Ici encore, l’épistémologie
est inséparable de la pratique dans laquelle elle nous engage. Comment évaluer la
teneur de vérité d’idées de ce type lorsqu’elles sont encore nouvelles et incertaines ?
Par exemple, le chercheur ignore la signification exacte de la notion de
développement durable et il ne sait pas à l’avance ce qu’elle va produire. C’est
pourquoi nous ne pouvons pas savoir si ces idées sont vraies avant d’en avoir éprouvé
simultanément la validité théorique et la mise à l’épreuve pratique. Le pragmatisme
s’impose alors puisqu’il propose moins une nouvelle définition de la vérité qu’une
méthode d’expérimentation, de construction pour de nouvelles vérités. Expérimenter,
c’est considérer la théorie comme une pratique créatrice. C’est pourquoi il ne s’agit
plus seulement de savoir ce qui est vrai, mais également comment se fait le vrai. Et
cette question est inséparable d’une autre : que fait le vrai ? Ainsi l’idée vraie n’est
pas seulement ce qu’on croit, ce qu’on fait, ce qu’on pense ; c’est ce qui fait croire,
agir, penser. Que vaut une vérité qui ne fait pas agir, croire ou penser ? Ainsi, quel est
l’intérêt de la notion de développement durable si elle ne parvient pas à transformer
les pratiques d’acteurs variés, tout en se chargeant de significations nouvelles ? Cette
validation par l’action est un pari risqué qui expose le chercheur aux dérives
utilitaristes. La question des garde-fous sera l’objet du troisième enjeu.
Ce troisième enjeu, c’est la définition d’un cadre d’expérimentation. Notre
méthodologie bâtie sur la confrontation de terrains et d'enjeux, d'acteurs et de
chercheurs pour cerner un objet mal identifié, peu reconnu en recherche -
l'investissement des milieux de vie urbains par les habitants, fait de pratiques,
mobilisations et expérimentations émergentes (en particulier en France) et en plein
développement-, suppose la mise en place d'un cadre d'expérimentation rigoureux :
confrontation entre des littératures portant sur la citoyenneté (états de l'art/ états des
lieux), des savoirs capitalisés par des instituts en charge de la démocratisation des
politiques environnementales (séminaires de travail), et des motivations d’acteurs de
la vie publique, les habitants, peu susceptibles d'être reconnus comme tels
(entretiens). L'étude de terrains contrastés a conduit, par effets de miroir, à faire jouer
un questionnement par la mise en évidence de décalages entre contextes politiques et
culturels.
Pour conclure, nous voudrions insister sur l’apport du pragmatisme à la géographie
urbaine dont les auteurs du rapport relèvent ; le recours au pragmatisme enrichit le
mot « espace », qui élude les rugosités bio-physico-chimiques de l’environnement
dans toutes leurs dimensions sémantique, symbolique, culturelle et naturelle. Il s’agit
de rendre son enchevêtrement à l’action qui produit les espaces, puisque cette action
n’est pas fondée abstraitement, mais puise les raisons de sa poursuite dans
l’expérience même qui l’a vu prendre corps (Dewey, 1980) : dans l’expérience se
développent des croyances qui permettent aux acteurs de penser que leurs actions
vont avoir du succès, etc.
Les analyses d’expérimentations habitantes doivent être confrontées de manière à
interroger leur capacité à renouveler les formes de l’environnement, ainsi que les
répertoires et procédures d’action collective. Quelles sont les modalités de
construction d'un environnement urbain d'un nouveau type ? Comment se distinguent-
elles ou s’articulent-elles avec celles des espaces publics traditionnels, caractérisés
par une plus grande normativité, à la fois dans les processus de production et dans les
résultats obtenus ?
Le pragmatisme suppose que les actions mêmes fabriquent l’espace, on ne peut alors
concevoir l’espace indépendamment de l’action (sinon en des termes purement
descriptifs), une action qui, d’une part, rend possible à vivre cet espace et d’autre part
16
lui donne sa légitimité publique. Cette posture de recherche fait advenir un sujet-
territoire, l’habitant, qui existe à partir d’un rapport de production à l’espace, au
vivant, à l’environnement. D’où la nécessité d'analyser ce qui conduit cet habitant à
produire son milieu, en s'appuyant sur l'expression de milieu de vie, car c’est en
vivant qu’on se fait un milieu, qui lui-même est le support d’une vie. C’est en
fabriquant cet espace par ses pratiques que l’on sécrète du monde et du soi. Cette
perspective restitue donc du sens et du hasard, de l’incertitude et du choix. En ce sens,
l’emprunt au pragmatisme oblige le ou la géographe à l’analyse des pratiques qui
fabriquent du milieu de vie (décomposition des processus, restauration de
l’intentionnalité, épaisseur de la fabrication, etc.), des rapports entre les sujets et les
objets constituant le milieu de vie, en ce qu’ils sont posés comme tels, et en ce qu’il
aurait pu en être autrement.
2. L’individu en politique
Après cette brève évocation des emprunts faits au pragmatisme pour analyser les
effets de restructuration politique de l'action habitante, il nous semble important de
rapporter cette action à la place que prennent les individus en politique. Les liens
entre individu et action politique se resserrent selon un processus où l’on peut
discerner schématiquement trois étapes :
- Historiquement, comme nous le rappellent les travaux de Pierre Rosanvallon (2008),
dès les années 1970, dans un contexte étatsunien, des mouvements étudiants, à
l'origine, mettent en relation la question de l'émancipation des individus et leur
participation à l'action politique. Ce sont les luttes urbaines, notamment les luttes
violentes et importantes des années 1960-1970, qui ont initié de nouvelles formes de
citoyenneté en ville. Ces luttes s'inscrivent dans le sillage des mouvements des
minorités pour les droits civiques et des mouvements de rénovation des centres
urbains profondément dégradés (Martel, 2007) ;
- La visée émancipatrice de l'action individuelle en termes de participation à la vie de
la Cité est ensuite affirmée, et sera réaffirmée, dans le contexte du développement des
politiques participatives ;
- Plus récemment, Pierre Rosanvallon (2008) insiste sur le fait que la démocratie
représentative devient une démocratie “d’interaction”, c’est-à-dire une démocratie
la proximité, le pouvoir empathique et les effets de coprésence des gouvernants et des
gouvernés prennent une nouvelle importance. L’action directe, les dynamiques qui lui
sont liées ainsi que les processus collaboratifs contribuent à nos yeux à ces nouvelles
logiques politiques.
Le développement de l'individualisme fournit aussi des apports théoriques et
contextuels. Nous aborderons dans un premier temps les liens entre développement
personnel, réalisation de soi et résistance politique à un ordre jugé insoutenable,
recherche de sens qui se bâtit dans l'alternative écologique. Ensuite, nous traiterons de
la manière dont cette résistance politique s'exprime dans l'action directe en
renouvelant les formes d'action politique, jusqu'à la refonte des milieux de vie. Enfin,
l'empowerment et les méthodes d'association des individus aux politiques publiques,
depuis plusieurs décennies dans certains contextes (monde anglo-saxon), fournissent
des éléments de réflexion et des exemples particulièrement stimulants de politiques
d’incitation à l'investissement habitant, favorisant la création de communautés
environnementales à différentes échelles.
17
A. L'engagement individuel, entre être soi-même et résistance
politique
Alain Ehrenberg distingue deux âges de l’individualisme contemporain : celui des
années 1960-70, centré sur l’idée « d’être soi-même », et celui des années 1980,
centré sur l’action individuelle en tant qu’exigence de performance et de
responsabilité (cité par Corcuff et al., 2005, p 53). Plus récemment, on peut observer
une ressaisie d'un individualisme qui ne dissocie pas l'individu de sa capacité d'action
collective, un individu motivé par une résistance politique. Pour Jacques Ion,
sociologue, « L’alchimie du particulier et de l’universel n’est donc pas simple et les
engagements de proximité ne sont pas forcément éloignés de causes beaucoup plus
générales : proche et lointain, local et global, particulier et général, personnel et
collectif se conjuguent davantage qu’ils ne s’opposent » (Ion, 2005, p 133). Dès lors,
le politique doit être reconsidéré lorsqu’il est reconstruit « à partir des engagements
du soi » (Ion, 2001, p 216-217). « Se développe au contraire une façon de faire de la
politique qui repose sur la connexion originale entre, d’un côté, des enjeux à portée
générale et lointaine, et de l’autre, des situations concrètes dont ces dernières ont en
quelque sorte des analogons » (Ion, 2005, p 132).
Reconnaître la pleine valeur de cet engagement des individus (de certains individus)
en politique ne revient pas à assimiler une « politique des individus », comme la
nomme François de Singly, à la mise en place d’une égalité des chances en termes
d’émancipation individuelle et de réalisation de soi, ce que les politiques
d’empowerment ont envisagé. Cette « politique des individus » construit
graduellement (trop graduellement) un bien commun et un idéal collectif fait de prises
de responsabilité et de pratiques quant au vivre ensemble sur terre. Jacques Ion
insiste, dans son étude sur les nouveaux militants, sur la permanence des idéaux, sur
un idéalisme devenu pragmatique (Corcuff et al., 2007) ; la mort des idéologies
n’implique pas l’abandon des idéaux. Nous pensons que l’environnement est le
creuset d’un « vivre ensemble sur terre », qui représente un nouvel idéal, en cours de
construction. Dans un monde pluraliste et post-moderne, l’environnement cimente et
dessine des liens forts de solidarité, élargis au vivant.
Quoi qu’il en soit, les grands débats sur les visions optimistes ou pessimistes de
l’individualisme, destructeur de lien social ou vecteur d’émancipation, les deux étant
vrai à la fois, ne prennent pas toujours la mesure du caractère profondément
inégalitaire des processus d’individuation, bien souligné par Jean-Claude Kaufman
(Corcuff et al., 2007). Le capital culturel, l’éducation reçue, l’aisance matérielle
facilitent les choix. Nos études de cas mettent pourtant également en scène des
personnes de condition modeste, qui vont trouver une émancipation dans la fabrique
de leur environnement quotidien.
B. L’action directe, ou la soif de faire
Ce contexte sociologique concourt indéniablement à faire de l’action directe une
tendance liée à l’individualisme contemporain. Cependant, cette action en matière
d’environnement n’advient que par et dans une dynamique de groupe, ce qui nous fait
privilégier l’analyse de la communauté environnementale à celle d’un individu
environnemental. Les nouveaux militants se constituent selon Jacques Ion « par et
dans l’action, et non plus par une adhésion idéologique, syndicale ou politique »
(Ion, 2005, p 4). Nous entendons pour notre part l’action directe dans un sens plus
18
large que celui indiqué par Jacques Ion. L’action directe peut être aussi banale que le
fait d’agrémenter par des plantes l’espace public, comme nous le verrons à Arnhem
ou à Tver. Il s’agit à nos yeux d’une action de portée politique qui intervient dans
l’ordre de la transformation directe de la réalité matérielle.
Le primat de l’action dans les nouveaux modes d’engagement politique exprime un
rejet de la démocratie représentative et des processus de délégation, qui sont dus à la
fois à une crise de confiance dans les capacités de régulation politique et à une
exigence d’efficacité de l’engagement politique (Ion et al., 2005). L’exigence
d’efficacité, ou de résultats, a contaminé la sphère politique. Le primat de l’action
répond ensuite à un désir de réduire la dissonance cognitive entre la compréhension
que l’on a du monde et la façon de conduire sa vie, sans plus attendre. L’envie de
faire et d’expérimenter des voies nouvelles, des espaces de résistance constructive
s’inscrit dans un processus plus large de pluralisation des modes de vie. Selon
Jacques Ion, ce déplacement de l’engagement politique a pour effet une déconnection
de plus en plus grande entre la sphère politique et les lieux contemporains où se
débattent les visions du monde social (2001). Ce pourquoi il importe de « penser le
politique hors le politique » lorsqu’il s’agit de saisir le renouvellement des formes de
notre démocratie (Ion, 2001, p 216).
Ces nouvelles lectures de l’engagement politique n’appréhendent pas en revanche les
champs de la réappropriation de l’environnement de vie immédiat et du temps de vie
personnel, champs qui ne se situent pas selon nous « hors le politique » et qui sont
particulièrement propices à l’action directe telle que nous l’avons définie. Ce double
mouvement de réinvestissement de son temps et son espace de vie répond à un
sentiment d’aliénation de l’espace-temps dont chacun dispose en propre (Ray et al.,
2001). Il relève d’une lecture critique de la société aussi bien que du processus
d’individuation contemporain.
L’environnement immédiat s’instaure également comme un espace d’apprentissage et
de développement. Il met en jeu une réhabilitation de la connaissance par
l’expérience, qui peut motiver des ruptures de trajectoires de vie : « On voulait que
nos enfants sachent faire. Qu’ils sachent faire du feu, qu’ils sachent comment naît un
animal, comment on le nourrit », explique un habitant nouvellement installé dans les
Cévennes (Bonini et al., 2005). La réappropriation de la fabrique environnementale
permet une forme d’adéquation entre l’idéel et le pratique, en se situant au carrefour
de la pensée et de la vie quotidienne.
C. Les prémisses d’une reconnaissance du rôle de l’individu en
politique : empowerment et activation
Au-delà des observations d'Alain Ehrenberg sur l'individualisme ou des mouvements
de militance ou d'engagement individuel et collectif qu'étudie Jacques Ion, il est
important de souligner que certains outils de l'action publique ont pu stimuler
l'implication des individus dans leurs milieux de vie. Plusieurs concepts se situent en
amont d’une galaxie naissante de formes d’intervention publique, allant dans le sens
de la mobilisation des forces et du potentiel de la société civile. Le contexte allemand
est par exemple marqué depuis la fin des années 1990 par la notion d'activation de la
participation habitante, tandis que le contexte anglo-saxon a été fortement influencé
par le recours à l’empowerment. Ces deux notions prolongent une tradition
américaine de « self-help » et une forme de démocratie caractérisée par l’emprise des
organisations volontaires. Nombre d’auteurs opposent le management
environnemental à l’empowerment des communautés, dans le contexte des villes du
19
Sud ou de l’Est, mais aussi dans les réflexions sur le développement urbain durable
qui, au Nord, considèrent le caractère multiethnique des villes ou tout simplement
l’habitant (Church et al., 2002).
L’empowerment peut être défini comme un processus d’acquisition d’un pouvoir
permettant d’agir sur le monde, dans un premier temps son environnement proche. Ce
pouvoir implique indissociablement un travail sur soi, une autonomisation, la capacité
de se donner à soi-même ses propres finalités. La notion d’empowerment a gagné des
disciplines aussi diverses que la psychologie, les sciences de l’éducation, de
l’organisation, le management, la sociologie, les sciences politiques, l’aménagement
ou la géographie. Elle a nourri une abondante littérature sur le développement
personnel et/ou spirituel, le développement local et/ou communautaire, la question du
genre, le renouveau de la démocratie participative ou du mouvement civique, le
développement durable, en se situant parfois à la croisée des thèmes. Certains
mouvements libertaires et féministes revendiquent aussi la notion dans leurs analyses
et leurs luttes.
En partant de l’individu dans son interaction avec le monde, le concept
d'empowerment a priori porteur d’alternatives a été rapidement intégré par les
pouvoirs publics dans le monde anglo-saxon, dans les années 1960, afin de construire
un consensus et de mobiliser les énergies locales, en dépassant les approches
conflictuelles, judiciaires ou insurrectionnelles. Le mot s’impose alors dans les
analyses des institutions internationales comme la Banque mondiale, qui, après les
politiques d’ajustement structurel, disent vouloir intégrer les pauvres dans la
dynamique de croissance économique, et finalement relier offre et « demande » de
développement…
Le premier intérêt de l’empowerment est d’avoir cherché à expliciter les liens entre la
pauvreté et la privation de pouvoir. L’idée ensuite défendue est qu’en reprenant un
pouvoir sur soi, en retrouvant une confiance et une estime de soi, l’individu retrouve
simultanément une capacité d’agir avec les autres et de peser dans les choix politiques
locaux, par le lobbying et les partenariats (Donzelot et al., 2002). Prise de conscience
et motivation à l’action sociale sont associées au processus d’empowerment
(Rappaport, 1987). Inversement, l’action collective renforce les capacités de
l’individu. On voit ainsi se combiner deux échelles a priori très distantes, celle
dévolue à la psychologie et celle dévolue aux sciences politiques, celle de l’individu
et celle de l’ordre démocratique.
Cette double dimension, qui vaut à la notion sa richesse et son ambivalence, prête à
des interprétations politiques contrastées : aux Etats-Unis, l’empowerment séduit
fortement la gauche, à la recherche « d’une troisième voie » pour transformer le
monde, tout autant que ceux qui rêvent d’extraire l’individu de l’assistanat (Donzelot
et al., 2002). L’ambivalence porte également sur des conceptions divergentes de
l’autonomie, simple capacité à ne pas constituer une charge pour la société, ou bien,
droit de se gouverner par ses propres lois, de réinventer les règles de la vie en
collectivité. La notion est relativement consensuelle dans la mesure elle semble
favoriser « l’égalité des chances ».
En Europe, et plus particulièrement en Allemagne, ce courant de réflexion a influencé
les politiques publiques : « l’activation » des citoyens est devenue partie intégrante
des stratégies de renouvellement urbain. En effet, face aux conséquences et aux coûts
de la réunification, la participation des habitants évolue à la fin des années 1990, avec
un appel élargi au bénévolat et diverses formes d’activation de la société civile. On
assiste parallèlement à la réduction des budgets municipaux et à la privatisation des
services sociaux à l’Est. Elisabeth Kremer, sociologue de la ville travaillant dans le
20
contexte est-allemand, dénonce une instrumentalisation de la société civile (2005).
L’enjeu est de garder une capacité d’action lorsque les moyens manquent. Le
libéralisme restructure la gouvernance et le modèle de redistribution sociale cède
place au self-help et au self-managment.
La rhétorique néo-libérale n’en appelle pas seulement à l’individu, mais à la
reconstruction du civil comme communauté de communautés diverses de citoyens :
« Les relations individuelles entre les citoyens ne sont plus arrangées via l’Etat, en
tant que membres d’une société. En tant que membres d’une communauté, elles sont
liées l’une envers l’autre par le devoir d’une manière beaucoup plus personnelle, et
elles prennent une responsabilité directe envers les êtres humains et envers leur
environnement ». Parallèlement, « la rhétorique et les stratégies pour mobiliser le
citoyen responsable exercent une attraction et une force de conviction considérables
en ce moment » (Kremer, 2005, p 18). Le potentiel innovant de l’engagement des
citoyens dans le redéveloppement urbain est pourtant sous-estimé selon elle. Il se
trouve pris entre des contradictions : il répond à la fois au souhait d’une
autodétermination plus grande contre les méthodes autoritaires de l’Etat et à la
nécessité de faire face à la privatisation des services sociaux. Ces réflexions sont à
comprendre dans le contexte de la transition politique et des « shrinking cities ». En
Allemagne de l’Est, initiatives civiles et créations d’emplois sont amalgamées pour
maintenir des services sociaux et une vie culturelle, explique Elizabeth Kremer.
3. Des moments critiques de l'individualisation du politique
Si les courants du pragmatisme et de l'individualisme offrent un potentiel à la fois
théorique et pratique de renouvellement des approches du politique, qui nous parait
important pour fonder la question de l'action directe et de la reconnaissance du rôle de
l'individu dans la transformation politique de l’espace, il est nécessaire de s’arrêter
sur les principales critiques adressés à ces courants, afin de réfléchir à leur
dépassement. En effet, on va le voir, les critiques formulées en particulier à l'égard de
l'individualisme éludent la dimension territorialisée de l'individu, son ancrage dans le
territoire étant à la fois un motif d'engagement personnel et ce qui motive le
développement des politiques publiques d'empowerment. Quant au pragmatisme,
souvent critiqué pour son manque de souffle visionnaire, de recul et de perspective
politiques, il reste à voir s'il n'est pas au contraire compris dans le cours même de
l'action qui l'alimente, et si sa critique ne correspond pas au besoin de pouvoir (ou de
contrôle) des élites politiques, techniques ou culturelles. Refuser de voir ce que
l'expérimentation civile peut produire est aussi une façon de refuser le changement
(en tant que piloté par d'autres). Dans cette partie, nous ne considèrerons que certains
aspects critiques de l'individualisme et du pragmatisme.
Nous traiterons d’abord de la critique qui consiste à rabattre l'individualisation des
politiques publiques sur la question de la gouvernementalité, parfois traitée comme
ressortant de la manipulation et du contrôle des individus par eux-mêmes, ceux-ci
incorporant les normes. Le recours à l'individu s'assimile alors à une normalisation
des mœurs et des comportements. Deuxièmement, nous examinerons la critique qui
dénonce le recours à l'individu dans sa dimension supplétive, corrélat d’un
désengagement des pouvoirs publics, sans toujours considérer la question de la remise
en jeu des pouvoirs. En troisième lieu, l’argument de la vulnérabilité de beaucoup
d'individus face à la montée de l'individualisme sera pris au sérieux. Ce désarroi ne
peut pourtant pas être corrélé à notre sens à l'essor inévitable des communautarismes
21
ou de l'impuissance généralisée. D'autres communautés naissent de la déstabilisation
opérée et ne peuvent être réduites à des communautés de l'entre soi, tant les liens
qu'elles engagent avec le territoire et des réseaux bien plus larges mettent en exergue
le développement d'une nouvelle condition politique.
A. Se voir confier des responsabilités : la gouvernementalité et les
processus de normalisation
Les politiques environnementales contemporaines perçoivent la dégradation de
l’environnement comme une menace diffuse dans le temps et l’espace, ce qui appelle
une forte innovation en termes d'action publique pour sortir du dilemme croissance
versus protection de l’environnement. L’aspect répressif n’a pas disparu au profit de
l’incitation ou du pilotage de l’innovation, mais la dominante a changé. La question
n’est plus tant de définir une réglementation adaptée à un problème clairement
identifié, et de sanctionner ensuite les contrevenants, comme pour les anciennes
pollutions industrielles, que d’amener les pollueurs à inventer collectivement de
nouvelles solutions à un problème mal cerné, pour lequel les voies d’exploration sont
multiples. C'est ainsi que l'on peut comprendre la place prise par l'information des
citoyens, et en particulier des citadins, comme « instrument d’action publique » (Le
Galès et al., 2005) dans les dispositifs réglant le droit à l'environnement2. Le but visé
est de modifier sur le long terme les habitudes quotidiennes. Mais, comme le
soulignent plusieurs auteurs, « des interrogations sur les effets de ces instruments
persistent, notamment dans leur capacité à changer (ou non) les comportements »
(Lascoumes et al., 2005).
Ce recours à l’individu comme partie prenante de la solution au problème de la
pollution, fait passer du domaine du management environnemental à l’empowerment
des communautés locales. On peut alors se référer au concept de
« gouvernementalité » de Foucault, qui introduit la conscience des individus,
l’examen de conscience même, dans le processus de régulation politique. Pour
Foucault, « la gouvernementalité implique le rapport de soi à soi, ce qui signifie
justement que, dans cette notion de gouvernementalité, [est visé] l’ensemble des
pratiques par lesquelles on peut constituer, définir, organiser, instrumentaliser les
stratégies que les individus, dans leur liberté, peuvent avoir les uns à l’égard des
autres. Ce sont des individus libres qui essaient de contrôler, de déterminer, de
délimiter la liberté des autres et, pour ce faire, ils disposent de certains instruments
pour gouverner les autres. Cela repose donc bien sur la liberté, sur le rapport de soi
à soi et le rapport à l’autre [...], c’est-à-dire ce qui constitue la matière même de
l’éthique » (Foucault, 1994, cité par Crowley, 2003).
Les commentateurs de Foucault (Hache, 2007) voient dans le concept de
gouvernementalité, héritage du dernier Foucault, dans son cours au collège de France
de 1978-1979 intitulé Naissance de la biopolitique, la conceptualisation de la rupture
entre le libéralisme tardif appelé aussi néolibéralisme, et le libéralisme classique. Le
retrait de l'État serait, dans ce cas, une conception renouvelée de ce dernier, c’est-à-
2 Dès la fin des années 1980 en France, l’information du public est devenue l’un des instruments de
« responsabilisation » des citoyens dans le cadre des politiques d’environnement. Ce droit est affirmé,
de manière globale en Europe, d’abord par la directive du 7 juin 1990 concernant la liberté d’accès à
l’information en matière d’environnement (90/313/CEE), remplacée par la Directive 2003/4/CE du
Parlement européen et du Conseil, qui institue un « droit général à l’information environnementale »
(Lascoumes, 2007), puis, par la convention d’Aarhus, relative à l’accès à l’information, la participation
du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement, adoptée en
application de la déclaration de Rio.
22
dire une forme particulière d'interventionnisme, constituant une extension de la
rationalité économique à l'intérieur même des individus : chacun devenant
entrepreneur et se modifiant, y compris biologiquement, en fonction d'un projet
collectif. Pour l'État, l'une des clés de l'action sur la conduite des individus passe alors
par la notion de « responsabilité », soit l'autocontrôle et l'autogouvernement. Sont
ainsi construits les instruments d'une régulation des conduites publiques et privées -la
distinction s'effaçant-, en plus de l'aménagement d'un cadre visant le comportement
correct des gouvernés (ce qui était l'ancienne forme de régulation des comportements
urbains par l'État). Il s'agit de faire en sorte que les individus soient les plus sains
possibles, de telle façon à produire de la valeur économique3.
Cependant, l’information comme instrument d’action publique en matière de lutte
contre la pollution, de l’air par exemple, semble porter en elle une forme inachevée de
« gouvernementalité ». Car, si pour Foucault la gouvernementalité consiste en une
technologie du pouvoir appliquée à la population, afin de lui permettre de développer
toutes ses propriétés, un message, par définition non contraignant, adressé de manière
homogène à une population hétérogène dans son mode d’habiter, sa sensibilité à la
pollution de l’air, et ses pratiques en termes de mobilité relève du paradoxe. En effet,
cette information, basée sur un savoir d’expert en matière d'environnement, en
omettant d’intégrer un savoir sur les « individus » qu’elle cible et leurs spécificités,
ne conduit pas au bout la nouvelle technologie qu’elle met en œuvre. Si l’information
sur la qualité de l’environnement produit des représentations sociales sur la question,
celles-ci sont difficilement réappropriées par tout un chacun pour devenir un moteur
de changement comportemental ; sauf à imaginer que les individus se normalisent
progressivement, ce qui n’est pas observé.
B. Acquérir une puissance d'action : l'empowerment, ou le retrait
des pouvoirs publics
La capacité ou la puissance d'action constitue un autre enjeu de mobilisation de
l’individu. L’empowerment reste un concept anglo-saxon, marqué par un contexte qui
prête moins de place à l’Etat, dont un des rôles est d’accompagner les dynamiques
privées et d’actionner les effets de levier. Dans les politiques publiques,
l’empowerment est toujours rivé à l’échelle de la communauté, ou du quartier, c’est-
à-dire à des échelles où le face à face est possible. Cependant, l'empowerment comme
instrument d'action publique tend à se diffuser dans l’Europe « continentale ». Le
concept fait simultanément l’objet de nombreuses critiques, tout comme les notions
qui gravitent dans son voisinage -communauté, capital social, société civile- (Taylor,
2003). On lui prête autant de vertus que de vices. Du côté des vertus, l’empowerment
s’inscrit dans une tradition démocratique participative qui met l’accent sur
l’apprentissage, prônée par Jefferson, Tocqueville, Dewey, Habermas, qui considère
aussi la politique comme une expérience, dans la lignée des travaux de Dewey.
L’empowerment permet de mobiliser les ressources locales (idées, savoirs, forces de
travail, finances), de développer les capacités civiques et communautaires, de
responsabiliser politiquement chaque individu, d’améliorer l’efficacité des
institutions. Cette approche révèle un pragmatisme attaché à l’action, à la
3 Un vaste champ d'études intitulé governmentality studies s'est déployé depuis lors : Cf. Graham
Burchell, Colin Gordon et Peter Miller, The Foucault effect : studies in governmentality, Londres,
Harverster Wheatsheaf, 1991 et Andrew Barry, Thomas Osborne et Nikolas Rose, Foucault and
political reason : liberalism, neo-liebralism and rationalites of governement, Londres, University
college, 1996.
23
transformation concrète des conditions de vie. Pour certains auteurs, elle est
l’ingrédient d’un renouveau civique et sociétal accompagnant le déclin des anciennes
formes d’engagement politique. Pour d’autres, elle est l’horizon des démarches de
participation qui seraient nécessaires au développement.
Mais ces vertus peuvent être interprétées négativement. Car l’empowerment est
souvent promu avec des finalités pratiques : réduire la dépendance à l’égard des aides
sociales, améliorer les conditions de vie à moindre coût, inciter les populations à
entrer dans la négociation politique en désactivant les mobilisations d’opposition.
D’autre part, le localisme guette les expériences d’empowerment, qui peuvent ne pas
servir l’intérêt général (Fung, 2004). Une troisième critique porte sur le transfert de
capacité d’action de l’Etat vers la société civile (Tremblay et al., 2002),
l’empowerment servant à « habiller la logique libérale sous un jour acceptable »
(Jessop, cité par Jouve et al., 2004, p 8). Les politiques d’empowerment seraient
palliatives ou supplétives, ne s’attaquant à aucune des raisons structurantes qui
génèrent la pauvreté. Soupapes dans le local, elles seraient à ranger au mieux du côté
des bonnes pratiques bien pensantes.
La prise en charge des problèmes par l’individu ou le groupe contient une double
vérité : le retrait de la puissance publique délégant à l’individu ou aux groupes le soin
de trouver des solutions et un mouvement d’émancipation et d’autonomisation
modifiant les formes de la démocratie, en particulier par la reconnaissance des savoirs
des habitants, non pas de leurs « compétences d’usage » mais bien de leurs capacités
à résoudre des problèmes, à mobiliser des énergies et des savoirs - placed-based
knowledge-. Des auteurs comme Carmen Sirianni et Lewis Friedland ont analysé en
finesse les processus, les conflits et apprentissages, les obstacles, les modalités de
partenariat entre pouvoirs publics et acteurs civils, permettant une co-action politique.
Des évolutions similaires des formes d’engagement politique étant identifiées en
France (Ion et al., 2005), il est probable que les approches visant l'engagement
individuel viennent réinterroger les modalités de l’action publique.
Pour l’instant, la critique tient à distance (ou occulte partiellement) cette forme de
réinvestissement civique. Les auteurs qui analysent les figures du retrait et du
dessaisissement de l’Etat face à l’emprise de la société de marché voient surtout dans
l’empowerment un moyen inefficace d’intégrer les laissés pour compte dans le circuit
du développement, qui porte les derniers coups à l’Etat-Providence. D’autres auteurs,
plus radicaux, soulignent l’intégration dans le marché de nouvelles ressources
humaines, forces de travail et pouvoirs d’achat. L’empowerment serait un fuel pour la
croissance, pour un modèle de développement qui a fait les preuves de sa non
durabilité.
Nous voyons plusieurs limites à ces critiques utiles. En premier lieu, l’empowerment
n’implique pas en soi le désengagement de l’Etat, un certain nombre d’auteurs
s’accordant au contraire sur le fait qu’il ne fonctionne qu’avec le soutien substantiel
des pouvoirs publics, soutien qui demande à être renforcé, sur un mode « négocié » et
non plus de confrontation comme dans certains Etats autoritaires (Abbott, 1996). En
second lieu, il est légitime de se demander qui peut contrôler les effets de
l’autonomisation des individus, même si le processus de construction de cette
autonomie semble a priori très orienté. Les lectures en termes d’instrumentalisation
peuvent passer à côté des évolutions politiques ouvertes par ce type
d’expérimentation. Elles supposent de ne pas considérer l’imprédictibilité des
processus d’autonomisation des individus. Interprétations fixistes, elles nient
l’émergence. Elles s’exposent aussi à une contradiction intrinsèque, en pensant que
l’empowerment conduit dans le meilleur des cas à un assujettissement (inclusion dans
24
le modèle dominant) et non à une autonomisation des individus, ce qui dénie la
possibilité pratique d’un empowerment.
Nous pensons que l’intérêt de l’empowerment tient à son inscription dans des
évolutions plus larges, symptomatiques d’un changement sociétal. Si l’empowerment
est né pour endiguer la pauvreté dans des espaces localisés, avec une relative
inefficacité, force est de constater que la notion s’est depuis émancipée. Le fait qu'elle
ait investi récemment la littérature du développement personnel, et qu’un nombre
croissant d’individus soient en rupture par leurs modes de vie, expérimentant des
alternatives dans de multiples directions, particulièrement aux Etats-Unis mais aussi,
nous le verrons, en Europe, n’est pas insignifiant. Cette quête exprime une résistance
politique, une forme de lutte tout aussi profonde et difficile, bien que d’une autre
nature, certainement plus individuelle, que celle affichée par les mouvements sociaux
urbains dans la tradition marxiste. La lutte pour d’autres modes de vie succède pour
certaines populations à la lutte pour l’accès au développement : l’aliénation est en
partie à l’intérieur de soi. Certes, les individus qui assument ce type de rupture ne
sont pas ceux qui habitent les ghettos, pas pour l’instant, mais faut-il pour autant
rejeter les méthodes de l’empowerment ?
Une autre réponse à la critique est qu’il est impossible de ne pas voir les mises en
réseau nationales ou fédérales, continentales ou planétaires des initiatives civiles,
ouvrant la voie à des régulations politiques mondiales nouvelles (Edwards et al.,
2001). Le mouvement pour la justice environnementale, por initialement par des
activistes noirs et relayé par des scientifiques issus des minorités, en est une des
manifestations, montrant la montée en puissance du local vers le global, de
l’empowerment des noirs américains dans des ghettos toxiques vers la redéfinition de
la question de la redistribution (des biens et des maux environnementaux) dans le
temps et l’espace. Cet empowerment s’est constitué au fil des luttes.
C. L'individu en vie, ou les manières de dépasser l’assimilation
capitalisme /individualisme
L'ampleur des critiques à l'encontre des notions d'empowerment, de responsabilité
individuelle et de gouvernementalité traduit surtout une critique du néolibéralisme,
des outils d'asservissement à un ordre capitalistique. Cet individu est sommé de
développer ses capacités pour se trouver en mesure de répondre aux injonctions de
développement du capital : il doit être employable, responsable de son autonomie (et
de son échec), mobilisable... Cette réduction que l’on pourrait nommer
"individualistique" tend à soustraire l'individu, considéré comme étant une "brique de
base", aux conditions sociales de sa production. Décontextualisé, celui-ci serait un
pion "autofabriqué" extrait de son milieu et de son histoire. Ces critiques qui visent le
néolibéralisme tout -État, administration, individus, projet psychologique- prend
les couleurs de l'entreprise, incitent à la vigilance, mais n'obligent pas à abandonner la
question de l'individu, de l'autonomie, de l'éthique et de la conviction aux courants de
droite. Elles invitent au contraire à développer une analyse qui lie formation de
l'individualité, engagement éthique et esthétique dans l'environnement et
redistribution de la richesse. Cette prise de conscience critique qui s'appuie sur un
développement de la possibilité d'être soi trouve de nouvelles ressources dans la
montée en puissance d'un environnementalisme que le capitalisme actuel, très enclin
à la production de nouvelles marchandises, tend à condamner à terme.
L'environnement appelle la prise de conscience d'une situation critique et de
continuums manifestes entre public et privé : « Comme le demande Michael Lerner :
25
‘Que va-t-il se passer quand les gens ‘ordinaires’, dont les vies sont souvent
mortellement atteintes par la destruction de la biosphère, vont réaliser que leurs
blessures sont intimement liées à celle de la Terre ?’ C’est-à-dire, en fait, que va-t-il
se passer lorsque l’écart habituel entre l’individuel et le planétaire sera annulé,
quand les deux apparaîtront comme intimement liés ? Quand la réalité intime et
personnelle de mon cancer du sein, le mélanome de mon frère, la dyslexie de ma fille,
les déficiences du système immunitaire de mon ami, apparaîtront liés à la stérilité des
poissons, aux changements d’orientation sexuelle des oiseaux ou à la disparition de
certaines espèces de grenouilles ? » (Ray et al., p 333-334). Dès lors, la prise en
considération de l'individu concerné par la situation environnementale et la prise à
contresens du courant critique du néolibéralisme invitent à réfléchir sur les politiques
de soi, vecteurs de développement d'une nouvelle condition habitante. Il faut alors
examiner en détails en quoi la question habitante modifie (ou non) ces critiques
formulées à l'encontre de l'individualisme.
Qu'appelons-nous habitant ? Dans le registre politique, le développement de la figure
de l’« habitant » participe d’un double souci des responsables politiques : celui de
s’assurer de l’adhésion de la population dans un contexte où le risque est devenu
prééminent et la cision difficile, et celui du souci de retrouver l’intégrité de la
décision politique -dans un environnement de découpage sectoriel de l’action
publique, l’habitant semble la figure clé d’une politique intégrée-. Cette figure semble
aussi participer d’une rénovation des cadres démocratiques et inventer des possibilités
d’une gestion plus participative et moins destructrice des lieux habités.
Le recours aux « échelles mineures » (Berque, 1994) apparaît aujourd’hui comme une
solution face aux apories de l’urbanisme fonctionnaliste, par exemple. Pour les
adeptes de la gestion communautaire de l’environnement, celle-ci correspond à une
nouvelle utopie sociale où développement et progrès social ne sont pas synonymes de
destruction de la nature. Aux yeux de Murray Bookchin par exemple (1999), le
modèle de vie sociale d’où l’autonomie est absente est à la source des atteintes à
l’environnement, tout autant que le mode de développement industriel. L’enjeu est
dès lors de développer un nouveau modèle social fondé sur la réappropriation par
l’individu de ses moyens de subsistance. Participe de ce modèle l’idée de petite
communauté, aussi bien que d’économie locale échappant aux voies du marché. Mais
l’habitant n’est pas simplement un individu « situé », voire localisé : il est situé dans
un rapport organique et esthétique à ce qui l’environne.
La principale caractéristique de l’habitant est d’être vivant, capable de créer un
environnement. En quoi l’habitant est-il plus vivant que le citoyen ou le producteur ?
C’est bien une représentation politique et substantielle qui lui confère ce caractère
spécifique. Premièrement, il est vivant dès lors qu’on accorde de l'importance aux
flux sensoriels qui le traversent, favorisant parfois l'instabilité de l’existence et du
sentiment de propriété de soi. Les flux informationnels et sensoriels qui tendent à être
exacerbés dans l’espace urbain incitent l’individu à une dématérialisation
(désenvironnementalisation) de l’expérience de soi, qui rend difficile les partages
entre l’intérieur et l’extérieur, et qui accroit l’indifférenciation de l’expérience intime
et de l’expérience de l’espace public (Haroche, 2008). En réponse aux effets
déstructurants des phénomènes de sollicitation permanents, on assisterait à la
transformation des individus.
L’individu contemporain s’engage peu profondément, devenant insaisissable y
compris pour lui-même. Il accepte de suivre le flux sensoriel, social, technologique,
économique. Mais beaucoup se noient, se laissant malmener par les enjeux du jour.
Claudine Haroche se demande si les règles de civilité qui assuraient autrefois la
26
séparation entre l’intériorité et l’extériorité ne permettaient pas également de donner
des repères de vie aux citoyens et, donc, ne constituaient pas un refuge pour la
structuration de la vie quotidienne, refuge que proposent aujourd’hui les
communautés (2008). En effet, les formes politiques du public et du privé, de l’espace
intime et de l’espace de l’extériorité se définissent mutuellement, et la démocratie
contemporaine conditionne de nouvelles manières d’êtres du public au privé, de
l’espace d’apparition du politique à celui de la famille. Ces continuités établies entre
public et privé, en attachant de l’importance à l’expérience sensorielle du citoyen,
témoignent d’une reconnaissance nouvelle du caractère vivant de l’'habitant.
Deuxièmement, l’habitant est vivant car les formes d’interdépendance organique avec
le milieu de vie connaissent un regain d’actualité… En témoigne l’importance des
préoccupations de santé environnementale, ou liées à l'alimentation, à la valorisation
des déchets organiques selon des circuits courts, mais aussi à la qualité sensorielle de
l’environnement et au plaisir de réinvestir le local.
La représentation de l’habitant comme vivant implique que la mise en relation de
l'intime et du public peut être considérée au contraire comme un facteur
d'émancipation (et non plus de contrôle et de régulation), un vecteur d’une prise de
conscience critique, l'individu assurant désormais en partie sa propre destinée.
Autrement dit, à travers l’habitant, c’est une politique de l’environnement, au sens
d’une totalité interdépendante dans le temps et dans l’espace, d’une globalité
intégrative, qui se cherche (Blanc, 2008). Autant le citoyen que le producteur
témoignent de la relation de séparation ou d’exploitation entre la nature et la société.
Le citoyen s’arrache à l’état de nature et suppose donc une coupure radicale entre
celle-ci et la société. Le producteur s’affronte à la nature pour la transformer, par le
travail, en richesses pour la société. L’habitant, conscient des ratages de la société
moderne, et quelque part incapable d’y remédier, aspirant à un développement de
qualité et plus équitable sur le plan socio-écologique, inquiet pour sa qualité de vie ou
désirant la perpétuation de son milieu de vie, exprime en se mobilisant une montée en
puissance de préoccupations qui, jusqu’ici, avaient peu le droit de cité. C'est dire qu'il
ne s'agit pas de l'individu réduit à son corps et extrait de son contexte.
27
Partie 2. Vers un modèle d'action conjointe
Les évolutions précédemment analysées ne mettent pas en jeu des individus
solipsistes. Cette deuxième partie va s’attacher à analyser les modalités d’action
conjointe qui se sont développées depuis quelques décennies aux Etats-Unis et plus
récemment en Europe, en associant des habitants et des pouvoirs publics, dans les
différents contextes d’étude. Au-delà des arènes de démocratie participative, d’une
gouvernance peu performative, de nouvelles modalités de l’action publique sont
apparues, orientées vers des processus de participation non plus à la décision, mais à
l’action. Leur développement est lié aux conceptions de la démocratie à l’œuvre dans
chaque pays.
On peut se demander si « l’agir ensemble » ne constitue pas le nouvel horizon des
partenariats pouvoirs publics/habitants, en termes prospectifs. Pour l’heure, ces
partenariats sont encore trop soumis ou cantonnés à des logiques subalternes (gestion
de proximité, politiques supplétives, légitimation de l’action publique par la
« participation », « empowerment » ou pacification) qui risquent de se pérenniser
d’autant plus que les finances et personnels publics se rétrécissent. Pourtant, les
acteurs associatifs, depuis un certain temps déjà, renouvellent substantiellement les
contenus de l'action politique (Warin, in Jouve et al., 2004), et les habitants sont
susceptibles d’en renouveler aussi les formes.
1. Aux Etats-Unis
A. De la démocratie en Amérique…
Avant d’aborder les modalités d’action conjointe entre pouvoirs publics et habitants,
il est nécessaire de rappeler trois éléments saillants de la conception et du
fonctionnement de la démocratie aux Etats-Unis.
(1) La participation des habitants est dotée d’une forte légitimité en tant qu’elle
fabrique de la communauté, c’est-à-dire du capital social -la notion de communauté
est en effet assez peu spatialisée-. Cette légitimité n’est pas à prouver et ne s’oppose
pas à celle d’une démocratie représentative. La participation a des effets de
socialisation jugés par eux-mêmes positifs, mais est surtout une condition structurante
pour que des solutions locales soient apportées aux problèmes rencontrés. Elle fonde
une capacité de réponse, de prise en charge de problèmes qui, sinon, ne seraient pas
pris en charge. La participation locale est à même de créer de la solidarité et des
dynamiques d’entraînement pour activer les ressorts de mobilisation à l’intérieur de
chaque individu ou communauté, ressorts qui conditionnent leur réussite. Elle est le
lieu d’une régulation possible, et parfois effective, les autres niveaux de régulation
étant particulièrement en retrait. Ce fonctionnement correspond à la conviction très
ancrée dans la société américaine, nourrie par la conception jeffersonienne de la
démocratie et renforcée par le prisme néolibéral, qu’il revient à chacun de se prendre
en charge (quel que soit son capital culturel ou économique), et que les politiques ont
28
pour mission d’aider à cette auto-prise en charge, dans ses dimensions à la fois de
« self-help » et « self-government ».
Sur un plan politique, c’est en partant de l’individu, de sa place dans la communauté
et de la capacité des communautés à pousser l’innovation sociale et politique que
l’action politique peut prendre un essor. La démocratie doit donc nécessairement se
nourrir de processus grassroots. Ce qui n’interdit pas les approches nimbystes, de
repli ou de rejet de l’autre (Armony, 2004). En pratique, la dimension sociale peut
justifier à elle seule la participation, puisqu’elle redonne un sens et un contenu à la
communauté. Si les résultats politiques sont en effet incertains, le bénéfice social
semble acquis. Il en va de même pour l’action environnementale locale, qui est vue
comme un facteur augmentant la cohésion sociale (Eames, 2002), tout comme au
Royaume-Uni (Church, 2002).
Parmi les problèmes liés à ce fonctionnement politique aux Etats-Unis et plus
généralement dans le monde anglo-saxon, on peut citer :
- Le retrait des pouvoirs publics et la délégation de la prise en charge des problèmes
et de l’organisation de certains services sociaux (logement par exemple) aux habitants
et communautés.
- Le décalage entre les décideurs qui déterminent les grandes orientations nationales
ou urbaines et la gestion des problèmes locaux par les leaders communautaires qui
doivent faire face aux externalités de choix politiques et économiques qu’ils ne
maîtrisent pas ; les activistes communautaires exercent un lobbying sur les décideurs
(pouvoir politique, économique et financier) mais surtout dans la mesure ils les
invitent à prendre en compte les intérêts de la communauté, comme un correctif aval,
donc. Pour un regard français, il est injuste que la régulation politique locale soit
imputable au degré de cohésion sociale d’une communauté et de mobilisation de ses
membres. Pour un regard nord-américain, les stratégies d’empowerment permettent
une redistribution des pouvoirs à l’échelle locale susceptible d’améliorer l’égalité des
chances, dans la tradition du rêve américain (Sirianni et al., 2001).
- Le focus porté sur l’intégration démocratique masque les processus
d’autonomisation et de transformation des modes d’engagement politique, nourrissant
des évolutions sociétales et des changements culturels. Ceux-ci semblent davantage
portés par des formes périphériques (puisque revendiquant le retrait) d’engagement
individuel et collectif, comme celles qui caractérisent les choix de vie dans la
nébuleuse des « créatifs culturels », que par les mobilisations locales pour
l’amélioration des conditions de vie, qui tendent à reproduire le même modèle (prise
en charge locale des déficiences sociétales, qu’elles concernent l’école, la santé, le
logement ou les pollutions) augmenté de nouveaux ingrédients (justice et ressources
environnementales actuellement).
Une fois ce contexte posé, on ne s’étonnera pas que les questions de sécurité soient à
la base d’un nombre important d’initiatives habitantes dans leurs milieux de vie. La
plupart des mobilisations communautaires relèvent d’un combat pour la sécurité au
sens large : sécurité physique des biens et des personnes, sécurité sociale et sécurité
environnementale. D’où l’organisation, par exemple, de nombreux groupes de
« surveillance » (du crime ou de la pollution des lacs et cours d’eau).
(2) Dans le modèle tocquevillien de la société démocratique, la mobilisation des
citoyens dans les corps intermédiaires est une particularité américaine, considérée
comme un élément clé du bon fonctionnement démocratique. Dès lors, le degré
d’engagement civique, qui peut prendre une multitude de formes, détermine la vitalité
démocratique. Depuis les années 1960, les auteurs américains sont attentifs à mesurer
29
l’intensité de la mobilisation citoyenne, qu’elle soit le fait d’habitants ou d’individus.
Avec les formes de participation, son intensité mobilise une partie des études
américaines (Milbrath et al., 1965, Barnes et al., 1979, Verba et al., 1978). Le constat
est fait d’un déclin général de l’engagement au cours des années 1980, puis d’un
renouveau à la fin des années 1990. Les travaux de Putnam sont fondateurs de cette
vision : étudiant l’engagement civique à partir d’une série d’indicateurs quantitatifs, il
aboutit notamment à la thèse d’un désengagement des classes moyennes éduquées,
particulièrement des étudiants (Putnam, 2000). Pourtant, l’émergence de nouvelles
formes d’engagement fait penser à d’autres auteurs que le déclin analysé par Putnam
est déjà révolu, et que la mobilisation se développe de nouveau d’un point de vue
quantitatif.
Il faut insister sur le rôle des mobilisations environnementales au cours de cette
évolution, dans la mesure où elles proposent des enjeux d’engagement nouveaux, tout
en recyclant une partie des pratiques de mobilisation issues de la période précédente.
Des enquêtes tentent de caractériser ce renouveau quantitatif de l’engagement
civique, et certains auteurs généralisent à l’ensemble des pays industrialisés : « Loin
de décliner, l’intérêt pour la politique locale des citoyens s’est renforcé dans les pays
industrialisés. Dans plusieurs pays, comme la Norvège ou les États-Unis, des
enquêtes d’opinion approfondies révèlent un engagement plus fort des citoyens dans
les affaires locales (participation à des associations, contacts avec des élus et des
fonctionnaires [...] » (Hoffman-Martinot et al., 2003). La participation locale semble
donc, plus que jamais, être le garant de la démocratie et du rêve nord-américains.
(3) Un troisième point saillant de la démocratie états-unienne est la dimension
pragmatique de la participation. Alors que la plupart des auteurs français s’attachent
aux conditions et aux dispositifs institutionnels d’une prise de parole dans l’espace
public par les habitants, d’une « concertation » permettant de résoudre ou d’anticiper
les conflits, en s’attachant à décortiquer la « grammaire » de la participation (Tapie-
Grime et al., 2007), c’est au contraire l’action, et ses modalités, qui retiennent
l’attention des auteurs nord-américains. L’engagement civique est valorisé par
l’action qu’il est à même de produire, par ses capacités d’activation communautaire.
Il est donc naturel de trouver dans le contexte nord-américain davantage d’actions
émanant des habitants, de formes diversifiées d’intervention sur les milieux de vie, à
la fois plus nombreuses, plus visibles et plus légitimes. Il existe toutefois deux types
d’actions spontanées, celles qui relèvent d’une démocratie radicale, dissonante,
héritière d’Emerson et Thoreau, peu encline à accepter les compromissions, et celles
qui appellent des partenariats avec le système institutionnel, dans l’idée de porter
l’action plus loin. Dans le cadre de cette étude, centrée sur les modalités d’action
conjointe pour la restauration de milieux de vie et le renouvellement urbain, c’est au
deuxième type d’action que nous nous intéressons.
B. La démocratie locale : plus de quarante ans d’apprentissage
L’ouvrage, fort précieux pour notre travail, de Carmen Sirianni et Lewis Friedland
(2001) est à la source de toute l’analyse qui va suivre. Les autres lectures que nous
avons effectuées ne nous renseignent que très peu sur l’investissement habitant des
milieux de vie, en termes d’action directe et au-delà de formes désormais classiques
bien étudiées (comme les jardins communautaires). Peut-être n’avons nous pas su
trouver, au sein d’une littérature nord-américaine très abondante, les bonnes
références sur le sujet. On peut aussi avancer l’hypothèse que la conceptualisation de
30
cet investissement habitant est encore émergente, ou qu’elle est masquée par le regard
porté sur l’investissement communautaire.
Carmen Sirianni et Lewis Friedland analysent sur la base d’un important travail
empirique différentes formes d’innovation civique aux Etats-Unis, interprétées
comme la matrice d’un renouveau civique et d’une revitalisation démocratique, ce qui
infirmerait la thèse de Putnam. Ces innovations prennent racine dans un double
terreau : d’une part, celui des droits procéduraux de participation et des droits
substantifs (droit au logement, à la santé, à un environnement sain, etc.), essentiels
pour de nombreuses mobilisations qui y ont puisé leur légitimité, en réponse à une
forte insécurité sociale, sanitaire ou environnementale, et d’autre part, celui de
quarante ans d’apprentissage de formes collaboratives de démocratie participative,
depuis les années 1960.
Les initiatives communautaires ont souvent été impulsées et relayées par des
« professionnels civiques » (fonctionnaires municipaux, d’Etat, journalistes, …) et
des politiques publiques construites pour encourager le « self-government » et la mise
en synergie des acteurs publics, privés et civils. L’engagement civique ne relève donc
pas d’un simple processus bottom-up, il mobilise à la fois des individus engagés, des
leaders communautaires formés et des praticiens professionnels dans un processus
d’apprentissage social (social learning) permettant l’établissement d’une confiance
entre les partenaires et l’obtention de soutiens extérieurs à la communauté. Cet
apprentissage social est nourri par trois traditions aux effets cumulatifs :
« l’apprentissage des politiques pour la démocratie », « l’apprentissage
organisationnel et la culture de la régulation », « la théorie de la démocratie
participative ».
L’apprentissage des politiques (policy learning) a été expérimenté dans les politiques
d’empowerment et de construction de capacités communautaires. Les objectifs étant
d’entraîner les citoyens dans la négociation et la recherche de compromis, en
dépassant les confrontations conflictuelles, de renforcer les capacités locales de prise
en charge, et de mettre au point des solutions plus adaptées au traitement de certains
problèmes en intégrant les connaissances communautaires (environnement, santé
notamment). De nombreux réseaux se sont constitués pour fournir un soutien à
l’apprentissage des politiques (analyse de bonnes pratiques, obstacles, échecs,
assistance technique, mobilisation de fonds pour l’action locale), composés de
membres associatifs, d’universitaires et consultants, de responsables d’agences
publiques, de banques et fondations, médias, entreprises, On voit donc se
constituer au cours des dernières décennies des organismes ressource encourageant et
accompagnant la participation citoyenne.
L’apprentissage organisationnel répond quant à lui à un certain nombre de constats
désenchantés sur les organisations bureaucratiques et les limites (l’impuissance) de la
régulation « top-down », comme dans le secteur de la gestion des ressources
halieutiques et forestières. Il oppose aux approches de « commande et contrôle », au
gouvernement des experts et aux approches conflictuelles une culture de la régulation
délibérative et collaborative.
Enfin, la théorie de la démocratie participative met l’accent sur l’apport éducatif de la
participation, avec l’acquisition d’un sens de la responsabilité, dans la veine
tocquevillienne, puis en mobilisant les travaux de John Dewey.
Dans tous les cas, l’apprentissage, l’expérimentation, le droit à l’erreur sont opposées
aux approches hiérarchiques et descendantes. Ils sont censés renforcer l’égalité des
chances lorsqu’ils concernent des communautés paupérisées.
31
L’analyse de deux champs de mobilisations connexes au renouvellement urbain va
nous permettre d’approfondir la question des modalités d’action conjointe entre
habitants et pouvoirs publics, toujours sur la base des travaux de Sirianni et Friedland.
Il s’agit de l’organisation et du développement communautaires urbains, revitalisant
l’habitat ou le quartier, et de l’environnementalisme civique en milieu métropolitain.
C. A l’école d’Alinsky
Les mobilisations pour la revitalisation des quartiers trouvent leur origine dans le
programme de « guerre à la pauvreté » mis en place en 1964 par le président Johnson,
le Community Action Plan, qui fait une large place à la participation des
communautés. La maturité du mouvement des droits civiques impose cette
orientation. La participation des noirs américains aux politiques urbaines a pour enjeu
la justice raciale, et non la construction d’un capital social. Des agences d’action
communautaire sont mises en place, favorisant l’émergence de milliers de leaders
communautaires.
Ce leadership va se déployer grâce au mouvement impulsé par Saul Alinsky,
sociologue de terrain qui développe des méthodes d’organisation communautaire,
centrées sur le relationnel, l’apprentissage et la capitalisation de l’expérience. Il fonde
l’institut de formation IAF (Industrial Areas Foundation), d’où seront issus de
nombreux organisateurs communautaires, en leur enseignant comment le conflit peut
devenir une source d’empowerment. L’idée est de mobiliser le capital social des
communautés existantes -églises, syndicats, clubs, …- pour construire une
collaboration interraciale et un empowerment communautaire ; d’élaborer un modèle
d’organisation à la fois participatif et professionnel pour développer le leadership
communautaire et la confiance entre partenaires ; de mettre sur pied, enfin, des
partenariats publics complexes (des alliances) pour de vraies initiatives politiques.
Les leaders communautaires sont formés à un « art de l’écoute », avec la méthode,
simple, efficace et centrale, des réunions en tête à tête, les valeurs, les histoires et
motivations personnelles peuvent s’exprimer, facilitant la compréhension mutuelle, la
confiance et ultérieurement la construction d’un consensus. Le parrainage des jeunes
leaders par les anciens est également institué, sous la forme d’accompagnement du
travail de terrain et d’évaluations autocritiques. Le leadership est collectif, jamais
individuel. Il est interdit aux leaders communautaires de prendre un pouvoir
personnel dans une institution associée au projet de développement communautaire.
Des sessions de formation sur des concepts (pouvoir, citoyenneté, pluralisme, capital
social, …) et des auteurs clés (Jefferson, Tocqueville, Arendt, …) leur sont
proposées. L’empowerment passe finalement par l’apprentissage collectif de
l’indépendance. « Ne faites jamais pour les autres ce qu’ils peuvent faire pour eux-
mêmes » est la règle d’or de l’IAF. De nombreuses femmes s’impliqueront dans le
leadership communautaire. Cette école a aussi marqué maints acteurs politiques issus
de « minorités » (dont Hillary Clinton, Cesar Chavez et Barak Obama). Le slogan de
campagne de Barak Obama, « Yes, we can », est issu de cette tradition.
L’influence de l’IAF se développe après la mort d’Alinsky, dans les années 1970, qui
voient aussi se constituer de nombreuses institutions intermédiaires et réseaux pour la
formation et le financement des organisations communautaires. Des milliers de
« communautés de rassemblement » se structurent (congregation based communities).
L’IAF à lui seul compte 65 fédérations locales composées chacune de dizaines de
« communautés de rassemblement » (en 2001). La foi servira souvent de socle pour
construire cette confiance et cette énergie entre les partenaires, l’appropriation
32
religieuse de la méthode d’Alinsky ayant été dominante. Quoi qu’il en soit, l’IAF, en
tant qu’école de la vie publique, a renforcé la capacité d’organisation et d’action
locales. L’éducation a quitté l’arène scolaire ou universitaire pour entrer de plein pied
dans la vie d’adulte et la vie politique locale.
Si les années 1960-70 sont marquées par des mobilisations conflictuelles, les
approches partenariales prennent un essor dans les années 1980. Elles se développent
sur des thématiques comme la formation des afro-américains pour le marché du
travail local, l’amélioration du système scolaire et l’implication parentale, ou les
programmes de logement avec des prêts facilités. L’approche collaborative s’inspire
des mêmes méthodes que celles qui ont servi à structurer la communauté : il s’agit de
comprendre l’intérêt du partenaire et le contexte dans lequel il agit.
D. Les organisations de développement communautaire (CDC)
Un autre outil de développement local basé sur le partenariat voit le jour en 1966.
Sous l’impulsion d’un sénateur, des organisations locales à but non lucratif
s’engagent dans la construction ou la rénovation de logements sociaux (parc privé
dégradé) et le développement économique local. Une première centaine de CDC
formées surtout par des activistes noirs sont soutenues par un programme fédéral et la
fondation Ford. A la fin des années 1970, leur nombre s’accroît fortement avec des
compétences plus variées, moins ambitieuses, et un élargissement des soutiens
(programmes fédéraux, fondations, associations et réseaux d’appui), avant les coupes
budgétaires de Reagan. Les aides fédérales aux villes sont réduites de 60% entre 1980
et 1992, les financements pour le logement des plus pauvres sont supprimés, ce qui
déclenche une troisième vague de CDC, qui obtiennent les appuis des Etats et des
villes. On en recense 3600 en 2001.
Organismes multipartenariaux, les CDC développent les partenariats public-privé et
des politiques alternatives aux approches descendantes et aux approches fiscales
censées stimuler le privé pour l’offre de logement locatif. Leur contribution à la
politique du logement est significative, bien qu’elles soient loin d’être en capacité de
couvrir les besoins. Elles ouvrent leur conseil d’administration à des membres
extérieurs en s’éloignant dans la décennie 1980 du modèle de l’empowerment
communautaire pour celui de la coopération entre gestionnaires et résidents, dans un
souci d’efficacité, plutôt que d’égalité des chances. Leur pouvoir et professionnalisme
croissants les rendent incontournables pour les projets de développement privés ou
publics.
Comme pour l’IAF, les organismes de soutien et réseaux d’appui ont joué un rôle
déterminant dans leur développement, en légitimant les initiatives locales mais aussi
en leur donnant un référentiel plus global, un argumentaire plus construit, fondé sur
de nouvelles visions et valeurs, prônant le changement. Mais aussi en développant les
savoir-faire et capacités, par l’échange, la capitalisation des expériences, le conseil, la
formation, l’encouragement.
E. Les réseaux d’appui aux initiatives locales, un nouveau modèle
d’action politique
Ces réseaux (associations nationales, et parfois internationales, soutenues par les
institutions et les fondations) construisent selon nous un nouveau modèle d’action
politique, piloté par des activistes obtenant l’appui des pouvoirs publics mais
indépendants d’eux. Il s’agit de passer de la contrainte au volontariat, du diagnostic
des problèmes au diagnostic des ressources (ressources humaines, culturelles,
33
environnementales, …) pour agir autrement face à des constats d’échec (qu’ils soient
sociaux ou environnementaux). Ce qui est en jeu est la capacité de l’innovation à
circuler, proposer des modèles d’action. Les prix, l’émulation, les colloques
nourrissent la construction de ces modèles. Simultanément, prévalent des modes
opératoires très souples, puisque les initiatives émanent d’un contexte local dont elles
gardent profondément la marque. La mise en réseau des initiatives, souvent
expérimentales ou même alternatives, crée des dynamiques de valorisation et
d’entraînement : ces expériences deviennent attractives pour d’autres collectivités ou
communautés, la prise de risque étant réduite par l’encadrement collectif, ce qui
permet d’étendre le « mouvement » -mouvement de développement communautaire,
mouvement en faveur des quartiers, mouvement des bassins versants, de la
restauration (écologique), mouvement de l’environnementalisme civique, des
communautés saines, des villes durables aujourd’hui.
Ce mode d’action publique collaborative (alliance et ajustement entre activistes,
réseaux de soutien et programmes publics nationaux et locaux) n’a pas seulement un
effet sur l’activation des dynamiques locales, il interroge aussi, bien plus largement et
par contrecoup, les professionnels et les responsables publics dans leur ensemble, en
les poussant à évoluer dans le sens de ces dynamiques, dans le cas de la
reconnaissance de ces innovations, ou en les forçant a minima à se positionner en
regard de ces évolutions. On peut donc formuler l’hypothèse que les réseaux d’appui
aux initiatives locales sont un levier de transformation de l’action publique, sur un
plan procédural aussi bien que substantiel (entrée en politique de nouvelles
problématiques).
Il faut remarquer que ce modèle d’action politique activant les initiatives locales s’est
exporté en Europe : le travail d’ICLEI (initialement nommé Conseil international des
initiatives environnementales locales) pour encourager et appuyer les initiatives
urbaines de développement durable en est un exemple frappant. Cette organisation,
soutenue par l’ONU et la commission européenne, a joué un rôle tout à fait central
dans l’affirmation et la légitimation du référentiel de la ville durable en Europe.
ICLEI, en pilotant la campagne des villes européennes durables, parfois baptisée le
mouvement des villes pour la durabilité, a mobilisé un nombre croissant d’autorités
locales volontaires dans ses programmes et réseaux pour l’expérimentation du
développement durable (agendas 21 locaux, plans climat, éco-budgets, achats
responsables, etc.). Elle ne s’est pas particulièrement appuyée sur les initiatives
communautaires, le contexte européen s’y prêtant peu. D’autres réseaux, en
partenariat avec la commission européenne, ont soutenu l’action locale en lui donnant
une visibilité et une légitimité. L’essor des politiques de développement urbain
durable en est le principal résultat, les gouvernements nationaux ayant relayé ces
orientations par des programmes plus (Suède, programmes LIP et KLIMP) ou moins
(Royaume-Uni) financés. A cet égard encore, la France est particulière : on peut
considérer que l’action législative a é(LOADDT, SRU) et reste (loi Grenelle) le
principal vecteur d’entraînement des collectivités locales.
F. Le mouvement des associations de quartier
L’essor des CDC, dont l’effort est centré sur la revitalisation des secteurs en
difficulté, s’accompagne dans les années 1980-90 de la montée en puissance des
associations de quartier (neighborhood movement) dans les politiques urbaines, en
particulier dans la planification participative et la gestion environnementale. Ces
associations n’épousent pas une géographie sociale spécifique, elles participent en
34
revanche d’une volonté de gouvernance urbaine très inégale selon les villes. Leurs
salariés sont financés par les villes mais elles lèvent en complément des fonds
propres. Elles peuvent former de futurs responsables administratifs et élus, comme la
maire de Portland. Nées à l’origine d’un programme de recherche-action, ces
associations, qui couvrent l’ensemble d’un territoire urbain, supportent des projets
locaux mais aussi des initiatives citoyennes indépendantes, ou rattachées à d’autres
associations (environnement, social, ligues de femmes, etc.). Elles tendent à faire le
lien entre les organisations civiques sur un territoire. Elles participent également aux
stratégies de planification métropolitaine (smart growth en particulier).
Parce que leur cible n’est pas la lutte contre la pauvreté ou la dévitalisation
économique, mais l’amélioration de la vie de quartier à travers la mobilisation
citoyenne dans sa diversité culturelle, elles s’investissent souvent dans des projets de
requalification environnementale et de développement durable. Ainsi à Seattle, les
associations de quartier se sont impliquées dans l’aménagement et la transformation
de l’espace public, à travers l’élaboration de plans de quartiers et diverses
interventions : aménagement d’aires de jeux (150 opérations), de sentiers, restauration
écologique de cours d’eau et de délaissés, création de jardins communautaires pour
les minorités, … Au nombre de 230 en 2000, les associations de quartier répondent à
des appels à projet municipaux pour recevoir des bourses, pouvant atteindre 100 000
dollars lorsqu’il s’agit par exemple de la restauration d’un cours d’eau. Mis en place
en 1988, ce programme de bourses a financé 3500 projets, pour un budget de 42
millions de dollars, auxquels s’ajoutent les fonds engagés par les associations et le
bénévolat valorisé (65 millions)4. Il a été adopté depuis par une centaine de villes
états-uniennes. A Seattle, l’idée, héritée d’un activiste associatif dans les années 1960
(Terry Pettus), est d’engager les citoyens dans la fabrique de l’espace public. Les
projets impliquent des parents et des enseignants, des architectes locaux ou des
paysagistes, des environnementalistes, des artistes… Le directeur du Département
municipal des Quartiers souhaite des associations de quartiers qui ne soient plus
réactives mais actives, au sens où elles créent l’espace et la culture publics.
Cette forme d’investissement habitant des milieux de vie est donc médiée par les
associations de quartier, qui mettent en pratique l’idée d’habitant aménageur, un
habitant qui a la possibilité de prendre part à la fabrique environnementale et urbaine
de son quartier, tout en s’inscrivant dans des aventures collectives génératrices de
liens sociaux et de confiance politique. Ceci grâce à l’expérience cumulée des
mobilisations communautaires et des pratiques collaboratives.
G. L’environnementalisme civique
Dans le domaine de l’environnement, des formes collaboratives d’action se sont
spécifiquement mises en place, centrées sur les lieux et milieux de vie (place-based
approach), venant en complément aux approches réglementaires (et non en
substitution). Dans les années 1970, les premiers programmes de participation
citoyenne voient le jour, suite à l’infiltration des agences de protection de
l’environnement par les industriels dans la période du New Deal, et à la critique de ce
mode de pilotage. Ils concernent essentiellement les grandes associations de
protection de la nature, avec peu de moyens mis à disposition et peu d’effets sur le
fonctionnement des agences fédérales. Avec la mise en place du Conseil Inter-
agences sur la Participation des Citoyens par Carter en 1976, le dialogue avec le privé
et les associations est renforcé et il ne sera plus possible de faire marche arrière. Les
4 Dont certains sont décrits sur www.seattle.gov/neighborhoods
35
coupes budgétaires et de personnel sous Reagan n’arrêteront pas le mouvement en
faveur d’une collaboration entre parties prenantes et entre niveaux d’action, au
contraire. D’une part, le management de l’environnement est intégré dans les grandes
entreprises et les nouveaux managers ne sont pas prêts à perdre leur poste, d’autre
part la pénurie de fonds fédéraux incite les Etats et les gouvernements locaux à se
rapprocher des ONGs et groupes de citoyens, en mettant sur pied de nouveaux modes
d’action collaboratifs.
Dès les années 1980, les politiques publiques locales engagent les citoyens dans des
mesures de surveillance, d’amélioration et de restauration des milieux de vie à un
double niveau (quartiers, écosystèmes). Il ne faut pas sous-estimer l’influence du
paradigme biorégionaliste, qui appuie depuis les années 1970 l’idée d’une
intervention à l’échelle des bassins versants ou des régions dites naturelles. Selon ce
point de vue, une population ne peut faire partie intégrante d’une biorégion que si elle
en protège et en maintient les équilibres naturels, dans un processus de ré-habitation
(reinhabitation). Certains textes appellent à une identité de bassin versant. Et ces
analyses trouvent de l’écho : « Que se passerait-il si nous nous considérions nous-
mêmes comme habitants communs d’une partie naturelle de la planète, plutôt que
comme membres de groupes d’intérêts en compétition, isolés les uns des autres par
les délimitations des propriétés ? » (association de restauration de la Mattole, cité par
Sirianni 2001, p. 104). En même temps, l’organisation communautaire valorise
l’investissement du quartier, de l’environnement immédiat.
La décennie 1990 connaît un fort essor de cette participation. Des outils tels que les
accords volontaires négociés avec les participants sont utilisés (comme dans
l’initiative développée à Arnhem aux Pays-Bas, voir partie III). Le travail porte sur la
requalification de bassins versants ou estuaires, la surveillance de la pollution des
cours d’eau, la restauration écologique de certains milieux, la foresterie urbaine, les
jardins communautaires, l’action foncière par des sociétés foncières communautaires
(land trusts) qui repèrent et acquièrent des terres pour des usages d’intérêt public
(corridors verts, espaces naturels, agriculture urbaine, agriculture durable, …), la
négociation d’accords de « bon voisinage » entre les entreprises polluantes et les
riverains, avec ou sans contrainte légale, grâce aux lois pour la justice
environnementale5, ou encore les projets de communautés durables (actions
notamment pour la biodiversité urbaine et la limitation des gaz à effet de serre
récemment). A l’échelle des quartiers, on peut trouver bien d’autres formes
d’investissement habitant, par exemple pour revenir à Seattle, l’aménagement
d’espaces publics, de cheminements piétons, les projets de reconversion de sites,
d’embellissement artistique, ou même l’aménagement de ronds points pour réduire
les vitesses de circulation…
L’essor de l’environnementalisme civique serait selon Carmen Sirianni et John
Friedland à trois processus :
(1) l’appui des associations environnementalistes nationales, qui jouent le rôle des
réseaux identifiés précédemment pour le déploiement des initiatives communautaires.
Ces associations jouent à la fois la carte de l’opposition et du lobbying sur les
pouvoirs publics et privés, et celle, à l’échelle locale, de l’implication dans des
partenariats civiques.
5 Ils incluent un audit sur la sécurité dans l’entreprise réalisé par un expert indépendant nommé par la
communauté et financé par l’entreprise, ainsi que la mise à disposition de toutes les données relatives
aux rejets et chets de l’entreprise, grâce à la loi « Emergency Planning and Community Right-to-
know Act » de 1986.
36
(2) le développement des capacités de collaboration entre les niveaux de politiques
publiques et entre les politiques sectorielles (inter-agences), coopération catalysée par
l’intervention citoyenne. En retour, les pouvoirs publics (Etats et villes) se sont
impliqués dans le soutien à de nombreux groupes civiques et à leur mise en réseau.
(3) le soutien des agences fédérales. La critique de l’approche « commande et
contrôle » a été entendue notamment par l’EPA, qui s’est orientée vers une approche
« fondée sur les lieux » (place-based approach). A la différence de la territorialisation
des politiques publiques en France, les habitants sont sollicités, d’une manière bien
plus extensive qu’au travers des Conseils de développement, Conseils de quartier ou
Comités de bassin. Une différence essentielle est qu’ils sont sollicités pour agir, et
non pour participer seulement à des délibérations.
On voit donc que la participation civique et l’investissement habitant des milieux de
vie, pour ce qui nous concerne, ne se déploient pas indépendamment des cadres qui
les suscitent, encouragent, financent, légitiment. La mise en place de ces cadres
répond à une certaine conception de la démocratie selon laquelle l’engagement
individuel vis-à-vis de sa communauté, qui peut être diversement définie (ethnie,
culture, religion, quartier ou bassin versant), est fondamental. Elle répond aussi au
primat, pragmatique, de l’action comme vectrice de dépassement des conflits : le faire
force la collaboration, tandis que le dire peut rester (impunément) conflictuel.
Mais ces cadres évoluent aussi sous l’effet des mobilisations citoyennes, en relayant
l’innovation locale et en mettant en place les conditions de sa diffusion. Le
programme, par exemple, des espaces verts métropolitains de Portland a été établi
dans les années 1980 à l’initiative d’une association foncière, de l’antenne locale de la
Société Audubon de conservation de la nature et d’un service du district métropolitain
(une agence d’urbanisme régionale dont les membres sont élus). Des citadins ont créé
l’association « les amis et avocats des aires naturelles urbaines » (FAUNA), qui
coordonne plus de 60 groupes travaillant sur le foncier. Cette mobilisation a conduit à
la création du service métropolitain des espaces verts. Le niveau fédéral, quant à lui, a
développé un programme de soutien à la foresterie communautaire et urbaine, visant
à faire reconnaître les bénéfices des arbres en milieu urbain (services écologiques et
esthétiques, notamment dans les quartiers pavillonnaires), à les préserver et à planter
de nouveaux individus. La foresterie urbaine s’est déployée, elle impliquait plus de
8000 communautés et des centaines de milliers de volontaires en 1997.
Un autre exemple original concerne l’aire métropolitaine de Chicago. A l’initiative
d’un militant et amoureux des plantes, le réseau du pilotage volontaire (Volunteer
Stewardship Network) appuie à la fin des années 1970 la réintroduction des graines de
fleurs sauvages dans les prairies du nord de l’agglomération, le nettoyage et la
reconstitution des prairies et savanes (qui avaient disparu), et la mise en réseau des
acteurs. Diverses associations (de quartier, clubs de jardiniers, boy scouts, paroisses –
restoring Creation !-, etc.) prêtent main forte, des « rassemblements pour les
prairies » (congregations for the prairies) se constituent, et plus de 200 sites sont
restaurés au début des années 1990 (12 140 hectares), dont la moitié dans l’aire
métropolitaine, avec l’aide de la société de conservation de la nature de l’Illinois.
6000 « citoyens scientifiques », formés, animent le réseau du pilotage volontaire, en
lien avec de nombreux partenaires. Cette organisation constitue un modèle national
pour le « mouvement de la restauration », qui s’est conceptualisé dans son sillage. Au
niveau local, le programme pour la wilderness de Chicago réunit différentes agences
gouvernementales, institutions et groupes civiques. Il s’agit d’un consortium de près
de 200 organisations qui portent sur un chapelet d’espaces préservés en milieu urbain
37
un regard globalisant qui définirait une sorte de réserve naturelle discontinue. Le
consortium a ainsi mis en place une plate-forme d’offres d’action proposées aux
bénévoles potentiels, par les différentes associations adhérentes. Il constitue l’un des
29 « partenariats pour les écosystèmes » de l’Etat de l’Illinois.
H. Le mouvement des bassins versants
Le « mouvement des bassins versants » illustre bien les modes d’action conjointe qui
se développent particulièrement depuis les années 1990. La participation des citoyens
à la gestion de l’eau est dans un premier temps inscrite dans la loi. Les premières
arènes de débat multi-acteurs et ouvertes aux citoyens font suite au Clean Water Act
(1972). Nombreuses et assez conflictuelles, elles nourriront un apprentissage du jeu
d’acteurs et des intérêts divergents, des nécessaires compromis. En 1983, suite aux
mobilisations environnementalistes pour la défense de la baie de Chesapeake dès
1966 (l’estuaire le plus productif du pays et un des plus pollués, près de Baltimore) et
la constitution de plusieurs associations, l’EPA met sur pied un programme de baie,
qui est en fait une coalition d’ONGs, pour impliquer les citoyens dans la mesure de la
pollution, le nettoyage, la préservation des cours d’eau. L’enjeu est triple :
(1) utiliser les associations environnementalistes et communautaires pour éduquer un
large public aux enjeux de protection de la qualité de l’eau, laquelle nécessite
l’implication de nombreux acteurs puisqu’elle dépend de pollutions diffuses ; l’EPA
déclare que la volonté de protéger l’estuaire doit venir de chaque utilisateur.
(2) développer les capacités de mesure de pollution et d’intervention dans un contexte
de coupes budgétaires.
(3) fournir un soutien politique au travail de l’EPA. L’agence fédérale s’appuie sur le
milieu associatif pour renforcer sa légitimité et son poids auprès des acteurs privés,
pour développer le consensus autour de la nécessité d’agir pour préserver la qualité de
l’eau. Ce consensus passe par l’appropriation des enjeux par les acteurs, donc par leur
implication dans le programme de baie. On retrouve ici l’approche pragmatique qui
mise sur le fait que l’engagement dans l’action a plus d’impact qu’une éducation
environnementale abstraite, verbale.
Les partenaires impliqués dans ce programme sont nombreux : associations de
conservation de la nature déjà bien familières du terrain, pêcheurs et clubs de
navigation, agences publiques locales, fermiers, business, écoles, universités,
associations de quartiers, groupes civiques, … De petites bourses pour la restauration
de l’estuaire encouragent un important travail bénévole. Le programme associatif
« d’alliance citoyenne pour le monitoring » appuie les équipes de cours d’eau (Stream
Teams) et les veilleurs de rivières (Watches River) en leur fournissant des données de
pollution. Il encourage aussi la formation de nouvelles associations de bassins
versants (ou sous bassins versants). En 1995, on recensait plus de 1000 projets
communautaires pour l’estuaire de Chesapeake, impliquant des dizaines de milliers
de bénévoles. 7000 volontaires ont par exemple nettoyé la rivière Anacostia. Des
milliers d’arbres et arbustes ont été plantés pour reconstituer les ripisylves. Des
associations ont aidé les fermiers à adopter des pratiques d’agriculture durable. Enfin,
des milliers de personnes sont impliquées, notamment à travers les activités
parascolaires, dans l’élevage puis la réintroduction d’huîtres dans la baie, qui jouent
le rôle d’épurateurs naturels. Un des effets du programme est d’avoir orienté
beaucoup d’associations (ligues de femmes, associations de quartiers, clubs de
seniors, de pêcheurs, de sport, communautés de rassemblements, etc.) vers l’action
environnementale.
38
Cette remarquable mobilisation n’a pas cependant réussi à améliorer la qualité de
l’eau de l’estuaire, qui reste sévèrement pollué. Elle a donné le signal de départ à un
mouvement ample de protection des bassins versants, avec la constitution de
centaines d’associations de bassins versants et de dizaines de milliers de groupes
associés : alliances de bassins et sous bassins, groupes d’amis de la rivière, des lacs,
groupes d’adoption de cours d’eau, équipes de ruisseaux, surveillants de marais et
rivières, etc. Le programme de l’EPA a donc ouvert la voie à une régionalisation et
démocratisation des politiques de l’eau, par bassins versants. Les agences des Etats
encourageront aussi les associations de bassin versant, comme dans le Massachusetts,
à la suite du mouvement Save the Bay à Rhode Island.
Ces associations se structurent en général à partir soit d’un groupe initial de
surveillance de la pollution, suite à un conflit avec un développeur public ou privé,
soit d’un projet de restauration écologique, par exemple autour de la réintroduction du
saumon. Beaucoup échouent à résister face aux groupes de pression, ou préfèrent
rester dans la militance d’opposition, d’autres engagent des partenariats complexes
avec les agences gouvernementales et les acteurs privés, pour développer par exemple
la pêche et la foresterie durables. Les conseils de bassin versants sont des espaces
délibératifs et sont utilisés par les acteurs économiques potentiellement « pollueurs »
pour maintenir un dialogue avec les opposants, plutôt que d’affronter des groupes
environnementaux nationaux plus revendicatifs. Les activités de mesure des
pollutions, avec l’aide du pouvoir fédéral, permettent de faire pression sur les
pollueurs repérables, par la publicité négative que les associations sont en mesure de
faire. On comptait en 1994 340 000 citoyens impliqués dans le fonctionnement de
500 points de surveillance. Ces experts citoyens sont souvent intégrés dans les
Conseils de l’eau (au niveau local et des Etats) qui décident des réglementations.
Le mouvement des bassins versants œuvre pour une appropriation citoyenne et un
pilotage communautaire régulant les activités dans les bassins versants, sur la base de
la résolution des problèmes avec toutes les parties prenantes. Le constat d’échec des
mesures réglementaires face à des pollutions diffuses a motivé cette orientation. De
nombreux réseaux aident au passage de relais et à l’échange d’expériences, certains
orientés vers les partenariats privés, pour impliquer les acteurs économiques dans cet
effort de protection (comme le réseau des rivières), d’autres moins spécifiques,
comme les associations nationales de protection de la nature.
I. Les clés de l’investissement civique
Les formes actuelles d’investissement civique aux Etats-Unis résultent donc d’un
apprentissage opéré sur plusieurs décennies, qui a pris naissance dans la lutte des
afro-américains pour les droits civiques et s’est progressivement étendu à d’autres
champs de l’action politique. L’éducation à la vie publique, le social learning and
policy learning, qui a pris de multiples formes, explique la montée en puissance des
citoyens dans les affaires urbaines et environnementales, d’abord à travers les leaders
communautaires puis de manière plus large : pilotes volontaires de l’espace public,
citoyens « scientifiques », restaurateurs d’espaces ou aménageurs.
L’aménagement des politiques publiques (policy design) pour favoriser
l’apprentissage civique et l’appropriation des enjeux par les citoyens au travers de
l’action sont les deux clés de l’engagement civique. Il répond à une conception de la
démocratie tout autant qu’à un choix d’économie de moyens. Les cadres mis en place
pour encourager la participation citoyenne sont nombreux et ne sont pas seulement le
fait des pouvoirs publics : programmes fédéraux, organismes ressource de formation
39
et soutien à l’action civique, associations nationales développant des programmes
locaux, alliances multiples et à géométrie variable pour mobiliser des fonds et des
ressources humaines. Au-delà de l’empowerment, un modèle d’action publique se
dégage de cette nébuleuse : celui des réseaux nationaux poussant les initiatives
locales, obtenant l’appui des pouvoirs publics et des fondations mais indépendants
d’eux. Le « mouvement » obtenu par la mise en réseau des initiatives et la diffusion
des modèles d’action rétroagit sur les politiques publiques fédérales et les amènent à
se repositionner (législation, programmes fédéraux, nouvelles structures).
L’action conjointe entre habitants et pouvoirs publics, qui associe le plus souvent le
secteur privé, passe donc par des structures intermédiaires jusqu’au niveau le plus
local, les organisations communautaires ou de quartiers orchestrent l’action
civique. Le mot d’orchestration nous paraît ici plus pertinent que celui de pilotage,
car il rend compte du concert et de la pluralité de voix, de cheminements qui
convergent le temps d’un projet, sans que les participants aient besoin d’être d’accord
sur tout pour apporter leur pierre. La diversité de valeurs entre ceux qui veulent
« restaurer la création » en plantant des graines de plantes autochtones, les
environnementalistes biorégionalistes ou les amoureux de l’esthétique des prairies en
fleur, en fournit une illustration. Les outils mobilisés pour l’action conjointe sont les
appels à projets associatifs et civiques, les bourses, les contrats volontaires négociés,
l’implication des écoles et parents, les programmes d’action inter-associatifs et
l’intégration d’un certain nombre d’activistes dans les conseils délibératifs sont
définies les politiques de planification urbaine ou la réglementation
environnementale. Sur le terrain, les partenariats sont complexes et spécifiques à
chaque projet.
On voit donc que si un habitant a la possibilité de prendre part à la fabrique
environnementale et urbaine de son quartier ou de sa région, l’investissement habitant
ne se déploie pas indépendamment des cadres qui le suscitent, le valorisent et le
légitiment. Les actions directes d’investissement ou de prise en charge des milieux de
vie reposent sur un long héritage d’encouragement au « self-government ». La valeur
de l’investissement citoyen est reconnue sur un plan symbolique et économique, avec
la conviction que ce qui est bon pour la communauté est bon pour le pays. Elle est
associée à des formes bien plus matérielles et concrètes que celles qui accompagnent
la conception républicaine de la citoyenneté. Cette valeur est d’ailleurs couramment
chiffrée à travers le bénévolat valorisé, puisque tout projet appuyé par les pouvoirs
publics nécessite des fonds propres en partie constitués par le travail bénévole.
Au-delà, il faut insister sur la spécificité des représentations sociales et culturelles qui
facilitent l’appropriation de l’espace public aux Etats-Unis, et plus généralement dans
le monde anglo-saxon :
(1) la corrélation établie entre le sentiment d’ownership (propriété) et le
développement de la responsabilité
(2) la volonté, et la pression sociale, pour faire communauté, avec ses fondements
religieux
(3) le sentiment d’appartenir à une biorégion ou du moins à une région ou un Etat
dont les caractéristiques naturelles sont porteuses d’identité. L’ancienneté de
peuplement en Europe et le degré d’anthropisation de ses territoires n’autorisent pas
de telles identifications, ou pas à un tel degré. On peut d’ailleurs penser que le
biorégionalisme s’est déployé dans des contextes où l’histoire n’avait pas régionalisé
à saturation le territoire.
Par rapport aux mouvements antérieurs, l’environnementalisme civique a étendu la
construction de la communauté à la construction du territoire qu’elle souhaite prendre
40
en charge et où elle peut se ressourcer. Ce mouvement a une autre incidence majeure :
le fait de transformer les enjeux environnementaux en enjeux quotidiens, à la portée
de tous, de « démocratiser l’appropriation environnementale » (Boyce et al., 2003).
Si l’on assiste à un décollage de l’environnementalisme civique à partir du milieu des
années 1980, et à une diversification de ses formes, on est cependant en droit de
s’interroger sur ses résultats, son efficacité. On peut entendre l’argument politique
américain, sa puissance : « La démocratie est fondamentalement le travail partagé de
citoyens de modeste vertu agissant pragmatiquement pour résoudre les problèmes,
construire des relations productives et produire des choses de valeur » (Sirianni et
Friedland, 2001, p. 237). Ou encore : « Le « we as citizens» du mouvement de
renouveau civique reconnaît la pleine dignité de groupes divers au sein d’une
politique multiculturelle et valide la lutte pour l’intégration de ceux qui étaient
précédemment marginalisés » (p. 239).
Néanmoins, l’idéologie de l’auto-prise en charge rend difficile la résolution de
problèmes environnementaux majeurs, la remise à flots de territoires dégradés, que ce
soit par les pollutions diffuses ou les polluants lourds. L’état de la baie de Chesapeake
l’illustre, en dépit des dizaines de milliers de volontaires. Dans l’arène des lobbies, et
dans des formes de démocratie qui en deviennent des caisses de résonance, les
pressions civiques et environnementalistes pèsent encore peu. Le mouvement pour la
justice environnementale n’a pas non plus trouvé de réponse en ce qui concerne les
fonds nécessaires à l’amélioration des conditions de vie des populations les plus
affectées par la dégradation de l’environnement. Le refus, à l’échelle fédérale et
individuelle, de redistribuer d’une manière autre que philanthropique ou caritative,
c’est-à-dire volontaire et non pas contrainte, a aussi pour conséquence les pires
ségrégations socio-environnementales aujourd’hui connues. Et le fait que les jardins
communautaires ou l’agriculture urbaine de survie envahissent les zones centrales
tombées en déshérence n’est pas en soi porteur d’espoir.
Enfin, les obstacles à l’extension même de cette gouvernance environnementale
restent nombreux : gouvernements élitistes (Houston, Atlanta), clientélisme,
politiques fédérales contradictoires…
Le modèle étatsunien d’action conjointe en matière de politique environnementale ne
nous semble donc pertinent qu’adossé à des formes de régulation qui créent des filets
de sécurité beaucoup plus forts, qui garantissent la sécurité environnementale à court
et long terme (politiques climatiques, chimiques), qui ne laissent pas le choix entre
l’innovation ou rien, qui laissent le droit aux citoyens de ne pas se mobiliser, soit
parce qu’ils le sont ailleurs, soit parce qu’ils n’en ont plus la ressource. Ce modèle
d’action devient alors, à notre sens, pertinent, et sans doute la voie qui s’affirme, avec
toutes les retenues de notre vieux continent, en Europe. Une incursion aux Pays-Bas
et en Allemagne va nous permettre de le mettre en évidence.
41
2. En Allemagne
Une des clefs du succès démocratique allemand réside dans l'organisation de la
société civile (Demesmay, 2004). Certes, les citoyens ne s'engagent pas massivement
dans les partis politiques (entre 1,4 et 5,9% de la population, selon les Länder, est
membre d'un parti), mais ils plébiscitent la vie associative. Un Allemand sur deux fait
actuellement partie d'une association au moins. 80% des Allemands pensent que la
politique ne peut être efficace que si les citoyens prennent eux-mêmes les choses en
main, et deux tiers d'entre eux préfèrent vivre dans une société dans laquelle les
citoyens ont une influence directe sur les décisions importantes que dans une société
où les élus endossent seuls les responsabilités politiques.
Cette conception de la démocratie explique l'importance prise par la participation et
son activation dans les programmes de renouvellement urbain. Depuis les années
1970, les stratégies de développement des quartiers ont incorporé graduellement des
outils favorisant l'engagement civique, dont la variété s’est accrue. Cette politique a
prix une ampleur nationale avec le programme de 1999, « La ville socialement
intégrative, porté par le niveau fédéral et les Länder, dans l’idée de « renforcer les
potentiels locaux », « d’aider les habitants à s’aider eux-mêmes », et de « créer des
organisations civiques auto-suffisantes et des réseaux sociaux résilients à l’échelle des
quartiers »6. Aux outils classiques de la « participation », reflétant des changements
d’organisation et de responsabilités dans les politiques locales, s’ajoutent des outils
« d’activation », reposant sur l’information, l’évènementiel, les médias locaux et
multimédias pour sensibiliser les habitants aux enjeux du quartier et s’appuyer sur le
développement du bénévolat.
En Allemagne, le terme de participation renvoie aux multiples méthodes utilisées
pour informer le public sur les décisions politiques et les processus de planification, et
pour l'inciter à formuler une opinion sur des sujets spécifiques. Les outils actuels de
participation ont éfaçonnés après de nombreuses adaptations durant les dernières
décennies, et comprennent essentiellement : l'engagement des parties prenantes
(skakeholders), les conférences de quartier, les forums citoyens et forums de
quartiers, les ateliers de prospective, les expertises profanes, les ateliers de projet, les
groupes de travail, les techniques de médiation, les projets orientés vers la
participation, Ces méthodes invitent les participants à se joindre à la réflexion ou
au travail commun.
L'activation, qui se développe à la fin des années 1990, est basée sur une approche
plus pro-active, visant à motiver les citoyens et à les encourager pour qu’ils
s’impliquent dans le processus de planification et de mise en œuvre des projets. La
finalité de l’activation est d’'identifier les problèmes, d'organiser les parties prenantes
et de mobiliser les capacités. Il s’agit, en d'autres termes, de faciliter la
communication, l'innovation et l'organisation des ressources humaines et financières.
En Allemagne, l’activation est comprise comme une composante centrale du travail
social dans les quartiers et du développement communautaire. Les outils mobilisés
sont : des sondages de stimulation, des services d'aide à la construction de projet, du
travail de terrain et de porte à porte visant à atteindre les endroits les plus difficiles,
de la médiation entre meneurs de projets et organisations privées et publiques,
l'organisation de rencontres de quartier, de festivals, d'évènements locaux et
médiatiques, des publications, des relations publiques de voisinage par la diffusion de
6 Programme Sociale Stadt, 2003. www.sozialestadt.de
42
journaux de quartier multilingues, flyers, brochures, lettres, sites internet, logos et
slogans. La gestion de quartier sur site est considérée comme cruciale pour les
processus d'activation et d’engagement.
Cette distinction entre participation et activation reflète les deux directions majeures
qui ont marqué les relations entre citoyens et pouvoirs locaux : d’une part le
changement de responsabilités et de politiques des gouvernements locaux, d’autre
part le développement du volontariat et de l’engagement civique au fil du temps. La
bipolarité à l'œuvre dans ces processus allant dans le sens d'une plus grande
démocratie locale a son origine au XIXe siècle.
A Berlin
Berlin est une Ville-Etat, dirigée par un ministre-président, avec une assemblée élue qui a le
pouvoir de légiférer.
Au printemps 2001, un dispositif de participation tout à fait original a été mis en place dans
les 17 quartiers concernés par le programme “La ville socialement intégrative” et
principalement situés en centre-ville. Dans le cadre de ces “jurys citoyens”, un budget
conséquent (de l’ordre de 500 000 euros, sur deux ans) a été accordé à chaque quartier et ce
sont les habitants eux-mêmes qui le gèrent. L’idée, c’est que les citoyens créent des projets
qui doivent présenter un intérêt pour la collectivité, renforcer le développement du quartier ou
combler un déficit de prise en charge des habitants.
Ces jurys sont composés à 49 % d’acteurs locaux (association, communautés, etc.) choisis par
les managers de quartiers et à 51% d’habitants tirés au sort, à partir d’un registre où sont
inscrits tous les résidents, y compris les étrangers. Un avantage sur la France où l’on ne
pourrait que se servir des listes électorales dont les étrangers notamment sont exclus.
A Berlin, c’est donc toute la population qui est représentée. A noter tout de même qu’il est
possible de refuser de participer. Le nombre de membres est par ailleurs proportionnel au
nombre d’habitants du quartier. Il ne dépasse pas quelques dizaines et, au total, ces jurys sont
chargés de représenter 6,7 % de la population de Berlin, soit 223 000 personnes.
Les managers de quartiers, qui sont généralement des consultants du secteur privé mandatés
par les pouvoirs publics, animent les débats, sans prendre parti, et apportent un soutien
technique. Quant aux projets, ils peuvent être déposés par des associations, des personnes, des
entreprises ou même des membres du jury.
A. Le double pilier de l'engagement civique en Allemagne
La démocratie locale repose sur un double pilier -la libre ou l'auto-administration et la
participation citoyenne-, et des fonctionnements diversifiés selon les Länder
(Volmerange, in Guerard, 2004). Ces deux piliers sont bien distincts, et la libre
administration constitue seulement un champ de participation de la population à la vie
administrative. Mais pour pouvoir remplir ce rôle, la population doit être
suffisamment informée. Le fait de recevoir cette information ne donne pas le pouvoir
de décider à la place du Conseil, qui doit rester responsable de l'administration
communale. De fait, les différents mécanismes de la démocratie locale ne permettent
pas seulement aux administrés de participer aux décisions locales, mais sont
également susceptibles d'influencer le conseil communal, qui sait que les décisions
qui iraient à l'encontre d'une volonté citoyenne peuvent être remises en cause. Ce
fonctionnement évite que le fossé ne se creuse entre représentants et représentés.
L'auto-administration des autorités locales est introduite par l’ordonnance urbaine
Prusse de 1808, qui cherche à rapprocher l’Etat du peuple et à adoucir les tensions
43
régnant à l'époque entre souverain et sujets. En effet, alors qu'au XVIIIe siècle les rois
de Prusse avaient pour objectif de renforcer l'autorité de l'État sur les communes, le
début du XIXe siècle va marquer l'émergence d'une autonomie communale sous
l'influence du réformateur Von Stein, qui y voit les moyens de mettre fin au divorce
entre l'État et la société, et donc de restaurer l'autorité de l'État. Selon Stein, pour se
considérer comme des citoyens actifs, commerçants et entrepreneurs doivent
s'impliquer dans la gestion locale en s'administrant librement grâce à des conseils
élus, pour autant que cela ne porte pas de l’ombre à l'État. Il ne s'agit aucunement à
l'époque d'établir un système démocratique et égalitaire, puisque seuls peuvent
participer à cette libre administration ceux pouvant justifier le paiement de l'impôt et
disposant de certains diplômes.
Cette importante réforme marque l'émergence du principe de libre-administration,
désormais ancré à l'article 28 al. 2 de la Loi fondamentale7. Outre la répartition des
pouvoirs au sein de l'État, ce principe exerce une fonction démocratique, bien que ces
deux principes, démocratique et de libre-administration, soient considérés
séparément. De fait, le deuxième a précédé le premier. Au-delà du transfert de
compétences (législatif, financier, personnel et en matière d'aménagement), de
moyens et de personnels de l’Etat vers les collectivités, les municipalités acquièrent le
droit de nommer des citoyens à des postes honorifiques (sans traitement), ce qui est
considéré comme étant à l’origine du bénévolat. La participation des citoyens n’est
pas un droit mais un devoir. Pendant un siècle, ce bénévolat est dirigé vers
l’assistance aux plus pauvres. Les grandes villes se découpent en districts
d’intervention pour les groupes de bénévoles (après 1853).
Par la suite, le bénévolat se diversifie, et est l’objet d’un regain d’attention depuis les
années 1980. Le potentiel de l’initiative individuelle et la nécessité de l’appuyer sont
reconnus à tous les niveaux de gouvernement. 190 agences de volontaires ont été
ainsi instituées entre 1997 et 2001. Pendant ce temps, les pouvoirs locaux se sont
modernisés et ont changé de conception quant à leur rôle vis-à-vis de leurs
administrés ; ils travaillent désormais au service de l'usager comme pourvoyeurs de
services. Parmi ceux-ci, on trouve naturellement l'information sur l'administration
elle-même, et des offres de participation. La modernisation de l’administration lui fait
perdre sa souveraineté au profit de l’amélioration du service fourni et de la
participation, qui s’est imposée dans les années 1970. La Fondation Bertelsmann
appuie par exemple un projet de « municipalités civiles », qui reconnaissent l’action
des citoyens, soit la participation aux processus d'aménagement, le vote et
l'implication dans la vie locale, constituant les différentes composantes d'une
citoyenneté bien comprise.
Le second pilier de la démocratie locale consiste en la capacité des citoyens à peser
sur les décisions prises par les Conseils des Länder, voire à faire prendre des
décisions contraires ou différentes. La démocratie locale est très développée en
Allemagne et, alors que la loi fondamentale et les constitutions des Länder prévoient
7 Le système politique allemand est régi par une constitution appelée Loi fondamentale (Grundgesetz).
L'Allemagne est une république fédérale, composée par 16 Länder, dont la capitale fédérale est Berlin.
Elle est organisée selon le principe de séparation des pouvoirs et d'une démocratie représentative à
régime parlementaire. Une des particularités de la démocratie allemande est l'institutionnalisation du
rôle des partis politiques : représenter les citoyens et leur apporter une formation politique. Le
Parlement allemand est composé de deux chambres, le Bundestag, élu au scrutin mixte pour quatre ans,
et le Bundesrat (Conseil fédéral) qui comprend 68 représentants des gouvernements des Länder.
Chaque Land donne toutes ses voix pour ou contre une loi. Le Bundesrat ne vote que les lois qui ont un
impact sur les budgets des régions. En contrepartie, l'État fédéral abandonne à celles-ci des champs
entiers de compétences dans l'éducation et la recherche, l'environnement, le régime.
44
que tout pouvoir émane du peuple, l'expression de cette démocratie ne prend pas la
même forme au niveau fédéral ou au niveau des Länder. Par exemple, le referendum
est à peine intégré dans la Loi fondamentale, alors qu'au sein des Länder la possibilité
de se prononcer par des mécanismes de démocratie semi-directe est largement prévue.
Depuis les années 1990 et la chute du mur de Berlin, il y a eu un véritable
renforcement des mécanismes de démocratie locale. Cela concerne la démocratie
représentative : le principe selon lequel le peuple doit avoir une représentation issue
d'élections au suffrage universel, direct, libre, égal, secret, non seulement dans les
Länder, mais aussi dans les arrondissements et les communes, a été inscrit à la loi
fondamentale. La chute du mur a offert l'opportunité d'une refonte complète de la
démocratie locale en Allemagne, avec une élection directe dans tous les Länder du
chef de l'exécutif (sans que cela soit pour autant toujours accompagné d'un
renforcement de ses compétences) et son corollaire, à savoir la possibilité de révoquer
le maire (parfois à l'initiative populaire). Du côté de la démocratie directe, c'est-à-dire
du développement d'instruments qui permettent aux citoyens d'avoir un pouvoir
normatif, on assiste au développement du référendum communal, qui est différent de
son homologue français puisque celui-ci a purement une valeur consultative. Dans
tous les Länder, les citoyens peuvent être à l'origine d'un référendum. Les autres
outils ou techniques démocratiques (assemblée de citoyens ou d'habitants, demandes
envers le conseil, conseils de jeunes ou d'étrangers), du fait de ne pas conférer aux
citoyens ce pouvoir normatif, relèvent plutôt de la libre-administration.
En sus de ces deux développements, l'un d'une municipalisation ouverte sur une
nouvelle conception de la citoyenneté, et l'autre d'une implication croissante des
citoyens dans la vie locale, on observe l’essor de formes de coopération entre les
différents porteurs de projets sociaux. Il repose sur la conviction de la pertinence
d'une collaboration entre les différentes parties prenantes d'un projet, de la conception
à l'usage d'un équipement. Les pouvoirs locaux travaillent aussi avec les entreprises
pour planifier de nouveaux lotissements et montent des partenariats avec des acteurs
de la société civile jugés importants pour le développement urbain et communautaire.
Des associations peuvent prendre en charge certains équipements publics, comme des
piscines, et les compagnies de transport se concertent avec les citoyens pour
construire lignes et horaires. Depuis les années 1990, ces formes de partenariat et de
volontariat civique tendent à s'organiser en créant des coopérations réfléchies entre
différents acteurs de la vie publique : entreprises privées locales, institutions
publiques, associations de citoyens et individus. Cela tient, d'une part, au fait que les
pouvoirs publics ont fait une large place en leur sein aux activistes d'hier et sont donc
bien préparés à accueillir des collaborations éventuelles, et d’autre part, que les
citoyens sont de plus en plus "éduqués", pragmatiques et professionnels quand il
s'agit de développer et de réaliser des projets, ainsi que d'organiser des collectes de
fonds.
B. Engagement civique dans le renouvellement urbain
Parallèlement à ces deux formes de démocratie locale ou d'auto-administration, des
formes de mutualisation ou de coopération ont grandi dans divers secteurs du
développement économique. Dans les régions anciennement industrialisées, les
coopératives, dans la moitié du XIX° siècle, tentent de répondre à la crise
économique dans le domaine agricole (producteurs et consommateurs), la finance, la
construction. Parallèlement, les ouvriers s'organisent en groupes de pression pour
améliorer conditions de vie et de travail. L'acte de régulation du commerce et de
45
l'industrie de 1869 instaure les prémices d'une place croissante des syndicats, qui se
développeront encore dans les années 1920 en créant des maisons d'édition et de
presse aussi bien que des entreprises dans différents secteurs de la vie économique.
Dans les années 1970, de nouvelles formes de coopération entre les acteurs
s’imposent. Les luttes urbaines contre les expulsions et la rénovation à Berlin
(destruction brutale des tissus urbains, pénétrantes routières), notamment au
Kreutzberg, conduisent à une volte-face des pouvoirs publics. Sous la pression de
protestations massives, une réhabilitation douce se met en place, respectant les
bâtiments existants et adoptant des formes écologiques et autogérées (Lefèvre, 2008).
Plus tard, après la chute du mur de Berlin et les menaces d’expulsion des populations
les plus paupérisées de certains secteurs centraux de Berlin-Est, les autorités
proposent la création de coopératives de « self-help », qui promeuvent l’auto-
réhabilitation à hauteur de 20% des travaux, le reste étant subventionné, dans un
contexte de mise en faillite de la ville de Berlin (en 2000). 365 coopératives verront le
jour dans deux quartiers, le Prenzlauer Berg initialement très dégradé (squatters et
locataires fragilisés) et le Kreutzberg, accompagnées par des dispositifs
démocratiques innovants (Lefèvre, 2008). La réhabilitation emploiera des solutions
écologiques sobres. Les habitants interviendront aussi sur la réhabilitation des cours
d’îlots, en décidant des aménagements en partenariat avec les autorités locales. On
leur confie aussi couramment l’entretien de parcelles végétalisées (Bernard, 2006).
Plus généralement, la stimulation et les partenariats avec les habitants sont utilisés
pour stabiliser les quartiers défavorisés. La participation est désormais très organisée
dans le cadre de ces partenariats. A la charnière des années 2000, le programme
« Soziale Stadt » a permis de mettre en place un « management de quartier » reposant
sur des structures locales de pilotage et coordination confiées à des bureaux d’étude,
dans le cadre de partenariats public/privé associant les Länder et mairies de quartier.
Les équipes de management du quartier sont en charge de la mise en œuvre de plans
d’action intégrés pour les quartiers, impliquant les habitants dans leur conception
comme dans leur mise en œuvre. Leur mission est de coordonner et de mettre en
synergie les parties prenantes, de développer l’auto-assistance, le volontariat, la
cohésion et l’économie locale (Bernard, 2006).
Le fait que ces structures soient indépendantes de l’administration garantit leur
crédibilité aux yeux de la population. Les équipes de management de quartier
cherchent à stimuler la prise d’initiative et à libérer les potentiels, en aidant les
habitants à développer leurs propres projets. Des enveloppes budgétaires sont
affectées aux projets jugés prioritaires par le collectif d’acteurs impliqués. Selon
Hélène Bernard (2006), les bénéfices de ce mode d’intervention sont de plusieurs
types : (1) les habitants prennent part à la transformation de leur quartier et exercent
sur lui une action positive, ce qui renforce, pour les personnes impliquées dans le
processus, l’estime et la confiance en soi ; le bénévolat procure aussi une
reconnaissance sociale (2) l’administration acquiert plus de flexibilité dans ses modes
d’intervention et sa capacité, non seulement à s’adapter aux besoins de la population
mais aussi aux propositions des habitants (3) miser sur l’imagination et l’implication
habitante permet de garder des capacités d’action dans un contexte de crise
financière.
Cette politique concerne, en 2005, 363 quartiers dont 32 à Berlin. Les méthodes
d’action se mettent au point sur le terrain, avec une grande diversité. L’intervention
publique est axée sur le processus d’activation habitante dans le renouvellement
urbain, plus que sur des contenus précis (Bernard, 2006).
46
On peut retenir que la participation des habitants s'accompagne aujourd’hui d'une
place de plus en plus importante dévolue à l'investissement habitant, qui s'est
diversifié et spécialisé progressivement au cours des années. L'engagement civique a
délaissé l’engagement dans les partis politiques, les églises, les syndicats, pour
investir de nouvelles formes d'organisation collective et d'autogestion, avec tous types
d'intérêts et d'objectifs. L'importance que donnent les pouvoirs publics au volontariat
n’a fait que se confirmer, particulièrement depuis la fin des années 1990 (Kremer,
2005). Le potentiel que recèlent les initiatives spontanées ainsi que la nécessité de les
appuyer est devenue une composante centrale des politiques de développement des
quartiers. La crise financière a poussé à une innovation politique et sociale et à une
valorisation du bénévolat. En 1999, l’enquête conduite auprès de 15 000 résidents par
le ministère fédéral de la famille, des personnes âgées des femmes et des jeunes
(BMFSFJ) sur le statut du volontariat en Allemagne montrait que plus de 30% des
citoyens étaient impliqués dans des associations, initiatives ou autres projets, pour en
moyenne cinq heures par semaine. Depuis 2003, ce même ministère s'est vu attribué
la compétence de l'appui au volontariat. Cependant, celui-ci varie considérablement
selon les Länder. Aujourd'hui, un réseau unissant société civile, gouvernement et
entreprises privés se structure (le réseau fédéral de l’engagement civique,
Bundesnetzwerk Bügerschaftliches Engagement) ; des agences locales de volontaires
ont pour vocation d'offrir un support durable (pérenne) à l'engagement citoyen, en
ayant un rôle de conseil auprès des ONGs, en reliant les citoyens impliqués avec des
supporters éventuels, et en faisant du lobby pour l'engagement citoyen.
47
C. Programmes fédéraux et initiatives de soutien à l’engagement
civique
« La ville sociale » (1999-)
Mis en place par l’office fédéral pour la construction et la planification régionale et le
ministère des transports, de la construction et du logement en partenariat avec les 16 Länder,
le programme met l’accent sur l’engagement civique et "l’empowerment". Il concerne fin
2005 363 zones dans 252 municipalités.
Redéveloppement urbain en Allemagne de l’Est (2002-2009)
Soutenu par les mêmes institutions, il s’attache aux « shrinking cities » : renforcement des
centres, réduction du stock superflu de logements. 297 municipalités ont été aidées de 2002 à
2004. Une agence fédérale de transfert de connaissances accompagne le programme, comme
pour le précédent.
Redéveloppement urbain en Allemagne de l’Ouest (2003-)
Il fait partie d’un programme de recherche « construction expérimentale et développement
urbain » lancé par le ministère des transports, de la construction et du logement, centré sur les
outils d’urbanisme face aux changements démographiques et à leurs conséquences spatiales.
16 villes sont étudiées au regard de leurs pratiques de planification.
Développer l’Est (2003-)
Ce programme fédéral de recherche coordonné par l’office fédéral pour la construction et la
planification régionale vient en appui au programme de redéveloppement urbain à l’Est. Il
s’intéresse à l’appropriation de l’espace et à l’engagement civique dans la régénération
urbaine.
Développement et chances pour les jeunes dans les zones urbaines sensibles (1999-)
Venant en appui au programme « la ville sociale », il est conçu comme une plate-forme
d’initiatives encourageant de nouvelles formes de coopération. Le « plan d’action local » doit
intensifier la coopération entre les parties prenantes et encourager les initiatives de la
communauté.
La ville atelier
Cette plate-forme Internet de bonnes pratiques d’urbanisme, créée par l’office fédéral pour la
construction et la planification régionale et le ministère des transports, de la construction et
du logement, veut alimenter la réflexion sur le développement urbain durable, à travers le
partage d’informations et de connaissances. L’accent est mis sur les actions intégrées
(améliorations environnementales et sociales ou économiques).
Capital local à finalité sociale (2003-)
Supporté par le FSE et le ministère des familles, 3° âge, femmes et jeunes, le programme
soutient de petits projets améliorant l’emploi local, en particulier pour les exclus.
48
D. Exemples d’engagement civique dans le renouvellement urbain
Quelques exemples peuvent illustrer plus concrètement la diversité des formes
d’engagement civique en Allemagne. Ils relèvent de deux grandes catégories : soit
des initiatives « grass-roots » nourries par le mécontentement lorsqu’un projet
municipal est en distorsion avec les attentes des résidents quant à leur environnement
quotidien ; soit, plus fréquemment, une participation suscitée par les pouvoirs publics,
qui tentent de revitaliser les secteurs en déclin par une activation des initiatives
locales. Les ressources citoyennes sont vraiment mobilisées lorsque les résidents ont
un pouvoir de décision : sélection des projets, attribution des logements (Fürth),
affectation des fonds, comme à Boxhagener Platz (Berlin).
Les programmes fédéraux, notamment « la ville socialement intégrative » ont offert
des opportunités financières nouvelles, lorsqu’ils n’ont pas été entièrement à l’origine
des dynamiques, et ont donné une visibilité à ces expériences. Les résidents ont
acquis des compétences de lobbying et de coopération avec les pouvoirs publics. La
prise de responsabilité des citadins est appréciée par les autorités locales qui partagent
dès lors plus facilement les décisions sur l’aménagement de l’environnement
immédiat et les conditions d’habitat. Inversement, ce pouvoir civil renforce
l’appropriation des milieux de vie par les habitants, la légitimité des lieux d’habitat,
ce qui favorise une valorisation « durable » de ces lieux.
Osterholz-Tenever, Bremen
Le quartier comprend 8000 habitants dans 5 tours de 22 étages, quelques immeubles de 3
étages, et 270 maisons mitoyennes. 28% des habitants vivent de l’aide sociale, 27% sont
étrangers et 30% ont moins de 18 ans. La régénération commence en 1989, centrée sur
l’emploi et la formation, donnant naissance à un groupe de travail incluant des habitants à
leur demande -ainsi que les bailleurs, la ville et les institutions sociales-, qui décide du
financement des projets hauteur de 265 000 euros par an). 80 projets ont été financés de
1999 à 2002, tels qu’un café Internet, un centre communautaire, une ferme d’animaux pour
les enfants, divers services et évènementiels, dont un prix pour l’engagement citoyen. Des
enveloppes de 1500 euros sont disponibles pour des projets portés par un habitant. En 2002,
se greffe un projet de démolition-reconstruction dans le cadre du « redéveloppement urbain
en Allemagne de l’Ouest », doté de 75 millions d’euros. Ces différentes initiatives ont
dynamisé la participation, fait chuter le turn-over et amélioré l’image du quartier, aidés en
cela par une campagne en 2004 portant sur l’image du quartier.
La piscine Elsetal à Schwerte
En opposition à la modernisation d’une piscine traditionnelle et après l’organisation d’une
vaste pétition, un groupe d’une vingtaine d’habitants fonde une association pour sauver la
piscine d’une transformation radicale. En l’absence d’investisseur, l’association, qui s’élargit
à 500 membres, va financer partiellement la rénovation et la réouverture du lieu, tout en en
devenant gestionnaire. La municipalité apportera un complément de fonds.
Gestion de quartier à Boxhagener Platz, Berlin
Dans le district du Kreutzberg, la place Boxhagener est l’îlot le plus densément peuplé de
Berlin (18 500 résidents sur 75 ha), très paupérisé (bâti ancien). En 2001-02, un fond de
500 000 ! alloué par le programme fédéral « la ville socialement intégrative » fait l’objet
d’un jury de quartier bénévole composé à 51% d’habitants tirés au sort, et de représentants
d’ONGs, de centres sociaux, d’entreprises locales, de compagnies de logements, artistes,
universitaires, etc. 59 projets sont retenus sur les 136 projets examinés, et réalisés avec
succès.
49
Par exemple, les « enfants détectives » proposent des améliorations pour le quartier. Une
agence de développement communautaire organise des activités pour les enfants et
adolescents afin de prévenir notamment l’usage des drogues. Le projet « Boxion » veut
améliorer l’environnement immédiat et les espaces publics, ainsi que l’image du quartier, en
facilitant la réouverture des petits commerces (usage commercial ou artistique) et la
communication autour de ces nouvelles activités. La dynamique enclenchée se poursuit
actuellement.
Leipzig Est
Densément peuplé, ces districts de la ville centre comptent 30 000 hab. sur 350 ha, marqués
par les difficultés sociales, le manque d’espaces verts, les friches, la décroissance
démographique (- 28% d’habitants en 7 ans), la vacance. En 2000, toujours dans le cadre de
« la ville socialement intégrative », les agences de management de quartier pilotent les
actions de renouvellement urbain, visant à redresser l’image du quartier : jardin
communautaire, développement d’ateliers d’artisanat, … De nombreux habitants ont été
impliqués dans les projets, mais les mesures de retour à l’emploi ne profitent pas forcément
aux résidents locaux.
Forum Weingarten, Freiburg
Le redéveloppement d’un grand ensemble de 2400 habitants dont 40% de populations
immigrées (30 millions d’euros en 13 ans) s’appuie sur un forum de résidents experts initié
par les habitants, qui accompagne le réaménagement (isolation thermique, réfection des
entrées, cheminements doux, mesures pour l’emploi, salles de rencontre pour les habitants,
terrain de jeu et d’aventure pour les enfants, …). Le forum reçoit l’assistance d’un bureau
municipal pour mener à bien des projets d’amélioration de la qualité de vie et du dialogue
interculturel. Il a aussi activement porté la voix et les intérêts des habitants dans les choix
effectués depuis 10 ans. Les locataires sont partie prenante des commissions d’attribution des
logements. Weingarten est devenu un modèle de gestion participative, permettant une
appropriation du quartier. Le turn-over a diminué de moitié et des résidents plus aisés sont
venus s’installer.
Initiative de voisinage de Marienstrasse, Fürth
Face au déclin du quartier, dans le secteur Ouest de la ville densément peuplé et au bâti
ancien dégradé, des habitants prennent l’initiative de requalifier par eux-mêmes
l’environnement immédiat et la vie sociale et interculturelle. Les nuisances du trafic routier,
le manque d’espaces verts poussent une coopérative à réagir : des débats sont organisés avec
les habitants du quartier mensuellement, avec l’aide de l’agence de management du quartier,
pour collecter les idées et projets. Des évènements (foire, concerts, …) redynamisent la vie
sociale, dans le cadre de « la ville socialement intégrative », tandis que de petits projets sont
portés entièrement par des habitants. Des actions d’embellissement du quartier emploient de
jeunes chômeurs pour le verdissement des toits et façades (idée d’un front vert pour le
quartier), l’ajout de balcons, de nouveaux cheminements doux.
Parc-fiction, Hambourg
Sur les rives de l’Elbe, dans le quartier de St Paul caractérisé par une tradition de protestation
et d’entraide, un important projet de redéveloppement connaît une forte opposition de
résidents défavorisés, en faveur d’un parc, en 1994. L’absence d’espaces verts est vécue
comme une injustice. Le secteur est paupérisé. La ville ouvre un espace de débat, des
activités d’embellissement des berges par les habitants commencent, et en 1997 la ville confie
à un groupe d’artistes et d’habitants la conception du parc. Un bureau s’ouvre dans un
conteneur de marchandises pour élargir la « production collective de désirs », offrant des
informations et visites sur les parcs. L’endurance des habitants, la dynamique des campagnes
et activités en faveur du parc auront raison des oppositions et conduiront à son ouverture en
2005 (ouverture partielle en 2003).
50
3. Aux Pays-Bas
A. Les pouvoirs locaux et le « modèle du polder »
Les Pays-Bas (16 millions d’habitants) comptent 441 communes, contre 572
communes en 1997 et 1015 en 1950, dont la population va de 1000 à plus de 700 000
habitants. La plupart sont des communes de 10 à 50 000 habitants. La loi-cadre sur
les communes de 1994 définit un régime spécial pour 7 zones métropolitaines, afin de
créer une province métropolitaine autour de Rotterdam, La Haye et ultérieurement
Amsterdam. Les quatre autres régions urbaines feraient l’objet d’un redécoupage
communal8. La constitution du royaume, une monarchie parlementaire, précise que le
parlement a le droit de créer ou de supprimer des communes et provinces. Des
referendums locaux peuvent être organisés à ce sujet. Il existe aussi une loi sur la
réforme des limites des collectivités locales, qui sont redéfinies par les provinces en
concertation avec les communes, dans le sens de l’extension des limites communales.
Ce redécoupage est à la base de l’efficacité des services et politiques communales.
D’autre part, les services déconcentrés de l’administration centrale jouent un rôle
important en matière d’aménagement du territoire, de travaux publics, de gestion des
ressources en eau ou de définition de l’impôt. Les politiques locales doivent être
approuvées par l’administration centrale. Il n’existe pratiquement pas de fiscalité
locale, les ressources financières venant de l’Etat.
Les pouvoirs locaux ont donc des responsabilités et des compétences larges, mais les
politiques sont co-définies avec les autres niveaux de gouvernement. Le système
constitutionnel néerlandais, qui date de 1848, est considéré comme un Etat unitaire
décentralisé. La tradition de décentralisation et de partage du pouvoir est un héritage
de l’ancienne république des sept Provinces-Unies (1588-1795), une fédération
fortement décentralisée. Le père fondateur de la constitution néerlandaise la
considérait comme une « association de corps se donnant des restrictions mutuelles
constitués pour travailler librement ensemble » (Coenen, in Lafferty, 2001, p 167).
Ce fonctionnement inter-administratif, ou ce co-gouvernement, s’intègre dans une
tradition néerlandaise, dite « modèle du polder », qui veut que l’on négocie jusqu’à
obtenir un consensus. Cette attitude est fondée sur une reconnaissance, pragmatique,
des divergences mais aussi de la nécessité de coopérer. L’expression s’invente au
début des années 1980, lorsqu’un plan de relance de l’emploi misant sur la réduction
du temps de travail et des salaires fédère les acteurs et porte quelques années plus tard
ses fruits. Le modèle du polder réfère aux pratiques de coopération nécessaires entre
villes et territoires, depuis le moyen âge, qui pouvaient être en conflit mais devaient
définir une politique commune malgré leurs différences lorsqu’elles appartenaient au
même polder, sous peine d’ennoiement. Le système tripartite
gouvernement/entreprises/syndicats est à la base de la tradition de concertation aux
Pays-Bas. Les acteurs civils sont entrés en scène plus récemment, notamment avec
l’affirmation des problèmes environnementaux9.
8 Conseil de l’Europe, 1998. Structure et Fonctionnement de la démocratie locale.
9 OCDE, 2001. Développement durable. Les grandes questions, Paris.
51
B. Les voies de la participation
La population peut d’abord exprimer son opinion par le referendum local, introduit en
1912, qui est consultatif. A la fin du 19° siècle, la Ligue et le Parti social-démocrate
avaient travaillé à l’introduction d’une démocratie directe. Le referendum est
fréquemment utilisé à l’échelle locale (une centaine se sont tenus depuis 1912),
généralement dans le sens d’un plébiscite. Après l’affaiblissement des chrétiens-
démocrates au niveau national, la loi générale sur la participation, en 1994, codifie
des pratiques antérieures qui n’étaient pas écrites, dans un souci de transparence de la
prise de décision et d’expression de l’avis des intéressés avant la prise de décision.
Depuis 2001, des referendums d’initiative populaire peuvent être organisés. Des lois
peuvent être par exemple soumises à referendum, sur la base d’une demande
réunissant 40 000 signatures. Au niveau local, la requête de referendum doit être
déposée par 0,33% à 1% des électeurs, selon la taille des communes10.
Outre cette procédure de démocratie directe, les citoyens sont encouragés à participer
aux démarches de planification dans le cadre d’une « planification communicative »,
défendant une gestion environnementale interactive, faisant intervenir les parties
prenantes. La politique environnementale néerlandaise a eu pour spécificité depuis la
fin des années 1980, avec le premier plan national pour l’environnement, de
s’adresser à des « groupes-cibles », tant du côté des pollueurs que des usagers ou
consommateurs (Coenen, in Lafferty, 2001). L’internalisation d’une responsabilité
environnementale par les acteurs nécessitait plus de concertation et a donné lieu à des
accords volontaires, dénommés covenants (alliances), répondant aux objectifs
nationaux. Parallèlement, et face au désintérêt pour la vie politique locale au début
des années 1990, qui allait de pair avec une confiance assez grande dans les choix
opérés, un « renouveau politique » a été programmé pour la démocratie locale. Les
agendas 21 locaux en ont été un des instruments (Coenen, in Lafferty, 2001).
Des années 1960 à 1980, la participation des habitants avait été encouragée par
plusieurs lois, imposant l’ouverture de l’administration aux citoyens et la création
d’une organisation médiatrice indépendante au niveau national, chargée de réguler les
conflits entre habitants et gouvernements. La ligne directrice était d’améliorer
l’efficacité des services publics. Les habitants étaient considérés comme des clients
d’un service public, avec des droits. La perspective est aujourd’hui différente. Les
habitants sont plutôt appréhendés comme des partenaires créatifs dans le processus
d’élaboration politique. Les autorités devraient être des facilitateurs et les résidents
devraient se sentir concernés par le processus d’auto-gouvernement. L’une des
principales tâches des politiques est de stimuler (et donc de réfléchir aux méthodes, et
aux finalités) la participation habitante. On retrouve ici les mêmes orientations
générales qu’en Allemagne. En dépit de cette volonté, la participation prend souvent
des formes plus ou moins passives. C’est dans la politique de renouvellement urbain
que la participation est jugée la plus structurante pour la réussite des opérations de
restructuration/revalorisation.
Des études du ministère des affaires intérieures et du ministère du logement, de la
planification et de l’environnement ont montré 1- qu’il fallait qu’une organisation
indépendante organise la concertation. 2- s’assurer que tous les habitants aient une
chance de participer 3- connaître les différents intervenants et leurs centres d’intérêt
10 Nijeboer A., 2004. Direct Democracy in The Netherlands, in: Kaufmann B., Waters D. (ed). Direct
Democracy in Europe: A Comprehensive Reference Guide to the Initiative and Referendum Process in
Europe. Carolina Academic Press, Durham, North Carolina.
52
4- Privilégier l’expression d’initiatives habitantes, bottom-up 5- Utiliser des méthodes
innovantes donnant un pouvoir de décision aux habitants 6- S’assurer que les
méthodes de travail représentent un évènement social11. Il s’agit en somme de
construire un large capital de confiance incitant les habitants à s’engager. Les
associations de quartier ont développé une longue expérience et un professionnalisme
en matière de développement local et de gestion de quartier et il serait pertinent de
leur donner plus que des responsabilités de conseil.
C. Participation et renouvellement urbain
Il faut rappeler en préambule que la politique de renouvellement urbain aux Pays-Bas
s’inscrit dans une optique plus large de gestion de l’espace national. Le pourcentage
de terres affectées aux logements, aux routes et aux aires de loisirs a doublé entre
1950 et 1990, couvrant 17% du territoire. Pour ce pays à très forte densité, le
renouvellement des tissus bâtis est une façon de gérer le territoire national, de tenter
de préserver l’espace agricole et d’apporter une réponse à la congestion. La mixité
fonctionnelle est également appréhendée sous l’angle de l’intensification de
l’utilisation de l’espace, permettant de réduire l’usage de l’automobile et
d'économiser de l'espace.
La régénération urbaine connaît plus spécifiquement deux périodes. La première,
dans les années 1970, a consisté à rénover les faubourgs construits à la fin du 19ème
siècle et au début du 20ème siècle. La deuxième, qui commence dans les années 1980
comprend, outre les aspects architecturaux et urbains, des volets sociaux et
économiques. La participation aux processus de régénération urbaine s’élargit aux
habitants.
En 1854, un premier texte est proposé visant à donner le droit aux municipalités de
forcer les propriétaires à améliorer la qualité de l’habitat. Après un lobby d’un demi-
siècle, l’Acte d’habitat (de Woningwet), adopté en 1901, est censé prévenir la
location de logements insalubres. La construction de logements sociaux est stimulée
par des prêts d’État. Le gouvernement acquiert un pouvoir en matière de logement.
L’observation de ces règlements est déléguée aux commissions municipales et
régionales sanitaires. C’est à la même époque que les municipalités acquièrent des
responsabilités en matière de planification urbaine.
Dans la période comprise entre 1946 et 1974, le gouvernement central et les
professionnels de l’urbanisme sont tenus responsables de la reconstruction
« économique » et urbaine des villes. On rêve d’une ville moderne sans bidonvilles.
Les fonctions relatives à la vie quotidienne, au travail, aux loisirs et à la circulation
sont séparées et des grands ensembles sont édifiés à la périphérie des villes, surtout
après 1955. Les règles de construction supportent l’idée d’un bâtiment efficace et
permettent la standardisation du logement. Cependant, l’idée d’une vie
communautaire dans ces nouveaux quartiers à la périphérie des centres économiques,
qui se transforment en quartiers dortoir dépourvus de services, ne réussit pas. Les
villes nouvelles modernes édifiées dans les années 1960 dans un esprit de
décentralisation rencontrent les mêmes difficultés. Parallèlement, l’habitat des centres
anciens se dégrade faute d’entretien.
La politique de renouvellement urbain démarre au début des années 1970, en réponse
aux mouvements de contestation qui s’opposent aux grands projets modernistes des
11 Ministry of internal Affaires, 2003. Burgerparticipatie : inspiratiebron voor de Europese Unie.
VROM, 2003. Participatie als troefkaart voor kwaliteit. Experimenten met interactief planproces.
53
années soixante et à la dévitalisation des centres (ADEF, 1998). Les squats se
développent et des comités d’habitants et de quartiers se structurent pour défendre la
préservation de l’habitat ancien dans les centres villes et des conditions de logement
décentes. Ils s’opposent à l’économicisation croissante des villes. Ces mobilisations
peuvent être considérées comme un processus d’émancipation. Elles vont marquer la
pensée urbanistique et les plans de renouvellement urbain dans les années 1980-90,
où il s’agira avant tout de construire « pour les quartiers ».
Dès 1974, la régénération urbaine est sur l’agenda politique avec le troisième
« Memorandum de planification ». L’accent est mis sur les vieux quartiers centraux et
la création de lieux multifonctionnels. Mais la régénération privilégie la construction
de logements sociaux sur des espaces recyclés (friches, bâtiments d’activités,
emprises sportives) ou bien interstitiels, grâce à l’aide de l’Etat qui compense le
surcoût du foncier. On rénove aussi en détruisant, ce qui entraîne le départ des
populations d’origine et leur remplacement par une population immigrée dans les
logements sociaux. Des difficultés d’intégration ne tardèrent pas à apparaître dans ces
poches d’habitat social ne laissant plus place à la mixité culturelle et sociale. Le bâti
était neuf, mais la paupérisation ou la marginalisation des centres était enclenchée.
Les dynamiques sociales et culturelles furent totalement mésestimées dans cette phase
de renouvellement urbain centrée sur l’habitat et les services sociaux.
La politique de la ville compacte remplace officiellement celle des villes nouvelles en
1984. L’enjeu, dans la deuxième moitié des années 1980, est de rendre les villes plus
attractives pour les classes moyennes suburbaines, la politique de logement social
intra-muros ayant eu pour effet de paupériser les villes centre. Le "Fonds de
rénovation urbaine" ouvert en 1985 cherche à diversifier l'offre de logements sociaux
et subventionne le secteur privé pour qu'il s'implique dans la régénération urbaine,
afin d'attirer d'autres clientèles. Les nouveaux quartiers des villes néerlandaises ne
sont pas ainsi caractérisés par des normes minimales de logements sociaux mais par
des normes maximales. Le fonds de rénovation permettra de financer notamment la
reconversion d’immeubles de bureaux en logements destinés plutôt aux classes
aisées, représentant 15% des logements construits dans le pays entre 1984 et 1995.
Entre 1990 et 1995, 47% des logements construits à l’intérieur des villes sont issus de
changements d’affectation de bâtiments d’activités ou d'édifices publics (ADEF,
1998). Le secteur privé prend le relais de l’intervention publique pour la régénération
urbaine.
Dans une troisième période, qui débute en 1994, les municipalités cherchent à
restructurer les quartiers d'habitat social construits après la guerre et dans la première
période de rénovation, afin d’y introduire de la diversité et de la mixité (sociale et
fonctionnelle), par le biais de démolitions et reconstructions interstitielles. Dans un
contexte de stagnation économique, la régénération urbaine est d’abord considérée
comme une partie de la revitalisation économique. La belle architecture est un moyen
d’attirer les entreprises et les hauts revenus. La régénération urbaine devient une
affaire mêlant public et privé. L’affirmation du développement durable, ces dernières
années, a d’autre part aiguisé les exigences de mixité fonctionnelle et a aidé à orienter
le recyclage des espaces urbains vers l’accueil d’activités économiques (ADEF,
1998), comme les enseignes de la grande distribution. Les partenariats public/privé se
développent avec l’embellie économique de la fin des années 1990.
Le « renouvellement social » est devenu parallèlement une responsabilité des
municipalités, avec l’aide du gouvernement central, notamment suite au
« Mémorandum pour une politique des grandes villes 1994-2010 ». 56 quartiers
furent choisis pour mettre en œuvre cette politique, en donnant aux habitants la
54
responsabilité du développement du quartier, avec des enveloppes budgétaires
transférées aux associations de quartier. Aujourd’hui 30 villes ont signé un accord
avec l’Etat en ce sens.
D. Programmes nationaux de régénération urbaine et participation
citoyenne
Programmes nationaux :
Le programme d’innovation pour le renouvellement urbain (IPSV 2001-2004) est destiné à
accélérer la régénération urbaine. Il subventionne des projets phares innovants et créatifs financés pour
leur exemplarité, sous l’égide du ministère du logement public, de la planification et de
l’environnement (VROM). Le projet a pour finalité « une ville dont les gens se souviennent etles
habitants participent vraiment. Une ville organisée avec soin, où il y a de la place pour les différences,
et beaucoup d’activités, et où les investissements se font dans la pierre et dans les personnes. C’est une
ville très plaisante ». Le postulat est qu’un quartier qui a de la valeur est un quartier de nombreux
habitants veulent prendre des responsabilités, qu’un vrai renouvellement urbain débute en donnant des
opportunités nouvelles aux habitants. C’est aussi un quartier les habitants font le génie du lieu,
singulier, reconnaissable. Des projets concrets et petits catalysent les dynamiques de changement et
doivent être priorisés.
Le programme des 56 quartiers : avant 2010, des programmes de rénovation doivent être entamés
sur 56 sites prioritaires, définis en partenariat entre les municipalités et les bailleurs sociaux.
Organisations impliquées dans la régénération urbaine :
1-Comité pour l’expérimentation en matière de logement social (SEV) :
Cette structure indépendante travaille en partenariat avec les bailleurs, municipalités, organismes de
santé, le privé, et reçoit des financements du ministère du logement public, de la planification et de
l’environnement (VROM). En 2005-2008, le focus est porté sur la régénération. Les « Coalitions
vitales » qui rassemblent les partenaires précités et les résidents, sont caractérisées par une vision
collective, des responsabilités en commun et des buts communs ; l’approche est micro, centrée sur
l’empowerment. Il s’agit surtout de prévenir la dégradation par des actions ciblées. www.sev.nl
2-KEI, autre structure indépendante, est un centre de ressources qui organise l’échange d’idées et de
connaissances pour le renouvellement urbain physique. KEI travaille avec 225 partenaires. L’idée
directrice est qu’il est important de partir d’une action sur le bâti pour impliquer fortement les
habitants. www.kei-centrum.nl
3-LSA (Landelijke Samenwerking Aandachtswijken), plateforme nationale d’habitants des quartiers
sensibles (25 grosses villes représentées, 65 habitants activistes) a été fondée en 1990 selon l’idée que
sans les habitants la régénération urbaine aurait peu d’effets. Les habitants ont en effet une expertise et
des connaissances liées au vécu dans le quartier. Subventionnée par les ministères des Affaires
intérieures et de la Santé, de l’Action sociale et du Sport, LSA aide les habitants à agir dans leur
quartier (journées d’étude, visites, …), à accroître leur influence et leur investissement local. Website :
www.Isabewoners.nl
4- Le Centre de ressources des grandes villes travaille auprès de 31 villes et pour 9 ministères. Il
promeut l’échange de connaissances et d’expériences. www.hetkenniscentrum.nl
55
4. En Russie
L’écologie de la réappropriation territoriale, qui nous semble porteuse d’innovation
sur un plan politique et d’émancipation démocratique, est-elle destinée à rester dans
les creux et les délaissés de la gestion urbaine ? Cette écologie pourra-t-elle survivre,
à terme, à la progression ou à l’instauration des marchés de l’environnement et du
cadre de vie ? Pourra-t-elle résister, à plus long terme encore, à la spéculation
environnementale, à la marchandisation opérée par les propriétaires qui surveillent et
travaillent la valeur ajoutée de leurs biens patrimoniaux et font de leurs territoires des
valeurs d’échanges, dans des contextes de forte mobilité résidentielle ? Pour l’instant
les acteurs russes de la réappropriation territoriale ne se soucient pas d’accroître la
valeur de leur propriété, ni de leur cadre de vie, le marché immobilier et foncier étant
trop peu développé en Russie. Ils tentent simplement d’endiguer la dégradation des
conditions de vie et l'augmentation des charges. La question du lien entre propriété
individuelle et responsabilisation à l'égard de l'environnement reste posée : est-il
possible, dans le contexte d'une culture qui n'opère pas une scission entre l'ordre du
public et du privé, que l'investissement des Russes dans la gestion de l'environnement
quotidien puisse être favorisé par la privatisation des logements et des sols ? Le fait
de devenir propriétaire et donc acteur individuel de l'environnement urbain va-t-il
contribuer à une meilleure gestion environnementale ? A quelle échelle ?
Le travail bibliographique réalisé par les sociologues de l'Académie des sciences pour
ce programme permet d'expliciter les liens qui existent ou non entre l'appropriation de
la gestion environnementale par les habitants et le passage à la propriété privée. En
outre, cet état de l'art montre comment les différentes institutions sont coordonnées,
quelles sont leurs buts et qui les formulent, quelle est l’attitude des autorités locales
en matière de participation citoyenne, ce qu’ils font réellement pour faire participer
les habitants à la production de l’environnement, et on inclut là la planification
stratégique des villes, le recyclage des déchets, le jardinage urbain, la création des
lieux publics et leur gestion, etc.
Nos hypothèses sont bien que la participation des citoyens rend les politiques
urbaines plus ouvertes et efficaces et que cet engagement dépend non seulement de la
situation des citadins, mais aussi des pouvoirs municipaux et ONGs. La participation
citoyenne dépend donc des opportunités que leur donne la structure politique ; or,
quelles sont les opportunités en termes d'action conjointe en Russie ?
A. Gouvernement et transformations politiques
Il est nécessaire de rappeler quelques éléments d’organisation du système politique de
la Fédération. Le 8 décembre 1991, un acte officiel signé entres les présidents
biélorusse, ukrainien et russe à Minsk marquait l’éclatement de l’URSS. Le 25
décembre 1991, la Russie est devenue un État souverain à la suite de l'éclatement de
l'URSS. Le 8 décembre, les présidents russe, ukrainien et biélorusse entérinaient la
liquidation de l'URSS en instituant à sa place une Communauté des États
Indépendants (CEI), officiellement constituée le 21 décembre par 11 des anciennes
républiques de l’Union soviétique l’exception de la Lituanie, de la Lettonie, de
l’Estonie et de la Géorgie). Le passage de l’URSS à la CEI a fait perdre à l’empire
quasiment un quart de son territoire, ce qui explique beaucoup des crispations
ultérieures et le refus de concéder une once supplémentaire de territoire, position dont
la Tchétchénie fera les frais (Thumann, 2002).
56
Le 24 décembre, la Russie est reconnue par les Occidentaux comme l'État
continuateur de l’URSS et lui succède au Conseil de sécurité des Nations
Unies. L'article 1 de la loi de la RSFSR du 25 décembre 1991 consacre la naissance
de la « Fédération de Russie ». Toutefois, le président et le Congrès restent en conflit
sur la politique économique comme sur la conception de l'organisation du pouvoir. Il
faut donc attendre la suspension du Congrès des députés du peuple, en septembre
1993, l'élimination de sa résistance en octobre 1993 et l'adoption par référendum, le
12 décembre 1993, de la Constitution présentée par le président pour que puisse
commencer une stabilisation constitutionnelle.
La Russie avait toujours formé, dans les faits, un État fortement centralisé. Elle s'est
trouvée confrontée, d'une part au poids de son passé, d'autre part à la nécessité
d'appuyer sa légitimité fédérale et multinationale. Le fédéralisme russe a
composer, non seulement avec les incontournables 128 nationalités réparties sur le
territoire, mais aussi avec les disparités grandissantes entre les régions riches et
pauvres, et enfin, avec les désirs de pouvoir des potentats locaux. Un «fédéralisme
asymétrique» et presque désordonné fut constitué (Radvanyi, 2004) constitué de 6
groupes de sujets dont les prérogatives n'ont cessé d'évoluer parallèlement à la
recentralisation du pouvoir : en 2008 (Radvanyi, 2008), l'on compte 7 districts
(Okrougs) fédéraux, 21 républiques, 9 kraï, 46 oblast, et deux villes d'importance
fédérale. Dépendants de ces kraï et oblast l'on trouve 1 région autonome et 7 okroug
autonomes. 1868 raïoni ou districts et 650 villes d'importance régionale ou
républicaine. 330 arrondissements urbains font le découpage des villes de toutes
catégories tandis que les districts se divisent en 443 petites villes, 1359 bourgs et 23
315 administrations rurales.
Le schéma hiérarchique des subdivisions de la Russie au 1er janvier 2008 (en tenant compte
des fusions décidées en 2007)
7 districts (Okrougs) fédéraux
9 kraï
46 oblast
2Villes
d’importance
fédérale (Moscou,
St Petersbourg)
1 région
autonome
(juive)
7 okrougs
(territoires
autonomes)
sommés pour
certains de
fusionner avec la
région hôte
depuis 2003.
1868 Raïony (districts)
650 Villes d’importance régionale ou
républicaine (directement sous la tutelle des
régions ou républiques) comprenant des
arrondissements
443
villes
1359
bourgs
23 315
communautés
rurales
330 arrondissements
urbains
Niveau local : en italique. Source : Radvanyi, 2008.
Niveau régional :
- 32 entités nationales : en gras
- 57 entités administratives : en gras italique
Les rapports entre le centre et les régions, entre le pouvoir politique et les nouveaux
pouvoirs économiques nés de l'introduction de la libre entreprise et de la privatisation
57
sont encore loin d'être régis par le droit. Cette situation, alliée à la dégradation des
conditions de vie approchant les limites du supportable, ayant d’ailleurs conduit à une
surmortalité et une baisse marquée de la natalité, a entraîné pour certains le désir de
restauration d’un pouvoir fort. Pouvoir fort que s’est proposé d’incarner le président
Vladimir Poutine, sachant fort bien utiliser les demandes de régulation étatique et de
retour à « l’ordre » émises par des populations déstabilisées sur un plan socio-
économique et culturel, pour asseoir sa légitimité (Sokoloff, 2003).
Depuis l’arrivée au pouvoir de Poutine, le tournant autoritaire est réel et le
fédéralisme recule, selon divers observateurs de la vie politique russe,
particulièrement depuis les réformes de septembre 2004 et les fusions administratives
de 2007 qui ont accentué le virage vers une recentralisation. Le Kremlin veut en
particulier reprendre le contrôle des régions en limitant le pouvoir des gouverneurs.
La régionalisation en marche et l'échec de l'administration présidentielle à piloter le
jeu politique régional conduit, après septembre 2004, à la nomination par le Kremlin
des gouverneurs régionaux auparavant élus. La concurrence électorale et les contre-
pouvoirs déjà peu développés s’en trouvent affaiblis (Lallemand, 2005). Les médias,
la justice (Cours suprêmes) et le conseil de la Fédération sont également repris en
main par le pouvoir central, qui s'est arrogé le droit de nommer des représentants
auparavant élus (Pouvoirs, 2005).
Le recul du fédéralisme répond aussi à l’accroissement des inégalités régionales. Les
disparités spatiales dues à l’importance prise par les gouvernements régionaux, leur
autonomisation relative et surtout le nouveau jeu économique des régions extractives
de ressources (notamment pétrolières) sont plus flagrants que sous le système
soviétique. Ces disparités sont également liées à l’affaiblissement du pouvoir fédéral
en termes financiers, incapable de lever l’impôt sur les activités non déclarées
(Bonneville et al, 2001). Ceci conduit à rendre de plus en plus floues les limites entre
l’action des structures fédérales agissant au niveau régional et celle des structures
régionales (ce qui se vérifie très bien dans le domaine de l’environnement). Les
observateurs affirment que, quelque soit le degré d’autonomie budgétaire (la part des
recettes propres sur les dépenses), l’écart entre les régions pour le volume des
investissements, en particulier étrangers, et les niveaux de revenus s’est accru depuis
15 ans.
L'ancienne popularité du président s'expliquait par un certain retour à la tradition
russe en matière de système politique centralisé et autoritaire, mais aussi et surtout
par un besoin de sécurisation dans une situation d'instabilité extrême des cadres
économiques et institutionnels.
Poutine a voulu s’attaquer aux clientélismes régionaux, en partie liés à l’obligation
des pouvoirs territoriaux de faire face aux dépenses dans un contexte de
désengagement de l’Etat, et aux collusions entre l’économique et le politique qui
serviraient moins l'ordre politique que le profit privé. Face aux pratiques de
clientélisme et de corruption, la volonté de réaffirmer un contrôle politique et
juridique (l'Etat de droit) a été plutôt bien perçue. Mais ce qui est reproché au pouvoir
central par les activistes que nous avons pu rencontrer, ainsi que par les observateurs
extérieurs, est l'opposition au développement des contre-pouvoirs susceptibles de
démocratiser la vie politique locale ou régionale. Jouer la carte du contrôle par le haut
et non par le bas ressemble à un vieux réflexe soviétique dont l'inefficacité semble par
avance prouvée. L'attitude inverse présente une prise de risques mais est sans doute la
seule susceptible de redonner confiance aux populations dans la possibilité même
d’une régulation politique. Signalons que selon un sondage récent, pour 40% des
russes, un retour au régime brejnévien serait toujours souhaitable... (Pouvoirs, 2005).
58
Organisation du gouvernement fédéral
Depuis mars 2004, le gouvernement de la fédération russe est constitué par 14 ministères, 34
services fédéraux et 28 agences fédérales. Les ministères développent des documents
normatifs, les services fédéraux contrôlent leur application, tandis que les agences sont
vraiment les organes exécutifs. Le gouvernement prépare et soumet des projets de lois et de
budget à la Douma et veille à leur exécution.
Le gouvernement fédéral joue un rôle important en créant des ressources financières à partir
de taxes, en redistribuant l’argent des taxes aux trois niveaux fédéraux selon la loi ou dans le
cadre de négociations. Le gouvernement fédéral a par exemple créé un système de tarifs pour
le logement et les services communaux, qui doit être suivi par les autorités locales.
Source : Radvanyi, 2004
B. Local, régions et villes : quel rôle dans les politiques
d’environnement ?
Il existe actuellement 13 000 municipalités, dont un peu moins de 3000 villes. Les
autorités locales ont en charge l’urbanisme, la gestion des logements municipaux, les
services liés au logement (eau courante, chauffage, gestion des ordures etc.), la
création d’équipements urbains.
Dans les politiques conduites, local, régional et fédéral ne sont pourtant pas
clairement identifiables. Ainsi, la moitié des membres environ d'une municipalité
travaillent pour les niveaux fédéral et régional, bien que leurs salaires soient imputés
au budget municipal. L'autonomie du niveau local est très réduite, tant en matière de
budget (10%), de compétences, que de « choix » électoraux. Les ressources
financières locales sont soumises aux décisions des pouvoirs régionaux (Belov,
2003). La verticale du pouvoir préexistante à Poutine fait du régional et du local de
simples antennes territoriales du fédéral. En insistant sur l’unicité du pouvoir d’État,
le régime soviétique ne considérait en effet les organes du pouvoir local et régional,
tant législatif (la pyramide des soviets) qu’exécutif, que comme les organes locaux du
pouvoir et de l’administration d’État. À ce titre, ils étaient placés sous l’étroite
subordination à la fois du parti communiste et des organes d’Etat de l’échelon.
C’est pour rompre ce système unitaire et centralisé que la loi du 9 avril 1990 introduit
la notion d’auto-administration locale. La loi russe du 6 juillet 1991 puis la
constitution de décembre 1993 tentent de préciser le nouveau statut des organes de
pouvoir local et régional en introduisant un système à deux niveaux distincts. Les
pouvoirs régionaux, mis à part ceux des républiques, régions et territoires autonomes,
font toujours partie des organes d’État, ce qui revient à les assujettir au territoire
fédéral unique et indivisible. La loi fédérale 131 sur "Les principes généraux
d'organisation de l'auto-administration locale" promulguée le 8 octobre 2003 va dans
le sens de ces dispositions. Cette verticale du pouvoir fonctionne mal. Les régions ne
cessent de mordre sur les importants pouvoirs des districts et des villes confortées en
ce sens depuis 2004 par le pouvoir fédéral en contrepartie de la mise en œuvre des
super préfets en 2004. Les pouvoirs locaux restent faibles et assujettis aux pouvoirs
régionaux. Les pouvoirs régionaux, eux, se sont fortement consolidés, parfois par
défaut et pour se substituer à un Etat défaillant (Eckert, 2004). En matière de politique
environnementale, cette évolution est encore plus marquée : faute de financement de
la part de l’Etat, on assiste à une régionalisation des politiques de l’environnement,
qui accentue les inégalités régionales en raison des différentes ressources financières
qui peuvent y être affectées. D’autre part, les gros pollueurs occupant une importante
59
place dans les doumas régionales, il est difficile de les contrôler au niveau régional
(Aksonova, Nedelkov, 2003).
Les exécutifs locaux, eux, restent dominés par les chefs d’entreprise, dont l’influence
est également forte au sein des parlements régionaux. Les pouvoirs locaux sont
néanmoins en voie de renforcement. Ils peuvent servir de contre-pouvoirs vis-à-vis
des autorités régionales. "Le gouvernement central avait pensé renforcer les villes
pour zapper les régions. En gros, il y a eu partage des pouvoirs" (Berelowitch, 4 juin
2004). Les gouverneurs régionaux pèsent toutefois bien plus que les maires. Un trait
récurrent de la vie politique locale russe est la rivalité et les conflits qui opposent les
maires aux gouverneurs de région.
Si le niveau local est instrumentalisé par l’autorité centrale pour affaiblir le niveau
régional, il l’est tout autant par les acteurs locaux, élus, fonctionnaires ou activistes,
qui voient là un tremplin pour accéder aux niveaux supérieurs, régional en particulier.
On peut en conclure que le local n’a pas encore de réelle consistance dans la vie
politique russe. On observe une défiance persistante et généralisée vis-à-vis du local,
soupçonné soit de velléité séparatiste, soit de corruption, soit d’un permanent
syndrome Nimby. La dénonciation de ce syndrome est renforcée par un sentiment
d’impuissance quant à la capacité des russes à se convertir à la démocratie : "La
mobilisation est forte, ici. Par exemple, contre la construction d'un immeuble à
Moscou, qui les touche directement. Ca ne passe jamais à un niveau supérieur. Par
désenchantement politique, oui. On ne mise pas beaucoup sur l'action collective, elle
vient en dernier. Ou bien elle existe pour un objet précis : les mères des soldats par
exemple. Personne ne devient militant. Il y a une méfiance fondamentale envers les
syndicats, les partis politiques. Les ONGs? Beaucoup sont des consultants, des
collecteurs professionnels de fonds" (Berelowitch, 4 juin 2004). Mais les collusions
qui ne sont pas nouvelles entre l’économique et le politique participent aujourd’hui du
fonctionnement des institutions sur un plan financier.
La concurrence politique aux niveaux régional et local semble découragée
actuellement par le Kremlin. La défiance vis-à-vis de la démocratie représentative est
toujours prégnante dans la société russe, tandis que les conditions de la
démocratisation ne font l'objet d'aucune politique appuyée. Accaparé par le
fonctionnement de l'économie et le maintien de l'unité territoriale, et dans une
moindre mesure par le très préoccupant problème du financement de la protection
sociale, les dirigeants russes font passer la démocratisation au nième rang de leurs
préoccupations politiques. Le refus de s'appuyer par exemple sur certaines ONGs
pour renforcer le sens du domaine et des biens publics ne facilite pas la
démocratisation. Nous retrouvons ici le déni par les dirigeants russes que d'autres
acteurs que ceux du niveau central, et en particulier ceux de la société civile, puissent
être les défenseurs et les garants de l'intérêt public (ou commun).
Mais les situations varient beaucoup. La gestion de l’environnement est
représentative de l’hétérogénéité des contextes locaux. Le tableau suivant récapitule
les missions de chaque niveau politique, sur la base de nos observations de terrain.
L’imbrication des niveaux de pouvoirs publics (municipal, régional et fédéral) sur ces
territoires urbains doit être soulignée. Cependant, il ne faut pas oublier, à la lecture de
cet encadré, que ces divisions sont théoriques et ne rendent pas compte de la
circulation réelle de l’argent ou même du jeu du pouvoir local tel qu’il est
effectivement. Sur Briansk, nous pouvons renvoyer aux travaux de Jean-Charles
Lallemand qui met en évidence les difficultés concrètes que rencontre toute
compréhension d’une situation locale à partir d’une grille de lecture théorique (2004).
60
Organisation de la gestion environnementale
État
En Russie, plus de 45 lois ou
décrets du gouvernement
fédéral interviennent dans la
protection de la nature. Au
niveau fédéral, cela concerne le
comité écologique de
l’assemblée d’État et l’organe
central de planification du
ministère de la nature. Au
niveau régional cela concerne
le Comi des ressources
naturelles.
Oblasts
Depuis sept 2004 suppression du
suffrage universel (nomination des
gouverneurs par le niveau fédéral)
Opacité des transferts financiers entre
niveau fédéral et niveau de l’oblast
Importance de l’économie parallèle dans
les ressources de l’oblast augmentant
« l’autonomie » budgétaire
Villes d’importance régionale
Contre-pouvoir potentiel vis-à-
vis des gouverneurs régionaux
(au bénéfice du niveau fédéral)
Autonomie budgétaire réduite
Fusion le 17 mai 2000 du
comité d’Etat pour la
protection de la nature
(Goskomekologya), du service
fédéral des forêts, et du
Ministère des ressources
naturelles (Minresursov) :
création d'un Ministère des
ressources naturelles avec 4
directions (agence fédérale des
ressources aquatiques, agence
pour l'utilisation du sous-sol,
agence pour l'exploitation
forestière et service de
surveillance de l'utilisation de
l'environnement)
Antennes régionales du comité d'Etat
pour la protection de la nature avant
2000
Restructuration des comités de
protection de la nature après 2000,
orientés vers la protection des ressources
naturelles.
Existence dans certains cas de comités
régionaux de protection de
l'environnement parallèles et
indépendants des comités régionaux
fédéraux de protection de la nature
(Perm)
Eco-fonds pour les ONGs et les comités
régionaux de protection de la nature.
Affectation opaque et dissolution
partielle des éco-fonds après 2000.
"Protection" et traçabilité des éco-fonds
dans certains oblasts (Perm)
Lois régionales dans certains cas (Perm,
Kaliningrad) sur le monitoring
environnemental
- Existence dans certains cas
d'un service de
l’environnement (Briansk),
suite à la restructuration des
comités fédéraux de protection
de la nature, travaillant au
contrôle des entreprises
polluantes en ville.
- Dans d'autres cas (Perm),
présence d'une agence pour la
protection de l'environnement
dans tous les districts de
l'oblast.
Comités (élus des
doumas et chefs de
service) de
l’environnement
61
Un exemple d’autonomie régionale
L’autonomie régionale en matière de gestion environnementale est bien représentée par l’exemple de
Perm, qui fait partie des capitales régionales ayant réussi à garder un certain contrôle des ressources
budgétaires affectées à cette gestion. Grâce à la richesse de son sous-sol (or, diamant, pétrole depuis
les années 1950, entre autres), l'oblast de Perm a en effet un réel pouvoir financier. Son budget est de
20 milliards de roubles par an. Le comité régional de protection de l'environnement, l’un des dix
départements de l'administration de l'oblast, ne dépend que du gouverneur régional. Certains oblasts
ont en effet créé un comité en faveur de l’environnement, qui existe parallèlement au comité fédéral
pour la protection des ressources naturelles et se substitue à lui pour prendre en charge les problèmes
d’environnement. Car l’Etat n’est plus en mesure, souvent, de financer autre chose que les salaires
(Aksenova, Nedelkov, 2003). "Toutes les régions ne sont pas couvertes par les structures fédérales.
Elles créent alors les règles du jeu" (Brazhkin, 1 juin 2004).
Le comité régional de protection de l’environnement a réussi à "protéger les éco-fonds à part"
(Xarloun, 1 juin 2004), un enjeu qui conditionne la possibilité de mener une politique
environnementale (Aksenova, Nedelkov, 2003). Ces fonds, qui proviennent pour l'essentiel des
entreprises et pour 20% du budget fédéral, sont souvent détournés par les pouvoirs fédéraux ou
régionaux. Les régions les perçoivent directement depuis la réforme de 2004 (Brazhkin, 1 juin 2004).
Les éco-fonds représentent à Perm 150 millions de roubles par an et retournent aux entreprises
publiques dans la mesure où ils sont destinés à moderniser leurs technologies. Les entreprises privées,
quant à elles, peuvent bénéficier de baisses d'impôt si elles effectuent des investissements en faveur de
l'environnement.
L'oblast a également une tradition en propre de législation environnementale, les lois devant être
approuvées par les 40 autorités locales, qui amendent les textes de loi. Des instances de discussion
existent pour mettre d'accord les autorités, auxquels participent environ 500 députés, ce qui est perçu
comme une démocratisation, depuis 1993. Les problèmes relevant de la sécurité chimique émergent
dans ces lieux de dialogue. Dans chaque conseil municipal, il existe une commission d'élus en charge
de "la résolution des problèmes environnementaux": les "commissions pour l'utilisation de l'espace, de
la nature et pour l'auto-gestion (self-management)" (Zouev, 1 juin). D'autre part, une nouvelle loi,
"local-self regulation" donne le droit aux autorités locales de participer au monitoring de leur
environnement.
Du côté des pouvoir municipaux, leur faiblesse hérite du peu de consistance de la
trame urbaine russe et du système soviétique. 60 % des villes russes (670 sur près de
1100) furent crées après 1917, surtout après 1945, presque toutes grâce au
développement des activités minières ou de transformation dans des régions
industrielles. Et bien qu’aujourd’hui on compte 73% d’urbains (106,5 millions de
personnes, soit les 3/4 des russes) dans la population totale, ces villes sont
politiquement faibles et plutôt tournées vers leur hinterland. Les soviets (l’équivalent
des conseils municipaux) ne géraient pas les crédits d’urbanisme. Les ministères de
branche et les entreprises industrielles recevaient les allocations destinées à construire
logements et équipements. Un tel système faisait des directeurs d’usine les maîtres de
la ville. Aujourd’hui encore, les villes ont peu les moyens de jouer le rôle de centre
régional. Les doumas locales (ou mairies) qui remplacent les soviets sont dotés d'une
certaine autonomie budgétaire. Les réformes en cours ont, en principe, mis fin à ces
pratiques de gestion centralisée. Cependant, les exécutifs régionaux étouffent souvent
les velléités d’autonomie locale en s’arrogeant le droit de nommer les maires et chefs
des administrations urbaines. Et les pouvoirs centraux s'attribuent l'essentiel des
recettes les plus importantes et les plus stables (TVA, impôt sur le chiffre d'affaires,
rente sur les matières premières) alors que les impôts cédés aux régions, notamment
la taxe foncière, sont imprévisibles et incertaines, d'autant plus que les titres de
propriété des terrains ne sont pas toujours enregistrés. Ce dispositif accroît les
positions d'assistés des pouvoirs locaux et régionaux. Cette histoire explique la place
presque inexistante des services d’environnement dans les villes, services plus étoffés
62
au niveau régional, ainsi que les difficultés de mise en place de politiques urbaines
locales. Les démarches de planification ne sont plus opératoires et les extensions
urbaines depuis la Perestroïka sont largement le fruit de processus spontanés en partie
illégaux. Les mairies ou douma locales qui remplacent les soviets assurent la
coordination des équipement restés collectifs (dont les jardins, les monuments et bois,
les décharges, la voirie, etc. ; par exemple, le service municipal « Direction du projet
urbain » comprend l’entreprise municipale du projet urbain qui plante les arbres,
dessine le paysage, rend divers services en termes d’équipement et de construction de
routes, etc.) ; c'est d'autant plus vrai que c'est au niveau local que la privatisation s'est
le plus développée, tant au niveau des services et de l'économie urbaine (commerce,
artisanat, transport) que sur le plan des logements. Au niveau local, les communautés
(ou « organisations territoriales en autogestion » certaines étant des des structures
légales enregistrées par l’État avec une charte) sont une ressource pour la
municipalité, et, donc, des acteurs du développement urbain ou, encore, le public
cible des autorités locales. Les principales organisations de base en Russie sont 1/le
conseil d’entrée, qui est la première étape de participation des habitants aux décisions
publiques, représente l’immeuble, ce village vertical ; 2/le comité de logement qui
contrôle non seulement le climat social, mais également les conditions d’habitat ; il
consiste généralement en les représentants des conseils d’entrées et constituent des
liens majeurs entre les services à l’habitat et les habitants ; 3/Le conseil du district
municipal, territoire que les habitants considèrent comme le leur. Trois principes
régissent les droits des habitants dans la loi ; le premier est le droit à l'information de
la part des autorités publiques. Le second principe est le droit pour les populations à
s’exprimer publiquement. Le troisième est la participation de la population au
processus de décision : il n'existe pas cependant de processus établi de prise en
compte des opinions habitantes, mais c’est obligatoire pour les habitants d’élire des
représentants territoriaux.
C. Privatisation du foncier
D'une manière générale, la privatisation du fond d'habitation (77 % étaient privatisés
fin 2005) s'effectue sur la base des privilèges et des inégalités du système soviétique.
Désormais libre, le marché foncier et immobilier prend de l'ampleur et l'ancien parc
de logements n'est pas toujours pris en charge. Peu rentable pour le secteur privé, les
doumas locales n'ont pas toujours les moyens de l'entretenir : il s'ensuit toute une
série de conflits locaux et toute une partie du secteur locatif se trouve aujourd'hui en
déshérence. Les pressions qui sont faites pour obliger les propriétaires ou locataires à
payer pour la réparation des immeubles (avec la mise en place difficile de systèmes
de syndics) est une question clé qui mobilise la population. Les habitants se trouvent
donc obligés d’inventer une gestion en copropriété sans statut juridique. Les
difficultés en ce qui concerne la détermination des séparations de propriété
concernent largement la population et s'inscrit dans un mouvement historique qu'il
convient de, brièvement, remettre en perspective. En effet, la propriété foncière ne
s’est jamais véritablement imposée en Russie et qu'aujourd'hui encore les droits des
propriétaires sont souvent mal déterminés. Le mouvement de désappropriation
territoriale est plus ancien que le communisme et a connu une évolution à part du
XVIème siècle à aujourd’hui (Marxer, 2003): le droit de propriété foncière s’est
dissocié tardivement de l’obligation de faire fructifier la terre. De ce point de vue, le
recours à des formes non libres d’exploitation des terres et de production apparaît
comme une constante dans l’histoire moderne de la Russie. Le servage est aboli
63
seulement en 1861. Au cœur de ce système de territorialité se trouvent des poches
d’autonomie : les plus célèbres sont probablement les lopins de terre durant le
communisme.
La propriété collective du sol était censée favoriser la redistribution dans le système
soviétique. Elle a conduit à une déresponsabilisation, à la réduction des biens à
redistribuer ou à la dégradation des espaces ou du capital productif, au détournement
de ces biens légitimé par leur raréfaction, et à une production familiale parallèle
formant finalement un système d’auto-assistance. La propriété privée est garantie
depuis 1993 par la constitution de la Fédération de Russie (art. 35). Pour certains
auteurs, elle est supposée accroître le sens des responsabilités, puisque le propriétaire
cherche naturellement à maintenir ou accroître la valeur de ses biens. Individu et
propriété sont des concepts liés selon Étienne Balibar (2005), dans différentes
théories philosophiques qui vont de Locke à Marx. Selon Brigitte Marxer (2003), « la
conception moderne de propriété privée du sol rejoint le concept de liberté dans le
sens qu’elle confère à l’individu une petite part de souveraineté et donc
d’autonomie ». La Russie se trouve aujourd’hui dans un entre-deux. Les logements
ont été donnés à leurs habitants sans titres de propriété foncière12. Le nouveau code
foncier n’est pas encore adopté et constitue un sujet très conflictuel. Les parties
communes sont officiellement gérées par les municipalités (sauf lorsqu’une majorité
de personnes est propriétaire d’un logement dans un immeuble, auquel cas un syndic
de copropriété est nommé) mais sont dans de nombreux cas complètement délaissées.
Les formes de gestion collective de ces biens correspondent à la fois à une action
supplétive des pouvoirs publics défaillants et à une réelle réappropriation locale qui
s’inscrit dans une tradition russe13. Nos enquêtes mettent en évidence l’importance de
ce phénomène et de la verdure en ville de manière plus générale mais aussi les
difficultés face à la montée de la pression foncière, aux habitants fragilisés par leur
quotidien, aux résistances des municipalités. Nous discuterons deux cas de
réappropriation des sols à proximité des immeubles d’habitation, et d’émergence
12 Selon Mathieu Clément (2006) : « Une loi du 4 juillet 1991 prévoit le transfert de propriété du
public au privé en autorisant les occupants d’un logement à en devenir propriétaires, en échange d’une
somme symbolique. La loi ne répond pas à un objectif de justice sociale, mais cherche avant tout à
créer les bases d’un marché du logement. Cette loi a été renforcée par différents dispositifs dans les
années qui suivent [Kosareva et al. (1995)]. En décembre 1992, un texte autorise la copropriété et
l’expulsion des mauvais payeurs. En juin 1993, un programme d’Etat prévoit le développement de
modes de financement privés de la construction : crédits, comptes d’épargne logement, etc. Enfin, un
nouveau système de loyers est instauré en septembre 1993 et est accompagné par la mise en place d’une
allocation logement attribuée en fonction des ressources des familles. Plus récemment, les
préoccupations des autorités se sont davantage orientées vers la question du transfert des charges de
maintenance de l’Etat (qui les finançait jusqu’à présent par le biais du Gosstroi) vers les propriétaires et
locataires [Kahn (2002)]. Si ce transfert a été envisagé dans la loi de décembre 1992, le délai a été
repoussé à plusieurs reprises face aux nombreuses résistances de la population. Un texte de 2001
prévoit par exemple le report du délai au 1er janvier 2005. Finalement, le transfert est effectivement mis
en œuvre au 1er janvier 2006 ».
13 La culture politique russe, qui a substitué à l’opposition espace public/espace privé, le couple espace
du peuple – où les relations sont fondées sur la communion et la solidarité /espace de l’État souverain –
où les relations sont définies par le droit, a toujours veillé à l’implantation d’un contrôle social et
productif par le biais d’un attachement au sol et à l’habitat. On trouve d’abord l’obscina, ou commune
paysanne (c’est par le biais du paysan associé à sa terre et à sa communauté que s’assure l’essentiel de
la vie collective), qui répartit les charges fiscales et assure le contact avec les autorités et, plus tard, la
coopérative. Ce modèle a empêché la formulation de garanties juridiques et de droits de propriété
explicitement destinés à la personne individuelle et non à un corps social mal défini comme peuple et
attaché à la terre. Deux tendances assurent une certaine reproduction de ce modèle là : la réaffirmation
de l’État comme réalité intangible, et des associations ou groupements d’habitants qui tentent de
prendre en charge la gestion locale et de la vie quotidienne (Marxer, 2003).
64
d’une société civile fortement contrainte. Ceci dit, la culture politique russe qui a
substitué à l’opposition espace public/espace privé, le couple espace du peuple
les relations sont fondées sur la communion, la solidarité et l’amour/espace de l’État
souverain – où les relations sont définies par le droit, a toujours veillé à l’implantation
d’un contrôle social et productif par le biais d’un attachement au sol et à l’habitat. On
trouve, d’abord, l’obscina ou commune paysanne14, qui répartit les charges fiscales et
assure le contact avec les autorités et, plus tard, la coopérative (Marxer, 2003). Ce
modèle a empêché la formulation de garanties juridiques et de droits de propriété
explicitement destinées à la personne individuelle et non à un corps social mal défini
comme peuple et attaché à la terre. Deux tendances assurent une certaine
reproduction de ce modèle là : la réaffirmation de l’État comme réalité intangible, et
des associations ou groupements d’habitants qui tentent de prendre en charge la
gestion locale et de la vie quotidienne.
Les villes de Russie selon leur taille. Source : Radvanyi, 2008.
Taille
(million
d’hab.)
Nombre
de
villes
en 2006
Population
en 2006
Millions
d’hab.
Population
en 2006
% de pop.
Hab.urbaine
1989/1979
%
2006/2002
%
Pop.urbaine
totale
Inf. à 1
million
0,5 à 1
0,1 à 0,5
villes inf. à
0,1
2454
11
23
134
927
1359
104, 1
25,6
14,9
28
27,3
8,3
100
24,6
14,3
26,9
26,2
7,9
+ 13,7
+ 32,8
+ 10,2
+ 5,2
+ 10,6
-
- 2,2
- 6,6
+ 6,8
- 0,4
- 1,5
- 21
Villes russes et développement de poches d'autonomie
La croissance observée à la riphérie des villes russes n’est pas entièrement comparable au
phénomène occidental. Elle traduit la nécessité économique de vivre au plus près des villes et la
volonté des citadins de quitter la ville pour cultiver leur potager, se reposer ou, pour une
minorité, accéder à de grandes villas dans des lotissements sécurisés. Les raisons qui freinent
une suburbanisation de type occidental sont 1/ la pauvreté de la population et des pouvoirs
locaux qui empêche l’extension des infrastructures. 2/ Le maintien de l’autorisation de
résidence. 3/ L’habitude des autorités de penser à la fonction productive alors que la périphérie
des villes se distingue aujourd’hui surtout par la fonction d’habitat. 4/ Le fait que les marchés
immobiliers et fonciers fonctionnent largement en marge des lois. Une des raisons qui explique
ce mouvement est la recherche d'autonomie. Le recours à des formes non libres d’exploitation
des terres et de production apparaît comme une constante dans l’histoire moderne de la Russie.
Au cœur de ce système de territorialité se trouvent des poches d’autonomie : les plus célèbres
sont probablement les lopins de terre durant le communisme15. Autonomie des individus ou
groupes familiaux à l’égard de l’État ou des autorités ; autonomie du local par rapport à des
instances du national ou du supra-local ; autonomie et liberté du paysan russe sur sa terre16.
14 Comme l’explique Brigit Marxer (2003) c’est par le biais du paysan associé à sa terre et à sa
communauté que s’assure l’essentiel de la vie collective.
15 Le soviétique pouvait accéder à la propriété de la terre en quantité limitée et pour satisfaire ses
besoins personnels uniquement (logement, loisir, subsistance). Les jardins familiaux représentaient une
deuxième forme de propriété foncière, supposant la forme collective des sociétés de jardinage. Ceux-ci
occupaient une place essentielle dans l’économie domestique et montraient une productivité
remarquable étant donné les moyens techniques rudimentaires. Cependant, exploitation domestique et
exploitation collective vivaient en forte symbiose, l’un ne pouvant subsister sans l’autre (Marxer, 2003,
p. 304).
16 La théorie slavophile de l’État suggère que le pouvoir politique absolu des tsars allait de pair avec la
possibilité que le peuple avait de vivre en toute liberté sur sa terre selon sa propre vérité (istina), voix
authentique de la conscience individuelle et de celle du peuple qui s’exprime dans la tradition, les
coutumes et la religion (Marxer, 2003, p.91).
65
Mais cette autonomie de l’individu n’est qu’une autonomie de l’habitant : la référence spatiale
du droit coutumier est l’environnement de la culture paysanne, le village et les champs
attenants. Il s’agit d’un cadre territorial très restreint basé sur des relations de communion avec
l’environnement physique et social du travail et de la vie quotidienne. Ainsi cette culture
structurerait une double vie politique découlant d’une territorialité divisée entre local et
national.
Source : Eckert, 2004, Marxer, 2003, Blanc, Emelianoff, 2005.
D. Collaboration et société civile
D’un point de vue administratif, les responsabilités municipales sont multiples. Elles
concernent l'organisation et la gestion des services urbains, le contrôle et
l'information aussi bien envers les habitants en ce qui concerne la transformation de
l'environnement immédiat qu'auprès des ONGs. En effet, la nécessité d’une
collaboration entre la société civile et les autorités s'accroît en raison de la pauvreté
des ressources municipales ; certes, cela contribue de manière active à la
démocratisation de la vie publique locale, mais c'est signe également d'une
paupérisation croissante de celle-ci et la place prise par les forces du nouveau
capitalisme russe dans le partage du patrimoine local. Dans de nombreuses villes de
Russie, des ONGs comme « Ecoline », « Ecojuris », Ecocentre « Dront » et l’Union
socio-écologique de Russie qui comprennent essentiellement des enseignants, des
journalistes et hommes d’affaires réalisent des évaluations d’impact environnemental.
Quand il y a infraction ces ONGs portent les affaires en justice. Par exemple, dans la
région de Kaliningrad « Ecoprotection » a reçu la réponse officielle de la cour
concernant la construction d’un commerce et d’un centre d’affaires dans le centre
urbain ; le jardin avait déjà été rasé. La protestation des habitants a accompagné la
destruction de ce jardin. « Ecoprotection » a fait appel : de nombreuses infractions ont
été mises en évidence. La construction du bâtiment n’avait pas été accompagnée
d’étude d’impact. En ce sens, la préservation de l’environnement local est un terreau
propice à la construction d’une opposition politique (Raviot, 1995), le levier de la
formation de groupes de contestation participant de l'émergence d'une société civile17
(Crotty, 2003 et Aksonova, Nedelkov, 2004). Bien sûr, le concept de société civile est
également porté par les institutions internationales et les Russes savent l'utiliser pour
répondre aux critères des bailleurs de fond (Belov, 2003).
La société civile ne date pas de la Perestroïka. Elle est depuis longtemps et durant le
régime soviétique une force de résistance (samizdats, activités dissidentes) et
d’existence (nombreux contournements des institutions qui ont pour effet de les
assouplir et de rendre plus vivable la vie quotidienne). Dès lors, on peut dire que la
société civile en Russie ne représente pas simplement une alternative en termes
d’opposition à un pouvoir politique totalement hégémonique comme prétendait l’être
le pouvoir communiste, mais aussi une « force d’existence ». Sa place est la
démonstration d’une vie à côté du système politique.
17 La société civile n’en reste pas moins un concept difficile à définir. A notre sens, la société civile est
constituée par les acteurs qui pèsent sur le devenir d’une société et travaillent à sa transformation, sans
opérer par les canaux classiques du politique institué ou du marché.
66
Ainsi, une part de l’apathie collective18 peut-elle trouver une explication. Soumis,
comme l’expliquent Denis Eckert et Vladimir Kolossov (1999), à une intense
surpolitisation de la vie quotidienne à l’époque de l’URSS, les Russes nourrissent une
méfiance exacerbée vis-à-vis du politique institué (hommes et partis), défiance
assimilée à une dépolitisation (Berelowitch, Wieviorka, 1998). Ils ont ainsi tendance à
ne pas adhérer immédiatement aux idéaux démocratiques, portés à leurs yeux par une
démocratie de marché qui ménage, d’une part, une large place aux collusions entre
politique et économie, et où les hommes de pouvoir, d’autre part, appartiennent
toujours aux mêmes élites. La désillusion par rapport aux sphères du pouvoir,
renforcée par l’impuissance réelle du politique à améliorer la vie quotidienne et
l’opacité des processus de décision et d’affectation des fonds, conduit les Russes à
d’autres formes d’investissement du politique, par exemple à travers la vie
associative.
D’un autre côté, le déploiement de stratégies systématiques de contournement du
pouvoir soviétique a conduit, au-delà de l’intérêt privé, à renforcer l’auto-
organisation, l’auto-protection, et plus récemment à des luttes juridiques pour faire
reconnaître des droits par les pouvoirs publics. On serait donc simultanément en
présence d’une dépolitisation de la vie quotidienne, au sens d’une forte distanciation
vis-à-vis de la politique de parti qui avait colonisé le quotidien, et à une certaine
repolitisation de la vie quotidienne en tant que sphère de résistance, parfois de survie,
sphère d’affirmation de droits et de valeurs. Cette force d’existence, loin de
s’atténuer, a été aiguisée par les difficultés nouvelles de la « transition ». « 30% des
russes vivent de leurs salaires, 70% de leurs datchas » nous dit-on encore en 200419.
Les revenus informels procurés par des activités non déclarées contribuent de plus en
plus aux mécanismes de survie (Le Huérou Anne, Rousselet Kathy, 2000). Pour de
nombreux Russes, la « débrouille », les solidarités familiales et locales, ou la petite
corruption constituent des voies de fonctionnement du système. Un système stable et
fixe est préférable car plus aisé à contourner, entend-on souvent. Le surinvestissement
par les Russes de la sphère de la vie quotidienne (en termes d’énergie, de temps et de
préoccupation) ne serait donc pas à interpréter comme un repli sur l’intérêt privé, une
indifférence au politique, mais comme un processus ancien ayant renforcé les
capacités d’auto-organisation des individus. En ce sens, la société civile est active et
révèle une « force d’existence20 » qui limite l’écroulement de la société (Blanc,
Emelianoff, 2006). Les initiatives habitantes étudiées ne peuvent pas être subsumées
sous la grille d’analyse d’une « démocratie participative21 », mais doivent être lues
comme des formes d’organisation parallèle efficaces, qui seront peut-être le ferment
d’une évolution démocratique.
18 Bien que celle-ci soit à nuancer puisqu’il semble qu’un bon tiers des russes manifestent un intérêt
actif pour des formes d’engagement politique et social, dont témoigne la vitalité de la vie associative
(Marsh, Gvosdev, 2002).
19 Entretien, directeur de l’Union socio-écologique, mai 2004, Moscou.
20 Cette force d’existence, comme nous la nommons, cette résistance et cette distance incorporée à
l’autorité, est à notre avis le socle de la structuration actuelle d’une société civile et de la
démocratisation de la société russe (et non pas des institutions, question qui nous semble moins centrale
dans le processus de démocratisation et qui n’est pas à l’ordre du jour de Poutine : Pouvoirs, 2005).
21 En Russie, la responsabilité individuelle n’est pas posée en ces termes mais l’individu résiste
fortement au système, grâce à des relations de proche en proche lui permettant d’une part de mobiliser
des ressources pour organiser son quotidien et avoir accès au minimum ou à l’inaccessible, et aiguisant
d’autre part un esprit critique sceptique quant aux vertus de la « démocratie ».
67
E. Initiatives locales et revalorisation de l'environnement
Beaucoup d’initiatives civiles de communautés locales ont lieu dans des villes de
Russie où prennent place des travaux de verdissement de l’habitat. Les citoyens
comprennent que les autorités municipales en Russie (peut-être à l’exception de
Moscou) n’ont ni les ressources, ni la volonté politique d’organiser ce travail. Mais
ces autorités sont souvent prêtes à appuyer de telles manifestations en donnant des
fonds ou en réalisant des compétitions comme « la meilleure cour », la « plus belle
entrée », etc. La pression sur les pouvoirs publics s’accroît lorsque les mouvements
d’éco-activistes se joignent aux habitants et parviennent à trouver des relais et porte-
parole au sein des doumas locales ou régionales. En s’inscrivant sur le terrain de la
démocratie représentative, le combat écologique investit une nouvelle arène politique.
La réappropriation des sols urbains en Russie par les habitants, avec l’appui d’acteurs
relais (éco-activistes, universitaires, membres des administrations régionales), est
induite par la dégradation du cadre bâti et naturel ; cette mobilisation repose sur les
aspirations à une qualité de vie : la beauté de la nature, du monde végétal et horticole,
et donc un sentiment assez vif de la nature, en est une composante. Elle s’inscrit dans
un contexte de la construction hésitante d’une société civile qui s’amorce entre
résistance aux pouvoirs publics et au marché. Dernièrement, la pression spéculative
immobilière dans les villes russes justifie un souci du foncier (Limonov, Renard,
1995). Il faut dire que les grands ensembles construits à l’époque soviétique avaient
ménagé de vastes espaces verts collectifs, souvent délaissés du fait de l’inaction des
pouvoirs publics, qui attisent aujourd’hui la convoitise des promoteurs. Les exemples
développés dans la troisième partie montreront deux formes de réappropriation des
sols : la première est celle d’une réappropriation de fait, sans modification du statut
foncier, d’un pied d’immeuble en déshérence par les habitants, conduisant à une
transformation paysagère puis à la prise en charge complète des parties communes
des bâtiments ; la seconde, plus développée, concerne le passage en copropriété d’un
terrain municipal d’une cour d’immeuble, aménagée en espace vert depuis plusieurs
décennies par les habitants, face à la menace d’une construction de cet espace. Dans
les deux cas, la réappropriation du sol est motivée par le délabrement des espaces
communs, la volonté de préserver ou restaurer une qualité de vie, et la forte
augmentation des charges incombant aux propriétaires, en parfaite contradiction avec
l’état des lieux. Elle ne devient toutefois possible que lorsque des individus, des
groupes d’habitants, entretiennent des liens forts vis-à-vis de leur environnement, et
s’investissent dans sa transformation matérielle.
Le processus est donc celui d’une réappropriation territoriale, qui passe par des
relations à la nature en ville qualifiant ou disqualifiant les milieux de vie, et par la
reconquête des liens au sol. Largement supplétive, cette capacité d’auto-organisation
peut dessiner des alternatives politiques à l’échelon local lorsqu’elle se structure en
mouvement associatif. Ce mouvement associatif peut, concrètement, transformer des
espaces (Tver) et leur statut (Nijni Novgorod), faire pression sur les pouvoirs publics
pour les obliger à intégrer certaines préoccupations écartées du champ d'intervention
politique, développer une conscience politique locale, ou encore fournir des
conseillers municipaux ou des députés qui tentent d’infléchir le jeu politique dans les
doumas. Mais cette mobilisation d’un côté, et cette force d’existence de l’autre, n’ont
ni l’une ni l’autre acquis suffisamment de confiance en elles pour construire une
alternative politique. Elles agissent encore subrepticement, ou au mieux prudemment
: le possible reste confiné dans les interstices du réel. En effet, la répression d’Etat,
qu’elle concerne les médias ou plus récemment les ONGs, fait toujours partie de la
68
vie contemporaine russe, et borne l’horizon politique. En d’autres termes, la naissance
de l’espace de pouvoir d’une société civile ne signifie pas que les conditions de son
déploiement soient réunies.
4. En France
La participation, rappellent Jacques Donzelot et Catherine Mével, relève en France
d’un devoir citoyen, tandis qu’elle est essentiellement appréhendée comme un
pouvoir, un empowerment, dans le monde anglo-saxon22. Ce contexte longtemps
hermétique, marqué par un déséquilibre des pouvoirs en faveur de la bureaucratie, est
cependant de plus en plus européen, traversé par les approches anglo-saxonnes qui
percolent à travers différents réseaux. Il est aussi de plus en plus global, secoué par la
compétitivité territoriale mais interpellé aussi par les retours d’expérience du « Sud »,
qui font découvrir des habitants aménageurs (Percq, 1994). Des perspectives de co-
aménagement, d’action conjointe entre citoyens et institutions démocratiques,
d’alliances entre un Etat qui soutient le droit à l’expérimentation et de citoyens qui
reprennent en main leur environnement à de multiples échelles, s’ouvrent timidement.
Faire l'histoire de l'habitant aménageur en France demande de retracer, ne serait-ce
que brièvement, la manière dont fonctionne l’association État- propriétaire foncier-
habitant. La question n’est plus alors d’opposer l’Etat et l’individu, ni même de
penser la manière dont les individus s'engagent en politique (Thévenot, 2007), mais
de réfléchir aux partages de pouvoirs et de responsabilités qui valorisent tant l’énergie
des uns que celle des autres et permettent de capitaliser les énergies concurrentes ou
rivales. On peut relire l'histoire sous l’angle de la fragmentation d'un territoire en
espaces qu'il s'agit de s'approprier, ou dont il faut vérifier le caractère approprié.
L'évitement de l'habitant (ou même le caractère fragmenté de son apparition dans
l'espace public) a de multiples causes. Certaines méritent d'être retracées, à un
moment de l'histoire qui met en cause, via la problématique écologique,
l'appropriation de biens écologiques pensés comme des biens communs : air, eau,
terre, etc.
A. L’évitement historique
La figure de l’habitant est, au moins, à double détente. Elle est une réponse au besoin
d’émergence d’une nouvelle figure politique et concrète, sur le plan de la
participation, ou de l’investissement politique ; elle apparaît donc comme une forme
de complément à celle du citoyen et du producteur. Mais elle signale aussi, et surtout,
l’apparition d’un nouvel acteur. Les deux plans sont interdépendants, mais procèdent
de logiques propres.
Du côté politique, la sollicitation de l’habitant correspond à un besoin croissant
d’étendre le champ de la démocratie. Plus fondamentalement, dans les pays du Nord,
la constitution de l’habitant comme figure politique correspond à une transformation
de longue durée de l’individu et de son environnement, qui se marque notamment par
une exigence supplémentaire de qualité de vie et une demande croissante d’un rapport
personnalisé et actif au monde. Il semble que, dans les pays du Sud, les mêmes
22 Donzelot J., Mével C., 2002, op. cit.
69
mécanismes aient lieu : il ne s’agit pas d’exiger une qualité de vie, au sens d’une
amélioration du rapport à l’environnement, au sens du décor de vie, mais d’une
demande d’autonomie plus radicale, et plus contestataire qui va à l’encontre parfois
des pouvoirs locaux. Cela peut être notamment une autonomie vivrière. La radicale
nouveauté de la figure de l’habitant, dans les deux cas, réside dans ceci qu’elle
s’appuie sur la conscience et l’affirmation de la dimension politique de ce rapport de
l’individu à son environnement. S’agit-il alors, avec le surgissement de l’habitant,
d’une rupture du même ordre que celle qui a accompagné la naissance du citoyen puis
l’instauration du producteur ? Au contraire, on peut penser que l’émergence de la
figure de l’habitant correspond à un désinvestissement politique de la sphère
d’engagement civique dans les pays du Nord et à une expansion de la démocratie à
l’échelle planétaire.
Le citoyen constitue une première figure politique, qui émerge, à la fin du XVIIIème
siècle. Les révolutionnaires français construisent le citoyen en opposition à l’Ancien
régime et notamment à l’attachement à la terre et à l’encadrement des corporations.
Cette rupture se manifeste clairement par l’établissement d’un nouveau régime
d’administration territoriale, avec la naissance des départements23 qui vise à instaurer
un ordre purement administratif fondé sur l’accessibilité des services publics et des
lieux de pouvoir. Le citoyen est émancipé des cadres traditionnels, territoriaux et
professionnels et se trouve protégé en tant que tel. Il déploie sa nouvelle puissance
dans un espace nouveau, entièrement façonné selon une logique égalitaire et
unifiante, celui de la nation et de ses divisions territoriales.
Le producteur s’institutionnalise comme ouvrier et capitaliste au cours du XIXème
siècle et dans les premières années du XXème siècle. Son apparition constitue une
critique des limites du citoyen abstrait, qui ne prend pas en compte les conditions de
vie au sens des moyens de production. La naissance du producteur correspond, avec
les syndicats notamment, à celle d’une force d’émancipation et de lutte pour la
protection de la force de travail. En outre, elle affirme une responsabilité collective de
la classe ouvrière comme agent de transformation sociale et politique. Il est
intéressant de noter que la figure du producteur se construit de manière critique par
rapport au territoire comme lieu d’attachement, voire d’asservissement. Le producteur
est, dans sa version ouvrière et à partir XIXème siècle, une figure internationale fondée
sur la condition de travailleur et non sur l’appartenance à un territoire ou une nation.
Le mouvement ouvrier, dès son origine, a une vocation d’universalisme en réponse à
l’exploitation matérielle et humaine que constituent les réseaux sociétaux nationaux,
parfois internationaux. Le monde, alors, constitue un espace d’émancipation. Le
citoyen et le producteur constituent au XXème siècle les deux principaux piliers de la
participation politique : il s’agit, d’un côté, de démocratie représentative et, de l’autre,
de démocratie sociale (participation des salariés aux différents aspects de l’État
providence : assurances sociales, caisses d’allocations familiales, logement social,
etc.) Les deux figures du politique sont, en France, étanches, ce qui conforte le rôle de
l’État comme arbitre entre représentation politique et participation sociale.
23 Cf. les travaux de Marie Vic Ozouf-Marignier (1989).
70
B. L’habitant territoire
La figure de l’habitant émerge dans les années 1960 et progresse au cours des années
197024 avec la notion de démocratie participative, montrant les limites d’une
démocratie représentative à la fois trop abstraite et trop lointaine. Celle-ci se trouve
confrontée à l’incapacité institutionnelle de prendre en considération les
manifestations à l’égard du logement et de l’habitat. Ainsi, la loi du 5 décembre 1922
proposait une participation facultative de l’habitant et soulignait par que le
« logement était un bien exigeant une gestion originale ». Cette disposition devenait
obligatoire par la loi du 3 décembre 1947. Mais un décret du 19 décembre 1963 a
supprimé la représentation des locataires au sein du conseil d’administration des
offices d’HLM dans une perspective d’amélioration de la gestion qu’il considérait
compromise par un phénomène de politisation.
À nouveau, dans les années 1970, les habitants surgissent, dans un contexte social de
montée en puissance des associations et des revendications. Ils apparaissent dans ces
quartiers neufs des villes nouvelles et des grands ensembles qui vont mal vieillir et où
le peuplement, récent, n’est pas encore stabilisé, mélangeant population ouvrière et
classes moyennes (qui partiront vers le pavillonnaire). Ces nouveaux habitants
s’emparent de la démocratie participative et de l’instrument associatif pour contester
les pouvoirs municipaux en place, que certains militants associatifs dénoncent
comme notabiliaires et clientélistes. Cette période, qui voit fleurir et se stabiliser la
mise en place de relations entre pouvoirs locaux et associations, est le moment où
l’hétérogénéité des quartiers est la plus grande. Cette revendication s’incarne
notamment dans les groupes d’action municipale (GAM25) qui connaîtront dans les
années 1960 quelques succès électoraux, et dont la figure demeure Hubert Dubedout,
maire de Grenoble jusqu’en 1983.
Sans doute, les années 1980 voient-elles un essoufflement de ce processus : la crise
économique et l’irruption du chômage dans la vie quotidienne, le départ régulier des
catégories de locataires les plus aisés de ces quartiers, accédant à la propriété ou à des
logements localisés dans des zones moins à l’écart, isolent encore des populations en
crise, qu’elles soient françaises ou immigrées, et auxquelles sont déniées des droits
politiques. Aussi, les militants associatifs se voient-ils aspirés par le parti socialiste :
en conquérant le pouvoir politique, ce mouvement généraliste du cadre de vie s’étiole
et perd sa capacité d’interpellation des pouvoirs en place. Dès lors, cette
revendication habitante sera portée, cette fois, par les enfants de l’immigration : tout
autant habitants des cités qu’enfants de l’immigration. La qualité d’habitant des cités
au travers de l’utopie associative, portée par de nombreux militants, correspond à
l’exigence de désigner des individus et des groupes dont l’accès à l’espace public
n’est pas assuré ou demeure problématique (Anselme, 2000, p 148). Dès lors, à défaut
24 À l’époque, cette volonté d’inclure l’habitant dans le processus politique résulte aussi bien d’une
contestation de la démocratie représentative que de la volonté de trouver de nouveaux points d’appui
pour une contestation ; le cadre de vie, la gestion de l’urbanisation et de l’aménagement du territoire, en
fourniront l’opportunité dès les années 1960-1970 notamment dans les quartiers d’habitat social.
25 Gilles Morin, « Les GAM et l’autogestion », in (Georgi, 2003, p 309-322) et Michèle Sellier, Les
Groupes d’action municipale, doctorat de science politique, Univ. Paris I, 1975, 2 tomes, 523 pages.
Les Groupes d’action municipale commencent dans les années 1960. Jusqu’en 1968, il existe 10
groupes avec peu de lien entre eux. Dans les années 1970, c’est un mouvement politique montant qui se
structure : 290 GAM, 3000 ou 4000 membres revendiqués. entre 1965 et 1973. Puis, c’est le déclin.
Leur mot clé est la « participation ». Ils ont une image d’acteurs « ras-de-terre », apolitiques et centrés
sur des actions concrètes. Leur approche considérée techniciste plutôt que politique est mal vue par les
partenaires politiques, notamment le Parti Socialiste Unifié (Michel Rocard les soutient néanmoins).
71
d’être consommateur et représenté comme tel, l’habitant des cités et les associations
particulières (différenciées en ceci des associations généralistes de consommateurs,
par exemple) qui en assurent la traduction dans l’espace public demeurent l’exemple
de ce qui suscite ce type de sujet politique : une représentation défaillante des
pouvoirs publics sommés d’investir cette représentation-là. L’habitant représente une
sorte d’envers du consommateur.
Aujourd’hui, il existe une double manifestation de cette figure de l’habitant : l’une est
la figure de l’habitant des quartiers d’habitat social, porteuse d’une stigmatisation de
la vie sociale et qui fait l’objet (les émeutes récentes en sont la brûlante
démonstration) de représentations extrêmement contradictoires : entre rejet pur et
simple et auto-culpabilisation d’une classe moyenne française qui a du mal à
abandonner le rêve d’intégration républicaine. L’autre est la figure, souvent
considérée d’un point de vue négatif, de l’opposant (le réflexe « NIMBY »26).
L’habitant qui se dresse devant le chantier d’autoroute, le projet de décharge,
d’aéroport ou, plus trivialement, de construction de logements sociaux à proximité de
son pavillon, fait figure d’individualiste se dressant contre l’intérêt général. Ces
habitants font « sécession » par rapport à la société en en refusant les contraintes et
les liens de solidarité. Cette revendication habitante est le plus souvent considérée
comme le signe de la désaffection civique. La revendication paysagère –d’une
protection des milieux de vie– dont l’habitant s’est fait le porteur est associée, dans
l’esprit de beaucoup de chercheurs, à ce conservatisme et est vue comme s’opposant
au progrès et à l’intérêt général, qui seraient bien mieux défendus par les « grands
corps » de savants, d’ingénieurs, d’aménageurs et d’administrateurs.
C. La responsabilité de l'habitant
La figure de l’habitant se développe également comme figure de la responsabilité
individuelle. L’habitant peut être considéré comptable de la mauvaise gestion locale
ou de la dégradation des conditions de vie à l’échelle du « quartier » ou du voisinage ;
en d’autres termes l’habitant est comptable de son implication territoriale. Non
seulement le recours à l’habitant apparaît comme une garantie du caractère
démocratique du processus de négociation, sans que l’on sache en quoi consiste
exactement cette garantie, mais la défaillance dans la participation produit également
des accusations, celle d’une désaffection civique. Les classes populaires sont accusées
de ne pas s’approprier suffisamment le politique27. Pourtant, souvent, ces habitants
sont à peine considérés comme des interlocuteurs et l’on parle fréquemment, en ce
26 « Not in my back yard » autrement dit « pas dans mon jardin », slogan désignant les mouvements de
défense et de protection de l’intégrité du cadre de vie par ses habitants.
27 L’habitant est convoqué sur l’unique registre de la parole : il ne s’agit pas d’agir… L’action
habitante en politique ressort d’un modèle qui lie social et politique de façon propre à chaque contexte
culturel. En France, l’action habitante est souvent conflictuelle (voire violente et ressort alors du droit
commun) et se situe en opposition à l’État ou à des décisions des pouvoirs publics : donnons comme
exemple l’opposition aux grands projets d’aménagement ferroviaire (TGV). La décision d’État ou du
ressort des pouvoirs publics se légitime du fait même des mécanismes de la représentation en
démocratie. Dès lors, l’action politique est réservée aux pouvoirs publics tandis que l’action habitante
ressort souvent du bien-être social. Aux Etats-Unis où le contexte socio-politique diffère sensiblement,
le « registre de l’action » et de l’action civique, en particulier, ne remet pas en cause l’État et sa
définition. Elle peut y être associée (dans le cas des watersheds) mais l’intérêt général est garanti par le
pluralisme, soit la pluralité des voix s’exprimant dans la sphère publique.
72
qui les concerne, d’éducation à la participation : n’est-ce pas faire croire que la
légitimité citoyenne est affaire d’apprentissage ?
À l’exception des quartiers où « le syndicalisme du cadre de vie » (Anselme, 2000, p.
152) inscrit les habitants dans l’espace public commun, l’injonction qui conduit les
habitants à participer ou à cogérer les espaces de proximité produit une demande
croissante de responsabilité, au sens « d’avoir le droit à » et non simplement « le
devoir de ». La figure de l’habitant se développe dans le sens non seulement d’une
réappropriation de la gestion de son milieu de vie, mais de la production de ses
conditions de vie. Depuis longtemps existe une tradition critique dénonçant les
processus d’asservissement, d’aliénation associés au travail salarié. Ce courant de
sensibilité, qui s’inscrit dans une tradition agrarienne, associe appropriation du sol et
liberté28 : l’habitat urbain est synonyme d’isolement et d’abstraction croissante de la
force de travail et de production, via la montée en puissance d’un individu urbain
progressivement coupé de ses racines et mis à disposition d’un mode de vie qui
favorise son exploitation.
Dans la période récente, l’émergence de la figure de l’habitant est considérée comme
extrêmement ambiguë. Du côté des sciences de la vie et de la matière, l’intérêt pour
l’habitant naît d’une volonté de légitimer leur objet d’étude, l’individu biologique, et
d’optimiser la gestion des interactions entre société et environnement. Du côté des
sciences de l’homme et de la société, la déconsidération des grandes postures
théoriques donne au micro-géographique, à la micro-analyse une nouvelle vigueur. Le
postulat est bien sûr celui de la souveraineté du sujet ; pour l’anthropologue,
l’individu est considéré comme porteur de l’humanité. Le grand danger de cette
démarche est d’oublier que l’individu est déjà un « tout structuré » inséré dans une
culture (une langue, des gestes et des habitudes), dans des rapports sociétaux
(familiaux, commerciaux, mondains etc.) et environnementaux (en termes d’habitat,
d’exploitation des ressources, de production de son milieu). Il ne doit pas être pris au
sens libéral du terme sans lien avec le social sinon en termes d’opportunité et
d’intérêt. Pourtant, cette échelle d’analyse, à condition de prudence méthodologique
et théorique, ouvre la voie à la question de la singularité29, des rapports du « nous » et
du « je » (Heurgon, Landrieu, 2003) ; rapports que travaille depuis longtemps Alain
Touraine, en un mouvement conjuguant expression de soi et mouvement social.
D. Réinsertion et régie de quartiers
« L’injonction participative » touche en premier lieu les quartiers d’habitat populaire,
par le biais de la politique de la Ville : la participation à la vie du quartier est alors
présentée comme un outil de recréation de lien social et politique, dans des secteurs
en difficulté où la participation politique est par ailleurs très faible. L’injonction
prend une forme proche de : « participez pour vous réinsérer... ». L’action habitante
aurait plus de sens et de portée lorsqu’elle intervient dans des conditions sociales
défavorables (Bolick, 1998). Ce faisant, elle gomme fortement les dimensions
politiques et notamment contestataires de ces actions, de la même manière qu’elle
28 Les difficultés de la relation entre propriété et appropriation sont importantes : quel est le propre
d’une chose ? Quelles sont les conditions de son appropriation et comment donc peut-on être
propriétaire ? Cela signifierait-il qu’il y ait un propre de la chose qui vous appartienne ou que la chose
vous est en propre c’est-à-dire contribue à vous définir ?
29 Dans ce registre, les récits de vie sont nombreux depuis les années 1970. Notons simplement
l’ouvrage essentiel de Pierre Bourdieu, 1998, La misère du monde, Paris, Gallimard.
73
s’interdit de juger de la dimension progressiste ou non des objectifs poursuivis. À titre
d’exemple, on notera que les craintes sécuritaires sont à la base d’un nombre
important d’initiatives des habitants dans leur milieu de vie, sans que cette dimension,
relativement problématique dans le débat français, n’émeuve particulièrement les
auteurs américains (Armony, 2004).
Les "régies de quartiers" sont un exemple de ce type de prise en charge des habitants
d'un quartier fortement spatialisé par lui-même. Nées en France au milieu des années
1980, à Meaux et à Marseille, sous l’impulsion de travailleurs sociaux et de
sociologues, les régies de quartier se placent dans le prolongement d’une expérience
fondatrice en matière de participation dans le quartier de l’Alma Gare à Roubaix,
les habitants avaient pris en charge l’entretien des espaces extérieurs. Sur la lancée de
la mobilisation de l'Alma-gare, les habitants suggèrent un nouveau mode de gestion
de leur quartier : une maintenance susceptible de préserver les acquis de la
réhabilitation, pouvoir accueillir les nouveaux arrivants de façon à ce qu'ils puissent
s'intégrer et partager le projet collectif, mettre ces exigences au service d'une logique
de retour à l'emploi, ...
L’idée directrice des régies est de confier aux habitants l’entretien de leur quartier, à
la fois comme décideurs et, pour une partie d’entre eux, comme salariés. Une régie,
dans sa version la plus simple, est une association qui est missionnée et payée par la
collectivité et les bailleurs sociaux pour entretenir et embellir le cadre de vie, et qui
emploie pour cela des habitants du quartier dans une perspective d’insertion sociale.
Depuis les premières créations, la gamme d’activité des régies s’est élargie à la
médiation sociale, l’animation du quartier, et à la production de services aux habitants
(réparations à domicile, épicerie, transport, aide au déménagement, etc.). Au départ,
les régies accompagnent les premiers pas du développement social urbain et de la
politique de la ville. Surtout, elles permettent de remobiliser une partie des militants
du mouvement HLM qui habitent encore dans les grands ensembles et ont été nourris
d’éducation populaire. C’est pourquoi la dimension participative est au centre des
objectifs, comme le précisent Michel Anselme et Daniel Béhar : « L'enjeu des régies
de quartier est en fait le changement du rapport des quartiers d'habitat social à leur
population. La double participation des habitants aux régies -comme décideurs et
comme travailleurs- sera-t-elle un levier suffisant pour ce changement ? ».
Le mouvement se structure dès 1988 avec la création du Comité national de liaison
des régies de quartier (CNLRQ), autour des directeurs des régies existantes. Ce
comité est à la fois un réseau et une autorité sur le mouvement, puisqu’il octroie un
label de régie de quartier, après un long processus d’analyse et de parrainage du
projet. Au tournant des années 90, la création des régies s’accélère ; elles sont
reconnues par l’Etat comme des outils particulièrement intéressants. En 1995, on en
compte une centaine en France, et en 1998, environ 130, qui emploient 4000
personnes en moyenne, et qui concernent un peu moins d’un million d’habitant. Le
rythme de création est plus régulier au début des années 2000, avec la négociation de
conventions entre le CNLRQ et certaines collectivités (Ville de Paris, Région Nord
Pas de Calais), qui s’engagent à favoriser la création de régies de quartier.
Les ambitions des régies se sont modifiées avec le temps : au fil de la montée du
chômage dans les quartiers populaires, les régies se sont vues assigner une fonction
de plus en plus importante de réinsertion et de fourniture d’emploi pour les habitants
les plus défavorisés. Mais surtout la régie n’a pas pu s’imposer comme le vecteur de
la participation des habitants aux décisions d’aménagement du quartier. Cantonnée
dans un rôle d’entretien et de services, elle n’est pas la scène principale de contact
entre les habitants les plus intéressés et les décideurs, comme le constatait déjà en
74
1995 un rapport de recherche du Ministère de l’Equipement sur des régies
lyonnaises : « cette notion d'interface paraît d'autant moins pertinente que les
habitants les plus impliqués dans la vie de leur quartier et de sa valorisation sont
bien souvent en relation directe avec les décideurs, qu'ils soient élus, services
techniques ou Office HLM. Cela tient peut-être à la configuration particulière de la
ville répartie en arrondissements et en élus d'arrondissement ; mais aussi à la
manière propre qu'ont certains habitants, possesseurs des compétences ritualisées
qu'implique un tel face à face habitants-élus à jouer de celui-ci pour faire avancer
leurs revendications. Ces habitants-là ne sont d'ailleurs pas dans les conseils
d'administration des régies. Leur intérêt à faire avancer la revalorisation du quartier
se joue sur une autre scène, celle du rapport direct au décideur. La notion d'interface
apparaît alors plus relever de l'illusion d'optique que d'une réalité
effective » (Bavoux et al., 1995).
E. Régulation et défaillance sociales
Les actions des habitants sur leur milieu de vie ont une portée sociale et politique. Ces
actions sont placées régulièrement par les auteurs dans une perspective d’inclusion
sociale ou de réinsertion. D’autres auteurs situent ces actions dans une vision
réformatrice, voire régulatrice des défaillances institutionnelles : cette perspective est
plus à même de considérer ce que les actions changent aux dispositifs de pouvoir en
place. Enfin, ces actions peuvent être également repérées comme innovantes,
traduites, explicitées au sein de mouvements sociaux qui portent des ambitions de
changement, et dont il est important de comprendre la diversité et les généalogies.
Les auteurs français insistent plutôt sur la dimension conflictuelle du rapport entre
habitants et pouvoirs publics. Hillel Schmid tente une comparaison internationale des
comités de quartier, d’où il émerge une grande variété d’articulations entre les
pouvoirs publics et ces instances (Schmid, 2001). Il apparaît notamment que le
recours à la « communauté » dans la gestion urbaine s’est opéré essentiellement dans
une logique d’amélioration de la gouvernance : une décentralisation des services
municipaux aux échelles plus réduites des quartiers, de manière à reconfigurer
l’action publique locale. C’est notamment le cas de la mise en place des Conseils de
quartier en France, qui s’accompagne pour chaque quartier de la mise en place de
mairies annexes et d’une reconfiguration des services municipaux.
Ce qui ressort d’un certain nombre d’analyses est une logique descendante (top down)
dominante, visant à inclure les citoyens dans les institutions démocratiques existantes.
La question de la mobilisation devient alors une question pédagogique : le citoyen
peut passer d’une attitude passive à une attitude active, en acquérant les rudiments de
ce qu’est une politique publique, et des processus décisionnels à l’œuvre (Gerston,
2002). Derrière cette attitude volontiers réformatrice, plusieurs auteurs voient en fait
la reproduction d’un ordre politique établi : « l’institutionnalisation de la démocratie
participative ou délibérative dans les politiques urbaines, sous couvert d’un
renouveau du rapport au politique et d’une réingénierie de la gouvernance conduit à
repositionner les élus au centre de la régulation politique et à limiter
considérablement toute remise en question de l’ordre politique local et des valeurs
qui s’y rattachent » (Jouve, 2004, p. 305).
Dans le domaine de l’aménagement, le même type d’ouverture est pratiquée avec
l’émergence de la notion de maîtrise d’usage : au même titre que le maître d’ouvrage
(la collectivité, le promoteur) et le maître d’œuvre (l’architecte), l’habitant doit être
75
reconnu comme maître d’usage, et donc considéré dans la définition du projet dès sa
conception. Cette idée qui consiste à faire une place aux habitants dans la décision
correspond également à la défaillance d’un certain régime urbain, basé sur le
développement, qui permettait à l’élu ou l’aménageur de monnayer l’adhésion des
populations à ses projets en échange de la distribution de biens et services sur un
mode plus ou moins clientéliste. La pénurie de ces ressources incite l’autorité à
« donner la parole ». On est alors dans la réactivation d’un lien politique par la parole
et la revendication, tandis que dans d’autres contextes nationaux, cette ouverture
semble plus compatible avec la reconnaissance d’une légitimité et d’une liber
d’action.
F. Autogestion, désobéissance civile, squats
Plus fondamentalement, la posture scientifique selon laquelle l’investissement
habitant a des répercussions en termes de démocratie passe sous silence les processus
d’autonomisation qui peuvent être fondateurs de la démarche des habitants. Non pas
une autonomie complète, à la fois physique et relationnelle, mais plutôt une rupture
avec les processus d’inclusion institutionnelle, qu’il s’agisse du travail, de la
dépendance technique, de l’imposition d’un urbanisme uniformisé, des déplacements
et de leurs conséquences en termes de pollution, bref, un ensemble de facteurs jugés
« aliénants » par les habitants, pour reprendre un terme aujourd’hui démodé. Dans
cette perspective, le réinvestissement habitant est une réponse à la perte de moyens
d’action sur le milieu de vie provoquée par les institutions sociales, économiques et
politiques. Ceci trouve un écho particulier avec une longue tradition européenne de
réflexion intellectuelle et d’expériences de la déconnexion.
L’anarchisme a probablement représenté les formes les plus originales
d’autonomisation qui se sont développées dans l’histoire du mouvement ouvrier à
côté des expériences anarcho-syndicalistes, depuis les phalanstères de Fourier au
début du XIXème siècle (Fourier, 1808), les expériences de « milieux libres » au début
du XXème siècle (Anonyme, 2005), jusqu’aux mouvements anti-propriétaires et les
squats des immeubles des grandes villes. Mais c’est dans les années 1960 et 70 que
les alternatives ont été les plus avancées, alimentées par la démarche situationniste et
plus généralement par les critiques portées tant au capitalisme qu’aux formes
centralisées du socialisme d’État. Le moment autogestionnaire en particulier a
déplacé l’idée d’autonomie de la production à une autonomie de la sphère sociale
dans son intégralité, ouvrant sur des expériences souvent éphémères mais nombreuses
de communautés rurales ou urbaines, et d’espaces pédagogiques autogestionnaires
(Georgi, 2003, Boumard et al., 1995).
Le squat en tant qu’action politique et culturelle a une longue histoire en France.
Depuis la fin du 19° siècle, les squats ont mêlé critique de l’urbanisme moderne, du
capitalisme, de l’action caritative et des mouvements artistiques. Quelques moments
importants pour les squats en France peuvent être identifiés. Le premier moment
remonte à la fin du 19° siècle, avec la création des comités anarchistes contre la rente,
bientôt fédérés en Ligue des anti-propriétaires, en 1877. Le mouvement grandit avant
et après la première guerre mondiale. Avec Georges Cochon comme leader
charismatique, les différentes structures organisèrent des milliers d’occupations et de
squats d’appartements vacants. Après la guerre, le groupe, renommé Union
confédérale des locataires de France et des colonies, a plus de 100 000 membres.
76
Un second moment commence après 1945, lorsque les appartements manquent. Le
mouvement, issu du Mouvement populaire des familles, prend une tendance plus
religieuse que les premières campagnes anarchistes, et se concentre sur le relogement
des familles sans-abri. Durant l’hiver 1954, l’abbé Pierre lance sur les ondes un appel
désormais fameux en faveur des sans-abri, qui permet de réunir plus de 500 millions
de francs. L’abbé Pierre crée dans la lancée les Compagnons d’Emmaüs, qui devient
l’une des organisations caritatives les plus importantes, portant secours et assistance
aux personnes les plus nécessiteuses.
Dans les années 1970, le développement des communautés autonomes a initié des
milliers de squats, la plupart libertaires et auto-gérés. Mais le mouvement ne dura pas
et les années 1980 connurent un large déclin des squats en France. Les squats existant
aujourd’hui dans les grandes villes suivent ou réinventent les principales idées des
expériences passées, mais elles font face à un contexte plutôt différent. Le virage
libéral et sécuritaire de la politique nationale fait des squats un processus vraiment
marginal, confronté à l’harassement administratif et à la répression policière. Dans ce
contexte, de nouvelles ONGs nationales se sont créées pour militer en faveur de
l’occupation des appartements vacants, à la fois à un niveau politique et par des
actions directes telles que les squats illégaux. Droit au logement (DAL), créé en 1991,
est l’une des institutions les plus actives qui aide les sans-abri et les étrangers dans
leur réclamation d’un logement.
Les squats contemporains reposent sur une philosophie qui combine une critique du
capitalisme urbain à l’origine de la ségrégation et de l’exclusion, un idéal de vie en
commun et d’autogestion, une approche alternative de l’art. A travers des contacts
directs et un dialogue entre squatters et voisinages, aussi bien qu’à travers une action
directe autour des squats, la plupart des expériences présentent une ambition claire de
connecter les activités et la philosophie du squat avec son environnement immédiat.
Les conflits constants entre les squats et les autorités ou propriétaires créent aussi,
même par la négative, des situations qui interpellent (dans le sens de l’internationale
situationniste). La plupart des squats -c’est aussi un attendu- sont conduits à durer
assez peu et à disparaître.
Ces dernières années, le nombre de squats artistiques dans des terrains, des usines ou
des immeubles désaffectés s’est accru. Un rapport national édité par le ministère
français du patrimoine et de la décentralisation culturelle présente plus de 30 projets,
dont 23 projets locaux. Quelques uns sont de vrais squats, tandis que d’autres
présentent des structures plus institutionnelles. En fait, la situation de la plupart de ces
squats artistiques est moins problématique que les squats politiques ou les squats de
pauvres : l’institutionnalisation et le support des pouvoirs publics est beaucoup plus
sensible que pour les autres types de squats30.
G. La réappropriation symbolique de l’espace public
La notion d’espace public reste en France une réalité appréhendée sur un mode plus
symbolique que matériel, qui peut faire l’objet de mobilisations écologiques, mais qui
sont alors rapportées à une écologie mentale. Deux exemples de mobilisations
associatives le révèlent. Des citadins se ressaisissent de l’espace public en
revendiquant non pas une gestion en bien commun, mais son caractère public
inaliénable, c’est-à-dire non marchand.
30 http://www.institut-des-villes.org/public/theme.php?id_thema=12
77
Le mouvement anti-pub s’est développé en France à partir de 2003. Au départ, il est
le fait de groupes nombreux (plusieurs centaines de personnes) qui investissent les
transports parisiens et interviennent directement sur les affiches publicitaires, par des
inscriptions détournant les messages publicitaires, des collages, et de la peinture. Ils
distribuent également des tracts expliquant leur motivation. A la troisième action, les
policiers arrêtent 300 militants, dont 62 seront poursuivis par la justice, ainsi que les
concepteurs du site Internet qui a diffusé l’information sur l’opération. La Régie
publique de transport réclame alors 1 million d’euros de dédommagement aux
accusés. Les médias s’emparent de l’affaire et multiplient les reportages sur le
mouvement. Alors que le mouvement se propage à d’autres villes, le procès fait
craindre aux militants des réactions encore plus fortes contre leurs actions. En avril
2004, la plupart des militants plaident non coupables et sont relaxés, mais les actions
de masse dans le métro vont cesser pour faire place à une multitude d’autres
opérations. A travers des opérations comme la journée sans achat, ou l’année sans
marque, les associations structurent leur action et reçoivent un écho plus grand dans
les médias. Elles attaquent à leur tour en justice les propriétaires de panneaux
publicitaires installés illégalement sur l’espace public. L’une de ces associations est
également éditrice du bimestriel La Décroissance, qui connaît des débuts fulgurants
en 2004, et atteint un tirage de 45000 exemplaires31 en 2006.
Les actions directes reprennent à la fin de l’année 2005, notamment sous la houlette
du « collectif des déboulonneurs », et consistent à intervenir sur de grands panneaux
publicitaires, pour y inscrire des slogans critiquant la pub. Si l’humour et le
détournement sont encore parfois au rendez-vous, le collectif a cette fois un message
plus politique et réformateur : une revendication consistant à ramener la taille de
toutes les affiches publicitaires à 50x70 cm, et la volonté manifeste de se faire arrêter
par la police et traduire en justice, pour « provoquer un débat », et « faire le procès de
la publicité ». Ces principes d’action se revendiquent de la désobéissance civile, et
s’inspirent des pratiques à peine plus anciennes des « faucheurs volontaires » contre
le développement des cultures OGM, ou encore des actions des militants de
Greenpeace. Ils se rapprochent aussi d’une contestation globale de la mondialisation
libérale et marchande : « Notre espace public est devenu la proie d’une poignée de
transnationales qui sont à la tête de l’économie de marques, avec son cortège de
maux planétaires : délocalisations, exploitation éhontée du tiers-monde,
marchandisation des ressources naturelles, de la culture, et, pour finir, des êtres
humains eux-mêmes. »
Du point de vue de l’action directe, les premiers militants anti-pub revendiquaient
autant la dimension contestataire contre l’omniprésence de la publicité que le principe
d’une réappropriation collective de l’espace public : un témoin décrit ainsi l’ambiance
de la seconde opération dans le métro parisien : « Il y a le sentiment de se
réapproprier l’espace. On ne fait pas la révolution mais on reprend un peu la
maîtrise de notre environnement, on décide de ne plus subir la laideur
publicitaire »32. Les actions plus récentes s’éloignent d’une dimension locale et
pratiquée de l’espace sur lequel les militants interviennent. Sans pour autant s’affadir,
la dimension locale, spontanée et humoristique de l’action a cédé le pas à un contenu
et des modalités correspondant à une action politique plus classique.
Le « Collectif de Réappropriation de l’Espace Public (CREP) », à Strasbourg, mène
de son côté des actions visant à libérer l'espace public de formes d'occupation jugées
31 La décroissance revendique une parenté avec le magazine Adbusters, basé à Vancouver, qui se situe
sur des lignes proches, et qui tire à 120 000 exemplaires.
32 In « Barbouillage dans le métro » – http://www.blogantipub.org
78
aliénantes -automobiles, publicités, vidéosurveillance-, ou à en faire prendre
conscience, avec l'ambition de restaurer dans l'espace public une convivialité, un
partage, une expression libre. Les actions tablent sur la communication (site web) et
« l'envahissement évènementiel » : vélorutions -envahissement de la ville par les
vélos et autres objets à roues, une fois par saison- ; journées de déversements de
publicités en tas urbains ; messages placés sous les caméras de vidéosurveillance ;
collage de philactères sur les panneaux publicitaires ; écriture à la craie sur les murs
ou les chaussées, ... Pour rallier un nombre suffisant de volontaires, l'association est
partenaire des puissantes associations de quartier de la ville de Strasbourg.
L'association promeut un réinvestissement de la ville par ses habitants et s'oppose à ce
qui privatise ou marchandise l'espace public. "La rue est à tout le monde : nous
n’avons pas besoin d’autorisation pour habiter nos quartiers !"33. Comme pour le
mouvement anti-pub, la réappropriation de l’espace public est surtout symbolique : il
ne s’agit pas de planter, d’aménager, d’améliorer la sensorialité de l’espace, mais de
défendre le caractère public de l’espace public, contre sa marchandisation, sa
colonisation sémantique et les pollutions mentales subies par les citadins. Ces deux
exemples révèlent l’abstraction de la notion d’espace public en France, y compris
dans les combats les plus militants qui passent par une bataille de signes.
H. L’habitant vu comme supplétif
La place faite aux protecteurs des animaux donne un exemple bien différent
d'implication habitante directe des milieux de vie, et de transformation des modes de
gestion de l'environnement. Jusqu’en 1999, le chat errant était passible de fourrière.
Après, la loi le protège34, dans la mesure quelqu’un s’en porte responsable. Ces
nouveaux chats “libres” (ni domestiques, ni errants) peuvent vivre dehors, dans les
espaces publics. L’École du chat libre, association créée en 197835, est à l’origine de
cette politisation de la question du chat des villes. L’association - forte de plus de 180
comités, essentiellement dans le Nord, très urbanisé, et plutôt dans les villes où
existent des sociétés de capture, et de 600 adhérents en France - est composée presque
exclusivement de femmes qui se nomment elles-mêmes “ mères nourricières ” ou
“ nourrisseuses ”. Pourtant, explique un homme, nourrisseur de chats dans le 20ème
arrondissement, si les femmes sont nombreuses à s’occuper des chats errants, elles
ne le sont pas autant dans des organisations, telles que le WWF36, qui protègent des
espèces en danger, et non des petites bêtes inutiles ”. Il ajoute : “ Les femmes veulent
plus faire dans leur entourage immédiat alors que les hommes veulent agir sur des
33 www.crepstrasbourg.free.fr
34 Loi n°99-5 du 6 janvier 1999 relative aux animaux dangereux et errants et à la protection des
animaux.
35 Nathalie Blanc, Les animaux et la ville, Paris, Odile Jacob : p. 156
36 Worl Wildlife Fund, première organisation mondiale de protection de la nature, avec 4,7 millions de
membres à travers le monde et un réseau opérationnel dans 96 pays. Le WWF-France créé en 1973 est
une association loi 1901, reconnue d'utilité publique, avec un conseil d'administration composé de
scientifiques et de chefs d'entreprises, tous bénévoles, qui définit la stratégie du WWF-France et
contrôle la gestion de ses activités, un comité scientifique qui guide et appuie l'action de protection de
la nature du WWF, une structure permanente de 50 personnes (conservation, développement,
communication, administration), 100 000 membres donateurs qui, par leurs adhésions, leurs dons ou
leurs achats, soutiennent le WWF, et des centaines de bénévoles qui participent aux programmes de
conservation et aident au bon fonctionnement du WWF.
79
espaces beaucoup plus grands. ” L’habitant, a fortiori l’habitante, a un rôle supplétif
et interstitiel.
La place prise par les habitants en France témoigne notamment de la panne des
réformes administratives et des difficultés liées à la décentralisation. Elle a donc une
dimension d’action supplétive. En rester serait cependant insuffisant. En effet, les
politiques d’environnement apportent des innovations, de trois types. D’une part, leur
dimension fortement procédurale, démocratique si l’on préfère, contraste avec les
gestions corporatistes de l’Etat. D’autre part, elles permettent de donner la parole,
selon des conditions évidemment complexes (liées notamment au problème des
experts scientifiques) à des entités jusque muettes. Enfin, elles s’intéressent à la
question des conditions de vie pour l’ensemble d’un territoire, et pas seulement au
bien être des humains résidents.
En effet, dans la construction de la société, le cadre de vie est un produit : le propre de
l’être humain est qu’il agit sur son cadre de vie et le formate à sa convenance et en
fonction de ses besoins. Dès lors, s’opère une connexion entre le cadre de vie et
l’espace public : d’un côté le producteur, de l’autre le citoyen. Cette déconnection est
ce qui fonde historiquement le politique dans les démocraties. La situation
aujourd’hui s’inverse : le cadre de vie n’est plus seulement un produit, c’est aussi un
agent. Autrement dit, la vie humaine est de plus en plus considérée comme un
processus d’interaction entre des individus physiques et leur environnement
géographique, biologique et chimique. Les questions de qualité de l’air, qualité des
paysages, du bruit ont pu être interprétées comme autant de signes de
l’individualisme contemporain et du refus de la « société ». Elles témoignent plutôt
aujourd’hui d’une complexification du rapport au monde et de la constitution du
cadre de vie en tant qu’espace public, autrement dit objet et cadre du débat collectif.
Cependant, alors que le cadre de vie pourrait être considéré comme le versant naturel
de la société, l’environnement constitue le versant social de la nature :
l’environnement se manifeste à nous comme un ensemble de conditions de possibilité
ou d’impossibilité du vivant. Au-delà des rares catastrophes naturelles, la question
récurrente est celle d’un environnement socialement construit, se manifestant
notamment par des risques et des catastrophes de plus en plus « manufacturées ». Les
questions environnementales se lient toutes à une fin possible de l’humanité et, avec
elle, des formes vivantes qui l’ont accompagnée. Cette perception du danger entraîne
des formes de solidarité les êtres humains sont amenés à faire alliance avec des
animaux, des plantes ou des milieux géographiques (fleuves, montagnes, forêts, mer,
zones humides…). La matérialisation des interdépendances entre les humains, leur
cadre de vie et leur environnement se produit, alors même que se construit la figure
limite de la Terre comme organisme. De cet organisme, les humains sont un élément
et se conçoivent, de plus en plus comme une sorte de virus destructeur. Une position
paradoxale : un virus malgré lui et qui a conscience de sa propre dangerosité. Il s’agit
peut-être d’une nouvelle version du caractère tragique de la condition humaine,
cette fois non plus référée à un au-delà inaccessible mais à un ici-bas fragile, que
l’existence même des humains précarise toujours plus.
Au moment où les humains se comprennent comme une partie du monde -et non plus
le stade suprême de la création-, le monde paraît leur échapper du fait de leur propre
action. Quelles sont les conséquences collectives et politiques de cette double
évolution -résurgence du corps et découverte du monde- ? Comment les structures
gouvernementales et administratives, conçues pour une période de domination de la
société sur la nature et de l’être social sur son corps, réagissent-elles et évoluent-
elles ? Conséquence immédiate de la rematérialisation du rapport au cadre de vie,
80
l’habitant apparaît comme une nouvelle figure politique. Figure dénoncée comme
régressive par rapport à celle du citoyen ou du producteur mais figure avec laquelle il
faut désormais compter. Et si l’habitant, tout en manifestant son refus de voir son
cadre de vie troublé, constituait une nouvelle ressource démocratique ?
81
Partie 3. Formes de renouvellement urbain : du
"fil en aiguille" au processus alternatif
Les études de cas présentées dans cette troisième partie, montrant la diversité des
formes d’investissement habitant des milieux de vie, en Russie, aux Pays-Bas, en
Allemagne et en France, ont été regroupées selon deux grands axes. Le premier
présente des formes de gestion en bien commun, soit de pieds et de cours
d’immeubles dans des grands ensembles (Russie), à l’initiative de femmes, soit
d’espaces verts de quartiers déshérités, pris en charge par les habitants. On observe la
transformation des paysages et une revitalisation environnementale, sociale, voire
économique, comme à Arnhem, aux Pays-Bas. Cette gestion en bien commun met
aussi en jeu un rapport à la terre, elle s’enracine dans un sol urbain qui se prête à une
transformation écologique. Le renouvellement urbain induit par l’évolution du cadre
de vie est progressif, incertain, il se développe de fil en aiguille, et se démarque
d’initiatives habitantes plus alternatives, visant à édifier un cadre de vie qui
constituerait en soi une proposition et une ambition de vie plus écologiques.
Ce pourquoi le deuxième axe a été organisé autour de nouveaux modes d’habiter, se
développant à l’occasion de la réhabilitation de friches (Mika, Karlsruhe) ou de
projets d’éco-construction (Eva-Lanxmeer à Culemborg, Hjortsoy à Aarhus, projets
d’autopromotion en France). Nous avons eu la surprise de découvrir l’essor diffus en
France, en particulier depuis deux ans, de l’habitat groupé écologique. Ces
expériences s’inscrivent pleinement, à notre sens, dans une démarche de réhabilitation
de la vie en ville. Les écoquartiers conçus par des habitants en Allemagne, aux Pays-
Bas et au Danemark, et plus généralement les coopératives d’habitants existant en
Europe et au Québec, ont inspiré ces groupes d’habitants, déterminés à construire leur
éco-lieu, en interrogeant à la fois le sens et les pratiques de l’habiter. Les échanges et
la continuité entre les expériences françaises et européennes se sont révélés au cours
des entretiens.
Toutes ces expériences ont en commun d’avoir été des initiatives spontanées
d’habitants, caractère qui a présidé à leur choix. Elles ont été sélectionnées à partir
des trois états de l’art réalisés par les équipes partenaires du projet –l’institut de
sociologie de l’Académie des sciences de Moscou, ICLEI, les gouvernements locaux
pour la durabilité, à Freiburg-en-Brisgau, et l’Institut International sur
l’Environnement Urbain à Delft-, qui avaient recensé et analysé un certain nombre
d’initiatives. Le choix des terrains à approfondir pour la recherche a fait l’objet de
discussions avec les équipes, lors de séminaires à Paris et dans les différents instituts.
Nous avons eu la chance, grâce à la motivation de nos partenaires, d’avoir été
accompagnées sur le terrain pour conduire le travail d’enquête, lorsque nous en avons
exprimé le besoin (organisation des voyages, prises de rendez-vous préalables,
traduction simultanée des entretiens réalisés, réflexion collective sur les cas d’étude).
Que nos collègues en soient une fois encore chaleureusement remerciés. En Russie,
tout le travail empirique a été fait en étroite collaboration avec Irina Khaliy et Olga
Aksonova, sans lesquelles ce type d’enquête n’était pas envisageable.
Le travail empirique a également porsur des terrains, dans les différents pays, qui
n’ont pas été mentionnés dans ce rapport de recherche, parce qu’ils nous semblaient
plus classiques et afin de ne pas allonger démesurément cette troisième partie. En
France, par exemple, une recherche a été conduite sur les jardins partagés du 19°
82
arrondissement parisien, ayant fait l’objet d’un mémoire de master37. En dépit du
grand intérêt de l’étude, centrée sur les motivations et pratiques des habitants
jardiniers, nous n’avons pas inclus cette analyse dans le rapport final. Nous avons dû
faire face à une « matière » excédentaire et opérer des choix parfois difficiles. Nous
aurions également souhaité investir certaines expériences identifiées par nos
partenaires, ce qui aurait nécessité d’autres phases d’enquête. En bref, ce travail
exploratoire ouvre des pistes qui nous semblent devoir se prolonger au-delà de ce
rapport de recherche. Ce type d’innovation sociale nous semble en effet déterminant
dans la perspective d’une ville durable.
Au final, et bien qu’une analyse comparative reste encore à construire, ce que nous
n’avons pas eu le temps d’entreprendre, nous espérons avoir montré à la fois les
germes d’un nouvel engagement écologique et la convergence de ces approches
diffuses, « bottom-up », qui s’attachent aux modes de vie et d’habiter et au
renouvellement des environnements urbains. Lorsque les enjeux politiques s’ouvrent
à la question écologique, les formes d’engagement politique passent par la
transformation de la matérialité à la fois des milieux et des modes de vie. Il nous a
semblé dès lors, du point de vue des politiques publiques, qu’aider les habitants à
devenir des acteurs de leurs modes de vie, des auteurs de leur environnement proche
et lointain, de l’aménagement écologique de leurs quartiers, était une voie plus
prometteuse que la construction de cadres de vie dont la durabilité serait préfabriquée.
1. Revendications d'une gestion en bien commun
A. Prendre en charge. Tver
L’expérience de Tver s’appuie sur le végétal comme élément central de
requalification des lieux de vie, pour déboucher sur une prise en charge collective de
la maintenance d’un îlot d’habitation délaissé aussi bien par l’office public de
logements que par les habitants eux-mêmes. Ce processus a été appuyé par une
association locale, celle du jardin botanique de la vieille ville attaché à l’université, et
par le programme de recherche russo-néerlandais financé par le programme MATRA
du ministère néerlandais des Affaires étrangères, impliquant des sociologues de
l’environnement rattachés à l’Académie des Sciences de Moscou, visant à appuyer la
mise en place d’agendas 21 locaux en Russie (2001-2004). Il est nécessaire, pour
comprendre ces mobilisations, de rappeler l’importance physique et politique des
espaces verts dans les villes russes, espaces qui modèlent leur morphologie, assez peu
dense, leur urbanité, leur sociabilité. L’espace extérieur est un espace de
compensation par rapport à l’exiguïté des logements. C’est aussi un espace de relation
collective et personnelle à la nature. On prend la liberté d’y planter, par exemple. Les
parcs et jardins publics sont très fréquentés. La préservation des trames vertes reste un
thème central d’amélioration de l’environnement urbain. Dans le cas de Tver mais
aussi de Moscou et de bien d’autres villes, les espaces verts ont d’autre part
d’excellents porte-parole universitaires, puisque les biologistes sont à l’initiative de la
plupart des associations environnementales. Si l’on ajoute à cela l’existence d’une
écologie urbaine très préoccupée de biodiversité, on comprend la rémanence du
thème de la nature dans les mobilisations en faveur de l’amélioration de la qualité de
37 Stéphanie Le Dantec, 2008. Les jardins partagés, un espace de réconciliation ?, mémoire de M1 de
l’Université du Maine, sous la dir. de C. Emelianoff.
83
vie. D’une manière plus pragmatique, on relèvera aussi que les associations se sentent
plus impuissantes dans le domaine de la qualité de l’air par exemple, tandis que les
espaces verts constituent un champ d’action ancien et légitime.
Patrimoine collectif (source : N. Blanc, C. Emelianoff)
Environnementalisme civique : le pôle du jardin botanique
Tver, ville d'étape sur la route qui va de Moscou à Saint-Pétersbourg, comporte 400
000 habitants et connaît une situation économique critique, ce dont témoigne la
détérioration du patrimoine bâti et des chaussées. La municipalité actuelle semble
plus préoccupée par les affaires que par la gestion urbaine. Son patrimoine historique
mineur (les maisons de ville en bois) est actuellement menacé par les constructions
modernes qui s’érigent dans les parties les plus centrales de la ville. Le patrimoine
des Lumières, lui, fait l’objet d’une protection.
Le mouvement environnementaliste à Tver s’est structuré autour du jardin botanique
conçu au XVIIIème siècle, le plus ancien et un des plus célèbres de Russie. Acquis
par l’Université, il fait aujourd’hui office de conservatoire des espèces locales : « Le
but du jardin botanique est d’apprendre aux gens à préserver la biodiversité dans la
ville »38. Adossé au jardin botanique, un Club écologique s’est constitué en 1994,
dont la mission est l’éducation à l’environnement, mais aussi la préservation de la
faune et de la flore. Il organise des actions de nettoyage des espaces naturels avec des
éco-volontaires, des excursions naturalistes, et intervient dans les écoles et dans les
médias pour sensibiliser le public. Animé par des biologistes écologues de
l’université, une vingtaine de volontaires permanents et d’autres plus ponctuels, le
Club écologique de Tver a initié un agenda 21 local, suggéré par l’équipe de
chercheurs russo-néerlandaise, dont le projet de démonstration est l’organisation
collective d’un jardin au milieu d’un des grands ensembles de la ville.
Le projet pilote du jardin collectif s’inscrit dans une stratégie pour développer une
trame verte en ville, rédigée par le Club écologique et publiée grâce au soutien
financier de MATRA. Cette stratégie se réfère à l’Agenda 21 de Rio et est présentée
38 Entretien, directeur du jardin botanique, mai 2004, Tver.
84
comme une partie de l’agenda 21 local de Tver. Les questionnaires qui l’ont précédée
ont mis en évidence l’attachement des habitants aux espaces verts « pour se reposer,
communiquer avec la nature, pour la santé mentale »39. L’agenda 21 est donc une
initiative associative impulsée par des scientifiques (historiens du côté du jardin
botanique, biologistes du côté du Club écologique, sociologues pour l’Académie des
Sciences), qui implique assez peu la ville : « Nous voulions que ce soit porté par une
ONG et pas par la municipalité »40. De toute façon, le service de l’environnement
fédéral (il n’existe rien au niveau municipal), qui a d’ailleurs été dissous, ne
s’occupait que du contrôle de la pollution, aux côtés de l’inspection sanitaire. Les
cadres de la ville se désintéressent d’autre part d’une initiative a priori peu
« solvable ». Ils sont soupçonnés d’entretenir des rapports étroits avec la mafia. Le
service des espaces verts entretient le parc végétal mais ne se soucie pas de
biodiversité.
Le Club écologique organise néanmoins plusieurs rencontres pour tenter d’obtenir le
soutien de la ville. Des représentants de la ville sont invités au séminaire de recherche
avec les sociologues de l’Académie des sciences, sans succès. Lors du lancement de
l’agenda 21, en 2003, une grande réunion rassemble 300 personnes : quelques
représentants municipaux et régionaux, des représentants associatifs et des activistes
surtout. Il existe au minimum une écoute puisque le Club écologique a été ensuite
invité à présenter sa stratégie pour le développement d’une trame verte à
l’administration municipale et régionale.
Face à la difficulté de mobiliser les pouvoirs locaux, le Club écologique se tourne
vers les habitants qui peuvent faire pression sur les députés, et surtout légitimer cette
initiative. L’association saisit l’opportunité d’une demande que lui adressent des
habitantes pour inscrire son action dans un quartier populaire, un grand ensemble
périphérique jouxtant un district industriel.
Les femmes et la revalorisation des pieds d’immeuble
Au départ, les femmes de ce quartier s’étaient adressées au jardin botanique. A partir
de l’échange de conseils et de graines, germe l’idée d’un jardin collectif. L’idée du
Club écologique est de créer un coin de nature et de récréation qui offre un agrément
comparable au jardin botanique de la vieille ville. Il faut souligner que
l’environnement du quartier est en déshérence, marqué par les terrains vagues,
l’absence d’aménagement. Au fur et à mesure du processus, les habitantes vont
s’impliquer dans des aménagements de plus grande ampleur que les plantations
initiales. Une des premières actions menées, en 2001, est la création d’un jardin
d’enfants dans la cour de l’immeuble, à partir de matériaux de récupération : des
pneus, des radiateurs, des pierres et des briques, des arceaux métalliques pour les
toboggans et balançoires, qui ont été trouvés ou donnés, réparés et repeints. Ce projet
entraîne l’adhésion d’un groupe d’habitants, surtout des femmes, mais on compte
aussi des enfants et des adolescents, qui participent aux travaux de peinture et de
jardinage. Elles sont employées, vice-directeur d’école, propriétaires de leurs
logements et touchent un faible salaire (environ 90 euros). Le jardin d’enfants est le
premier élément de requalification de l’îlot. Il déclenche une dynamique de
réappropriation des espaces communs.
39 Entretien, présidente du Club Ecologique de Tver, mai 2004, Tver.
40 Entretien, présidente du Club Ecologique de Tver, mai 2004, Tver.
85
A côté du jardin d’enfants, on va bientôt installer une table, des chaises, qui
permettent de prendre le thé ou des collations. Des repas sont organisés dans la cour.
Les pieds d’immeubles sont progressivement mis en culture, dessinant des jardinets
fleuris séparés par des bordures de pneus peints ou de rocailles. Chacun peut suivre
son inspiration. Le Club écologique conseille les habitants et veille à la biodiversité,
en donnant des plants ou des graines d’espèces locales, un moyen de les préserver.
Les plantations vont bon train, métamorphosant les espaces publics. Le travail ne se
fait pas au nom de l’agenda 21, expression qui en russe « n’a pas de sens », mais de
l’amélioration des conditions de vie, de l’embellissement. Auparavant, « il y avait un
seul arbre ». Certains habitants sculptent des statues de bois, qui viennent ornementer
les jardins, comme dans les parcs des grandes villes. « Elles voulaient que ce soit
beau, aussi beau qu’ailleurs, comme au jardin botanique »41.
Ce travail sur les extérieurs s’accompagne d’une réfection des parties communes :
peinture des cages d’escalier, des portes, nettoyage, entretien. En raison de la quantité
de travail, un volontaire a été élu dans chaque immeuble pour coordonner les actions.
Le groupe d’habitants, qui regroupe une quarantaine de personnes, pense que les
bénévoles devraient être payés pour cette tâche, et se substituer ainsi au service de
l'arrondissement en charge de l'entretien du parc de logements, qui n’assure plus
aucune maintenance.
La prise en charge complète de l’entretien des parties communes et des espaces
extérieurs par les habitants rend de plus en plus illégitime le fait d’acquitter des
charges mensuelles très élevées depuis la réforme de la gestion des services de
maintenance (entre 47 euros pour un 2 pièces et 59 euros pour un 5 pièces, soit la
moitié ou les deux tiers du salaire de ces employées). La question de l'élévation du
coût des charges est très sensible en Russie. Les services de maintenance fonctionnent
mal et tendent pourtant à rejoindre le coût réel du marché, tandis que les salaires et les
loyers publics demeurent très bas. A Saint-Pétersbourg par exemple, les loyers privés
sont environ 100 fois supérieurs aux loyers du parc public, et l'augmentation brutale
des charges les a fait s'élever à environ 9 fois le montant des loyers publics
(Bonneville, Troutchenko, 2001). Cette situation a conduit certains propriétaires à
restituer des logements dont ils s'étaient portés acquéreurs il y a quelques années ; on
parle à ce sujet de déprivatisation.
A Tver, c’est une autre voie qui a été choisie. Les femmes ont initié un procès pour
récupérer l’argent des charges. Elles réclament une gestion en copropriété directe : un
responsable rémunéré par immeuble, la suppression des charges d’entretien. Il faut
souligner la nouveauté de ce recours en justice dans le contexte russe, qui exprime
une forme de démocratisation de la vie publique. Loin d'être un cas isolé, le recours à
la justice se normalise. L'institut EkoJuris, par exemple, implanté à Moscou, est
constitué de femmes juristes consultantes qui expliquent aux populations leurs droits
en matière d'environnement et les accompagnent dans leurs réclamations, des
demandes d’information auprès des institutions jusqu'aux plaintes et procès (Khaliy,
2000).
41 Entretien, présidente du Club Ecologique de Tver, mai 2004, Tver.
86
Pied d'immeuble (source : N. Blanc, C. Emelianoff)
B. Sauvegarder la qualité de vie dans un environnement dégradé.
Nijni Novgorod
Le cas étudié dans la ville de Nijni Novgorod est plus abouti en matière de
changement de régime foncier mais révèle les mêmes préoccupations : refus de
l’explosion des charges, attachement aux espaces verts. Cette ville industrielle d’1,4
million d’habitants est une ville fermée du complexe militaro-industriel jusqu’à la fin
des années 1980, période les fermetures d’usines sont massives. L’état de
l’environnement s’améliore, mais reste préoccupant : « On est dans les 20 villes les
plus polluées de Russie, 15 fois plus que les normes autorisées. On ne peut pas
résoudre cela sans adopter le standard européen pour le gasoil et les automobiles »42.
Si les habitants paraissent impuissants à modifier cet état de fait, ils ne s’impliquent
pas moins dans des luttes visant à préserver leur qualité de vie, souvent au plus près
de leur logement.
Mobilisation habitante et sauvegarde des espaces verts
Les premiers problèmes environnementaux identifiés à Nijni par Eco-Dront, une
plate-forme associative puissante qui réunit 35 éco-ONGs, sont la pollution
automobile, l’absence de parkings et la construction des espaces verts par des
promoteurs couverts par la municipalité. La crise financière des pouvoirs locaux liée
à la décentralisation (les charges transférées étant plus importantes que les budgets
afférents) les conduit à vendre le sol municipal pour retrouver des marges de
manœuvre, et des profits qui ne sont pas toujours traçables. Selon l’association
EkoJuris, l’opposition à la construction illégale dans les espaces verts est l’objet de
mobilisation dominant dans les villes russes. Le directeur d’Eco-Dront confirme :
« 95% des citoyens sont concernés par les problèmes environnementaux. Ils ne
s’inquiètent pas de la pollution industrielle mais de la construction des espaces verts.
Il s’agit de la majeure partie des mobilisations, des groupes d’action, contre la
densité »43. Il serait trop simple de penser qu’il ne s’agit que d’un effet Nimby, pour
deux raisons : la sensibilité des Russes à la nature est vive et les espaces verts
42 Entretien, Membre du comité régional de l’environnement, mai 2006, Nijni Novgorod.
43 Entretien, mai 2006, Nijni Novgorod.
87
représentent la principale aménité environnementale en ville. Il existe dans les villes
russes de nombreuses mobilisations similaires, qui ne sont pas toujours couronnées de
succès. Yelena Shomina, sociologue moscovite spécialiste des mouvements
d’habitants, explique : « A la fin des années 1980, de nouveaux groupes
communautaires indépendants se forment, premièrement parce qu’il y avait une
sensation de liberté, deuxièmement contre la dégradation de l’environnement urbain.
Ils voyaient à l’étranger leur qualité de vie en miroir »44.
Deux catégories de terrains sont concernés par les nouvelles constructions : les jardins
et cours d’immeuble, et les vieilles maisons en bois qui font l’histoire des villes, et
dont la destruction suscite deux types de réactions : « Quand les autorités sont venues
pour construire, ceux qui avaient organisé leur environnement voulaient garder leur
bâti -on n’est pas sûr que cela a suffi pour ne pas les détruire-. Les autres acceptaient
les maisons neuves »45. On voit toute l’importance de la question de l’appropriation
de l’environnement immédiat par les citadins pour nourrir les mobilisations
environnementales.
Patrimoine en bois. Centre-ville de Nijni-Novgorod (source : N. Blanc, C. Emelianoff)
Parmi les luttes contre les constructions d’espaces verts, celle menée récemment dans
un district industriel de la ville est originale. Elle a en effet conduit au passage en
copropriété d’un sol municipal, au terme d’un procès, résultat pour le moins
inattendu. La municipalité souhaitait céder le terrain d’une cour d’immeuble à un
promoteur pour y implanter trois grands buildings. L’îlot concerné se trouve en
bordure d’une zone industrielle polluée, sans espace vert à proximité. Il est composé
de 5 barres d’immeubles de 5 étages datant de l’époque de Khrouchtchev, parmi les
44 Entretien, juin 2006, Moscou. Et : (Shomina, 2004).
45 Entretien, responsable d’Eco-Dront, mai 2006, Nijni Novgorod.
88
plus détériorés en Russie (Amestoy, 2004), abritant 1500 personnes. La dégradation
concerne surtout les deux immeubles qui appartiennent à la municipalité et ont été
laissés sans entretien depuis des décennies, contrairement aux autres immeubles gérés
par une coopérative, ce qui fait dire à l’activiste du quartier qui assimile tout ce qui ne
relève pas d’une gestion étatique à une gestion privée : « la propriété privée est
beaucoup plus efficace »46.
Patrimoine khrouchtchévien. (source : N. Blanc, C. Emelianoff)
Les habitants redoutent les vibrations pendant le futur chantier, susceptibles de porter
atteinte à la structure déjà croulante des immeubles. D’autre part, le square et les
pieds d’immeubles comportent 800 arbres, plantés par les habitants il y a 20 à 30 ans.
« C’était un terrain vague. On a tout fait. Surtout les femmes, mais les hommes
participaient aussi »47. L’aménagement et la maintenance du square, les fleurs, les
bancs, les bordures, les jeux pour enfants, tout ce travail a été le fruit d’années
d’investissement de la part de certains habitants, qui se sont fabriqués un
environnement : « On voulait garder cette petite forêt car il y avait des endroits pour
les enfants ici, et un bois très agréable »48. La proximité de la zone industrielle et ses
incidences sur le quartier servent d’argument pour réfuter une attitude Nimby : « On
n’a pas d’air à respirer si on perd cet espace. Beaucoup de gens sont malades de la
pollution »49. L’usine adjacente d’électronique est à l’origine d’une concentration de
radon dans l’atmosphère qui est la plus élevée de la ville. Le radon est présent dans le
square, ce que l’étude d’impact environnemental du promoteur indiquait. Les
témoignages d’habitants concernant les cancers et les pathologies respiratoires sont
46 Entretien, activiste du groupe d’habitants, mai 2006, Nijni Novgorod.
47 Entretien, activiste du groupe d’habitants, mai 2006, Nijni Novgorod.
48 Entretien, activiste du groupe d’habitants, mai 2006, Nijni Novgorod.
49 Entretien, juriste d’Eco-Dront, mai 2006, Nijni Novgorod.
89
nombreux, mais difficiles à interpréter et à quantifier. Les personnes âgées du quartier
en parlent, « et elles meurent vite »50. Aucune étude épidémiologique n’a été menée.
Le comité fédéral de l’environnement, opposé à la municipalité, prépare un document
interdisant les nouvelles constructions dans cette zone.
La cour aménagée par ses habitants. (source : N. Blanc, C. Emelianoff)
De la propriété du sol à la gestion du logement
La mobilisation commence en 2004, à l’initiative d’une activiste qui constitue autour
d’elle un petit noyau d’habitants. Les lettres de plainte et les tentatives pour
rencontrer les responsables municipaux restent sans effet. Le groupe d’habitants
cherche d’autres solutions et fait appel à la juriste d’Eco-Dront, association qui trouve
une partie de sa légitimité51 dans ce rapprochement : « Pour réussir, on doit impliquer
les habitants face aux autorités »52. Les habitants découvrent alors qu’il est possible
de fonder un syndicat de copropriété composé d’une partie des propriétaires, ce que
les institutions régionales confirment. Il existe plus de 5 000 syndicats de
propriétaires dans la Fédération de Russie. Ces syndicats et les 16 000 (chiffre
approximatif) coopératives de logement ne gèrent que 8 % du parc de l’ensemble du
pays. Comme dans bien des cas en Russie, la Région est en opposition aux pouvoirs
municipaux, ce qui favorise les alliances entre les éco-activistes locaux et le pouvoir
50 Entretien, juriste d’Eco-Dront, mai 2006, Nijni Novgorod.
51 L’association travaille étroitement avec le comité régional de l’environnement, auquel elle a
d’ailleurs fourni quelques membres.
52 Entretien, responsable d’Eco-Dront, mai 2006, Nijni Novgorod.
90
régional, garant du respect des lois environnementales. Le foncier appartient à la
municipalité mais chaque propriétaire (80% des logements ayant été privatisés)
possède néanmoins de son vivant quelques millièmes de terrain. En se regroupant en
syndicat et en fusionnant ces millièmes, le terrain du square appartient
majoritairement aux co-propriétaires : la municipalité ne serait plus en droit de céder
le terrain au promoteur.
Le groupe d’habitants organise des réunions pour convaincre les habitants d’adhérer à
ce syndicat. Il s’assure du soutien de plus de la moitié d’entre eux. « La plupart des
habitants ont voté pour la création de ce syndicat. Un autre argument que nous avons
utilisé est que si l’administration ne nous soutient pas, nous devons nous battre, en
tant que propriétaires, car notre propriété allait perdre de la valeur et se dégrader peu
à peu »53. Les jeunes adhèrent sans difficulté mais les personnes âgées sont très
méfiantes : bien que les charges liées au logement soient disproportionnées au vu de
leurs pensions (environ 12 euros par mois), elles refusent toute forme de privatisation.
Le syndicat de co-propriétaires est mis en place au terme d’un procès pour récupérer
le foncier, et une charte est adoptée. Ce syndicat est le premier créé à Nijni pour un
immeuble ancien. Seul le centre de la cour appartient encore à la municipalité, mais le
territoire est trop réduit pour supporter une construction. Une majorité d’habitants
étant contre ce projet, la municipalité préfère ne pas continuer la bataille juridique.
Fort de cette victoire, le groupe d’activistes décide de ne pas en rester là. Le syndicat
réclame la gestion de l’immeuble, afin de pouvoir commencer à effectuer les
réparations nécessaires, à la place de la compagnie municipale qui en était chargée.
La difficulté du transfert de la gestion des charges tient à une obligation législative de
remettre auparavant les bâtiments en état, ou d’accorder au syndicat une forte
compensation financière (évaluée à 340 000 euros). Cet exemple créerait un
précédent et pourrait coûter très cher à la municipalité.
Aussi la ville décide-t-elle d’organiser un referendum, à l’été 200654, sur le type de
gestion des immeubles municipaux, afin de désamorcer l’initiative de ces habitants.
Trois choix sont proposés : une gestion par les syndicats de copropriété, une nouvelle
compagnie municipale de gestion, et une gestion par l’ancien service municipal. « Les
autorités insistent sur la deuxième solution et promettent monts et merveilles. (…)
Mais beaucoup d’habitants ne comprendront pas : il faut simplement remplir un
questionnaire et il y aura des falsifications. C’est une mauvaise situation si le vote
l’emporte. Nous devrons fermer notre syndicat »55.
L’activiste du quartier ne veut pas abandonner la lutte, en soulignant ses enjeux
financiers : « La municipalité reçoit beaucoup d’argent de la compagnie de
maintenance. Cette compagnie gagne beaucoup d’argent : le nôtre. En cas de
problème, nous en appellerons au gouverneur et au parlement régional. Il y a deux
voies d’action : soit un autre procès, long et coûteux, soit trouver des sponsors pour
faire de ce district un modèle, un bon exemple. (…) A Moscou, il y a de bons
exemples comme le nôtre car le maire évite les situations conflictuelles. On espère
que le gouverneur, qui connaît le cas de Moscou, va nous soutenir, sans conflit »56.
Cet exemple illustre bien l’interdépendance entre qualité de vie et autogestion
habitante, dans un contexte fortement marqué par la pénurie financière et le retrait du
secteur public (pouvoirs locaux et entreprises) en matière de gestion urbaine. Il
montre la transformation très lente du droit du sol sous l’effet de la jurisprudence,
53 Entretien, activiste du groupe d’habitants, mai 2006, Nijni Novgorod.
54 Date à laquelle la recherche s’est achevée, ce qui ne permet pas de connaître l’issue de ce conflit.
55 Entretien, activiste du groupe d’habitants, mai 2006, Nijni Novgorod.
56 Entretien, activiste du groupe d’habitants, mai 2006, Nijni Novgorod.
91
face à l’enlisement de la réforme du code foncier. Si le terrain du groupe d’activistes
de Nijni n’avait pas été géré préalablement en bien commun, il est peu probable que
les habitants aient trouvé des moyens de se défendre face au promoteur et à la ville.
La prise en charge par les habitants de leur environnement immédiat, qui s’appuie
aujourd’hui sur des luttes juridiques et la demande de transfert des charges, tente de
modifier les règles du jeu de la gestion urbaine, avec les plus grandes difficultés. Elle
peut conduire à des formes fragiles de privatisation des sols. Elle permet surtout de
maintenir un environnement vivable dans des villes en proie à des transformations
brutales.
C. Le végétal, levier du renouvellement urbain. Arnhem
À Arnhem, ville de 141000 habitants à l’est des Pays-Bas, proche de la frontière
allemande, l’investissement par les habitants de l’espace public urbain a bénéficié du
désinvestissement d’un quartier péricentral par les pouvoirs publics, puis de son
récent réinvestissement. Quelques éléments auparavant : le quartier qui a bénéficié de
cet investissement est composé de deux parties « Spijkerkwartier » au sud et
« Spoorhoek » au nord. Aujourd’hui, ces deux quartiers comptent 5691 habitants,
dont 30% de propriétaires et 7% de personnes vivant des minima sociaux, 73 % de
néerlandais et 50 % de célibataires avec enfants ou sans enfant. Dans les années 1970,
ces habitants sont des artistes, des étudiants, des gens aux faibles revenus. Ces
derniers habitent essentiellement à « Spoorhoek » au nord du quartier dans de
l’habitat social. Les gens aux revenus plus élevés se trouvent au sud, l’on compte
le plus grand nombre de maisons individuelles. Dans l’ensemble, c’est un voisinage
créatif au potentiel important en matière de transformation urbaine.
Lors de la seconde guerre mondiale, Arnhem, se trouvait le domaine des chasses
royales transformé aujourd’hui en parc naturel, est bombardée. Le quartier de
« Spijkerkwartier/Spoorhoek » construit sur 53 hectares entre les années 1850 et
1900, proche du centre, se transforme en un espace de relégation. Investi par les
réseaux de prostitution, par l’immigration turque, le quartier se dégrade
progressivement jusque dans les années 1970. Au milieu des années 1970, une
mobilisation se met en route. Les habitants décident de lutter contre la dégradation de
leur espace de vie et misent sur la végétalisation de l’espace public.
À cette période, une habitante (Gerda Van Steijn qui s’occupe aujourd’hui d’un des
jardins), blanchisseuse de métier, décide d’investir balconnières et jardinières et
d’inviter d’autres habitants de ce quartier à les fleurir : « ils ne veulent pas que les
mauvaises gens investissent leur quartier »57. Selon l’histoire aujourd’hui racontée par
un des principaux acteurs de l’histoire de ces jardins, le geste de la blanchisseuse
donna le coup d’envoi à ce qui constitue, de manière visible et structurante en termes
d’espace urbain, l’organisation collective par des groupes d’habitants de onze
jardins58, dans un quartier mélangeant aujourd’hui l’habitat social, des catégories
intermédiaires et des populations à revenus plus élevés. En effet, il est important de
noter qu’un phénomène de gentrification accompagne la requalification urbaine de ce
quartier. Par exemple, Loet Van Moll, habitant du quartier depuis les années 1970 et
volontaire voire leader de ce mouvement collectif des jardins et du « Groengroep »,
57 Entretien avec Loet Van Moll, 17 juin 2007.
58 Soit : Schooltuin, Kruidentuin, Ecologische tuin, Watertuin, Emmeplantsoen, Psttuin,
Bestedelingentuin, Achtertuin, Spoortuin, Boembakkenactie et Straatgroen. Le site du « Groengroep »
est : www. spijkerkwartier.net/wegwijs/groen
92
fondé en 1991 en regroupant les initiatives, a commencé sa carrière comme
paysagiste avant de se tourner vers la bande dessinée. Aujourd’hui, sa profession est
son hobby et, à l’inverse, son hobby dévore le plus clair de son temps. Ses
investissements dans la requalification urbaine du quartier ont néanmoins porté leurs
fruits puisque sa maison, achetée en 1987 50 000 euros, vaut dix fois plus
aujourd’hui.
Ce coup d’envoi, ce geste, reste encore aujourd’hui dans les mémoires inaugural ; des
balconnières, les femmes en sont venues à la plantation d’arbres et la plupart des
arbres du quartier datent donc de la fin des années 1970 ; puis, en 1983, quelques
habitants décident, à l’initiative d’un professeur de biologie, de créer un jardin
écologique dans une cour d’immeuble ; ils s’appuient sur la municipalité pour le faire.
Le jardin écologique est terminé en 1986 et associe à des plantes endémiques et des
zones de végétation dense des constructions de fontaines et de micro-lieux proches
des « folies » du 19ème siècle. Des artistes participent à la construction de ce « bijou
urbain » enceint dans un groupe d’immeubles ; un tel jardin permet, grâce au contrôle
social, de laisser les enfants jouer par eux-mêmes. Les gens qui aujourd’hui assurent
l’entretien du lieu sont au nombre de 15. Progressivement, d’autres habitants
s’impliquent dans l’initiative, en partie résolus à lutter contre les tentatives
municipales de construire les espaces interstitiels, notamment sur des friches. Ces
jardins qui sont créés procèdent tous d’une grande variété.
Le jardin écologique dans une cour d’immeuble (Source : N. Blanc, C. Emelianoff)
93
Le jardin d’eau, également dans une cour d’immeuble (Source : N. Blanc, C. Emelianoff)
Le jardin paysagé (Source : N. Blanc, C. Emelianoff)
94
L’art des jardins (Source : N. Blanc, C. Emelianoff)
Education éco-citoyenne (Source : N. Blanc, C. Emelianoff)
95
Distinguons les maintenant : Schooltuin est à l’origine le terrain de jeux d’une école
élémentaire. En 1976, l’école ferme. Les habitants suggèrent de transformer le terrain
en un lieu de repos pour les adultes. Un jeu de boules est aménagé. Arbres, buissons
et haies créent un sentiment agréable de paix. Kruidentuin, jardin d’herbes, est créé
en 1981 ; c’est un terrain de jeux pour enfants. Plus tardivement, le voisinage
développe des jardins d’herbes et de fleurs tout autour. Ecologische tuin remplace une
usine de cuir. Quand la ville propose en 1983 d’installer un parking à cet endroit, les
voisins protestent et, très vite, proposent et créent un jardin écologique. En 1986, le
jardin est inauguré. Watertuin : ce jardin d’eau s’implante en un lieu où se trouvaient
autrefois les mares de Gelders Spijker, dans une cour d’immeuble. Cela inspira les
habitants qui ont développé un jardin avec des grandes mares qui abritent des
grenouilles, salamandres et même des hérons venus pêcher. Le jardin ouvrit en
1993, après que la municipalité ait fait dépolluer les sols. Emmaplantsoen est situé sur
une avenue crée en 1877. Là se trouvait un parterre classique les habitants
interviennent. Pstuin, créé en 1996, dépend de l’eau qui coule le long des toits et se
dépose en cet endroit proche d’un pont de bois. Bestedelingentuin recouvre un ancien
orphelinat détruit en 1988. Achtertuin fut développé sur le site d’une ancienne grange
à grains (d’où vient le nom de Spijker) puis d’anciens ateliers d’artisans. Dans les
années 1900 il ne reste plus qu’un abri à charbon. Après sa démolition en 1985, un
jardin qui se situait entre tous les immeubles se développa, conformément aux désirs
des habitants. Spoortuin très fleuri remplace un jardin d’enfants qui n’est plus utilisé.
Boembakkenactie est composé d’une série de jardinières et Straatgroen est une rue
verte.
Il faut souligner la dimension politique de cette action ; le vert est synonyme de
résistance à bien des titres. Aujourd’hui, une cinquantaine de personnes dans le
quartier s’investissent dans les jardins et une centaine de personnes jardinent quelques
heures par semaine. Le « Groengroep » propose des excursions, des visites guidées,
offre des lieux naturels pour les écoles : plus d’une centaine de visiteurs par an… Par
ailleurs, la gestion de l’ensemble de ces jardins est devenue une tradition locale, avec
des réunions 4 fois par an, car les habitants souhaitent conserver un lien fort entre
eux. Une fois par an, grâce à l’argent distribué par la municipalité, le « Groengroep »
commande des végétaux. Le relais local avec les habitants s’opère en toute confiance
car comme le dit la municipalité, « il s’agit de marcher avec ceux qui marchent… ».
De conflictuelles, les relations sont devenues coopératives au fil du temps. Au début
des années 1990, à la suite d’une étude de la ville appelée « Nature dans votre
quartier » et des initiatives déjà prises par les habitants, de nombreuses parcelles
vertes sont identifiées pour des activités potentielles de jardinage. Il devient possible
de laisser pousser les pieds d’arbres, ainsi que les pieds de murs. De larges trottoirs
peuvent être plantés. Certains résidents se saisissent de l’initiative et plantent. C’est
ainsi que le programme « Rue verte » pris corps. Plus de cinquante personnes
s’engagèrent et rencontrèrent toutes sortes de difficultés : saleté, crottes de chien, et
vélos sous les arbres rendirent difficile leur appropriation. Le gestionnaire du quartier
fit placer des barrières autour des pieds d’arbres. Chaque année, une journée « rue
verte » fut organisée ; plus tard, elle se fondit avec la journée de célébration des
jardinières. Le « Groupe vert » a ensuite organisé une plus grande cohésion entre les
jardins et les personnes.
La politique urbaine est depuis devenue très volontaire en matière d’espaces publics
et d’espaces verts. La planification urbaine pour la période 2003-2015 est résolument
verte ; elle repose sur la requalification de l’espace public en jouant du végétal et de
l’eau, sur un double plan, horizontal et vertical ; la végétalisation des façades
96
d’immeubles est une idée qui vient des habitants. En outre, ce projet urbain prend en
compte la nécessité d’une rénovation des égouts, notamment par la séparation des
eaux de pluie des eaux usées. Les sols végétalisés et poreux assumeront le rôle de
réservoirs pour les eaux pluviales qui auront percolé dans le sol. Cette requalification
de l’espace public par la végétalisation et la valorisation d’espaces libres entre parfois
en conflit avec les intérêts économiques de la ville et le besoin écologique de
densifier le tissu urbain. Ceci est d’autant plus vrai que de grosses entreprises comme
la compagnie d’assurances Axa ont choisi de s’installer à Arnhem.
Ce projet urbain a fait l’objet d’une consultation auprès des habitants et les « plans
verts » ont été discutés par quartier. La ville d’Arnhem compte 25 quartiers et douze
d’entre eux ont l’équivalent de conseils de quartiers. Cette discussion participe d’une
longue tradition hollandaise de participation qui consiste à penser « qu’il faut parler
jusqu’à trouver une solution ». Des contrats sont passés avec les habitants afin de se
prémunir d’une mauvaise gestion ou de se protéger des risques de procès. Les espaces
de jardins sont concédés gratuitement par la municipalité, ainsi qu’un petit budget
pour l’entretien des jardins, la « rue verte » et d’autres activités, comme le « soir
vert ». Les habitants du quartier de « Spijkerkwartier/Spoorhoek » reçoivent par
exemple, par l’entremise du « Groengroep », 5 000 euros par an, ce qui leur permet
de financer les graines, les plants et les outils.
Ces groupes ou associations, bien que leur statut juridique ne soit pas toujours si
formel, sont clairement informés de leurs droits et devoirs à l’égard de la municipalité
et s’inscrivent dans la politique générale verte d’Arnhem. Il existe aujourd’hui 6
groupes équivalents à celui de « Spijkerkwartier/Spoorhoek » qui reposent sur du
volontariat. L’idée qui domine la politique de concertation est de garder le contact (de
bons contacts) avec la population de telle façon à préserver l’avenir, c’est-à-dire
rendre possible de grandes transformations quand cela s’avère nécessaire. Un tel état
d’esprit aide à construire un capital rentable de « confiance mutuelle ». La politique
d’Arnhem repose, comme dans d’autres villes erlandaises, sur l’idée d’assurer le
meilleur service aux citoyens.
Deux remarques. Un : les acteurs locaux ignorent le terme de « biodiversité » ou la
question du développement durable telle qu’elle a été énoncée lors du sommet de
Rio ; cela n’empêche pas un fort investissement écologique. Deux, du point de vue de
l’esthétique, un tel investissement représente un sommet. Premièrement, tant la
somme d’actions que le résultat sont considérables ; ces jardins, visités l’un après
l’autre, sont de petites merveilles de variété sur les plans esthétique et floral. Quand
on songe à l’effort fait pour accomplir sur plus de 20 ans ce réseau vert (qui, de
surcroît, semble avoir accru la biodiversité considérablement si l’on en croit les
observations des jardiniers et habitants), l’étonnement est complet. Pourquoi une telle
surreprésentation du vert et des jardins dans la requalification de l’espace ?
La réponse est bien entendu complexe, mêle différents aspects. Le jardin représente
tout d’abord un havre de paix dans la vie urbaine. Il faut noter que les villes en
Hollande sont désormais moins bruyantes que les campagnes, envahies par les
infrastructures sur un territoire qui se rétrécit comme une « peau de chagrin ». Dans
cet environnement, les jardins en arrière-cour d’immeuble sont des lieux de silence,
de tranquillité. Lorsqu’ils sont collectifs, ils sont utilisés pour la lecture, la détente, les
prières éventuellement, les jeux aussi ; ce sont des lieux l’on se retrouve assuré
d’un fonctionnement social paisible, les enfants peuvent jouer « en liberté » ; cet
espace symbolique consacre l’alliance des habitants, assure en partie le lien social. Ce
sont aussi des lieux de redéploiement du vivant, d’une vitalité, entre émerveillement
quotidien devant les spontanéités végétales et animales (le retour des hérons…) et
97
pratiques d’éducation environnementale pour les enfants (observations, panneaux
explicatifs sur la faune et la flore). Le bien-être recherché s’associe donc au projet de
cohabitation plus harmonieuse avec le vivant.
Ces jardins vont à l’encontre d’une éducation abstraite à la nature, théorique,
puisqu’ils permettent de s’assurer que le vivant est vivant, puisqu’il croît, prolifère, se
multiplie. L’investissement est incontestablement esthétique du point de vue de la
justification, mais aussi en termes de spectacle proposé aux yeux des citadins ; les
jardins sont des décors discrets, enchâssés dans le tissu urbain, de scènes et situations
riches, mais ils correspondent aussi à un investissement éthique et au projet d’une vie
meilleure aux différents sens du terme : collectif et individuel.
98
2. Actions alternatives/ L'habitat groupé écologique
La liberté qui consiste à agir sur son environnement immédiat, à en être le co-auteur,
est un des moteurs du retour à la terre, ou du rêve pavillonnaire. Elle commence à être
revendiquée en milieu urbain. L'habitat groupé, élan collectif vers un autre habiter, en
constitue une des expressions les plus abouties. Cette forme d’investissement habitant
des milieux de vie passe par des projets alternatifs qui sont à la fois des projets de
société et des projets de vie, les deux étant indissociables dans une visée pragmatique.
Les travailleurs d'Habitat et Participation, collectif d'habitat groupé belge, proposent
une définition de l'habitat groupé : "Il s'agit bien souvent de petites habitations de vie
regroupées sur un espace donné et avec un ou des espaces communs (pour prendre
un repas, pour réaliser une activité, pour s'ouvrir collectivement vers l'extérieur). A
ces dimensions spatiales et collectives, il faut ajouter la dimension volontariste : c'est
un choix tant de la personne (de la famille) qui rejoint le groupe que du groupe qui
peut ou non accepter ce/ces nouveau(x) venu(s). Enfin une dernière dimension, celle
de la temporalité! est venue s'ajouter au fil du temps : l'habitat groupé se structure
dans le temps avec des évolutions possibles en matière de règles internes de vie,
d'organisation des espaces, de projets communs, etc.59"
L'essor, depuis deux ans en France, de l’habitat groupé s’inscrit dans un double
contexte : la crise du logement, poussant à rechercher des solutions de mutualisation
des coûts du logement, et la montée en puissance de la problématique du
développement durable territorial, qui rend chacun un peu responsable de l’avenir de
la planète, et qui engage les territoires dans la promotion de nouveaux modes de vie.
La préoccupation économique des groupes d’habitants est aussi une préoccupation
sociale : développer un type d’habitat accessible aux personnes en difficulté et
partager des moments de vie et des espaces, au-delà de la seule mutualisation des
coûts ; refuser, pour ceux qui en auraient les moyens, les processus d’endettement et
de spéculation immobilière. L’habitat groupé se situe donc à la confluence de
préoccupations économiques, environnementales et sociales. Les expressions
hybrides fleurissent d’ailleurs dans la bouche des porteurs de projet : construire un
habitat solidaire et durable, diminuer notre empreinte économique et écologique,
mettre en place une écologie de moyens, etc. Nous retrouvons non seulement le
triptyque du développement durable, mais une éthique de la réinvention du vivre
ensemble, une évolution culturelle ayant trait au mode d’habiter, et une revendication
plus politique d’ « habiter autrement ».
Nous verrons au cours de cette synthèse que l’habitat groupé transforme, dans les
années 1970-80, les idées de la contre-culture en propositions bâties. Selon Christian
La Grange (2008), le mouvement de l’habitat groupé autogéré apparaît au Danemark
dans les années 1960, avant de s’exporter en Europe. Une cinquantaine de réalisations
verront le jour en France, avant que le mouvement ne s’essouffle puis renaisse, très
récemment, avec le désir de vivre dans un écoquartier ou un éco-lieu. Inspirés par les
expériences d’écoquartiers co-conçus par des habitants, qui s’instituent en références
(Vauban, EVA-Lanxmeer, Hjortsoy, Kersentuin, …), des groupes d’habitants
promoteurs se créent aujourd’hui sur l’ensemble du territoire français,
majoritairement en milieu rural, mais aussi, fait plus innovant pour notre étude, en
milieu métropolitain. Le rejet de la ville est en voie de dépassement, dans la mesure
59 www.habitat-participation.be
99
où il devient possible de ne plus sacrifier en ville la dimension écologique de
l’habiter. Cette attitude pro-urbaine est le fait de jeunes actifs travaillant en ville, à la
fois acculturés aux milieux urbains et conscients de l’impact écologique de l’habitat
diffus, comme nous avons pu le vérifier au cours de nos enquêtes. Si la plupart des
projets concernent des constructions neuves, certains imaginent de réhabiliter des
friches ou de convertir des bâtiments pour un usage d’habitation. Une étude de cas en
Allemagne nous montrera que l’éco-réhabilitation de friches par les habitants est
engagée depuis les années 1980, tout en étant bien moins médiatisée que la
construction d’écoquartiers neufs.
Cette évolution pose deux questions relatives à notre problématique de recherche :
(1) La démocratisation de la fabrique de l’environnement urbain ne conditionne-t-elle
pas l’essor de l’urbanisme durable, c’est-à-dire le désir de vivre en ville, la baisse des
coûts, mais aussi l’enrichissement de cet urbanisme par des innovations sociales et
démocratiques ? Cette problématique, nous le verrons, n’est pas forcément nouvelle.
Les réflexions autour de l’habitat groupé autogéré dans les années 1970 conduisaient
au même diagnostic : « L’intervention des habitants, selon des modalités variables,
en fonction du problème posé, nous paraît être un moyen essentiel qui nous permette
de retrouver notre capacité collective à produire de vraies villes. Les démarches de
conception collective de l’habitat et au-delà de la ville ont été, à ce jour, assez
rares » (Bonnin, 1983, p 135).
(2) Face aux difficultés que rencontre l’action publique dans les opérations de
renouvellement urbain -déclin de quartiers centraux ou péricentraux lorsque le parc
privé délabré fait office d’habitat social, héritage difficilement gérable des fortes
concentrations d’habitat social ou au contraire processus de gentrification des friches
et secteurs réhabilités-, les opérations d’habitat groupé ne sont-elles pas un facteur de
requalification et de mixité urbaines, à une échelle fine ? Le fait de pouvoir rester
dans la ville centre est une revendication courante des groupes : « Il s’agit de
permettre à des personnes modestes d’accéder à un habitat de qualité (construction,
exigence en termes écologique, social, beauté d’un lieu…), de demeurer dans des
quartiers en renouvellement urbain ou en rénovation »60. Le déploiement de l’habitat
groupé, en complément des politiques de logement social, pourrait instaurer une
forme de mixité peu coûteuse pour les pouvoirs publics, porteuse de vivre ensemble.
Il semble que les habitants soient en capacité de s’imposer à la fois comme acteurs de
l’urbanisme durable et acteurs du renouvellement urbain.
A. Retour aux sources : le mouvement pour l’habitat groupé
autogéré (MHGA)
Les premières initiatives d’habitat groupé autogéré ont débuté en France en 1965,
mais elles restent plus nombreuses au Danemark, en Belgique, en Suisse, en
Allemagne, en Suède ou en Angleterre (Bernfeld et al., 1984). Elles se développent
pour des logements en accession à la propriété particulièrement en région parisienne,
et dans des contextes marqués par le mouvement coopératif, comme à Lille, Lyon et
Grenoble. C’est en 1977 que le mouvement prend l’ampleur d’un phénomène social,
en se constituant en association : le MHGA (Mouvement pour l’Habitat Groupé
Autogéré). La volonté d’aider les groupes à surmonter les difficultés financières,
juridiques et techniques, mais aussi de mettre en commun des expériences utiles à
60 Compte-rendu de la rencontre interrégionale du réseau Habitat groupé, Passerelle Eco, Morvan,
2008, p 2.
100
ceux qui cherchent, déjà, à « habiter et vivre autrement » motive cette organisation
(Bonnin, 1983, p 27). Il s’agit de pousser, comme aujourd’hui, au déploiement d’une
alternative en matière d’habitat accessible, solidaire, démocratique. La Charte du
MHGA parle de transformation progressive de la peur en plaisir de la différence.
La caractéristique de ces groupes d’habitants est leur fort investissement dans le
processus de conception, promotion, construction et gestion de l’habitat. Les
habitants se cooptent, définissent ensemble le programme puis le projet, en
collaboration avec un architecte ; ils prennent en charge les opérations
administratives, juridiques et financières habituellement effectuées par le promoteur.
Cela constitue en soi un renversement des pouvoirs habituels de l’époque, d’
l’adoption du terme « autogestion ». L’autogestion de l’habitat signifie trois choses :
l’auto-conception (2 ans ou plus), l’auto-promotion, et l’auto-administration durant la
durée de vie des bâtiments (Bonnin, 1983). Ce choix repose sur un engagement
politique : « Seuls militent au sein du MHGA les groupes et les personnes qui
envisagent l’habitat comme un problème également politique, au-delà de la
résolution des problèmes pratiques et personnels qui se posent à chacun » (Bonnin,
1983, p 9). Le mouvement sera appuyé par le Parti Socialiste Unifié, dans la
mouvance de la deuxième gauche. De l’usine à l’habitat et de l’habitat au lieu de vie,
le modèle autogestionnaire diffuse. Philippe Bonnin explique : « Les groupes
d’habitat autogéré représentent probablement la partie émergée de l’iceberg, de ce
mouvement d’habitants qui ne prennent pas simplement la parole sur commande mais
qui prennent bel et bien l’initiative et le pouvoir sur leur habitat, par une démarche
générale d’autogestion collective » (1983, p 9).
L’autogestion a des incidences sur l’organisation du programme bâti : « Ce mode
d’élaboration aboutit inéluctablement, au delà du logement de chaque famille dont
l’unité est respectée, à la construction d’un espace collectif, c’est-à-dire non
seulement à des locaux communs, mais aussi à un espace qui organise ou favorise la
communication entre les familles et non leur seule distribution à partir de l’espace
public » (Bonnin, 1983, p 8). Les locaux communs occupent 10 à 25% des bâtiments,
voire un peu plus dans les groupes ayant un fonctionnement communautaire. Ils sont
constitués d’espaces mutualisés venant en allègement de chaque logement (garage à
vélos, ateliers, chambres d’hôte, buanderies, …) et d’espaces de rencontre (salles et
cuisine communes). Tandis que les locaux collectifs résidentiels représentent à la
même époque 0,75 m2 par logement dans les programmes HLM, ils atteignent 8 à 10
m2 pour les groupes du MHGA. L’idée d’une transformation nécessaire des relations
entre individus, internes et externes à la famille, qui ne dissout pas la famille mais
l’ouvre sur un collectif plus large, traverse les groupes. Des pratiques intra-familiales
(entraide, mutualisation) sont ainsi étendues à la sphère extra-familiale. Un fort
sentiment de sécurité en résulte.
L’organisation sociale n’est pas seule en cause dans ce choix politique. L’enjeu de la
réappropriation des milieux de vie est déjà présent. Philippe Bonnin explique ainsi
que la production des grands ensembles, de l’habitat en série, est « l’histoire
exemplaire d’une dépossession. La critique de l’habitat qui en est résultée est connue,
redite à longueur de revues, de colonnes et d’émissions. Il ne répond que très
partiellement aux aspirations d’enracinement, d’épanouissement personnel dans une
société qui prône la mobilité et le changement perpétuels, peu sécurisants. Il ne tient
aucun compte du temps social des habitants, de leur passé résidentiel, du temps et des
conditions nécessaires à la constitution d’un tissu social local et ne s’en soucie guère
plus que des aspirations de ces familles, pourtant les mieux placées a priori pour
savoir ce dont elles ont besoin. Même les futurologues et prospectivistes ont compris
101
aujourd’hui, après des décennies d’extrapolation, de courbes systématiquement
infructueuses, que la meilleure prévision résidait dans les attentes de la
population » (1983, p 12). On s’interroge sur la fin « des boîtes à chaussure, des
clapiers, pensés par des inconnus pour des inconnus » (1983, p 28). L’analyse ne va
pas jusqu’à identifier les enjeux de réappropriation matérielle et sensible des milieux
de vie, comme ciment identitaire et social.
Les groupes constitués sont de 20 à 40 personnes (5 à 13 logements en moyenne), le
plus souvent des familles avec enfants. Sur la centaine de groupes dénombrés, la
moitié ayant porté leur projet à terme, 22% concernent des opérations de
réhabilitation. Les participants sont issus des classes moyennes, ayant souvent une
prédisposition à la vie collective, soit parce qu’ils sont issus de familles nombreuses,
soit parce que leurs expériences associatives ou militantes leur ont montré la voie
d’une transformation possible de la société, soit encore parce qu’ils ont gardé une
mémoire vive des solidarités de voisinage et se sentent déracinés. Leurs motivations
mêlent plusieurs registres : désir de vivre autrement, de manière plus solidaire et
collective ; accroissement des marges de manœuvre économiques car le coût du
logement est abaissé de 20 à 30% dans l’habitat groupé, ce qui permet d’accéder
éventuellement à un logement plus grand ; refus de la solitude ou du repli familial ;
désir de concevoir son logement ou de rendre plus écologique son cadre de vie pour
certains groupes (Bonnin, 1983). Un tiers des architectes impliqués habitent les
projets dans lesquels ils s’investissent. Il faut souligner qu’on retrouve dans les
projets actuels d’habitat groupé les mêmes motivations, les arguments économiques
(crise), sociaux (solitude et refus d’une forme d’individualisme) et écologiques
(modes de vie durables) paraissant simplement exacerbés.
Au delà de la formation de ces groupes de voisinage, c’est une nouvelle conception
de l’habitat qui se dessine, tant dans sa construction que dans son usage. Le MHGA
travaille dans le sens d’une banalisation de cette conception, en défendant l’idée
« d’un droit pour tous à concevoir et à gérer ensemble son lieu de vie » (1983, p 28).
Ces expériences ouvriront la voie aux « ateliers publics du cadre de vie » mis en place
par certaines municipalités dans les années 1980, l’arrivée au pouvoir de la gauche
ayant fortement ravivé l’intérêt pour la participation des habitants61. Toutefois, Pierre
Lefèvre, membre du mouvement, souligne : « il n’existe pas de véritable concertation
au plan national, ni avec le MHGA, ni avec les architectes que la démarche
participative intéresse » (in : Bonnin, 1983, p 130).
L’ampleur et l’ambition de la tâche fixée et l’absence d’aides, notamment financières,
pour pouvoir mener à bien ses objectifs (comme l’information des habitants par les
habitants, des lois pour légaliser la maîtrise d’ouvrage par les habitants, …), les
difficultés qu’ont eu les groupes à dépasser le cadre de leur aventure propre pour
participer, à l’échelon national, à une véritable action de transformation de l’habitat
sont autant de facteurs qui ne sont pas étrangers à son assoupissement. Il est
néanmoins important de noter que le MHGA s’est récemment réveillé : face aux
besoins de plus en plus pressants de repenser l’habitat dans un cadre durable, le
Mouvement de l’Habitat Groupé Autogéré a organisé un forum de l’habitat groupé à
Montreuil, en 2008, et a pris le nom d’« Eco Habitat Groupé ». Tel un phœnix, le
61 Comme en témoignent plusieurs documents, notamment la note du 7 mai 1981 adressée par le
directeur de la construction aux directeurs départementaux de l’équipement, ainsi que l’interview de G.
Mercadal, dans le Moniteur du 11 janvier 1982, qui témoigne d’une certaine compréhension et de
l’intérêt des responsables de la politique du logement en France pour « l’aspiration à l’espace,
l’aspiration à la personnalisation de son habitat, à la jouissance à la fois d’une plus grande autonomie de
la personne et de relations sociales riches et plus directes ».
102
mouvement de l’habitat groupé renaît de ses cendres, en articulant cette fois
étroitement enjeux socio-économiques et écologiques, pour une prise en main
habitante du développement urbain durable62.
Ce réveil nécessite une évolution des cadres législatifs. En effet, la loi Chalendon a
mis fin en 1971 au statut de locataire-sociétaire, qui concernait 40 000 logements
(comme la Cité radieuse de Rezé). Une évolution des lois sur le logement est
actuellement réclamée pour restaurer cette possibilité, dans le cadre de coopératives
d’habitants. Il existe actuellement en France des sociétés coopératives d’HLM (la
fédération française en réunit 156 pour un parc de 42 000 logements), des sociétés
civiles coopératives, elles-mêmes déclinées en sociétés civiles de construction,
d’attribution, et de construction-vente, mais pas de coopératives d’habitants. Le texte
de loi de 2006 sur les sociétés anonymes coopératives d’intérêt collectif pour
l’accession à la propriété restaure cette possibilité pour le logement social
seulement63. Les sociétés civiles disparaissent quant à elles après la vente ou
l’attribution des logements. La coopérative d’habitants permet au contraire
l’autogestion du logement tout au long de sa durée de vie. Les coopérants sont
propriétaires de parts sociales (ils possèdent collectivement l’immeuble) et locataires
à hauteur du remboursement du prêt (part acquisitive), des intérêts du prêt et des frais
de maintenance/rénovation. Ils s’acquittent des sommes correspondant aux coûts réels
de construction et gestion. En contrepartie, la revente de leurs parts sociales est
conditionnée à un principe de non spéculation : pas de plus-value, mais une
indexation des prix de vente sur l’inflation. Les mensualités sont donc en général
inférieures à celles du marché privé, avec une qualité, notamment écologique, et des
surfaces supérieures. La mutualisation des capacités d’endettement permet à des
ménages modestes d’accéder à la coopérative. Chaque coopérateur détient une voix
pour les prises de décision, quelque soit le nombre de parts sociales détenues.
Au Québec et en Suisse (8% du parc immobilier, 130 000 logements), les
coopératives d’habitants sont composées uniquement de locataires. La CODHA à
Genève utilise par exemple le bail associatif : le coopérateur loue l’immeuble à une
association d’habitants et en assure la gestion. Pour financer la construction ou la
rénovation d’un immeuble, la coopérative est aidée par la ville de Genève, qui a
ouvert un fond permettant aux coopérateurs d’emprunter à taux préférentiel. Ils
remboursent ensuite en 5 ans, puis paient un loyer moins élevé. Les coopératives
d’habitants sont également très développées en Allemagne (2 millions de logements,
10% du parc), en Norvège (650 000 logements, 15% du parc), en Suède (700 000
logements, 17% du parc), en Italie ou en Autriche (plus de 300 000 logements dans
chacun de ces pays), en locatif ou en propriété64. La capitalisation est importante, par
rapport à un simple statut de locataire, car avec le vieillissement de la population et
les incertitudes sur l’avenir, une des principales préoccupations des habitants est
d’être assurés d’un logement sûr et gratuit à l’âge de la retraite65. Si la propriété
individuelle est remise en cause dans l’habitat groupé, au bénéfice d’une propriété
collective, la sécurité du logement ne l’est pas. Pour les pouvoirs publics, les
coopératives permettent d’assurer une offre de logement social à loyers réduits,
moyennant des aides (foncier, prêts, ..) limitées. Elles sont complémentaires et ne se
substituent pas au logement social public.
62 www.ecohabitatgroupe.fr
63 Roux N. et Denèfle S., 2007. Communication au colloque international RULESCOOP, Costa Rica.
64 L’Echo-Habitants, 2008. Habiter autrement. La coopérative d’habitants. Etat d’avancée de la
réflexion. Mars, 38 p.
65 Entretien à Hespul, Lyon, 13 mai 2008.
103
B. Une seconde source d’inspiration : les écoquartiers
Les écoquartiers co-conçus par des habitants en Europe du nord, présentés lors de
débats, expositions, conférences, ou parfois visités, constituent un second domaine de
référence pour les projets d’habitat groupé. Précédés par une littérature théorique et
diverses expérimentations de taille plus ou moins réduite, ces quartiers de quelques
centaines d’habitants se développent dans la décennie 1990. La recherche d’autres
modes de vie, mieux insérés dans les cycles naturels et plus solidaires, est leur
première exigence. Le vivre ensemble et le mode de vie coopératif découlent du
processus d’autopromotion, et souvent, d’autogestion d’une partie des espaces. Les
habitants inventent aussi des partenariats avec les pouvoirs publics, en particulier
pour l’accès au foncier en milieu urbain ou périurbain et pour l’intégration de
logements sociaux. Le plan d’urbanisme (plan masse) peut être élaboré en
collaboration avec les architectes de la municipalité (Kersentuin, Utrecht), un bailleur
(EVA-Lanxmeer, Culemborg), ou bien de manière autonome (Hjortsoy, Aarhus), ce
qui est également innovant.
Ces écoquartiers ont des origines différentes, très semblables à celles de l’habitat
groupé. La proximité entre les modes opératoires est également claire. Nous nous
attacherons à deux exemples reflétant cette diversité : le premier, au Danemark, initié
par quelques familles ; le second, impulsé par une environnementaliste qui fédère des
architectes et des habitants autour de son projet, aux Pays-Bas. Le modèle
d’écoquartier « habitant » qui est dans toutes les têtes, celui du Vauban, relève d’une
autre histoire : un squat, qui va laisser place à un projet de redéveloppement d’une
friche en co-conception entre pouvoirs publics et futurs habitants, une histoire qui est
aussi à l’origine de certaines coopératives suisses, comme la CODHA, fondée en
1994 à Genève suite à une crise du logement. Enfin, dans des cas plus rares,
l’initiative peut être déclenchée par un appel à projets d’une ville, comme à Utrecht,
l’on a voulu encourager l’éco-construction dans le cadre de la création de la ville
nouvelle de Leidsche Rijn, sur le flanc ouest d’Utrecht. Le quartier Kersentuin, la
Cerisaie, de 95 logements, opération d’habitat groupé, a ainsi pris place dans la vaste
opération de Leidsche Rijn, prévue à terme pour 90 000 habitants.
Lorsque l’écoquartier est initié par quelques familles, comme à Hjortsoy (Aarhus,
Danemark), l’extension du groupe peut s’effectuer par juxtaposition de groupes
d’habitants, afin de permettre une autogestion fondée sur l’interconnaissance. Il est
nécessaire de laisser le récit se dérouler pour comprendre le type d’organisation en
jeu : « On a réussi un groupe de personnes avec une confiance totale entre nous. La
société danoise est une société de confiance, le contexte, la culture de base y
poussent. On était 10 familles. En trois ans, on a vu passer 3000 à 4000 personnes
dans l’association. On n’avait pas de lieu. C’était abstrait, riche, mais on perdait le
fil. Au bout de trois ans, dix familles voulaient acheter le terrain que l’on avait
trouvé : 20 personnes, plus une dizaine d’enfants. Depuis, il y a eu 5 autres groupes
d’habitation, à peu près de la même taille »66. Le projet d’Hjortsoy démarre en 1987
et l’écoquartier sort de terre cinq ans après, par tranches successives (1992-1995 ;
1996- ; 1998- ; 2000- ; 2003-), chacune correspondant à la constitution d’un groupe
d’habitants, de 10-20 ménages. Il est constitué de maisons isolées, mitoyennes et en
bande, accueillant 200 personnes sur une partie du terrain, 20 hectares largement
voués aux activités agricoles. Le quartier se situe à la lisière du milieu rural avec des
66 Entretien avec Pierre Lecuelle, fondateur du quartier de Hjortsoy, Hjortsoy, Aarhus, mai 2008.
104
petites vues sur mer, donnant un sentiment d’espace. Un nouveau développement est
actuellement en projet, porté par le sixième groupe.
Chaque groupe a son autonomie, sa maison de quartier (salle de fêtes et cuisine,
buanderie utilisant l’eau de pluie, douches, chambres d’hôte, voire ateliers), mais
l’ensemble forme un tout cohérent : l’autogestion se joue à deux échelles, avec des
réunions de groupe et des réunions, moins nombreuses, de quartier. « On agit à
l’unanimité, quasiment -avec une très large majorité. Ca prend beaucoup d’énergie
mais ça en donne aussi beaucoup : on évolue avec les autres sur sa façon de voir le
monde ; une symbiose se crée ; on accepte de donner raison aux autres. Il y a des
distances énormes au début entre les gens ; on s’est beaucoup rapprochés » 67. Un
certain nombre d’habitants travaillent dans l’enseignement et l’action sociale, une
caractéristique que l’on retrouve dans la composition des groupes du MHGA et qui
facilite l’ouverture vers les autres. Il ne suffit pas de dépasser les conflits et les
désaccords, il faut aussi pouvoir vaincre les barrières réglementaires, administratives,
et les habitudes qui bloquent l’innovation. Ainsi, la construction en terre crue ou la
participation d’un bailleur au projet ont été acquises à Hjortsoy de haute lutte : « Il ne
faut jamais prendre un non pour un non, il faut continuer le combat, il faut une
énorme volonté du groupe pour persévérer. On a formé une association de villages
écologiques au Danemark [une trentaine de réalisations], ce qui a permis d’avoir
une loi pour la construction écologique. Cela a débloqué, c’est une sorte de lobby ».
Pour trouver le terrain, le premier groupe d’habitants s’est adressé à la ville d’Aarhus
en demandant une centaine d’hectares, en partie en location pour développer une
activité agricole, en partie en accession pour y construire. Trois sites sont proposés en
périphérie et le site retenu, à 13 kilomètres du centre ville mais bien relié par le train
de banlieue et le bus, est celui l’accueil par les habitants du voisinage est le plus
chaleureux. La municipalité a également bien accepté le projet : « Il y avait une
ouverture, et c’était bon pour l’image en termes de développement durable : c’était
déjà là, avec Rio en 1992… C’était une chance pour la ville de présenter quelque
chose en matière de développement durable. On avait aussi de très bons contacts
dans la ville. La sœur de Kaï [le deuxième initiateur du projet] était maire-adjoint à
la ville d’Aarhus »... Le terrain sera acheté par lots successifs.
En termes écologiques, le quartier est alimenté par des énergies renouvelables (solaire
et copeaux de bois, grâce à une chaufferie en cogénération). Les maisons, en auto-
construction pour certaines, consomment deux fois moins d’énergie
qu’habituellement (80 kWh/m2/an). Le prix de revient de l’habitat est inférieur au
prix du marché, car une partie du travail est assurée bénévolement : autopromotion,
auto-construction en partie, autogestion, mais aussi groupements d’achats pour les
matériaux écologiques ou les achats courants. La volonté de vivre à partir des
ressources locales est forte. La terre crue est par exemple utilisée pour certaines
maisons. Pour l’alimentation, un élevage de poules, les vergers et les potagers en
biodynamie assurent des circuits très courts, un agriculteur à mi-temps salarié par la
coopérative d’habitants se chargeant de les commercialiser dans une boutique de
quartier. Chaque famille verse 150 ! et donne 15h de travail par an pour recevoir plus
des deux tiers des légumes consommés dans l’année. Le quartier est amplement
piétonnisé et végétalisé, avec des petits jardins privés et de nombreux espaces
collectifs : espaces verts accueillant des jeux d’enfant, terrain de foot, préaux pour
faire sécher le linge ou abriter les vélos, vergers et potagers communs, haies de
framboisiers et de baies pour oiseaux encadrant les cheminements, prairies, zone de
67 Ibid, ainsi que toutes les citations concernant le quartier d’Hjortsoy
105
phyto-épuration et mare. Les véhicules sont laissés sur des parkings d’entrée, où l’on
peut emprunter les voitures du car-sharing.
Eco-quartier d’Hjortsoy, habitat groupé. Source : N. Blanc, C. Emelianoff
106
Toute cette organisation demande un travail important, de multiples réunions et
groupes thématiques. Chaque semaine, chacun participe à des tâches, plus ou moins
selon son implication dans la vie collective : acheter la lessive, alimenter la
chaufferie, nettoyer la salle commune, cuisiner, entretenir les espaces extérieurs et
agricoles, s’occuper des ruches, organiser une fête, faire la comptabilité ou gérer les
imprévus (réparer une fuite, régler un problème quelconque). Il existe une
cinquantaine de groupes de travail bénévoles. En réalité, les interactions sont
quotidiennes et lorsqu’on croise un voisin, il y a toujours matière à discuter. La
perméabilité des différentes maisons pour les enfants y contribue aussi. Le planning
des activités et des tâches est en général affiché dans les maisons de quartier comme à
l’intérieur de chaque domicile.
Les personnes âgées alertes apprécient beaucoup cet environnement. L’une d’elle
s’occupe par exemple bénévolement du poulailler (ramassage des œufs, alimentation
des poules, nettoyage). C’est un gros travail mais grâce à elle tout le monde bénéficie
d’œufs frais, pris directement dans le local attenant au poulailler, en inscrivant le
nombre d’œufs achetés. D’autres personnes âgées s’occupent du verger ou
s’investissent dans la construction d’une maison de quartier. Les retraités trouvent
ainsi une place et une utilité sociale dans le quartier, sans compter les interactions
avec les enfants et adultes qui sont souvent dehors. Cette mixité intergénérationnelle
et l’utilité retrouvée de ceux qui ont particulièrement le temps de participer à des
activités collectives, constituent un modèle porteur dans un contexte de vieillissement
de la population européenne. Les autres grands gagnants de l’habitat groupé, comme
dans le mouvement du MHGA, sont les enfants, qui jouissent d’une autonomie et
d’une vie collective relativement exceptionnelles. Les parents sont pour leur part
déchargés d’une partie des tâches ménagères qui sont mutualisées (garde d’enfants,
courses et cuisine). Au final, le partage des tâches et activités est grandement apprécié
quelle que soit la génération, avec des bénéfices spécifiques à chaque tranche d’âge.
Cette vie de quartier et cette autonomie ne sont pas synonymes de fermeture. Les
actifs travaillent dans l’agglomération, le quartier est bien relié par transport en
commun au centre ville. Il s’inscrit en continuité des tissus pavillonnaires alentour,
sans rupture. Le choix d’un site périurbain, et non pas rural, exprime la volonté
d’intégration à la vie urbaine : « On ne voulait pas être un paradis perdu, une oasis
réservée à une élite qui a les moyens de fonctionner en dehors de la société. Notre
charte insiste sur la mixité et le mélange des différents groupes sociaux. Sur 200
personnes, il y a 5 groupes d’habitation, dont 2 groupes HLM un tiers de
locataires, et le reste, ce sont des propriétaires et une coopérative [pour un
groupe] ».
Les groupes HLM participent moins aux travaux que les autres mais les habitants se
sont pour la plupart laissés gagner par l’esprit collectif, et concourent notamment à
l’entretien des jardins communs, de la maison de quartier, aux activités et repas
partagés. Une assez grande latitude est laissée aux habitants, au-delà des tâches
collectives minimales. Certains mangent régulièrement dans les maisons de quartier,
qui offrent aussi des chambres d’hôtes réservées au cas par cas pour une somme
extrêmement modique, d’autres plus rarement. L’organisation des courses et la
cuisine sont faites à tour de rôle. Ces repas réunissent en général une vingtaine de
personnes, 30 à 40% des habitants y participent au total. Les enfants sont ravis de s’y
retrouver et de s’échapper dans les mezzanines, et les parents ne cuisinent
collectivement qu’une fois tous les 15 jours pour 3 repas assurés par semaine, des
repas conviviaux et assez créatifs car on essaye de nouvelles recettes. « Le groupe,
c’est pas des amis, c’est pas des voisins ; c’est très agréable. On ne vit pas avec eux,
107
on partage des fêtes, les repas, 3 fois par semaine. La laverie commune [2 machines
très économes pour 30 familles] est un vrai lieu de rencontre : on y parle des projets,
ou des dysfonctionnements. Ici il y a deux aspects couplés : l’écolo-technique, et le
social. Mais on est devenus trop pragmatiques. C’est moins excitant qu’au début. On
vit une sorte de calme, de repos. Car on a réussi à faire vivre une partie de nos
rêves ».
Cette sérénité est sans doute la composante la plus sensible de cet environnement
pour un visiteur extérieur. On la retrouve également à EVA-Lanxmeer, à Culemborg,
la deuxième éco-fabrique habitante retenue pour cette étude. 244 maisons ou
logements en petit collectif (dont 38% d’habitat social), abritant environ 800
personnes, et 44 000 m2 de bureaux occupent un terrain de 24 hectares. L’attention
aux ressources locales passe ici par un traitement très respectueux du site, un champ
captant d’eau potable exceptionnellement ouvert à la construction (le captage
s’effectue en profondeur). Outre la protection de ce bien commun, l’association
d’habitant a promu un urbanisme qui mette en valeur la rivière et le génie des lieux.
Le quartier a d’ailleurs adopté le nom de la rivière : EVA le long de la Meer, EVA-
Lanxmeer. La dimension poétique s’incarne dans le paysage, avec une qualité
rarement obtenue dans un quartier neuf, durable ou non. On peut sans doute se référer
au quartier de Malageira, construit avec obstination et génie par Alvaro Siza, mais ici,
c’est le traitement de l’espace naturel qui donne du souffle à l’urbanisme. Le bâti
n’atteint pas la même force, même s’il s’efforce de composer avec le site.
Eco-quartier d’EVA-Lanxmeer, génie du lieu. Source : N. Blanc, C. Emelianoff
108
Tout a commencé lorsque Marleen Kaptein participe à un travail de co-conception de
logements en France, probablement dans le cadre du MHGA : « La vraie question,
c’est : quels sont les gens qui décident. C’était de l’habitat sur mesure à Saint-
Quentin en Yvelines. 66 familles, qui « designaient » leurs appartements. C’était un
tel plaisir de travailler avec eux. Mon intérêt a commencé là. J’ai compris
l’importance d’avoir des gens qui co-créent leurs appartements. Je travaillais alors
dans une fondation sur l’écologie »68. La militante fait vite le lien entre les enjeux de
l’habitat écologique et ceux de la co-conception. Elle voit le développement durable
saisi par les pouvoirs publics comme une occasion ratée, et crée la fondation EVA en
1993, un Centre écologique pour l’éducation, l’information et le conseil : « Au début
des années 1990, il y a eu le plan VINEX, et le programme national NEPP. On
n’atteint pas directement les gens, mais les compagnies. Leur communication est trop
abstraite. Le consommateur, c’est un anonyme. VINEX va construire 800 000
logements en 10 ans, des logements durables… mais pas chers, et trop vite ! Mais
vous allez construire de nouveaux problèmes pour l’avenir !».
« On voulait montrer qu’on pouvait faire autre chose. Au départ, j’étais seule. Mais
je connaissais tant de gens intéressés par les mêmes choses. L’association VIBA, par
exemple. Ce sont de vrais pionniers. En 76, VIBA est créée en 1976… On a cherché
des villes qui mettraient à disposition un terrain pour cent maisons. On a essayé 23
villes… On a eu beaucoup de problème à trouver les villes. On a alors engagé la
compétition, avec 90 architectes, on était mûrs pour construire différemment ».
« Je n’imaginais pas, je ne connaissais pas les problèmes : et cela a aidé. Il faut
imaginer que c’est possible. Avec les gens, on voulait tout ensemble, pas seulement
l’énergie, ou l’eau. On s’est mis d’accord qu’on voulait tout combiner. On voulait
faire du design DANS le site, dans le paysage, ne pas modifier le site. C’est
l’influence de l’école d’architecture organique, le génie du lieu. Respecter les
qualités qui étaient là et les améliorer. Plus, pour l’énergie, utiliser les ressources les
plus durables. Prendre soin de l’eau. Aussi peu de surfaces imperméabilisées que
possible »69.
La ville de Culemborg, dotée d’une politique de développement durable participative,
propose en 1996 un terrain agricole, sur un champ captant d’eau potable, en limite du
centre, de la gare et au bord de la rivière. L’espace est assez saturé aux Pays-Bas. Et
ce terrain est remarquablement situé, à quelques minutes à pied de la gare, qui mène
en un quart d’heure à Utrecht, dans le cœur économique du pays. Le caractère
particulier du site exige un partenariat étroit avec la municipalité. « Ils voulaient faire
un pas supplémentaire [en matière de développement durable]. Le directeur du
service du développement et l’élu nous ont beaucoup soutenus. Il fallait 200 maisons,
au moins, pour mettre en place les égouts. Il n’y avait pas de limite supérieure, mais
une limite inférieure. […] C’est une co-production avec la ville. Ils ont fait une
exception car notre projet était écologique. On était contents de répondre à leurs
nombreuses demandes car on voulait montrer que c’était possible. Premièrement, on
a rendu les gens de la ville enthousiastes. Ils ont dit : on veut le faire avec vous ; ils
ont pris un risque. On a fait le plan d’urbanisme avec le bailleur social. 80 personnes
étaient intéressées. Beaucoup sont restées dans le projet. En 1998, l’association
d’habitants a eu l’autorisation d’acheter le terrain. On a fait ensuite deux ans
d’atelier. On a commencé par les qualités du site. J’aimerai travailler avec un autre
site, ce serait différent. La compagnie de l’eau était inquiète, puis enthousiaste. On
leur a montré le soin ». Les eaux pluviales qui ruissellent sur les surfaces
68 Entretien avec Marleen Kaptein, EVA-Lanxmeer, Culemborg, 16 mai 2007.
69 Ibid, ainsi que toutes les citations concernant le quartier d’EVA-Lanxmeer.
109
imperméabilisées sont traitées à l’extérieur du quartier, dans une station de lagunage.
Mais la plupart des précipitations tombent sur des espaces largement végétalisés et
s’infiltrent sur place. Les eaux usées permettent de produire du biogaz dans une petite
centrale. Les 7 équipes d’architectes de VIBA qui ont travaillé sur le quartier sont
marquées par l’architecture organique. Ils livreront des bâtiments en ossature bois,
deux fois plus économe en énergie que les normes, tous équipés de chauffe-eau
solaires, au prix du marché. Le programme européen COST aidera au financement de
la phase de conception du quartier.
« Cela n’était jamais arrivé, aux Pays-Bas, que les gens fassent le plan d’urbanisme.
On était très enthousiastes sur ce point. On n’est pas allé aussi loin que l’habitat sur
mesure, cela aurait été trop long. On a bâti 50 maisons par phase, en 4 phases. On
demandait quel type d’habitat ils voulaient. Il y avait 11 types différents au départ, on
en a gardé 6, qui avaient des standards communs. Certains voulaient du cohousing,
un couple de personnes âgées qui a fait appel à un architecte. A l’étage, je n’ai pas
de murs, entre la salle de bains et la chambre, j’aime les espaces ouverts. Les
souhaits individuels étaient possibles, sans aller aussi loin que l’habitat sur mesure ».
« On a décidé qu’on voulait de grands jardins communautaires et de petits jardins
privatifs ; il a fallu un an et demi d’ateliers pour décider de ce que l’on faisait de ces
terrains communs. Ca a stimulé l’amitié. Ce n’est pas du cohousing mais on décide
ensemble. On n’a pas de barrières entre les jardins et pas de stationnement devant
les maisons ; on a des végétaux locaux ; pas de produits nocifs dans les éviers, les
toilettes. On s’habitue à des choses différentes. Ici, on voit la liberté des petits
enfants : ils s’ouvrent, deviennent indépendants, créatifs, plus autonomes. […] Les
enfants sont plus libres, ils se développent physiquement. Ce n’est pas la « génération
du siège arrière », du tout voiture… ».
Le quartier est également bordé par une ferme en permaculture, sur 5 hectares, où se
réunissent souvent parents et enfants, pour prendre un verre, discuter et travailler la
terre. Le projet n’est pourtant pas complètement abouti. Depuis l’origine, Marleen
Kaptein voudrait développer un centre « pour une écologie intégrale », EVA-
Centrum, « une place active pour développer de nouvelles idées. On a besoin de
combiner démonstration et connaissances ». Le centre de conférences accueillerait un
hôtel de 75 chambres, une salle de remise en forme, un restaurant bio, des ateliers.
Mais les investisseurs manquent et la ville trouve le projet trop ambitieux. Pourtant, la
demande pour des centres de congrès écologiques est à l’heure actuelle insatisfaite.
On peut voir par ces deux seuls exemples que les degrés d’investissement habitant
sont assez variables selon les écoquartiers. Intense pendant la phase de conception et
de suivi du chantier, la participation peut ensuite se restreindre à des moments de
décision collective (gestion et organisation d’activités) et à l’entretien de quelques
espaces extérieurs comme à Eva-Lanxmeer (une association étant chargée des espaces
verts commun). L’organisation développée à Hjorstoy est celle de l’habitat groupé,
elle est donc plus chronophage, selon le modèle autogestionnaire, mais elle implique
différemment les habitants, en fonction de leur disponibilité. Les modalités de
participation restent assez souples.
Il est également intéressant de noter que la mixisociale et intergénérationnelle est
réussie dans les deux cas. A EVA-Lanxmeer, l’habitat groupé des séniors concerne un
programme de 24 logements avec espaces collectifs (salle, ateliers, chambres d’hôte,
buanderie) bien inséré dans le quartier, mais les habitants du groupe initial associé
aux architectes de VIBA ont aussi un certain âge. Les familles avec enfants sont
spontanément bien représentées.
110
C. Une expérience de réhabilitation écologique d’une friche par les
habitants : MiKa, Karlsruhe
Si les expériences de réhabilitation sont souvent plus rares et plus discrètes, elles
peuvent être à l’origine de processus de renouvellement urbain pilotés par les
habitants. L’exemple choisi retrace la reconversion d’une caserne par la seule force
des acteurs civils.
Les « Baraques Smiley » furent construites en 1938-1939 à la périphérie nord du
district de Karlsruhe Nordstadt. Elles furent utilisées par l’armée américaine jusqu’en
1995. L’OTAN a ensuite rétrocédé ces bâtiments à l’État allemand et l’État à la ville
qui, elle-même, l’a vendu à Volkswohnung, une société semi privée dont le projet
était de convertir l’ensemble des bâtiments en logements et en lieux collectifs : centre
médical, bar pour les personnes âgées, crèche, lieux de rencontre. À l’époque, la
municipalité ne voulait pas céder ces bâtiments à MiKa et il a fallu que la couleur
politique des élus change pour que le projet de MiKa puisse être réalisé.
En 1994, le « MieterInneninitiative (MiKA) Karlsruhe Wohnungsgenossenschaft
eG » fut formé à l’initiative d’un groupe de 20-30 personnes qui avaient choisi une
vie alternative et cherchaient un logement et mode de vie en accord avec leurs
convictions. Ce groupe formule une contre-proposition pour l’utilisation de la friche :
une coopérative d’habitants pour un habitat durable. En 1996, différentes familles et
militants politiques « anarchistes » souhaitaient s’engager dans cette démarche. Au
départ, c’était un peu chaotique. Mais dès que la municipalité, changeant
d’orientation politique, se montra d’accord, le processus engagé fédéra les forces. En
1997, la coopérative d’habitants se charge de réhabiliter en partie sur fonds propres 4
des baraques, de telle façon à développer un projet d’habitat durable, en autogestion,
et d’accueillir des personnes qui souhaitaient adopter d’autres manières de vivre. Des
fonds du gouvernement d’État ont aidé au début à la réhabilitation des bâtiments. Un
prix d'achat raisonnable aussi bien que la bonne qualité des bâtiments a contribué à
maintenir les prix de la réhabilitation relativement bas, et, donc, les loyers peu chers.
Aujourd’hui, plus de 150 adultes et 80 enfants font partie de MiKa. Les loyers
permettent de rembourser le crédit géré par MiKa, et si l’on apporte à MiKa des
capitaux initiaux, le loyer est moins élevé. Si une personne quitte les lieux, elle
récupère l’argent investi sans intérêt ; elle ne reste donc pas propriétaire du logement
ou actionnaire de la coopérative. Il faut du mouvement pour qu’une telle initiative
vive et se renouvelle. La majorité des ressources en capital est produite par les parts
coopératives des membres de MiKa. Des prêts coopératifs sont concédés aux
locataires à faibles revenus par la banque GLS, les membres se portant caution
mutuellement. GLS est la première banque éthique-écologique en Allemagne. La
banque fut créée en 1974 et finance actuellement plus de 3 400 projets.
L’idée du projet était de vivre ensemble (enfants, adultes, riches et pauvres) ; il y
avait quelques idées écologiques, mais peu nombreuses au démarrage. Il a fallu un an
pour aménager 80 logements à l’intérieur de 4 bâtiments. Après débat collectif, un
bureau d’architectes a été engagé mais ce sont les futurs habitants qui ont défini le
cahier des charges pour les architectes, allant jusqu’à discuter les détails de la
conception de leur logement. Les appartements ont été construits pour rencontrer les
besoins aussi bien des célibataires que des handicapés. Une grande variété de types de
logements va à la rencontre d’une variété de besoins et d’une société plurielle.
Dès le début, les membres de la coopérative d’habitants ont participé activement à la
planification, à la définition des normes, aux travaux de construction, de bricolage, à
111
la gestion des logements et à la sélection de nouveaux membres. Une cour spacieuse
accompagne les interactions sociales nombreuses à l’extérieur des bâtiments (jardins,
barbecues, jeux d’enfants, etc.). La partie écologique du projet se manifeste au travers
des choix de construction, la réutilisation de l’eau de pluie, le covoiturage, la
coopérative alimentaire, et un service de location d’équipements. Ajouté à cela, MiKa
reverdit l’environnement en plantant des arbres.
La caserne réhabilitée. Source : N. Blanc, C. Emelianoff
Un peu plus loin, les potagers. Source : N. Blanc, C. Emelianoff
112
Il y a 4 bâtiments, soit 8 groupes, et chaque groupe a deux représentants qui se
réunissent tous les quinze jours. Ce n’est pas toujours le même représentant : le
système informel diffère du système officiel en ceci qu’il est moins rigide. Les
relations sont bonnes entre les personnes, mais des conflits adviennent parfois entre
les groupes. Les balcons, par exemple, sont considérés comme la manifestation d’un
désir individualiste de la part de certains, contraire à l’esprit de MiKa.
Actuellement, une Maison de la Culture accessible en fauteuil roulant regroupe les
activités communes. Elle abrite ainsi un Mikado Club, un pub et une bibliothèque
américaine, un restaurant, une association culturelle, des bureaux indépendants de
MiKa et un appartement pour le personnel du restaurant. En outre, la ville loue
régulièrement des salles de réunion. Le coopérative d’habitants anime les rencontres
collectives, accueille les gens de la ville et a mis en place un projet d’aide scolaire.
Elle emploie 2 salariés 30 heures par semaine. Un des deux salariés s’occupe de la
maintenance des bâtiments, gère le groupe qui s’en occupe et détermine un plan de
financement.
Les projets collectifs sont conduits en travail d'équipe, avec l'idée de faciliter
l'intégration sociale des résidants, dont beaucoup sont des migrants (environ 30%). Ce
qui manque encore, c’est un projet de travail collectif, comme l’atelier de charpentier.
En effet, beaucoup de gens ne sont plus intéressés par la démocratie, mais par le fait
que les loyers ne sont pas chers. Les animateurs de MiKa cherchent donc à relancer
des projets.
En conclusion, les aspects sociaux positifs qui ont émergé de cette coopérative sont
divers et peuvent être attribués à un principe d’entraide et de mutualisation. Les
nouveaux venus sont à la recherche d’une expérience de vie alternative, d’un espace
de liberté pour décider de la manière dont on vit ou dont on habite ; cependant, cela
s’opère aux dépens de l’intimité des personnes qui, parfois, le regrettent. Les enfants,
eux, y trouvent leur compte. Par exemple, les mères et les pères célibataires
surveillent les enfants en bas âge et les conduisent au jardin d'enfants ou à l’école à
tour de rôle. L'autonomie et la tolérance sont favorisées.
Cette atmosphère a des retombées sur les taux d'occupation : tous les appartements de
MiKa sont loués pour les années à venir. Et en dépit de services tels que la
coopérative pour la télévision et le câble incluant l’intranet, le loyer n’excède pas
6.50 ! par mètre carré. Sur le plan politique, l’histoire est également un succès. Bien
que MiKa ait été observé avec scepticisme par beaucoup de politiciens locaux et ait
faire énormément d’efforts pour se faire accepter, c'est maintenant en tant
« qu’experts » accrédités, invités par le ministère fédéral de la construction, que ses
représentants discutent l’avenir des coopératives d’habitants. Les membres de MiKa
ont été élus au conseil des directeurs de “Wohnbund”, un réseau d’experts concernant
les nouvelles formes de vie en commun. Le projet a été reconnu et a reçu différents
prix et distinctions honorifiques. Ce type d’expérience a pu aussi inspirer d’autres
groupes d’habitants.
D. Le renouveau de l’habitat groupé
Le renouveau de l’habitat groupé en France a des raisons d’être dont la profondeur
engage à elle seule des perspectives de développement. Il convient d’abord de bien en
cerner les motifs. Les besoins de diversification des modes d’accession au logement
sont tout d’abord aigus dans un contexte où le logement privé devient inabordable et
oblige les ménages à s’éloigner des centres urbains. Les recompositions familiales
113
(familles monoparentales) et la baisse du pouvoir d’achat rendent les locataires
captifs de l’habitat social, ce qui, associé à la carence de logements abordables, limite
l’accueil de nouveaux entrants. Le marché privé subit les effets de la financiarisation
de l’immobilier, à l’origine d’une forte spéculation. Entre le tout public, qui se
raréfie, et le tout privé, qui oblige à un surendettement pour ceux qui peuvent encore
y accéder, la voie de l’habitat coopératif ouvre une petite fenêtre… La mutualisation
et la baisse des coûts est assurée à travers une maîtrise d’ouvrage collective, la
négociation des coûts du foncier avec une collectivité, la prise en charge par les
habitants d’une partie du travail de conception des espaces, de suivi du chantier, voire
de construction ou de finition, mais aussi d’entretien des espaces extérieurs par
exemple.
Le deuxième aiguillon est social : les recompositions familiales, les instabilités socio-
professionnelles, l’accroissement de l’insécurité et de l’isolement et, a contrario, les
envies de réinventer des solidarités fortes, un chemin de vie chargé de sens, se
combinent et permettent d’envisager un autre type d’environnement quotidien que la
seule cellule familiale. Le désir de mettre en commun et de mutualiser des espaces de
vie s’assortit d’une volonté de garantir une vie privée libre. De nombreuses
discussions portent ainsi, au sein des groupes de projet, sur ce qui relève du collectif
ou non, avec un effort de délimitation du collectif : « On construit le vivre ensemble
en construisant le projet. On définit ce qui est commun et ce qui ne l’est pas »70.
« Qu’est-ce que moi, individuellement, je peux/je ne peux pas supporter du
collectif ? »71. La démarcation entre l’habitat communautaire et l’habitat groupé est
toujours un enjeu.
Le troisième motif d’engagement est relatif à l’écologie et au bien-être. Les noms des
groupes évoquent parfois les dynamiques vitales qui sous-tendent les initiatives : les
graines urbaines, la jeune pousse, le village des sens, La diffusion du
développement durable et de l’idée d’écoquartiers a réveillé les désirs de modes de
vie différents et d’accès à un habitat écologique. Du côté des promoteurs de l’habitat
groupé, « rendre l’éco-construction et l’éco-habitat accessibles ; créer des
opportunités, pour les citoyens, d’être acteurs de leur habitat, de leur territoire »72
rejoint les objectifs du développement durable, dans ses dimensions sociales et
démocratiques. Les coûts de l’éco-construction peuvent en effet être compensés par le
faible nombre d’intermédiaires, l’investissement des habitants dans les travaux
(finitions), voire le choix de surfaces habitées légèrement plus petites.
Il existe aussi des articulations spécifiques entre la philosophie de l’habitat groupé et
celle de l’habitat écologique. D’abord, la pérennité de l’engagement des habitants
plaide en faveur d’un habitat de qualité « durable », car sauf accident de parcours, la
mobilité résidentielle est faible à l’intérieur de l’habitat groupé (choix de vie, ciment
social et difficultés économiques éventuelles pour accéder au marché du logement).
L’économie de coûts recherchée dans le montage de l’opération passe aussi par la
baisse des charges de fonctionnement, notamment pour les consommations
énergétiques.
En second lieu, la responsabilité sociale revendiquée dans ce type d’habitat s’étend
naturellement à la question de l’impact environnemental de l’habiter73. Mutualiser des
70 Olivier Cencetti, association l’Echo-Habitant, exposé auprès du groupe de travail Ecoquartiers de
Nantes Métropole, 7 septembre 2007, Communauté urbaine de Nantes.
71 Kovacova E., 2006. Première rencontre d’Habitat Groupé, 1 juillet 2006, Parc de Miribel Jonage,
Lyon. Compte-rendu pour l’association HEP ! de Lille, p 6.
72 Fiche Projet Eco3. Présentation de l’Inter-réseau, 2008.
73 L’Echo-Habitants, 2008. Habiter autrement. La coopérative d’habitants. Etat d’avancée de la
114
espaces et des biens pour des raisons d’échange, de partage et de désir d’un
environnement coopératif plutôt que compétitif -désir qui s’est exprimé de manière
récurrente lors des entretiens conduits après des porteurs de projet d’habitat groupé-
permet aussi de mutualiser et d’économiser les ressources naturelles. La
mutualisation s’inscrit à la fois dans une économie de fonctionnalités chère aux
environnementalistes et aux tenants d’une dématérialisation, qui privilégient l’usage
plutôt que la propriété d’un bien74, et dans une économie coopérative, où le bénéfice
tiré d’un bien est démultiplié.
Une troisième proximité existe entre le fort investissement des habitants en faveur de
leur lieu de vie, dans l’habitat groupé, et le nécessaire investissement des lieux, dans
l’habitat écologique : ressources locales, circuits courts, gestion de l’eau à la parcelle,
aménagements qui exigent, comme nous l’avons vu à Eva-Lanxmeer, un soin
particulier à l’égard du territoire. L’engagement des habitants favorise l’adoption de
solutions écologiques qui peuvent difficilement être imaginées ailleurs, et qui
apportent à la fois du bien-être (matériaux naturels, jardin partagé, points d’eau…) et
du sens.
Enfin, comme nous l’avons expliqué en première partie, l’envie de faire, de construire
concrètement un mode de vie différent correspond à une forme d’engagement
politique et à une profonde insatisfaction à l’égard des modes de vie dominants, à la
prééminence de l’avoir sur l’être : « Se loger est aussi un art : façon d’être et façon
d’agir. Se loger, c’est habiter : manière d’être et être là. Habiter son logement, c’est
conjuguer dans l’espace socialisé l’intime et le social. L’impossibilité pour beaucoup
de se loger non seulement convenablement mais heureusement, engendre un manque,
une frustration »75. La revendication de démarches expérimentales, d’apprentissage,
exprime alors le refus de l’étroitesse des choix d’habitat en milieu urbain : « On est
un groupe de recherche, on veut élargir le champ des possibles »76.
L’insatisfaction peut porter sur des points particulièrement sensibles, comme celui
des types de vie proposés aux personnes âgées sur le déclin. Les projets d’habitat
groupé pour les seniors constituent une forme de résistance, inventent une alternative
reposant sur l’idée de prise en charge mutuelle et solidaire. L’association « Chemin
de vie » réunit par exemple des membres de 58 à 85 ans, qui ont cidé de
s’accompagner en fin de vie, afin de ne pas peser sur leurs enfants et de ne pas finir
en maison de retraite. La propriété des logements sera collective, sans que les fonds
investis dans ce projet par les membres soient restitués aux héritiers. Une personne en
insertion a été embauchée pour aider au montage du projet. La première tranche est
en cours d’éco-construction, proposant 8 studios et 4 F2-F3. Une deuxième tranche
est en projet, avec des membres plus jeunes, mais en attente de financement.
L’association peut obtenir un prêt de la NEF (Nouvelle Economie Fraternelle) à
condition de constituer un apport de 50%, ce qui constitue actuellement un frein.
L’association « Lo Parazé », qui a deux ans d’existence, regroupe quant à elle 15
membres de 56 à 82 ans, qui veulent s’installer à Fleurac et construire en HQE 15
maisons et 3 à 5 logements pour des hôtes ou personnes en difficulté. L’association a
obtenu des subventions de l’ADEME, de la Fondation de France et du pays du
Périgord noir. D’autres projets se constituent, comme celui d’un groupe d’amis
réflexion. Mars, 38 p.
74 Von Weizsäcker E U., Lovins A. B., Lovins L.H., 1997. Facteur 4. Un rapport au Club de Rome. Ed.
Terre vivante.
75 Plaquette de présentation de l’association l’Echo-Habitants.
76 Membre de Graines urbaines, Première rencontre des groupes d’habitants du grand Ouest. Coopérer
pour un habitat durable et solidaire, 21 juin 2008, Redon, p 21.
115
préretraités dans les Pyrénées orientales, face à des retraites jugées « dérisoires » et à
l’envie de vivre bien malgré tout. Ou encore l’association des « boboyakas », en clin
d’œil aux « babayagas » parisiennes -un habitat groupé exclusivement féminin-, dont
les membres souhaitent mourir sur leur lieu de vie.
D’autres revendiquent fortement une mixité intergénérationnelle, pour retrouver la
solidarité avec les anciens, comme dans les anciens quartiers ou villages. « Habitat
groupé intergénérationnel » veut ainsi faciliter « l’intergénéraction », en prévoyant
près de Colmar un ensemble d’une vingtaine de logements écologiques
« cohabitent à la fois : des familles avec enfants de différents âges, des actifs en
couples ou célibataires, des personnes plus âgées encore en activité ainsi que des
retraités. Nous mettons l’accent sur la vocation sociale du projet qui est de permettre
à ceux qui vieillissent sur le lieu d’y vivre jusqu’à la fin » 77. Des services d’aide au
maintien à domicile, de gardes d’enfants, une bibliothèque sont imaginées… et
beaucoup d’entraide. Ces projets en disent long sur le désarroi de personnes
vieillissantes ou anticipant leur vieillissement, et l’inadaptation des structures sociales
existantes. A travers ces projets, l’habitat groupé porte un message beaucoup plus
large : l’urgence de reconsidérer la place et l’utilité des personnes âgées dans une
société qui survalorise les actifs tout en étant affectée par un puissant vieillissement.
On remarquera pour finir qu’une majorité de projets se forme en milieu rural, pour
des raisons de facilité d’accès au foncier et de proximité à la nature, en se rattachant
au mouvement des écovillages ou à l’idée d’éco-hameaux, de hameaux durables
(association cévenole) ou d’éco-lieux. Cependant, de plus en plus de projets prennent
racine en milieu urbain.
Comment naissent les groupes ?
La naissance d’un groupe peut avoir des origines variables. Le premier type de
groupe est constitué par des amis ou interconnaissances qui décident de franchir le
pas parce qu’ils veulent pousser plus loin des choix de modes de vie différents. Le
projet de la « Jeune pousse » à Toulouse est ainsi parti des membres d’une AMAP.
L’initiative peut venir aussi d’une personne sensibilisée aux projets coopératifs, qui
cherche à constituer un groupe. Les rencontres de membres d’habitat groupé au Salon
Bâtir écologique, à la Cité des Sciences et de l’industrie de la Villette en décembre
2006, puis lors de rencontres nationales et régionales spécifiques, ont pu déclencher
aussi quelques vocations et des envies de concrétiser les projets.
On observe d’autre part que les structures d’accompagnement de l’habitat groupé qui
se mettent actuellement en place sont souvent à l’origine de projets d’habitants. Le
collectif Habitat groupé qui se réunit depuis deux ans à Lyon a par exemple donné vie
à différents projets. Une politique urbaine peut aussi déclencher un mouvement
d’habitants. Suite à la démolition de 1500 logements dans le quartier de la Duchères à
Lyon lors d’une opération de renouvellement urbain (2003-2006), les habitants du
quartier ont créé l’association « Habitat groupé Duchères » pour pérenniser des
logements, sous une forme coopérative et écologique.
Les groupes de projets sont restreints à une ou deux dizaines de participants, mais, en
amont, les manifestations d’intérêt sont bien plus nombreuses. Lors des réunions
d’information, il est fréquent que des centaines de participants se déclarent intéressés,
alors que seuls quelques uns iront jusqu’au bout du processus. Beaucoup n’ont pas la
patience de vivre le temps de la construction collective, de l’ajustement entre les
77 www.intergeneration.net
116
visions, les désirs et les moyens financiers des uns et des autres. Le projet de « Pied à
terre en Gascogne », à L’Isle Arné dans le Gers, a par exemple démarré par la mise en
place d’un atelier d’urbanisme local, qui a permis de structurer le groupe, avec le
départ de ceux qui ne voulaient pas prendre le temps de cette structuration : « la force
du groupe est dans la capacité des gens à construire avec les différences des
autres »78.
La constitution d’un groupe se fait essentiellement par cooptation, mais ce mode fait
débat79. Certains groupes veulent inclure soit des personnes en plus ou moins grande
difficulté, soit une diversité d’âges, de cultures, d’origines, via un appel à
candidatures sur un site Internet. « Graines urbaines », à Rennes, reçoit ainsi une fois
par mois toutes les personnes qui souhaiteraient faire partie du projet, et qui peuvent,
à leur convenance, s’intégrer au processus. Cette ouverture nécessite à la fois du
temps et de l’abnégation, puisqu’il faut à chaque fois réexpliquer l’ensemble du
processus et acclimater les nouveaux venus, dont la plupart vont se retirer du projet.
De manière plus générale, un projet d’habitat groupé comporte trois phases. La phase
de constitution du groupe prend acte que celui-ci est mouvant, avec des départs et des
arrivées, des conflits et des consolidations. La cohésion du groupe vient des valeurs et
des désirs partagés par les membres, négociés et consignés dans une charte, qui fixe
quelques principes et règles jugés essentiels. La seconde phase consiste à matérialiser
le projet (montage financier et juridique, terrain, architecte, construction, finitions), ce
qui implique des compromis, des renoncements et de la persévérance. La troisième
phase est celle de la vie dans l’habitat groupé et de la gestion des évolutions du
groupe (départs-arrivées, recomposition des familles, vieillissement, …).
Les relations avec le voisinage
Les groupes ont tous la volonté de créer des liens de solidarité avec le voisinage dans
lequel ils s’insèrent. Des réunions d’information ouvertes sont fréquemment
organisées dans la phase de définition du projet, avec quelques supports de
communication (brochures, affiches, site Internet, courriers dans les boîtes aux
lettres). L’ancrage territorial passe ensuite essentiellement par deux stratégies : en
milieu urbain, beaucoup de groupes souhaitent ouvrir leur salle commune (sous forme
de location ponctuelle par exemple) et certaines activités (AMAP, cours de remise en
forme, etc.) aux habitants du quartier ; en milieu rural, la priorité est de faire en sorte
que le projet serve le développement local. Celui-ci est aussi un moyen de consolider
et pérenniser le projet : obtention de fonds publics, meilleure acceptation par les
habitants déjà en place, dynamique d’entraînement face aux risques d’essoufflement.
La volonté de s’intégrer dans le territoire environnant passe aussi par le respect du
site, la recherche d’une architecture contextualisée, sensible au « génie du lieu »
comme à Eva-Lanxmeer, reposant sur des matériaux locaux, des filières artisanales et
des circuits courts. Il s’agit de promouvoir de nouvelles formes de consommation et
d’échange. Ces choix écologiques et sociaux poussent à l’innovation : « La HQE ne
défend que les matériaux industriels. Lafargue a pris le pouvoir dans l’association
HQE. Les matériaux de construction, c’est pourtant un gros débouché agricole. Il y a
une sous-, valorisation des métiers artisanaux du bâtiment. La seule solution, c’est de
prendre des risques énormes, avant que la réglementation bouge »80.
78 Kovacova E., 2006, op. cit., p 7.
79 Compte-rendu de la rencontre interrégionale du réseau Habitat groupé, Passerelle Eco, Morvan,
2008.
80 Olivier Cencetti, ibid.
117
En milieu rural, l’arrivée d’un groupe n’est pas toujours bien acceptée par les
habitants « autochtones ». Les soupçons de sectarisme, les pétitions, les commérages
sont monnaie courante (La Grange, 2008). Même des stratégies « préventives » et
proactives échouent parfois à dépasser les clivages et à faire accepter ces innovations
dans des milieux souvent conservateurs. L’initiative « Pied à terre en Gascogne »,
dans le Gers, a voulu ainsi anticiper les difficultés : le rejet du projet par les 80
villageois de l’Isle Arné, et symétriquement, le risque d’entre soi pour les nouveaux
arrivants. Une association a été créée avec les habitants du village, essentiellement
animée par eux, afin d’ouvrir un centre social offrant des services complémentaires à
ceux existants sur la commune. L’association souhaiterait aussi développer une
AMAP, un groupement d’achat et un centre de ressources locales sur l’éco-
construction. Un Centre de formation à la construction en terre a été ouvert car un
artisan local était propriétaire d’une briqueterie et intéressé pour perpétuer ce savoir-
faire. En dépit de ces ouvertures, le maire se déclare non intéressé par cette
expérience, alors que la population du village va doubler ou tripler si le projet arrive à
terme (+ 80 à 200 habitants attendus). Le projet a reçu l’aide de l’Union Européenne
(12 000 ! pour l’étude de faisabilité via Leader +) et ses porteurs misent davantage
sur un soutien européen (mesure 10B de l’objectif 3 du FSE finançant les micro-
projets) que national ou local.
Exemples de projets en milieu urbain
Les citadins ne sont pas en reste et en manque d’imagination, mais ils se heurtent bien
entendu à des obstacles plus importants, en premier lieu sur un plan financier. Si un
certain nombre de groupes revendiquent une implantation dans la ville centre,
d’autres acceptent une localisation périurbaine facilitant l’accès au foncier. Les
projets à forte dominante écologique, qui assument aussi une mixité sur un mode
volontariste, comme la Jeune Pousse à Toulouse, le Village vertical à Lyon, H Nord à
Bordeaux, Graines urbaines à Rennes, HESPère 21 à Paris, sont souvent les projets
les plus urbains. Ceux qui revendiquent d’abord une démarche sociale acceptent
mieux les localisations périurbaines, comme Entre-toits à Toulouse, ou plus
lointaines. Il est intéressant de noter que les groupes les plus pro-urbains, soucieux
des transports de proximité, sont souvent les plus exigeants en matière écologique.
Nous présentons ici deux projets matures, sur la base d’entretiens réalisés avec les
porteurs de projet ou de témoignages recueillis lors de participations à des rencontres
de l’habitat groupé. Les exemples exposés ensuite plus succinctement permettent
d’appréhender la diversité des initiatives et peuvent être approfondis en consultant les
sites Internet de ces groupes.
H Nord, Bordeaux
H Nord, H comme Hangar des quais, Nord comme le secteur de Bordeaux concerné,
est une association d’une quarantaine de personnes d’âges et de catégories sociales
variés, créée en juin 2006 pour acquérir une parcelle d’un hectare dans l’îlot Dupaty,
afin d’y créer un « écoquartier social et environnemental ». Dans cette friche de 7 ha
qui appartient à la communauté urbaine de Bordeaux, non loin de la Garonne,
plusieurs projets sont par ailleurs programmés, de l’habitat social et de la promotion
privée. H Nord revendique pour sa part une démarche de développement durable. Il
s’agit de préserver le patrimoine existant sur la friche, c’est-à-dire les anciens chais et
une partie de la végétation, de développer l’éco-construction et la mixi en
118
s’associant à un bailleur social, ainsi que la participation des riverains de la friche au
projet. La question des modes de vie sous-tend cet engagement : « Le projet H Nord
se propose d’être un laboratoire d’idées, source d’inspiration pour un nouveau
rapport global de l’homme à son environnement tant humain qu’urbain…[…] A la
fois prescripteurs et futurs résidants, les initiateurs du projet, tous écocitoyens dans
l’âme, souhaitent être les acteurs de leur mode de vie. Réduire les impacts
écologiques, redéfinir les habitudes de consommation, acter des mesures
respectueuses de l’environnement au quotidien s’inscrit dans leurs priorités comme
réponses concrètes aux urgences et aux défis de notre société. […] Habitants du
quartier, nous avons décidé de choisir comment nous souhaitons vivre »81. Nous
retrouvons bien le tournant pragmatiste, le désir de réappropriation des lieux et modes
de vie, conduisant à revendiquer une place dans la fabrique urbaine à côté des acteurs
traditionnels.
La conception du projet a été réalisée au fil de commissions de travail thématiques se
réunissant deux fois par mois : les commissions Communication, Programmation,
juridique et finance, écoquartier. Le groupe n’est pas fermé à l’arrivée de nouveaux
membres souhaitant s’impliquer dans le travail. Le programme conçu par
l’association, qui souhaite garder la maîtrise d’ouvrage du projet, représente 80
logements de 80 m2 en moyenne, dont un tiers de logements sociaux, un tiers de
location en accession et un tiers d’accession. Les services collectifs et les espaces
libres partagés sont nombreux. A ce stade, on rêve de commerces de proximité, de
salles polyvalentes, de locaux professionnels, de chambres d’hôte, de foyers de jeunes
et personnes âgées, d’une crèche parentale, d’une AMAP. Les espaces extérieurs
prendraient la forme de jardins ouvriers, d’espaces paysagés et d’aires de jeux pour
les enfants. Le coût global est estimé à 17 millions d’euros, avec un prix de revient de
2200 euros par m2 de Shon. Il est intéressant de noter une évolution dans la
conception de ce projet. Au départ, les membres étaient très attachés à l’idée d’un
habitat individuel. A mesure de l’avancée du projet et des discussions sur les
arbitrages nécessaires, le consensus l’a emporté pour des logements collectifs
permettant de dégager un espace ouvert plus généreux, dans lequel on imagine par
exemple une piscine en épuration naturelle. Le rêve portant sur l’espace collectif a
donc prévalu sur l’imaginaire individuel (la maison de ville)82.
Au-delà du projet qui cimente le groupe, l’association est particulièrement consciente
des enjeux de redéveloppement de la friche pour ce quartier de Bordeaux. 3 jeunes
architectes accompagnent le projet. Les partenaires publics sont sollicités à plusieurs
niveaux. Le groupe a tout d’abord diffusé son idée au travers d’invitations dans les
boîtes aux lettres du quartier et de nombreuses réunions publiques : soirées au cinéma
Utopia, réunions mensuelles au centre social Bordeaux nord. Des visites guidées et
des émissions radio (RCF) ont été organisées. Cette stratégie de communication s’est
assortie de prises de contact avec les associations de quartier et de demandes de
rendez-vous qui ont permis d’obtenir le soutien du Conseil Général et de la ville de
Bordeaux. L’organisation de la rencontre nationale d’Habicoop à Bordeaux, en
présence du maire, montrant la dynamique et les capacités d’organisation de
l’association, a aussi été un élément poussant les responsables politiques à soutenir le
projet. Le contexte est porteur, la ville de Bordeaux étant engagée dans une politique
de développement durable reconnue au niveau national, avec plusieurs intentions
d’écoquartiers.
81 Plaquette de présentation de l’association H’Nord. www.hnord.org
82 Témoignage, atelier « constitution du groupe : s’agrandir et accueillir les nouveaux », rencontre
nationale de l’habitat coopératif, Habicoop, Bordeaux 2008.
119
Le village vertical, Lyon
Créée en 2005 à l’initiative de quelques militants (AMAP, auto-partage,
syndicalistes), l’association rassemble 9 ménages (15 adultes, 13 enfants) et a obtenu
en 2008 une parcelle dans la ZAC des Maisons neuves de Villeurbanne. L’appui
d’une élue verte municipale a été déterminant. L’éco-immeuble, qui devrait sortir de
terre en 2012, accueillera 3 T1, 2 T3, 4 T4 (80-85 m2) et 1 T5 sous forme
coopérative, ainsi que 4 appartements locatifs bénéficiant du dispositif PLAI. La
maîtrise d’ouvrage a été confiée à la coopérative HLM Rhône Saône Habitat83. Deux
ou trois logements seront attribués à des personnes en situation de précarité, dans le
cadre de partenariats avec des associations d'insertion par le logement issue du
mouvement chrétien lyonnais. Plusieurs logements devraient être attribués à des
étudiants, stagiaires ou jeunes en difficulté, sur le principe de la colocation annuelle.
Le coût de l’opération est estimé à 2,35 millions d’euros, soit 2000 euros par m2 de
Shon, les habitants apportant 10% du capital. A l’origine, les exigences écologiques
étaient très fortes (habitat bioclimatique passif) mais les problèmes de coûts ont
poussé à des compromis. L’association a obtenu un soutien européen pour les
expertises techniques car elle constitue le projet pilote accompagné par l’association
Habicoop. Le montage financier pour l’apport des 10% reste difficile et des aides sont
recherchées.
Les espaces collectifs favoriseront la mutualisation de biens et services (gardes
d’enfants, courses, partage de matériel, achats collectifs, …) dans l’optique de modes
de vie moins consuméristes. 110 m2 sont réservés à une salle à manger avec cuisine
et sanitaire, 2 chambres d’hôte ou ateliers, un local vélos, une buanderie. Un local
d'activité en rez-de-chaussée (78 m2) pourra également accueillir un équipement
municipal ou une association. Des coursives en façade desserviront les logements en
servant de balcons. Le toit terrasse compensera l’exiguïté du jardin collectif.
L’association souhaite également accompagner de futures coopératives aux côtés
d’Habicoop, dans le cadre du projet « Altern'accueil ».
La jeune Pousse, Toulouse.
Créée en février 2008 avec 15 foyers (aujourd’hui 20) pour rénover ou construire un
immeuble en centre ville (R+3), selon des principes d’habitat passif, de mixité (5 foyers en
PLAI et 5 foyers de plus de 60 ans) et de non spéculation. 4 personnes adhérant à une AMAP
en sont à l’initiative, puis le groupe s’est élargi à partir de réseaux de militants de la
décroissance et des clubs de sport. L’association a mis sur pied 3 commissions dont les
membres se réunissent toutes les semaines : site Internet et communication ; juridique ;
technique. L’AG est mensuelle et des réunions thématiques ponctuelles sont organisées. Les
espaces communs comprendront une salle polyvalente ouverte sur l’extérieur (lieu de
distribution pour une AMAP ?), une buanderie, un atelier, des chambres d’amis. Un accord
de principe a été obtenu de la mairie pour une aide. http://lajeunepousse.over-blog.fr
Entre-toits, Toulouse.
Le groupe existe depuis 2005 et souhaite inclure une résidence d’artistes et une salle
polyvalente ouverte à l’extérieur dans un projet de 30 logements. L’initiative vient d’une
femme ayant participé il y a une vingtaine d’années à un projet du MHGA. 10 personnes sont
impliquées, dont un « noyau dur » de 8 membres, attachées à la mixité intergénérationnelle,
culturelle et sociale. Un partenariat est prévu avec un bailleur. Les préférences du groupe
vont à la maison en bande ou au petit collectif en éco-construction avec jardin potager, en
milieu urbain ou périurbain dans une commune proche de Toulouse.
Pas de site Internet
83 Entretien à Habicoop, Lyon, 13 mai 2008. Et : www.village-vertical.org
120
La case de santé, Toulouse
Ce projet est fondé sur l’achat d’un immeuble par un médecin dans le quartier populaire et
péricentral d’Arnaud Bernard, qui y a installé un centre de santé communautaire en 2006 avec
quelques collègues (médecine sociale). Le projet évolue actuellement vers l’aménagement de
logements coopératifs pour équilibrer les finances globales. www.casedesanté.org
Nouvel Air, pays rennais
L’association est fondée en décembre 2006 à Montreuil Le Gast, à 15 kilomètres de Rennes, à
l’initiative d’un paysan dont la ferme développe différentes activités de sensibilisation à
l’environnement et à la suite du projet de révision du PLU, qui souhaite ouvrir cette zone à la
construction. L’enjeu, dès lors, est d’éviter un lotissement périurbain classique et de créer un
« projet local de société durable » : « le projet aura vocation à servir les générations
actuelles et futures dans un souci de diminution de l'empreinte écologique de l'homme tout en
repensant la manière d'habiter un lieu et de permettre à chacun d'être acteur-citoyen
économique d'un territoire ». L’initiative, appuyée par le Fonds Social Européen, est
soutenue en particulier par l’ancien maire et de multiples partenaires (collectivités
territoriales, institutions comme l’ADEME, habitants, universitaires). Une cinquantaine de
logements bioclimatiques groupés sont prévus sur 2,35 ha, favorisant une mixisociale et
intergénérationnelle. www.projet-nouvelair.org
Graines urbaines, Rennes
En janvier 2008, 9 couples, qui se rencontrent au forum social local de Rennes, décident de
porter ensemble un projet d’habitat groudans la ville centre, qui permettrait de vivre sans
voiture. Le groupe (actuellement 12 ménages : 17 adultes, 10 enfants) est en phase
d’élargissement et de définition du projet. L’accent est mis sur la mixité intergénérationnelle
(pôle petite enfance, séniors) et sociale, ainsi que sur l’habitat évolutif et écologique en
milieu urbain. « On veut un jardin en ville et un espace commun ouvert sur l’extérieur, de
l’habitat vertical écologique »84. Le groupe se réclame du Village vertical lyonnais.
www.hg-rennes.org
Habiter autrement, Rennes
10 personnes de 30 à 80 ans défendent un projet mixte et écologique situé en ville ou dans le
périurbain. Le projet est lui aussi en phase de construction. www.hg-rennes.org
Eco-quartiers d’Anjou, Angers
L’association soutient plusieurs projets d’habitat groupé et la construction de maisons
bioclimatiques, avec l’appui de l’association Alisée, spécialisée dans les énergies
renouvelables et la maîtrise de l’énergie. L’un d’eux pourrait voir le jour dans le nouveau
quartier des Capucins, en associant une soixantaine de logements et un bailleur social. La
diversité du bâti (collectifs et maisons) et la mixité intergénérationnelle sont également des
objectifs.
http://ega49.info
Habitat différent, Angers. Mis en place en 1983 dans le contexte du MHGA, cet habitat
social autogéré comporte 17 maisons en propriété et location. Le terrain avait été cédé par la
ville au bailleur le Toit Angevin. Après 3 ans de co-conception avec l’aide bénévole d’un
architecte-urbaniste, cet habitat évolutif a accordé une bonne place aux espaces communs.
www.habitat.different.free.fr
84 Membre de l’association, 3° rencontre nationale de l’habitat coopératif, Habicoop, Bordeaux 2008.
121
Ippiddas, Strasbourg
L’Initiative Pour un Projet Immobilier de développement durable dans l’Agglomération
Strasbourgeoise est née en 2005 et s’est d’abord illustrée par la réponse à un concours
d’architecture proposé par la ville, au nom d’un collectif d’habitants. L’association ne gagne
pas le concours mais se fait connaître. Elle propose par la suite un projet d’autopromotion en
copropriété, et non sous forme coopérative, pour un immeuble mêlant des locaux d’activités
et des logements personnalisés. La proximité des expériences allemandes d’autopromotion
(Vauban…) permet de convaincre la ville de Strasbourg de mettre à disposition un terrain.
Le bâtiment de 4 étages en structure bois sortira de terre en 2011 dans le quartier péricentral
du Neudorf, près d’une station de tramway. Les exigences environnementales, énergétiques et
qualitatives (habitat bioclimatique, terrasses, accès individualisés à chaque logement) sont
fortes. Les surfaces seront vendues pour un prix estimé à 3000 !/m2, foncier inclus.
http://ippiddas.org
HEP !, Lille
Le projet Habitat Ecologique Partagé (HEP !) rassemble actuellement 12 familles lilloises
ayant trouvé une équipe d’architectes lyonnais, Archimix, revendiquant un habitat durable.
Des maisons en bande seront construites sur 1800 m2, pour un coût de 2,4 millions d’euros,
privilégiant les matériaux de construction locaux (brique, bois), la récupération des eaux
pluviales et le solaire passif.
http://www.architectes-lyon.com
Besançon
Un projet de reprise du couvent des Clarisses, situé en centre ville et offrant 1500 m2 de
Shon. Les Clarisses veulent une opération non spéculative. La tradition coopérative à
Besançon a favorisé la structuration d’un groupe d’habitants.
Les structures d’accompagnement
L’essor des projets d’habitat groupé écologique doit beaucoup à la promotion de ce
type d’habitat par quelques pionniers et sympathisants, dans des cercles qui vont
aujourd’hui en s’élargissant (sensibilisation du monde de l’économie sociale et
solidaire, des bailleurs sociaux, des collectivités territoriales, …). Cette promotion
passe par des mises en réseau, l’organisation de rencontres nationales et régionales, et
par la structuration d’associations d’accompagnement de projets d’habitat groupé. Il
peut s’agir d’associations déjà existantes de promotion de l’habitat écologique, ou
bien de structures créées spécifiquement pour impulser des dynamiques et aider les
groupes à se structurer. Cet accompagnement est très apprécié dans la phase de
montage des projets, car les groupes se heurtent à de nombreuses questions
juridiques, techniques, financières, et ont besoin de conseils éclairés par des retours
d’expérience. Depuis peu apparaissent aussi sur le marché des bureaux d’études
« promoteurs de l’autopromotion », comme « Toits de choix », créé en 2007 pour
accompagner les projets d’habitat groupé écologique dans le sud-est de la France, ou
« REED » à Strasbourg. Il existe même des projets d’agences immobilières à vocation
écologique (Finistère nord). Nous présentons ici quelques structures
d’accompagnement ayant joué un rôle important dans l’appui à l’habitat groupé, ainsi
que les motivations qui ont pu conduire les membres de l’une d’entre elles, HESP’ère
21, à fonder cette structure.
122
HESP’ère 21, Paris
L’association « Habitats Eco-construits Solidaires en région Parisienne pour le 21ème
siècle » a vu le jour en avril 2007, suite à la mobilisation de plusieurs membres de
l’association des Amis de l’Eco-Zac, créée pour verdir le cahier des charges de la
ZAC de Rungis dans le 13° arrondissement. Une fois cette bataille emportée et cette
brèche ouverte, l’avenir des Amis de l’Eco-Zac était incertain. Une partie du groupe a
décidé de s’investir dans la promotion de l’habitat groupé pour aller plus loin dans la
conceptualisation de quartiers écologiques : pour ne pas se contenter d’infléchir un
cahier des charges technique, pour replacer les habitants au cœur de la démarche, et
leur permettre d’« habiter en cohérence avec leurs idées »85. HESP’ère 21 réunit
actuellement 40 membres dont 20 actifs. Une ancienne universitaire témoigne : « Ma
petite enfance, je l’ai faite dans les cerisiers. J’étais une fan de la campagne et une
fan de la ville. J’ai un côté biface, ce besoin de joindre les deux. C’est une difficulté à
supporter le minéral. […] J’avais dans la tête de rassembler un groupe de personnes
pour faire un immeuble écologique. Je traînais derrière un petit promoteur, je
recherchais des coins. Quand j’ai rencontré les Amis de l’Eco-Zac, j’ai dit oui. Avec
le plan masse de Rungis, il y a un an et demi, j’ai demandé : « et l’immeuble habitant,
qui va le faire ? ». Jérôme Couret, adjoint au maire du 13°, me dit : « il faut
rassembler 60 personnes ». Mais je ne suis pas organisatrice. Un des gars de l’Eco-
Zac a créé une liste éco-construction sur Google pour constituer un groupe. En deux
mois, des personnes ont adhéré et ce sont les premières recrues d’HESPère 21. 40
personnes sur la liste en deux mois, ça allait hyper vite, par le bouche à oreilles »86.
« Je suis allée voir le maire du 18° arrondissement. On a eu un RDV avec le chargé
de l’urbanisme. On a fait une première réunion publique et on a pris de nouvelles
orientations ». La réunion réunit une salle comble (plus de 80 personnes) en suscitant
un vif intérêt. Le groupe s’élargit aussi lors d’un cycle de conférences à La Villette,
les Amis de l’Eco-Zac font une intervention. Une architecte pratiquant la
réhabilitation écologique d’habitats sociaux rejoint l’association, mêlant des
quadragénaires et quinquagénaires travaillant dans l’action sociale, à forte sensibilité
écologique et un certain nombre d’architectes. Soit des personnes à fort capital
culturel, mais pas économique, les militances de chacun(e) et les trajectoires de vie
ayant conduit à faire des choix pas forcément lucratifs. « On a des classes moyennes
paupérisées. C’est aussi les conséquences des divorces ». « On a des gens très
engagés dans le social, on a des proprios qui veulent changer de vie, on a des gens
pas proprios dans la merde ».
Une architecte ayant pratiqué la coopération nord-sud et vécu au Congo témoigne :
« HESPère, c’est le résumé de beaucoup de choses, une sorte de convergence.
L’archi, la militance, s’opposer à cette tendance à s’endetter pour 50 ans si on veut
une pièce en plus. Je suis nostalgique de 68, de cette envie d’y aller, de cette envie
d’utopie […] Mon état d’âme, après la réunion publique : une telle énergie, tellement
concrète, bien bâtie, bien structurée… Quelque chose qui n’avait pas besoin d’autre
chose. Je me suis dit : que je sois là ou pas, il faut que j’appuie ce projet ».
Une autre ajoute : « C’est aussi une question de valeur personnelle et professionnelle.
Cette fameuse réunion du 18ième... J’ai un ami qui m’a prévenu : j’y vais tout de
suite. Les prises de position étaient très claires, l’expérience professionnelle, une idée
de bâtir concrètement… faire en sorte qu’il y ait un endroit concret. On parlait au
départ de différentes formes de propriété. Je suis phonéticienne, professeur de
85 www.place-publique.fr/article2733.html
86 Entretien avec 3 membres d’HESP’ère 21, 7 mai 2008, Paris.
123
linguistique. Je suis d’ex Yougoslavie, je suis restée ici après la guerre, je suis
consultante. J’ai divorcé, c’est dur. Là, j’ai retrouvé un engagement, des valeurs,
je pourrai acheter, avoir quelque chose à moi. La société, je ne lui fais pas confiance.
Si je peux dégager des revenus, j’ai un apport, j’ai un endroit où je peux m’engager.
J’ai goûté activement à l’autogestion, en Yougoslavie, à la fac à Zagreb. Ces pays
vivent une régression autour de la vie collective. J’ai vu que ça s’est dégradé. Je
voulais voir si ça peut se faire ailleurs. […] Je suis très engagée dans l’écologie,
depuis toujours. J’ai eu une bonne éducation, qui donne des ouvertures d’esprit.
dans ce projet, il y avait une réflexion mûre. Une autre chose très importante pour
moi : c’était souple, et il n’y a pas de monopole chez les fondateurs ».
HESP’ère 21 est décrite comme une couveuse à projets, car d’une part les projets
pourront accueillir dans une partie des locaux des activités libérales nouvelles, d’autre
part, l’association souhaite surtout impulser et accompagner différents groupes de
projet, sans se limiter à une opération. « On passe à l’action. On fait. On bâti
concrètement des idées. Il faut valoriser les ressources individuelles et les mettre
ensemble. On part d’une méfiance par rapport aux grands organismes gestionnaires,
aux bailleurs sociaux. Ca n’a pas marché. […] Les groupes qui sont en échec à
Paris, débattent sans jamais concrétiser. Ils sont en fait très contents, ils perdent des
adhérents. Les gens passent leur temps à partir. Jamais ils ne passeront à l’acte ». La
décision de chercher un terrain pour rénover ou bâtir est un pas qui n’est pas facile à
franchir, et qui génère des conflits, « surtout sur les rythmes, les envies (on y va) et
les peurs (on attend). Au départ, on n’avait pas de conflit. Maintenant, dans le
passage à l’acte, on a des conflits ». Deux arrondissements parisiens et la ville de
Montreuil ont été réceptifs à la demande de l’association, mais attendent une plus
grande maturation du projet.
Eco-Quartier Strasbourg, Strasbourg http://ecoquartier.free.fr
L’association a été fondée en 2001 pour pousser à la fois l’autopromotion et la construction
d’écoquartiers dans la communauté urbaine de Strasbourg. Elle promeut un « mode de vie de
qualité et économe en ressources ». Elle défend l’idée que l’investissement des habitants dans
un projet d’autopromotion peut, à l’image d’un ménage construisant « sa » maison, motiver
les citadins à rester en ville. La première opération impulsée, Eco-Logis Neudorf, regroupe
11 logements, du studio au 6 pièces, dans un immeuble de 4 étages en copropriété, situé dans
l’Ilot Lombardie, un quartier en renouvellement urbain constitué partiellement de friches
industrielles et d’habitat vétuste. D’un montant de 1,5 millions ! HT de travaux, la livraison
est prévue au second trimestre 2009.
Depuis le passage en phase opérationnelle d’Eco-Logis, 7 groupes d’auto-promoteurs se sont
créés à Strasbourg, la municipalité soutenant activement ces initiatives après une période
d’attentisme. L’association a édité en partenariat avec le Conseil Général du Bas Rhin un
« Guide pratique pour l’autopromotion ».
HEN, Nantes http://hen44.free.fr/20070201/
Habitats et Energies Naturels est une association de promotion de l’habitat écologique,
adhérente à la fédération des CIVAM 44, qui compte environ 300 membres. « L'association a
choisi l'option "réalité" et "pragmatisme" par la mise en application de projets concrets sur
les techniques d'éco-construction, du bâtiment bioclimatique et des énergies renouvelables
accessibles pour tous ». Elle appuie les projets de construction écologique en circuits courts
et les éco-hameaux.
L’association soutient actuellement 6 projets, dont un à Rezé. Dans le cadre du PLU,
l’opération de Rezé réunit 12 logements semi-collectifs dont 6 locatifs sociaux, en partenariat
avec un bailleur social, sous la forme d’une coopérative de construction.
A Nord Sur Erdre, un éco-lotissement d’une dizaine de maisons a trouvé un terrain d’accueil.
124
L’Echo-Habitants, Nantes
L’association a été créée en novembre 2006 à l’initiative d’habitants de l’agglomération
nantaise pour accompagner les groupes d’habitat groupé et coopératif, suite à l’identification
d’une demande sociale pour ce type d’habitat. L’idée initiale était de monter un ou plusieurs
projets d’habitat groupé. L’association, qui dispose de compétences internes en architecture et
gestion de projet, a ensuite évolué vers la réponse à un besoin d’accompagnement. Elle est
donc structurée en deux entités : montages de projets pilotes sur la Loire Atlantique (douzaine
de foyers intéressés) ; appui technique aux groupes en formulant la demande. Elle appuie
avec HEN le projet de Rezé, ainsi qu’un groupe d’habitants sur le territoire de Saint-Herblain.
Un partenariat avec Nantes Métropole, les communes de l’agglomération et les SEM a été
établi pour identifier des possibilités foncières dans les PLU et négocier leur disponibilité. La
communauté urbaine a subventionné l’association en 2007 et 2008 (appel à projets économie
sociale et solidaire). L’association participe au réseau « Groupement de Ressources
Territoriales » du Grand Ouest. www.lechohabitants.org
Eco Habitat Solidarité et Parasol, Rennes
Un réseau d’économie sociale et solidaire réunissant 9 organisations impulse en 2008 une
newsletter « Eco Habitat Solidarité » et recense les projets d’habitat groupé, à l’occasion d’un
stage d’un étudiant en master. A l’issue de sa formation, celui-ci fonde l’association Parasol,
« Participer pour un habitat solidaire », avec l’appui du chargé de communication de Nouvel
Air. Parasol est né d’un constat d’un chaînon manquant entre les groupes d’habitants et les
opérateurs du bâtiment. L’association accompagne actuellement un projet en milieu urbain et
deux en riurbain. L’énergie, les déplacements et l’eau sont ses trois priorités
environnementales. www.eco-habitat-solidarité.org et http://www.hg-rennes.org
éCOhabitons, Montpellier
L’association éCOhabitons, « Pour un habitat groupé, bioclimatique et écologique aux
environs de Montpellier », créée en 2007 par un groupe de particuliers, dit vouloir inventer de
nouvelles formes d’habiter, en se démarquant du modèle pavillonnaire périurbain. En partant
du constat que « les standards actuels de logement ne correspondent pas aux aspirations des
habitants ni aux enjeux de société », enjeux sociaux, environnementaux et de santé,
l’association défend un bâti « compact, bioclimatique, qui réponde au minimum aux normes
de basse consommation Effinergie (BBC, au maximum 50 kWh (primaire) /m2/an), et dont le
choix des matériaux limite l’énergie grise utilisée ». La diminution de l’empreinte des
matériaux sur l’environnement et la santé est recherchée. L’intégration de cet éco-habitat en
ville nécessite une mixité des fonctions ainsi que la réduction de la part modale de la voiture.
Sur un plan social, l’accent est porté sur l’habitat personnalisé, la convivialité et la
mutualisation des espaces, la mixité des habitants (âges, professions, origines ethniques,
ressources) à travers la mixité du bâti (taille des logements, accession à la propriété, locatif,
logement social, auto-construction).
L’Association se propose de :
« Rassembler les personnes qui sont intéressées par un projet d’habitat groupé bioclimatique
et écologique, en locatif ou en accession. Favoriser leur prise de connaissance mutuelle.
Constituer progressivement des groupes par affinité autour de projets concrets qui tiennent
compte : des demandes de chaque foyer, des demandes d’activités et d’espaces communs, des
objectifs de construction bioclimatique et écologique de chaque groupe.
Rechercher les opportunités foncières pouvant accueillir des projets d’habitat groupé
bioclimatique et écologique dans le bassin de vie de Montpellier.
Aider au cadrage programmatique, juridique, financier et technique des projets ».
www.ecohabitons.free.fr
125
Cohérence, Lorient
Le réseau Cohérence, « Pour un développement durable et solidaire », est une plate-forme de
114 associations fédérées autour de la mise en œuvre d’un développement durable.
Cohérence accompagne 2 projets de 10-15 logements écologiques passifs, et organise des
visites d’habitat groupé à l’étranger. L’un de ces projets est porté par l’association lorientaise
CAP HEOL, soutenue par le FSE 10B, qui souhaite construire un « écovillage du bien-être ».
Une vingtaine d’acteurs voudraient développer à la fois de l’habitat et des activités
économiques promouvant une certaine approche de la santé (sophrologie, relaxation).
www.reseau-coherence.org et www.cap-heol.fr
Kejal Morlaix
Cette SCOP de conseil et accompagnement de projets écologiques et solidaires, de création
d’entreprises alternatives, a vu le jour en 2004 (commerce équitable, éco-construction,
énergies renouvelables, produits bio, …). Le pays de Morlaix lui a confié une étude sur les
éco hameaux et l’habitat groupé, avec le soutien du Contrat Etat Région et du programme
LEADER +. L’étude distingue l’éco-quartier, opération importante en milieu urbain, l’éco-
lotissement, reproduisant le lotissement classique infléchi vers la cité-jardin, l’éco-village,
plus communautaire et cherchant des formes d’autonomie notamment énergétique, et l’éco-
hameau, petite opération d’habitat groupé en milieu rural. L’association a lancé une
sensibilisation à l’habitat groupé par l’organisation de réunions publiques dans le pays de
Morlaix. www.kejal.fr
Les habILES, Grenoble
Créée en 2008, l'association « habitats Isérois Libre et Solidaire » est issue du réseau local de
l'habitat groupé et a pour but de favoriser l'émergence et la réalisation de projets d'habitats
groupés en Isère.
http://www.alpesolidaires.org/habitats-groupes
La mise en réseau nationale
La mise en réseau des initiatives locales -groupes d’habitants et structures
d’accompagnement- est à l’origine de la démultiplication récente des projets. La
première rencontre des groupes d’habitat groupé s’est tenue en juillet 2006 à Lyon,
organisée par l’association lyonnaise Oïkos87, le réseau Ecobâtir88 et la région Rhône-
Alpes89. Le terreau lyonnais, marqué par le mouvement coopératif et
autogestionnaire, se prête à l’éclosion de telles initiatives. D’autre part, la proximité
avec la Suisse, en particulier Genève les coopératives d’habitants jouissent d’une
bonne légitimité, aurait influencé les porteurs de projet lyonnais. « Il y a une culture
de l’alternatif, là-bas, en Allemagne et en Suisse. Ici, on a peur de l’alternatif, on a
peur que ça pète. Là-bas, c’est valorisé »90. La rencontre nationale exprime la
nécessité de « laisser des traces », par les comptes-rendus de ces rencontres, de
fédérer et démultiplier les énergies, et préfigure le besoin d’un réseau structurant le
mouvement.
87 Créée en 1992 à Lyon, l’association est un centre de ressources et de formation sur l’éco-
construction, dotée de six salariés et à moitié financé par la Région Rhône-Alpes.
88 Créée en 2003 cette association nationale regroupe des acteurs de la construction écologique :
professionnels et auto-constructeurs. Elle n’est pas financée.
89 Kovacova E., 2006, op. cit.
90 Responsable de l’Echo-Habitants, exposé auprès du groupe de travail Ecoquartiers de Nantes
Métropole, 7 septembre 2007, Communauté urbaine de Nantes.
126
La constitution d’un réseau est vue comme une condition de l’essor du mouvement.
Un membre de l’association l’Atelier blanc, Bruno Thouvenin, en a pris l’initiative91.
Ce réseau national d’habitat groupé permettrait d’offrir à la fois des compétences et
des partenaires pour les personnes intéressées. Il crédibiliserait la démarche de
l’habitat groupé, en la rendant plus visible et plus structurée. Il permettrait la
capitalisation des expériences, afin de mutualiser les connaissances stratégiques pour
la réussite d’un projet, de ne pas reproduire les erreurs ni réinventer le fil à couper le
beurre, et enfin, d’économiser des forces. Le pragmatisme est également revendiqué :
il s’agit « d’aider des projets concrètement », de « faire des choses utiles
concrètement » 92.
On retrouve ici l’ensemble des vocations des réseaux d’appui aux initiatives locales
étudiées précédemment dans le contexte états-unien : la formation, la mise en relation
avec des partenaires, la légitimation d’un mouvement, la capitalisation des
expériences. En termes de formation, les besoins sont nombreux, notamment pour le
montage juridique, financier, et l’animation de groupe, trois points particulièrement
difficiles pour des néophytes. La coopérative d’habitants n’existant pas en France, les
montages juridiques ne sont pas complètement satisfaisants. Côté financement, les
banques sont réticentes pour des prêts collectifs, et les dispositifs d’aide au foncier
(« pass foncier ») ou au logement (APL) ne sont pas adaptés à l’habitat groupé.
Quant à la gestion de groupe et des prises de pouvoir, elle ne peut non plus
s’improviser. La demande d’accompagnement, de réflexion partagée, de méthodes
d’animation et de gestion des conflits s’exprime clairement dans les groupes déjà
constitués93. Une partie des échecs sont dus à une anticipation insuffisante des
problèmes. On ne peut ici que se remémorer l’importance de la formation des leaders
communautaires par les méthodes d’Alinsky, un background qui serait utile à des
habitants parfois en désarroi devant les jeux de pouvoir internes aux groupes. Il faut
toutefois mentionner qu’un nombre significatif d’habitants impliqués dans les projets
d’habitat groupé sont formateurs dans leur vie professionnelle. Leurs compétences
sont assez centrales pour la survie des groupes.
Il existe aussi un besoin particulier auquel le site Internet d’un réseau national peut
répondre : la mise en relation entre l’offre et la demande, les groupes cherchant
fréquemment des habitants, et les habitants étant souvent en attente d’un groupe…
Au-delà, l’identification des entreprises d’éco-construction, la répartition des centres
de ressources en France sur tel ou tel aspect de l’éco-construction nécessitent une
organisation nationale. Il est intéressant que ce projet de réseau, en 2006, ne veuille
pas se doter de structure particulière. Le réseau serait « un regroupement d’individus
et de structures », un peu comme aux Etats-Unis. Il est conçu comme une fédération.
Il ne s’agit pas non plus d’imposer de modèle. Chaque projet d’habitat groupé définit
ses priorités spécifiques, la diversité est importante. Tous les habitats groupés
n’incluent pas forcément la problématique de l’éco-construction, même si une grande
part le fait.
Après la première rencontre lyonnaise de 2006, une autre structure lyonnaise prend le
relais et s’engage dans un véritable travail de coordination et de lobbying auprès des
pouvoirs publics : Habicoop organise trois rencontres nationales de l’habitat
coopératif, à Lyon, Toulouse et Bordeaux, en 2007 et 2008, suite aux nombreuses
demandes suscitées par l’existence de l’association, qui communique via un bon site
91 L’Atelier blanc est une association d’accompagnement à l’éco habitation dans le sud-ouest de la
France, qui a notamment porté le projet de l’Isle Arné dans le Gers. www.atelierblanc.asso.fr
92 Kovacova E., 2006, op. cit., p 9-11.
93 3° rencontre nationale de l’habitat coopératif, Habicoop, Bordeaux 2008.
127
Internet94 et des brèves dans des journaux militants. Ces rencontres réunissent
différents groupes de projet, des structures d’accompagnement, des témoins
d’expériences étrangères, quelques universitaires. La rédaction de comptes-rendus
détaillés, l’organisation des ateliers avec prise de notes permettent de capitaliser les
réflexions. Lieux d’échanges entre les groupes, ces rencontres construisent la
dynamique du mouvement.
Habicoop a été créée fin 2005 avec l’appui du FSE pour promouvoir les coopératives
d’habitants, suite à des discussions informelles entre groupes de citoyens. Dotée de
deux salariés, elle est financée par la Région Rhône-Alpes, la Fondation de France et
la DIIESES. Elle compte 158 adhérents dont l’URSCOP Rhône-Alpes, la coopérative
HLM Rhône Saône habitat, la NEF, des SCOP et associations. L’initiative vient de
quelques environnementalistes, dont l’un travaillant à l’association de promotion des
énergies renouvelables de la région lyonnaise, Hespul, marqué par les luttes
antinucléaires de ses parents (qui seront les premiers en France à obtenir un
raccordement au réseau pour le photovoltaïque), et une ancienne députée verte
européenne. Vauban reste un modèle qui leur donne envie d’agir, mais on s’inspire
aussi des expériences suisses, canadiennes, brésiliennes, au fil des voyages et
rencontres (forum social européen de 2003) : « Dans tous les contacts qu’on a eu, la
dimension environnementale sort en premier, c’est un constat, avant le statut
coopératif »95. Le groupe est aussi composé d’architectes, de personnes issues de
l’économie solidaire et de travailleurs sociaux.
Le constat de l’inexistence juridique des coopératives d’habitants en France et du
risque d’échec des projets a motivé la création de l’association Habicoop. Le Village
vertical, défendant l’habitat écologique, s’était constitué six mois auparavant, à
l’initiative de quelques militants. Une structure d’accompagnement qui puisse
capitaliser les expériences paraissait nécessaire.
La structuration de réseaux régionaux
L’effort de fédération au niveau national a aussi des retombées régionales. Le
partenariat « Habitat Groupé Ouest » est né par exemple de la première rencontre
nationale organisée par Habicoop en novembre 2007 à Toulouse. La Chambre
Régionale de l’Economie Sociale de Bretagne avait initié, dans le cadre d’un appel à
projets européen, l’Inter-réseau ECO3 (Bretagne, Pays de la Loire, Basse
Normandie), fédérant les acteurs de l’habitat écologique et solidaire. Des membres
d’Habitat Groupé Ouest s’y impliquent à travers un groupe de travail Habitat Groupé.
Cette mise en réseau régionale a pour finalité de constituer un pôle de ressources et
d’appui -un groupement de ressources territoriales- capable d’accompagner les
projets (le réseau national étant pour cela trop distant), de développer les partenariats
et la réflexion prospective. Il s’agit aussi de construire des filières d’éco-construction
territoriales, mobilisant des ressources, main d’œuvre et capitaux locaux.
La « première rencontre des groupes d’habitants du grand Ouest » a été organisée en
juin 2008 à Redon. La ville de Redon était en effet déjà sensibilisée, ayant accueilli
en 1986 la coopérative de construction Kergitbois96 dans le cadre du MHGA. La
94 www.habicoop.fr
95 Entretien à l’association Hespul, Lyon, 13 mai 2008.
96 A l’initiative de 4 foyers, la coopérative a acquis un terrain de 5400 m2 pour 6 maisons en ossature
bois, en partenariat avec la ville, une entreprise industrielle en reconversion vers la construction en
ossature bois et la Coopérative de construction d’Ille-et-Vilaine, promoteur du projet et propriétaire de
2 maisons attribuées en location.
128
rencontre a été organisée par des structures d’accompagnement de l’habitat groupé :
la Scop Oxalis d’accompagnement à la création d’entreprise solidaire, le promoteur
coopératif rennais La Coop de construction, qui a réalisé l’opération devenue célèbre
de Salvatierra (immeuble de 40 logements écologiques), Eco Habitat Solidarité
Rennes, l’Echo-Habitants Nantes, Cohérence Lorient et Kejal Morlaix. On voit la
capacité des acteurs et leur envie de se mettre en réseau pour structurer de véritables
alternatives et filières. Il existe aussi des rencontres interrégionales du réseau de
l’habitat groupé, comme celle organisée par Passerelle Eco dans le Morvan en août
2008.
Dans le Grand Est, c’est encore Habicoop qui appuie un certain nombre de groupes
de projet : outre le village vertical à Villeurbanne, les groupes d’habitants La
Duchère, Lyon Confluence, Centre, Vaulx-en-Velin, La Talaudière (6 km de Saint-
Etienne), St Germain-aux-Monts-d’Or, ainsi que des groupes à Besançon, Romans,
Grenoble, Nîmes, St Etienne. Habicoop a recensé toutes les ZAC de la communauté
urbaine et a démarché les élus. Les opérations de Vaulx-en-Velin et de la Duchère
sont bien avancées. Le changement de responsable à la tête du GPV a permis
l’attribution de deux lots à deux groupes pour la Duchère. Le maire de Vaulx-en-
Velin, vice-président de la Communauté Urbaine de Lyon, a été sensibilisé à cette
approche suite à un voyage au Canada. Les terrains sont acquis au même tarif que
pour de l’habitat social, soit entre 150 et 200 euros par m2 de Shon, avec un taux
d’intérêt de 1,5 à 2%. Habicoop défend la possibilité d’un prêt à taux zéro pour le
foncier, ce qui demande une évolution législative97.
Conclusion
Un ensemble d’initiatives multiples et cependant convergentes, nourries par divers
réseaux et médias encourageant la mise en pratique quotidienne d’idées et de valeurs
redéfinissant le mode de vie et d’habiter, se construit parallèlement à l’affirmation du
référentiel de l’urbanisme durable, et aux opérations portées aujourd’hui couramment
par de grands architectes ou promoteurs. Il en constitue indéniablement une variante
alternative, qui joue pour l’instant dans les interstices des PLU ou des ZAC. Cette
éco-citoyenneté en actes se ressaisit de l’habiter comme acte politique, dans la veine
du MHGA, et commence à reconsidérer la ville avec l’envie et l’espoir d’un
renouveau écologique. Face à l’inadéquation de l’offre, à l’introuvable éco-habitat
urbain, des citadins se mettent en quête de terrains, de techniques de construction, de
retours d’expérience et de voisins pour tenter d’apporter des réponses, leurs réponses,
à la crise écologique et socio-économique.
Cette reprise en main naissante de la ville et de son potentiel écologique constitue à
nos yeux le sillon d’un renouvellement urbain capable de ne pas s’en tenir à une
réhabilitation formelle ou thermique, capable de faire advenir un vivre ensemble à
une échelle largement inexplorée. Un monde s’ouvre dans l’inédit interscalaire, dont
cette incursion dans le monde de l’habitat groupé ne donne qu’un avant-goût.
97 Entretien à Hespul, Lyon, 13 mai 2008.
129
Conclusion
Tout au long de cette étude, nous avons pensé le renouvellement urbain à une double
échelle : l'échelle du quartier et de l'îlot en termes opérationnels, et l'échelle de la ville
comme horizon de durabilité, dans l'idée d'un renouvellement écologique des milieux
urbains et de leurs potentiels. Nous avons analysé des expériences qui mettent en
scène des communautés environnementales, qui se consolident et deviennent actrices
du renouvellement urbain. Ce renouvellement engage :
1) Une réappropriation des lieux, appropriation qui peut être vue comme le levier
d'une citoyenneté environnementale (Boyce et al., 2003) ; il faut remarquer qu'un
certain nombre d'expériences revendiquent le caractère singulier des lieux dans
lesquels elles s'inscrivent, par l'affirmation d’un génie des lieux ou par l'envie de créer
des éco-lieux.
2) Une gestion en bien commun qui fait d'un quelconque espace urbain et, le plus
souvent, d'un délaissé, une ressource commune. Dans un contexte de précarité
croissante ou de transformation urbaine faisant encore passer la qualité des lieux loin
derrière leurs valeurs spéculatives et foncières, des personnes ajoutent collectivement
à la valeur des lieux, reconnaissant de ce fait tant le capital qu'ils constituent que la
nécessité d'une gestion en commun pour en maintenir la valeur. Plus encore, l'étude
de ces expériences nous amène à nous demander si la ville ne vient pas à en être
considérée de plus en plus comme un bien commun. L'environnement devient œuvre
collective, miroir du social.
3) De nouvelles modalités d'action conjointe, déjà inscrites au cœur des politiques
locales aux Etats-Unis, dans le sillage des mouvements des minorités pour les droits
civiques et des mouvements de rénovation des centres urbains dégradés (Martel,
2007), et qui se sont imposées en Allemagne et aux Pays-Bas plus récemment. Au-
delà, ces pratiques engagent un renouveau des politiques urbaines locales.
4) Mais surtout, un renouvellement de l'engagement politique, qui passe par le faire,
le mode d'habiter et les modes de vie. Ces formes d'engagement construisent des
communautés environnementales. Le primat est donné à l'action et à l'émancipation
politique, à la construction de propositions urbaines par des citoyens habitants, alter-
consommateurs, investisseurs de lieux et créateurs de milieux de vie.
5) Une voie alternative d'urbanisme durable, enfin, qui ne sépare plus la production
du cadre de vie des projets de vie individuels et collectifs, à la reconquête d'un mode
d'être et d'habiter sur terre.
Ceci dit, ce travail d'étude qui met en scène de nouveaux collectifs engagés dans
l'action vers une ville durable met à jour plus de questions qu'il n'apporte de réponses,
notamment sur le plan méthodologique de l'action publique. Il reste donc bien du
travail à faire, et parmi les questions qui nous semblent se dégager de manière
prospective, deux d'entre elles au moins sont essentielles :
1) La réappropriation de la fabrique urbaine est interstitielle, avec un décalage entre
les désirs de réappropriation et les possibles dans des environnements urbains la
plupart du temps très contraints (sur les plans financiers, réglementaires, coutumiers,
etc.). Comment désenclaver ces expériences pour qu'elles débordent du champ de
l'expérimentation sociale ? Quelles sont les voies de diffusion de l'appropriation
habitante qui puissent rendre possible sa généralisation ? Quelles règles faut-il
transformer, en commençant par le plus simple : la cogestion des espaces verts, par
130
exemple. Quelles libertés faut-il offrir ? Comment libérer la ville et la fabrique
urbaine ? Quels sont les principaux verrous qui constituent un frein voire un
empêchement à l'action ? Cette question englobe celle de l'utilité sociale des
personnes âgées dans un contexte de vieillissement avancé des populations
européennes, et d'autres personnes engagées localement.
2) Un autre modèle démocratique, pour la France, collaboratif, plus attentif au "place-
based knowledge" ou savoirs locaux, dans un contexte où le pouvoir est encore pensé
et gardé d’une manière très hiérarchique. Comment favoriser et faire en sorte que la
ville devienne ce lieu démocratique à travers la prise d’initiative d’une pluralité de
personnes, tant sur un plan ethnique que culturel ? La démocratie d'interaction
(Rosanvallon, 2008) pointe cette évolution dans nos démocraties : vers plus de
proximité, plus de co-présence, favorisant ainsi non plus la représentation abstraite,
mais la volonté de faire monde à partir d’un environnement vécu et réinvesti, porteur
de valeurs politiques. Comment, dès lors, ouvrir radicalement les élus aux mondes et
aux propositions politiques qui se forgent autour d’eux et dont ils ne sont pas
acteurs ?
131
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... L'accès à la terre pour les citadins, par exemple, à un bout de jardin individuel ou collectif, met en jeu une réappropriation de la fabrique environnementale qui rencontre sans doute un besoin très ancien en le réinterprétant : laisser une marque sur terre, se fabriquer un monde qui ne soit pas cantonné à l'espace du logement, un espace d'autodétermination. Ce rapport au monde peut s'instaurer en milieu urbain par une gestion en bien commun de certains espaces, une pratique facilitée par les pouvoirs publics pour différents motifs en Amérique du nord, en Europe du nord ou en Russie (Blanc, Emelianoff, 2008). Cette gestion en bien commun revendique parfois une forme de souveraineté populaire sur les ressources environnementales. ...
Chapter
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PERCEIVING GLOBAL CONCEPTS THROUGH LOCAL PRACTICES This book is about people's involvement in politics. The authors explore large-scale and complex political processes through the prism of detailed anthropological fieldwork. Research in specific localities in India, Cuba, Ethiopia, Taiwan and Lebanon is used to develop a broader understanding of global political phenomena, such as democracy, representation and accountability. Governments, the United Nations and aid agencies often treat terms such as 'democracy', 'representation' and 'accountability as if they can be used as yardsticks to measure the 'goodness' of a particular government. This book questions these assumptions by asking how human beings from different walks of life relate to and reflect on large political issues and about the workings of the polity in which they find themselves. In line with recent political anthropology which is contextualised in, and emphasizes, the experiences of people, such as hunter-gatherers, peasants, housewives or students, we want to show how essentially political their everyday activities are. As they are removed from the public institutions and arenas where power is exercised, confirmed and contested, not much importance has been attached to the political aspects of their activities. Here we want to show how various categories of actors in their daily work and interactions with relatives. Introduction; People, Power and Public Spaces friends, and officials, reflect on, talk about and engage with government plans, policies and legislation as well as with their own traditions. When discussing government interventions, people also evaluate them, and through their comments allow us to see many cd their predilections for ideals such as those relating to good governance', like accountability, free speech, power-sharing and the rule of law. Their reflections also reveal that they see through government rhetoric and judge what is happening from their continuous observation of government practice. The experiences of the respective actors provide the basis for their individual strategies and for how they relate to more abstract ideas about good and bad governance. Their strategies do not necessarily have a clear-cut aim vis a-vis their governments; rather they can be seen as part of everyday attempts at survival in often difficult circumstances. Developing their strategies, people show a great awareness of which policies may be pertinent to a specific situation, taking both explicit and implicit rules into consideration when coping. In most cases they seem to have developed their own strategies of adaptation in their dealings with government officials, trying not to incur too many losses, but if possible some gains.
Article
Urban Planning as Practical Thinking Urban planning that aims to repoliticize the city at grassroots level, far from large-scale projects, is preventing the experts from monopolizing daily life. The neighbourhood concept serves as a pretext for triggering dialogue between elected representatives, experts and inhabitants. This pragmatic urbanism rejects spatialism, coercive economic planning and technicism. But its extreme sensitivity to fluctuating contexts makes its aims uncertain.
Article
Aux Etats-Unis la pensée théorique de la planification est en crise depuis quelques années. On se rend compte que le «paradigme normal» (celui des années 60) ne tient plus ; pourtant aucune des alternatives n'arrive véritablement à le dépasser. L'approche collaborative, qui se développe pragmatiquement dans le champ de l'environnement, peut-elle être proposée comme solution ?
Article
Le texte étudie les changements intervenus en trente-cinq ans dans la politique de lutte contre la pollution atmosphérique en France. Notre approche privilégie l’analyse des instruments (réglementaires, techniques et scientifiques) en caractérisant à la fois leurs effets propres et la mobilisation des acteurs qui en préconisent l’utilisation. Les transformations sont étudiées en quatre phases : la première part de l’approche réglementaire du problème, la deuxième traite de ses critiques à partir de l’intrusion de nouveaux instruments de mesure, la troisième montre l’impact de la combinaison de nouveaux instruments juridiques et épidémiologiques, la quatrième est centrée sur le processus de stabilisation récent où s’est imposée une nouvelle catégorisation du problème public et des réseaux d’acteurs en charge de sa gestion. Les instruments ont joué un rôle central dans cette dynamique en objectivant le phénomène, en fournissant une grille d’interprétation des causes et en orientant le choix des mesures de gestion. En cela ils sont d’excellents traceurs des changements.
Book
Exigence de justice sociale et aspirations de l'individualité sont-elles compatibles ? C'est cette question de philosophie politique que développent ici trois sociologues, loin des propos catastrophistes concernant l'individualisme contemporain. Mais chacun le fait avec des orientations propres. Jacques Ion se centre sur les engagements militants. François de Singly dessine un "socialisme individualiste" plus réformiste. Et Philippe Corcuff une "social-démocratie plus libertaire" plus radicale. Ces synthèses font apparaître les avancées émancipatrices comme les difficultés générées par l'individualisme contemporain. De la consolidation de l'autonomie individuelle et de la place de l'intimité au mal-être identitaire. Ils en tirent alors des conséquences pour la réinvention, contre le néolibéralisme économique, d'une politique émancipatrice pour le XXIe siècle.
Article
Henri Lefebvre, mort en 1991, avait depuis longtemps compris l'importance de la question urbaine dans le changement social et le débat politique. Ce texte de 1970 devient enfin actuel.