La documentation fossile concernant les grands Mammifères marocains est plus lacunaire que celle des micromammifères ; ce n'est que pour les trois derniers millions d'années environ que l'image que nous avons de leur évolution au Maroc est relativement complète. Les principaux jalons, très irrégulièrement espacés dans le temps, sont les suivants : 1) les gisements du bassin des phosphates des Ouled Abdoun (région de Khouribga) au début du Paléogène, vers 60 à 55 Ma, essentiels pour interpréter l'histoire ancienne des grands Mammifères africains, mais avec des assemblages fauniques très incomplets, 2) après une très longue lacune, le site de Beni Mellal à la fin du Miocène moyen, vers 13 Ma, 3) deux sites du Miocène supérieur encore très mal documentés, Skoura près de Ouarzazate vers 7 Ma et Lissasfa à Casablanca vers 6 Ma, 4) Ahl al Oughlam à Casablanca à 2,5 Ma, site extrêmement riche, et le seul dont l'assemblage faunique soit à peu près complet et équilibré, 5) les sites de Thomas-Oulad Hamida (dont la grotte des Rhinocéros) à Casablanca, vers 0,5 à 0,6 Ma, 6) le site du Djebel Irhoud à la fin du Pléistocène moyen, 7) les localités du Pléistocène supérieur et Holocène du littoral atlantique, entre Rabat et Casablanca, la mieux étudiée étant celle de El Harhoura (voir Zouhri et al. sous presse). Au caractère parcellaire de ces témoignages fossiles s'ajoute malheureusement l'insuffisance des travaux paléontologiques et archéozoologiques pour les périodes les plus récentes, de sorte qu'il faut souvent se contenter de listes fauniques plus ou moins fiables, difficiles à vérifier quand le matériel est inaccessible ou mélangé. Il est clair que notre documentation concernant les grands Mammifères du Maroc (et du Maghreb en général) devra encore s'enrichir significativement avant de pouvoir rivaliser avec celle d'Afrique Orientale. Premiers Mammifères Les plus anciens Mammifères connus en Afrique proviennent des gisements de phosphates du Maroc, dans le bassin des Ouled Abdoun. Vieux de 55 à 60 Ma, ils sont représentés par des restes très bien conservés et relativement complets pour cet âge. A côté de taxa qui peuvent être inclus dans des groupes connus, d'autres (Ocepeia, Abdounodus) se situent au voisinage de la souche des Afrotheria, Mammifères nés en Afrique, qui comprennent aussi bien les oryctéropes que les tenrecs, proboscidiens, damans et siréniens. Les recherches en cours sur ces découvertes récentes (Gheerbrant et al. 2014, 2016), au-delà de leur apport majeur à la question de l'origine de plusieurs groupes africains, contribuent largement à établir les relations phylétiques des divers ordres de Mammifères ongulés. Hyracoidea Les Hyracoïdes ne comptent plus aujourd'hui que quelques genres d'animaux de petite taille, apparentés aux Proboscidiens et aux Siréniens, mais ils ont connu dans le passé, et en particulier en Afrique où ils sont nés, une radiation adaptative étonnante, puisqu'ils y ont occupé les multiples niches écologiques qui seront prises par la suite par les divers groupes d'ongulés. Il n'est guère douteux qu'ils aient été présents au Maroc à leur apogée vers l'Oligo-Miocène mais, faute de documentation pour cette époque, ils n'apparaissent que très sporadiquement, dans le bassin des Ouled Abdoun (Eocène inférieur) avec Seggeurius sp. (Gheerbrant et al. 2003), puis à Beni Mellal avec Parapliohyrax mirabilis (Lavocat 1961, Ginsburg 1977a) ; aucun autre Hyracoïde n'est connu au Maroc. Proboscidea Les Proboscidiens ont aussi connu dans le passé, en particulier au Miocène, une diversification sans rapport avec leur statut actuel de groupe relicte, qui ne comprend plus aujourd'hui que deux (ou trois) espèces. Ils sont assurément nés en Afrique, et c'est du bassin des phosphates des Ouled Abdoun que proviennent leurs plus anciens représentants, tous décrits au cours des vingt dernières années, à la suite de découvertes majeures qui ont complètement renouvelé notre connaissance de l'origine de ce groupe (e.g. Gheerbant et al. 2005, Sanders et al. 2010). Le statut exact de certains d'entre eux est encore discuté, parce qu'ils ne sont encore connus que par des restes incomplets, mais dans l'ensemble leur position au voisinage de la base du groupe des Proboscidiens n'est guère douteuse. Comme ils datent d'environ 55 à 60 millions d'années, ce sont encore pour la plupart des animaux de petite taille, où les caractères du groupe sont encore difficiles à reconnaître, mais le plus étonnant est leur morphologie dentaire, qui rappelle celle des tapirs, avec des molaires pourvues de crêtes transversales (dents dites "lophodontes") qui seront perdues par la suite au profit de tubercules arrondis. Le plus ancien d'entre eux semble être Eritherium du Paléocène moyen (Gheerbrant 2009), suivi par Phosphatherium et Daouitherium de l'Eocène inférieur (Gheerbrant et al. 1996, 2002) ; ce dernier atteignait les dimensions d'un tapir, taille rare à l'époque. Khamsaconus de l'Eocène inférieur de N'Tagourt dans le bassin de Ouarzazate est un autre possible Proboscidien (Sanders et al. 2010). Enfin, Adnet et al. (2010) ont récemment signalé un autre Proboscidien, déjà connu en Algérie, Numidotherium, dans l'Eocène (supérieur ?) de Dakhla. Une longue lacune sépare ces Plésiéléphantiformes du Deinotherium de Beni Mellal (Rémy 1976), lointain cousin des éléphants qui persistera ailleurs en Afrique jusqu'à la fin du Pliocène. Il est dépourvu de défenses supérieures mais possède des défenses inférieures assez courtes et recourbées vers le bas, dont la fonction exacte est encore inconnue. Paradoxalement, il possède lui aussi des dents lophodontes, mais cette morphologie est acquise secondairement.