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ARTICLE / ARTICLE
Migrations internes et santé à Dakar (Sénégal). Comparaison
de l’autoévaluation de la santé, de l’hypertension artérielle et de l’obésité
des migrants internes et des personnes originaires de Dakar
Internal migrations and health in Dakar (Senegal). Comparison of self-rated health, hypertension
and obesity between internal migrants and dakarites
P. Duboz · E. Macia · L. Gueye · N. Chapuis-Lucciani
Reçu le 10 février 2010 ; accepté le 6 septembre 2010
© Société d’anthropologie de Paris et Springer-Verlag France 2011
Résumé L’objectif de cet article est de comparer les préva-
lences d’hypertension et d’obésité ainsi que l’autoévaluation
de la santé des migrants internes et des populations originaires
de Dakar en tenant compte de la durée de résidence et
de l’insertion socio-économique des migrants. L’échantillon
de population, représentatif de la population du département
de Dakar, comprend 600 individus. Les caractéristiques
sociodémographiques, le statut de migrant, la durée de rési-
dence à Dakar, l’autoévaluation de la santé, l’hypertension
artérielle (HTA), le poids et la taille des individus ont été
recueillis. Les analyses statistiques utilisées sont des tests du
Chi
2
et des régressions logistiques binaires. Les résultats
obtenus montrent que le statut de migrant n’est pas lié aux
variables utilisées lors de cette étude afin d’évaluer l’état
de santé des individus. Par contre, toutes choses égales par
ailleurs, la durée de résidence à Dakar l’est : les personnes
originaires des villes secondaires et du milieu rural, ont signi-
ficativement moins de risques d’être affectées d’HTA et d’être
obèses lorsqu’elles vivent à Dakar depuis moins de dix ans.
Contrairement au statut migratoire, la durée d’exposition à
l’environnement urbain et les changements de mode de vie
qui y sont associés déterminent l’apparition de l’HTA et de
l’obésité. Par contre, ils ne conditionnent pas l’autoévaluation
de la santé, connue pour être corrélée à l’état de santé réel
des individus. Pour citer cette revue : Bull. Mém. Soc.
Anthropol. Paris 23 (2011).
Mots clés Anthropologie biologique · Migrations internes ·
Santé · Hypertension artérielle · Obésité · Sénégal
Abstract This article compares self-rated health and the
actual prevalence of high blood pressure and obesity among
Dakar’s internal migrants and native inhabitants, according
to how long they have resided in Dakar and their level of
socio-economic integration. Based on survey data from a
representative sample of Dakar’s population, comprising
600 individuals, we analyzed the links between migration
and health. The socio-demographic characteristics, migration
status, time of residence in Dakar, self-rated state of health,
blood pressure, weight and waist size of individuals were col-
lected during face-to-face interviews. The statistical analyses
were performed with Chi square tests and binary logistic
regressions. The results show that there is no link between
migration status and the variables used here to assess the
health status of individuals, but that, all other factors being
equal, the reverse is true for the duration of residence in
Dakar: people from secondary towns and rural areas are signi-
ficantly less likely to develop high blood pressure or to
become obese if they have lived in Dakar for less than
10 years. The length of exposure to the urban environment
and associated changes in lifestyle, and not migration status,
seem to be the determining factors in the appearance of high
blood pressure and obesity. However, the duration of resi-
dence is not linked to self-rated health, which is known to be
correlated with the real state of health of individuals. To cit e
this journal: Bull. Mém. Soc. Anthropol. Paris 23 (2011).
Keywords Biological anthropology · Internal migrations ·
Health · Hypertension · Obesity · Senegal
Introduction
Au Sénégal, comme dans la majorité des pays [1], les flux de
population les plus importants ne sont pas internationaux,
mais bien ceux amenant des individus à migrer à l’intérieur
de leur propre pays, notamment vers le milieu urbain [2].
P. Duboz (*) · E. Macia · L. Gueye · N. Chapuis-Lucciani
UMI 3189 environnement, santé, sociétés,
CNRS/université Cheikh-Anta-Diop/université de Bamako/CNRST,
laboratoire de physiologie exploratoire et fonctionnelle,
faculté de médecine de Dakar, université Cheikh-Anta-Diop,
Dakar, Sénégal
e-mail : prisciduboz@yahoo.fr
Bull. Mém. Soc. Anthropol. Paris (2011) 23:83-93
DOI 10.1007/s13219-010-0029-4
Cependant, rares sont les études qui analysent l’impact du
changement d’environnement associé à la migration interne
sur la santé des individus. La majorité des travaux porte en
effet sur les différences de santé entre milieux urbains et
ruraux. Ainsi, dans les pays en développement, la mortalité
apparaît nettement plus élevée en milieu rural qu’en milieu
urbain [3,4]. Par contre, concernant les maladies chroniques,
l’inverse est généralement observé [5]. Du point de vue de la
santé des migrants internes, la durée d’exposition à l’envi-
ronnement urbain semble conditionner l’apparition de mala-
dies chroniques telles que l’hypertension artérielle (HTA) et
le diabète [6]. Cependant, au Sénégal, pour le moment
aucune étude comparative entre l’état de santé et les préva-
lences de maladies chroniques des migrants internes et leurs
populations d’accueil n’a été menée.
Migrations internes
Selon le rapport mondial sur le développement humain de
2009, les flux de population les plus importants sont ceux
amenant des individus à migrer à l’intérieur de leur propre
pays. Ce rapport estime à environ 740 millions le nombre de
migrants internes, soit près de quatre fois celui des migrants
internationaux. Ces migrations internes s’effectuent le plus
souvent sur de courtes distances et sont majoritairement
orientées vers le milieu urbain [1]. Selon le modèle de Harris
et Torado [7], la migration du milieu rural vers le milieu
urbain est liée aux avantages attendus par les migrants en
termes de revenus économiques. Dans cette perspective, la
migration interne est conçue comme un rapport coûts/béné-
fices et persiste tant que les déséquilibres économiques entre
milieux urbains et ruraux perdurent. Cependant, les limites
de ce modèle ont été démontrées par de nombreux auteurs,
pour qui la migration est davantage le fruit d’une décision
collective des ménages qui, en envoyant un de leurs mem-
bres en milieu urbain, diminuent ainsi les risques économi-
ques associés aux crises du marché, courantes dans les pays
en développement [8]. Mais, même lorsque les effets des cri-
ses économiques s’estompent, il apparaît que les différences
en termes d’équipements collectifs, de structure de santé,
d’éducation, d’investissements créateurs d’emplois rémuné-
rateurs non agricoles entre milieu urbain et milieu rural dans
les pays en développement contribuent à entretenir les migra-
tions à destination des capitales et des villes secondaires [9].
Au Sénégal, l’un des phénomènes contemporains majeurs
consiste en l’accentuation des déplacements à l’intérieur du
pays [2] : les migrations à destination de la capitale, Dakar,
sont importantes et en 2002, 46,6 % des individus y habitant
étaient originaires d’autres régions du Sénégal [10]. La situa-
tion économique et sociale des Dakarois reste largement plus
favorable que celle des autres Sénégalais. Vingt-sept pour
cent seulement des premiers n’ont aucun niveau d’instruc-
tion contre plus de la moitié des seconds (56,4 %), et 80,4 %
des logements urbains ont l’électricité contre 15,8 % des
logements ruraux [3]. Globalement, les équipements collec-
tifs sont nettement plus développés et fonctionnels à Dakar
que dans le reste du pays (eau, électricité, écoles, hôpitaux et
postes de santé). C’est pourquoi aujourd’hui, il est possible
d’affirmer qu’avec les différenciations croissantes entre
milieux urbains et ruraux, les migrations vers les villes
secondaires et la capitale sont devenues une composante
structurelle de l’équilibre démographique au Sénégal. Il
faut cependant remarquer que la migration urbain–rural et
la plurirésidentialité constituent de nouvelles tendances de
la migration interne au Sénégal. Les retours vers le milieu
rural —et les migrations urbain–rural en général —sont
aujourd’hui plus nombreux, et le nombre de ménages choi-
sissant la plurirésidentialité est en hausse, les principales
motivations étant la diversification des ressources économi-
ques disponibles et la réduction des coûts de la vie quoti-
dienne (beaucoup plus élevés à Dakar que dans le reste du
pays) [11,12].
Santé des populations rurales et urbaines
De nombreuses études ont été réalisées sur la comparaison
des indicateurs de santé en milieu urbain et rural. D’un point
de vue général, la mortalité est plus élevée en milieu rural
qu’en milieu urbain dans les pays développés [13–16], de
même que dans les pays en développement [3,4]. Cela peut
être expliqué par différents facteurs favorables à la ville,
notamment économiques et sanitaires : les revenus moins
aléatoires que ceux du milieu rural, l’assainissement, la
médecine préventive et la disponibilité des soins [17].
Dans les pays en développement, les études analysant
les différences entre milieux urbain et rural en termes de
maladies chroniques montrent un net avantage du second
par rapport au premier. Ainsi, de manière générale, Kaufman
et al. [5] indiquent qu’en Afrique subsaharienne, les taux
d’hypertension sont plus faibles en milieu rural qu’en milieu
urbain. D’autres études menées sur les populations Zoulou
[18], camerounaise [19,20] et gambienne [21] soulignent
cette tendance. Elles indiquent également que la même répar-
tition géographique peut être observée concernant l’obésité
chez les Zoulou, les Camerounais et les Gambiens. Malgré
quelques études indiquant que les taux d’HTA sont compara-
bles entre milieux urbains et ruraux en Afrique subsaharienne
[6,22,23], la majorité des travaux montre que la population
rurale est globalement favorisée en termes de prévalence des
maladies chroniques en Afrique subsaharienne.
État de santé des migrants internes
dans le monde
Selon Roux et Van Tonder [24], la santé peut être associée à
différentes phases de la migration. Elle peut en effet être une
84 Bull. Mém. Soc. Anthropol. Paris (2011) 23:83-93
condition préalable à la migration, lorsque cette dernière
est une migration de travail ; elle peut être la raison de la
migration (notamment chez les personnes âgées à la recher-
che de soins) ; enfin, elle peut être le résultat de la migration.
Dans ce dernier cas, un ensemble conséquent de facteurs
entre en jeu dans l’évolution de l’état de santé de l’individu.
La migration peut être caractérisée par un gain de santé
lorsqu’un meilleur équipement sanitaire et un accès aux
soins plus important caractérisent le lieu de destination du
migrant [25], mais également par une détérioration de la
santé lorsque les conditions d’insertion dans le milieu
d’accueil sont défavorables [26].
La durée d’exposition à l’environnement urbain semble
conditionner, chez les migrants, l’apparition de maladies
chroniques telles que l’HTA et le diabète [6]. En effet, une
fois exposées à l’environnement urbain, les populations
migrantes abandonnent leur alimentation traditionnelle et
remplacent cette dernière par une alimentation de type
occidental, caractérisée par une diminution de la quantité
de carbohydrates et une augmentation des graisses [27]. De
plus, l’activité physique, facteur protecteur de l’apparition de
maladies chroniques [28], diminue en ville, au fur et à
mesure qu’augmentent la proportion de travaux automatisés
et les possibilités de transport public [29]. Ces changements
de mode de vie ont un impact négatif sur la santé, notamment
en termes de prévalence d’HTA, d’obésité, de diabète et de
certains cancers [30–33]. Ainsi, au Cameroun par exemple,
il a été démontré que la durée de résidence en milieu urbain
était liée à la prévalence de l’obésité [20,34]. De même,
selon Steyn et al. [32,35], la durée d’exposition à l’urbani-
sation est un prédicteur indépendant de l’apparition de
l’HTA à Cape Town (Afrique du Sud).
État de la question au Sénégal
Aucune étude comparative entre l’état de santé et les préva-
lences de maladies chroniques des migrants internes, de leurs
populations d’origine et d’accueil (c’est-à-dire, urbaines) n’a
été menée au Sénégal. Les seules informations disponibles
concernent pour le moment uniquement les populations
urbaines et rurales et non les populations migrantes. Dans
l’étude menée par l’Organisation mondiale de la santé
(OMS) [36], l’autoévaluation de la santé des individus en
milieu rural ne différait pas significativement de celle des
individus du milieu urbain au Sénégal. Par ailleurs,
deux études de Kane et al. [37,38] ont permis d’estimer la
prévalence de l’HTA à 25 % en milieu suburbain (Pikine) en
1995 et à 20 % en milieu rural en 1997. Cette même préva-
lence était de 21,7 % à Pikine en 1998 [39]. La seule étude
portant sur cette question tend donc à indiquer que la préva-
lence de l’hypertension dans le milieu rural sénégalais est
moins élevée que celle existant en milieu urbain.
Calculées grâce à l’indice de masse corporelle (IMC), les
prévalences de surpoids et d’obésité chez les femmes sont
respectivement de 30,5 et 18,8 % dans la région de Dakar
[3]. Ce résultat récent corrobore les données recueillies à
Pikine, banlieue de Dakar, indiquant que 26,6 et 18,8 %
des femmes âgées de 20 à 50 ans étaient respectivement en
surpoids et obèses en 2004 [40]. À notre connaissance,
aucune étude n’a récemment été menée en milieu rural séné-
galais dans le but d’estimer les prévalences de surpoids et
d’obésité. Cependant, l’activité physique étant nettement
plus importante en milieu rural [36] et l’alimentation plus
conséquente quantitativement et plus riche en graisse en
milieu urbain [33], il est fort probable que, tout comme
dans les autres pays en développement, les prévalences de
surpoids et d’obésité soient moins élevées en milieu rural
qu’en milieu urbain, au Sénégal.
Objectif de l’étude
L’objectif de cet article est donc de comparer les prévalences
d’hypertension et d’obésité ainsi que l’autoévaluation de la
santé des migrants internes et des populations originaires
de Dakar en tenant compte de la durée de résidence et de
l’insertion socio-économique des migrants.
Matériels et méthodes
Échantillon de population
Des interviews en face à face ont été menées de janvier
2009 à mai 2009 à Dakar. L’échantillon de population
constitué lors de cette étude comprend 600 individus âgés
de 20 ans et plus. Cet échantillon a été construit selon la
méthode des quotas croisés, de façon à être représentatif
de la population du département de Dakar âgée de 20 ans
et plus, à partir des données de l’Agence nationale de la
statistique et de la démographie (ANSD) datant du dernier
recensement. Les variables utilisées lors de la méthode des
quotas croisés étaient le sexe (hommes/femmes), l’âge
(20–29 ans / 30–39 ans / 40–49 ans / 50 ans et plus) et la
commune de résidence. Ces communes étaient regroupées
selon quatre arrondissements du département de Dakar :
Plateau–Gorée (cinq communes), Grand-Dakar (six com-
munes), Parcelles assainies (quatre communes) et Almadies
(quatre communes). La durée des entretiens variait de 30 à
45 minutes, selon la disponibilité et l’envie de parler des
personnes. Enfin, l’objectif de cette étude étant de comparer
les migrants internes et les populations originaires de
Dakar, les personnes nées à l’étranger ont été retirées
de l’échantillon, portant l’effectif de ce dernier à 568
individus.
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Variables étudiées
Les variables socio-économiques et démographiques recueil-
lies sont : l’âge, le sexe, le lieu de naissance, le niveau
d’éducation, le bien-être matériel et, pour les migrants, la
duréederésidenceàDakar.
Conformément à la définition de l’ANSD du Sénégal, ont
été considérés comme migrants les individus n’étant pas nés
à Dakar et y résidant depuis plus d’un an. Parmi la popula-
tion migrante, deux groupes ont été distingués : le premier
comprend les individus nés dans une des villes secondaires
du Sénégal (Saint-Louis, Kolda, Louga, Ziguinchor, Tamba-
counda, Thiès, Diourbel, Fatick, Kaolack et Matam) et le
second, les individus nés en dehors de ces villes. Cette dis-
tinction a été effectuée, car les villes secondaires consti-
tuent, selon Pélissier [41], de par l’importante croissance
qu’elles connaissent, un agent de diffusion des modèles
urbains, de modernisation mais également d’uniformisation,
et participent ainsi à l’« urbanisation » des campagnes. Situées
aux carrefours des échanges commerciaux, elles sont deve-
nues le cœur des migrations circulaires et animent les liens
entre rural et urbain. De plus, la diffusion du modèle urbain
principal dans les villes secondaires incite à penser que les
modes de vie adoptés dans ces dernières pourraient favoriser
l’émergence de maladies chroniques, telles que l’hyperten-
sion, et de facteurs de risque, tels que l’obésité. C’est pourquoi
la distinction entre migrants originaires du milieu rural et
originaires des villes secondaires est apparue nécessaire lors
de cette étude.
Afin d’estimer l’insertion socio-économique des indivi-
dus dans la ville de Dakar et de pallier les biais généralement
liés au recueil des données portant sur le salaire mensuel des
individus, une question permettant d’estimer le bien-être
matériel subjectif des individus a été introduite dans le ques-
tionnaire : « Étant donné le revenu de votre ménage, vous
estimez que vous vivez : bien / ça va à peu près / ça va, mais
il faut faire attention / difficilement ». Notons enfin que cette
question a déjà été utilisée en Afrique de l’Ouest pour
évaluer les conditions matérielles des individus [42].
La pression artérielle a été mesurée grâce à un tensiomètre
de marque Omron
®
. Conformément aux recommandations
de l’OMS, la mesure de la pression artérielle a été effectuée
après au moins cinq minutes de repos. Du point de vue médi-
cal, deux mesures sont nécessaires par consultation, au cours
de trois consultations successives sur une période de trois à
six mois pour asseoir le diagnostic d’HTA. Cependant,
compte tenu de la difficulté à remplir ces conditions lors
des visites à domicile, nous avons arbitrairement réalisé
deux mesures en une visite, la première en début d’entretien
et la seconde à la fin de cet entretien. Tous les participants
étaient confortablement assis sur une chaise, détendus,
les bras mis à nu et soutenus, le brassard aux dimensions
adaptées, placé au niveau du cœur. La première mesure s’est
faite aux deux bras afin d’éliminer une anisotension, et c’est la
valeur de la mesure de fin d’entretien qui a été retenue.
Conformément aux classifications de l’OMS, les indivi-
dus présentant une pression systolique supérieure ou égale
à 140 mmHg et/ou une pression artérielle diastolique
supérieure ou égale à 90 mmHg ont été considérés comme
hypertendus, de même que les personnes sous traitement
antihypertensif prescrit par un médecin.
Le poids a été mesuré avec un pèse-personne mécanique
de marque Soehnle
®
. La taille a été mesurée à l’aide d’une
toise métallique. Pour la mesure de la taille, le sujet devait se
placer au « garde-à-vous », bras pendants, talons joints sans
chaussures. La tête, légèrement relevée, s’appuyait contre la
toise, le regard était dirigé vers l’horizon. L’obésité a été
déterminée selon le calcul de l’IMC, qui correspond à la
division du poids (en kg) de l’individu par le carré de la taille
(en centimètres). Ainsi, les personnes ayant un IMC supé-
rieur ou égal à 30 kg/m
2
ont été considérées comme obèses ;
celles ayant un IMC compris entre 25 et 29,9 kg/m
2
ont été
définies comme étant en surcharge pondérale ; et celles ayant
un IMC inférieur à 18,5 kg/m
2
comme maigres. La « norma-
lité » est ainsi définie par des valeurs d’IMC situées entre
18,5 et 24,9 kg/m
2
.
Enfin, corrélée à l’état de santé des individus [43],
l’autoévaluation de la santé est connue pour être un prédicteur
de la mortalité [44]. L’autoévaluation de la santé des indivi-
dus a été évaluée par la question suivante : « Estimez-vous
que votre santé est : excellente / bonne / assez bonne / mau-
vaise / médiocre ? ». Afin de permettre l’obtention de
sous-effectifs suffisants du point de vue statistique, les moda-
lités positives (excellente / très bonne / bonne) et négatives
(mauvaise / médiocre) ont été regroupées lors des analyses.
Analyses statistiques
Les dossiers constitués sur ordinateur à partir des 600 ques-
tionnaires recueillis ont été entrés dans leur forme initiale
puis codés sur une fiche Excel (version 2003). Le logiciel
SPSS (version 16.0) a été utilisé pour la réalisation de tests
du Chi
2
. Il a également servi à la réalisation de régressions
logistiques binaires. Les résultats ont été considérés comme
significatifs lorsque p< 0,05.
Résultats
Caractéristiques socio-économiques et démographiques
Notre échantillon représentatif de la population dakaroise
compte 45,1 % de migrants. Parmi ces derniers, 103 sont
nés dans une ville secondaire et 153 en milieu rural. Le
nombre d’hommes et de femmes dans chaque catégorie de
population (non-migrante, migrante originaire des villes
86 Bull. Mém. Soc. Anthropol. Paris (2011) 23:83-93
secondaires, migrante originaire du milieu rural) est compa-
rable (Tableau 1). Par contre, les migrants originaires des
villes secondaires et du milieu rural sont significativement
plus âgés que les personnes originaires de Dakar.
Concernant le niveau d’éducation, quasiment la moitié
des migrants originaires du milieu rural n’a suivi aucune
année d’étude (46 %), alors que ce n’est le cas que de
27 % des migrants des villes secondaires et de 11 % des
individus originaires de Dakar. La tendance inverse peut
être observée concernant le cycle universitaire. Globale-
ment, les migrants d’origine rurale présentent donc un
niveau d’éducation moindre par rapport aux originaires de
Dakar, les personnes originaires des villes secondaires se
situant entre les deux.
Dans l’ensemble, 34 % des migrants résident à Dakar
depuis moins de dix ans, alors que 21,9 % y résident depuis
10 à 19 ans et que la majorité, soit 44,1 % des migrants, y
résident depuis plus de 20 ans. La durée de résidence à Dakar
diffère significativement en fonction du lieu de naissance.
En effet, les personnes nées en milieu rural sont plus
nombreuses à être installées à Dakar depuis au moins dix
ans, alors que la durée de séjour de celles nées dans les villes
secondaires est plus courte (zéro à neuf ans).
Enfin, les migrants d’origine rurale sont les plus nom-
breux à déclarer qu’étant donné le revenu de leur ménage,
ils vivent difficilement (37 %), alors qu’ils ne sont que 6 % à
estimer « bien » vivre grâce à leurs revenus. Comme pour
le niveau d’éducation, les plus défavorisés en termes de
bien-être matériel sont donc les migrants d’origine rurale.
État de santé et maladies chroniques en fonction
du statut migratoire
Globalement, sur notre échantillon, la prévalence de l’HTA
est de 27,11 %, celle du surpoids de 22,54 % et celle de
l’obésité de 8,10 %. Les personnes évaluant leur santé
comme excellente, très bonne ou bonne représentent la
grande majorité (83,63 %), tandis que celles s’évaluant en
médiocre ou mauvaise santé ne représentent que 16,4 % des
individus. Le Tableau 2 illustre la répartition de ces variables
selon le genre. Il apparaît que les hommes sont significative-
ment plus nombreux à évaluer leur santé positivement
(Chi
2
= 12,334 ; p< 0,001) et qu’ils sont également signifi-
cativement plus nombreux à avoir un IMC normal ou à
être en situation de surpoids (Chi
2
= 22,411 ; p< 0,001).
Par contre, aucune différence n’est observée selon le sexe
en termes de prévalence de l’HTA (Chi
2
= 1,029 ; p> 0,05).
Comme illustré sur la Figure 1, le taux d’hypertension
dans chaque catégorie de population est comparable.
Aucune différence significative n’a donc pu être mise en
Tableau 1 Répartition des variables sociodémographiques en fonction du statut migratoire (n= 568) / Socio-demographic variables
by migration status (n = 568)
Variables Catégories Lieu de naissance Total
Nombre
(%)
Chi
2
Dakar
Nombre (%)
Ville
secondaire
Nombre (%)
Milieu rural
Nombre (%)
Sexe Hommes 155 (49,68) 55 (53,40) 80 (52,29) 290 NS
Femmes 157 (50,32) 48 (46,60) 73 (47,71) 278
Âge 20–29 ans 159 (50,96) 40 (38,83) 37 (24,18) 236 43,817 ;
p< 0,001
30–39 ans 84 (26,92) 24 (23,30) 42 (27,45) 150
40–49 ans 40 (12,82) 18 (17,48) 35 (22,88) 93
50 ans et plus 29 (9,29) 21 (20,39) 39 (25,49) 89
Niveau
d’éducation
Aucun 35 (11,22) 28 (27,18) 71 (46,41) 134 82,859 ;
p< 0,001
Primaire 109 (34,94) 16 (15,53) 29 (18,95) 154
1
er
cycle secondaire 62 (19,87) 20 (19,42) 16 (10,46) 98
2
e
cycle secondaire 46 (14,74) 22 (21,36) 19 (12,42) 87
Cycle universitaire 60 (19,23) 17 (16,50) 18 (11,76) 95
Durée de
résidence
0–9 ans 45 (43,69) 42 (27,45) 87 7,24 ;
p<0,05
10–19 ans 19 (18,45) 37 (24,18) 56
20 ans et plus 39 (37,86) 74 (48,37) 113
Bien-être
matériel
Difficilement 71 (22,76) 21 (20,39) 58 (37,91) 150 23,369 ;
p< 0,005
Ça va mais il faut faire attention 92 (29,49) 20 (19,42) 31 (20,26) 143
Ça va, à peu près 108 (34,62) 48 (46,60) 54 (35,29) 210
Bien 41 (13,14) 14 (13,59) 10 (6,54) 65
Total 312 (100) 103 (100) 153 (100) 568
Bull. Mém. Soc. Anthropol. Paris (2011) 23:83-93 87
évidence entre migrants d’origine rurale, migrants originai-
res des villes secondaires et personnes originaires de Dakar,
concernant l’hypertension (Chi
2
= 5,791 ; p> 0,05). La
même tendance peut être observée pour les autres indicateurs
de santé étudiés. Ainsi, les taux de surpoids et d’obésité dans
les trois catégories de population sont comparables, de
même que le nombre de personnes évaluant leur santé
positivement (Tableau 3).
État de santé et maladies chroniques
en fonction de la durée de résidence à Dakar
Comme illustré sur la Figure 2, les résultats obtenus concer-
nant les liens entre durée de résidence à Dakar et HTA
indiquent que les personnes hypertendues sont surreprésen-
tées chez les migrants résidant à Dakar depuis plus de dix
ans (Chi
2
(3ddl) = 51,773 ; p< 0,001).
Par ailleurs, les individus migrants (originaires des villes
secondaires et du milieu rural) sont sous-représentés chez les
individus maigres (IMC < 18,5 kg/m
2
), alors que seuls les
migrants ayant passé moins de dix ans à Dakar sont sous-
représentés chez les obèses (IMC ≥30 kg/m
2
). Ces mêmes
personnes ainsi que les individus nés à Dakar sont sous-
représentés chez les personnes en surpoids (Chi
2
(9ddl) =
24,932 ; p< 0,01) (Fig. 3).
Enfin, aucune relation significative n’a pu être mise
en évidence concernant la durée de résidence à Dakar et
l’autoévaluation de la santé (Chi
2
(3ddl) = 2,432 ; p>0,05).
Cette dernière est majoritairement positive quelle que soit la
durée de résidence : entre 80,5 et 87,5 % des individus
estiment être en excellente, très bonne ou bonne santé.
Les relations précédemment identifiées entre la durée de
résidence à Dakar et l’HTA, d’une part, et l’IMC, d’autre
part, ont été vérifiées grâce à une régression logistique
binaire prenant en compte les variables socio-économiques
et démographiques. Ce type d’analyse est nécessaire, car
l’âge peut par exemple représenter un facteur de confusion :
il est en effet corrélé à la durée de résidence à Dakar chez les
migrants, mais également à l’HTA et à l’obésité. Les résul-
tats des régressions logistiques binaires sont présentés dans
les Tableaux 4, 5.
Le fait de contrôler la relation entre durée de résidence
à Dakar et HTA par les variables socio-économiques et
démographiques étudiées (Tableau 4) montre qu’en réalité,
seules les personnes ayant résidé moins de dix ans à Dakar
présentent moins de risque d’être hypertendues (OR = 0,253 ;
p< 0,005), quels que soient leur sexe, leur âge, leur niveau
d’étude et leur évaluation du bien-être matériel. C’est égale-
ment le cas des plus jeunes, les 20–29 ans (OR = 0,067 ; p<
0,001), 30–39 ans (OR = 0,130 ; p<0,001) et 40–49 ans
Tableau 2 Répartition de l’autoévaluation de la santé, de l’hypertension artérielle (HTA) et de l’indice de masse corporelle (IMC)
en fonction du genre (n= 568) / Self-rated health, hypertension and body mass index by gender (N = 568)
Variables Catégories Hommes Femmes Total
Nombre (%) Nombre (%) Nombre (%)
Autoévaluation
de la santé
Médiocre / mauvaise 32 (11,03) 61 (21,94) 93 (16,37)
Excellente / très bonne / bonne 258 (88,97) 217 (78,06) 475 (83,63)
HTA HTA–206 (71,03) 208 (74,82) 414 (72,89)
HTA+ 84 (28,97) 70 (25,18) 154 (27,11)
IMC < 18,5 kg/m
2
28 (9,66) 43 (15,47) 71 (12,50)
18,5–24,9 kg/m
2
185 (63,79) 138 (49,64) 323 (56,87)
25–29,9 kg/m
2
66 (22,76) 62 (22,30) 128 (22,54)
≥30 kg/m
2
11 (3,79) 35 (12,59) 46 (8,10)
Total 290 (100) 278 (100) 568 (100)
Fig. 1 Répartition des hypertendus en fonction du lieu de nais-
sance (n= 568) / Individuals with hypertension by birth location
(n= 568)
88 Bull. Mém. Soc. Anthropol. Paris (2011) 23:83-93
(OR = 0,324 ; p< 0,005), présentant significativement moins
de chances d’être hypertendus que les 50 ans et plus.
Enfin, la régression logistique effectuée dans le but de
contrôler la relation entre IMC et durée de résidence à
Dakar par les variables socio-économiques et démographi-
ques (Tableau 5) montre que seuls les migrants résidant à
Dakar depuis moins de dix ans présentent moins de chances
d’être obèses que les personnes originaires de Dakar (OR =
0,119 ; p< 0,05). Ainsi, les migrants habitant à Dakar depuis
dix ans et plus ne diffèrent pas significativement en termes
d’obésité des personnes nées à Dakar, quels que soient
leur sexe, leur âge, leur niveau d’étude et leur évaluation
du bien-être matériel. Remarquons également que les
femmes ont quatre fois plus de chances d’être obèses que les
hommes (p< 0,001), alors que les 20–29 ans (OR = 0,068 ;
p< 0,001) et les 30–39 ans (OR = 0,255 ; p< 0,005) ont
moins de chances de l’être que les personnes âgées de
50 ans et plus.
Discussion
Les résultats obtenus lors de cette étude montrent que plutôt
que le statut migratoire des individus, c’est en réalité la durée
de résidence à Dakar qui s’avère être un facteur prédicteur de
la prévalence de l’HTA et de l’obésité chez les migrants ins-
tallés à Dakar. Par ailleurs, aucune relation n’a pu être mise
en évidence entre le statut migratoire et l’autoévaluation de
la santé, cette dernière n’étant pas non plus liée à la durée de
résidence à Dakar.
Fig. 2 Répartition des hypertendus et non-hypertendus en fonc-
tion de la durée de résidence à Dakar (n= 568) / Individuals with
and without hypertension by length of residence in Dakar (n= 568)
Fig. 3 Répartition des différentes catégories d’IMC (kg/m
2
)
en fonction de la durée de résidence à Dakar (n= 568) / BMI
categories (kg/m
2
) by length of residence in Dakar (n= 568)
Tableau 3 Répartition de l’indice de masse corporelle (IMC) et de l’autoévaluation de la santé en fonction du lieu de naissance
(n= 568) / Body mass index (BMI) and self-rated health by birth location (n = 568)
Variables Catégories Lieu de naissance Total Chi
2
Dakar
Nombre (%)
Ville secondaire
Nombre (%)
Milieu rural
Nombre (%)
IMC < 18,5 kg/m
2
48 (15,38) 9 (8,74) 14 (9,15) 71 NS
18,5–24,9 kg/m
2
175 (56,09) 59 (57,28) 89 (58,17) 323
25–29,9 kg/m
2
62 (19,87) 27 (26,21) 39 (25,49) 128
≥30 kg/m
2
27 (8,65) 8 (7,77) 11 (7,19) 46
Autoévaluation
de la santé
Médiocre / mauvaise 47 (15,06) 19 (18,45) 27 (17,65) 93 NS
Excellente / très bonne / bonne 265 (84,94) 84 (81,55) 126 (82,35) 475
Total 312 (100,00) 103 (100,00) 153 (100,00) 568
NS : non significatif.
Bull. Mém. Soc. Anthropol. Paris (2011) 23:83-93 89
Situation socio-économique et démographique
des migrants internes à Dakar
La proportion de migrants internes au sein de l’échantillon
étudié est de 45,07 %. Les migrants nés en milieu rural sont
plus nombreux que ceux originaires des villes secondaires.
Les caractéristiques socio-économiques des migrants ne
diffèrent pas de celles généralement observées dans la littéra-
ture. En effet, les migrants d’origine rurale sont plus nom-
breux que les autres catégories de population à n’avoir suivi
aucune année d’étude, et leur proportion diminue au fur et à
mesure que le niveau d’éducation augmente. Il semble par
contre que les migrants originaires des villes secondaires
soient globalement caractérisés par un niveau d’éducation
plus important. Sachant que ces derniers sont plus nombreux
à être installés à Dakar depuis moins de dix ans et qu’ils
comptent une proportion plus importante de 20–29 ans que les
migrants d’origine rurale, il est possible qu’une partie non
négligeable des migrants originaires des villes secondaires
ait migré à Dakar dans le but de poursuivre des études.
Tableau 4 Odds ratios ajustés sur le fait d’être hypertendu (n= 568) / Adjusted odds ratio for hypertension (n = 568)
Variables Catégories Odds
ratios
Intervalle de
confiance 95 %
p
Sexe (hommes) Femmes 0,832 0,54–1,29 0,413
Âge (50 ans et plus) 20–29 ans 0,067 0,03–0,13 < 0,001***
30–39 ans 0,130 0,07–0,25 < 0,001***
40–49 ans 0,324 0,17–0,62 0,001**
Niveau d’étude (cycle universitaire) Aucun 1,236 0,54–2,82 0,614
Primaire 1,386 0,64–2,99 0,404
1
er
cycle secondaire 1,624 0,73–3,63 0,236
2
e
cycle secondaire 0,955 0,40–2,26 0,917
Bien-être matériel (bien) Difficilement 1,240 0,56–2,76 0,597
Ça va mais il faut faire attention 0,994 0,44–2,25 0,988
Ça va à peu près 1,012 0,47–2,19 0,976
Durée de résidence à Dakar (nés à Dakar) 0–9 ans 0,253 0,10–0,63 0,003**
10–19 ans 1,223 0,60–2,48 0,577
20 ans et plus 1,314 0,74–2,34 0,352
***p< 0,001 ; **p< 0,005.
Tableau 5 Odds ratios ajustés sur le fait d’être obèse (n= 568) / Adjusted Odds ratios for obesity (n = 568)
Variables Catégories Odds ratios Intervalle de
confiance 95 %
p
Sexe (hommes) Femmes 4,055 1,91–8,62 < 0,001***
Âge (50 ans et plus) 20–29 ans 0,068 0,02–0,22 < 0,001***
30–39 ans 0,255 0,10–0,65 0,004**
40–49 ans 0,583 0,24–1,39 0,223
Niveau d’étude (cycle universitaire) Aucun 1,464 0,34–6,24 0,606
Primaire 1,614 0,41–6,38 0,495
1
er
cycle secondaire 1,088 0,25–4,76 0,911
2
e
cycle secondaire 1,473 0,33–6,53 0,610
Bien être matériel (bien) Difficilement 0,573 0,18–1,82 0,345
Ça va mais il faut faire attention 0,815 0,26–2,54 0,725
Ça va à peu près 0,711 0,24–2,12 0,541
Durée de résidence à Dakar (nés à Dakar) 0–9 ans 0,109 0,01–0,88 0,038*
10–19 ans 0,387 0,08–1,79 0,224
20 ans et plus 0,667 0,29–1,51 0,330
***p< 0,001 ; **p< 0,005 ; *p< 0,05.
90 Bull. Mém. Soc. Anthropol. Paris (2011) 23:83-93
Par ailleurs, l’insertion économique, évaluée par l’inter-
médiaire du bien-être matériel, est bien moins favorable pour
les migrants d’origine rurale : ces derniers estiment, plus
souvent que les autres, vivre difficilement. Par contre, les
migrants des villes secondaires déclarent éprouver moins
de difficultés et sont surreprésentés dans le fait de déclarer
« bien » vivre. Cela confirme que les migrants originaires
des villes secondaires se différencient très nettement
des migrants originaires du milieu rural : par leur niveau
d’éducation et leur bien-être matériel, ils ne correspondent
pas aux critères de pauvreté généralement caractéristiques
des migrants internes en Afrique subsaharienne.
Enfin, alors qu’auparavant la prédominance masculine
dans les populations migrantes était de mise, un rééquili-
brage entre les genres peut être observé au sein de l’échan-
tillon étudié. Ce rééquilibrage correspond à une des
nouvelles tendances contemporaines de la migration interne
au Sénégal, à savoir la féminisation des populations migran-
tes [45–47]. Cette féminisation peut être interprétée comme
étant le résultat de deux phénomènes concomitants : d’une
part, l’individualisation de la prise de décision dans le pro-
cessus migratoire, qui conduit une proportion de plus en plus
importante de femmes à migrer à destination des villes pour
diversifier leur revenu, et, d’autre part, l’accélération du
regroupement familial lié à la migration essentiellement
masculine rural–urbain massive des années 1980 [11].
Autoévaluation de la santé et migrations
Les résultats issus de cette étude montrent que du point de
vue de l’autoévaluation de la santé, corrélée à l’état de santé
réel des individus [43], aucune différence statistiquement
significative n’existe entre migrants (quelle que soit leur ori-
gine) et personnes nées à Dakar. De même, l’autoévaluation
de la santé n’est pas liée à la durée de résidence à Dakar.
Comme exposé en introduction, en 2003 l’OMS a inclus,
lors de son étude au Sénégal, une question portant sur
l’autoévaluation de la santé ; il a montré que cette dernière
était comparable entre milieu rural et milieu urbain [36].
Les résultats obtenus lors de notre étude confirment cette
tendance, également retrouvée en Afrique du Sud [24].
HTA, obésité et migrations
Les résultats obtenus lors de cette étude montrent que ni
l’HTA ni l’obésité, ni l’autoévaluation de la santé ne sont
liées au statut migratoire des individus. Par contre, la durée
de résidence à Dakar
1
est associée à la prévalence de l’HTA
et de l’obésité, quels que soient le sexe, l’âge, le niveau
d’étude et le bien-être matériel des individus. Les migrants
(d’origine rurale ou des villes secondaires) résidant à Dakar
depuis moins de dix ans ont moins de chances d’être hyper-
tendus et obèses que les personnes nées à Dakar, et ce, même
lorsque cette relation est contrôlée par l’ensemble des
facteurs sociodémographiques et économiques.
Puisque les prévalences d’HTA et d’obésité sont moins
importantes chez les « nouveaux venus » à Dakar (c’est-
à-dire, y résidant depuis moins de dix ans) que chez les
autres, les résultats obtenus permettent donc de supposer
que les prévalences d’HTA et d’obésité sont moins importan-
tes en milieu rural et dans les villes secondaires qu’àDakar
(milieu urbain par excellence), conformément à ce qui a été
observé dans d’autres pays en développement [5,18–21].
Enfin, conformément aux observations de Poulter et al.
[6], Steyn et al. [32,35] et Sobngwi et al. [20], il apparaît
que le critère de différenciation en termes de maladies chro-
niques est la durée de résidence en milieu urbain (Dakar), et
non le statut migratoire. En effet selon les régressions logis-
tiques binaires réalisées lors de cette étude, le fait d’avoir
passé dix ans ou plus à Dakar augmente les risques d’être
affecté d’HTA et d’être obèse. Ainsi, l’urbanisation et les
modes de vie qui y sont associés —changements d’habitu-
des alimentaires, diminution de l’activité physique, stress
psychologique additionnel [48] —semblent être les détermi-
nants de la détérioration de l’état de santé en termes de mala-
dies chroniques. Inversement, le mode de vie des Sénégalais
hors de Dakar peut être considéré comme un facteur
protecteur de l’apparition des maladies chroniques.
Limites de l’étude et perspectives
La première limite de cette étude concerne le recueil de
données concernant le bien-être matériel des individus.
Cette variable est une affaire de perception et reste donc
subjective. Un indice de niveau socio-économique basé sur
les biens du ménage aurait certainement été plus approprié.
De plus, lors de cette étude, seules les migrations à destina-
tion de Dakar ont été étudiées, en distinguant les migrants
originaires des villes secondaires de ceux originaires du
milieu rural. Les limites associées à ce type d’étude sont
multiples : d’une part, l’étude des migrations internes à des-
tination de Dakar ne constitue qu’un champ restreint des
mouvements populationnels sénégalais et ne permet donc
pas la mise en perspective des résultats avec ceux issus de
l’analyse des autres tendances migratoires au Sénégal
(migration rural–rural et urbain–rural) ; d’autre part, la dis-
tinction entre migrants originaires des villes secondaires et
du milieu rural effectuée dans cet article devrait être complé-
tée par une étude portant sur les individus originaires du
milieu rural et migrant à destination des villes secondaires
afin de comparer leurs caractéristiques démographiques,
1
Personnes nées à Dakar / migrants résidant à Dakar depuis zéro à neuf
ans / migrants résidant à Dakar depuis 10 à 19 ans / migrants résidant à
Dakar depuis 20 ans et plus.
Bull. Mém. Soc. Anthropol. Paris (2011) 23:83-93 91
socio-économiques et sanitaires. C’est pourquoi, après avoir
recueilli les données concernant les migrants internes et leurs
populations d’accueil, il apparaît indispensable d’étudier le
milieu rural et les villes secondaires sénégalaises. Il sera
alors possible de comparer les autoévaluations de la santé
ainsi que les prévalences d’HTA et d’obésité des personnes
habitant le milieu rural et les villes secondaires à celles des
personnes originaires de ces milieux et ayant migré à Dakar.
Conclusion
L’étude réalisée dans le but de comparer les états de santé et
les prévalences d’HTA et d’obésité selon le statut migra-
toire à Dakar a permis de montrer que les migrants des
villes secondaires et du milieu rural se différencient entre
eux par le niveau d’éducation et le bien-être matériel. Les
migrants originaires du milieu rural apparaissent comme
les moins favorisés de ce point de vue. Par contre, les pro-
portions de femmes et d’hommes dans chaque sous-
catégorie de population sont comparables, cela pouvant
être entendu comme le résultat croisé de la féminisation
des migrations internes et du regroupement familial, consé-
cutif aux migrations internes à destination de Dakar ayant
eu lieu dans les années 1980.
Les résultats obtenus montrent par contre que la distinc-
tion entre migrants et personnes originaires de Dakar est
inopérante lorsque l’on s’intéresseàl’autoévaluation de
la santé ou aux prévalences d’HTA et d’obésité. En effet,
aucune de ces variables n’est liée au statut migratoire des
individus. Cependant, la durée de résidence à Dakar est
associée à l’HTA et à l’obésité (et non à l’autoévaluation
de la santé). En effet, les personnes ayant résidé depuis dix
ansouplusàDakar—ou y étant nées —présentent signi-
ficativement plus de risque que les autres (migrants instal-
lés depuis moins de dix ans à Dakar) de développer ces
problèmes de santé. Ces résultats correspondent à ceux
obtenus par Poulter et al. [6], Steyn et al. [32,35] et
Sobngwi et al. [20], qui ont montré que la durée d’exposi-
tion à l’urbanisation et à ses facteurs associés (changements
d’habitudes alimentaires, diminution de l’activité phy-
sique, stress psychologique additionnel) détermine l’appa-
rition de maladies chroniques.
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